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Liban: Sur les traces des premiers chrétiens d’Orient à Qannoubine

Source: l’Orient le jour

Wadi Qannoubine, ou vallée de la Qadisha, reste aujourd’hui l’un des plus importants sites d’établissement des premiers monastères chrétiens au monde. Visitée depuis les contrées les plus éloignées, cette vallée reste un endroit peu familier et même évité par le tourisme local traditionnel en raison de sa difficulté d’accès et son cachet labellisé « écologique ». Une centaine de journalistes accompagnés de leurs familles ont été invités à l’initiative du père Hani Tawk et de la journaliste Rima Rahmé à visiter ces lieux classés patrimoine mondial par l’Unesco.

Le seul nom de Wadi Qannoubine, ou vallée de la Qadisha, est synonyme de havre de paix, de sérénité, de spiritualité, et même de sainteté pour les chrétiens. Des milliers de maronites ont passé une grande partie de leur vie ancrés dans ses rochers suspendus entre ciel et terre, se rapprochant ainsi, selon eux, du Créateur, qui ne peut qu’être glorifié et remercié pour ce décor divin au parfum d’encens.

Qadisha signifie littéralement saint en syriaque. Et la sainteté, « ça se sent et ça se vit, dans le silence et à chaque moment de notre vie », selon l’organisateur et guide du pèlerinage entrepris dimanche dernier, le père Hani Tawk. Ce prêtre maronite, fortement enraciné dans ses origines, a rassemblé 265 pèlerins, entre journalistes, photographes, comédiens, chanteurs, etc., accompagnés de leurs familles et de leurs amis, pour marcher ensemble sur les pas des anciens, ces premiers maronites, qui ont versé leur sang afin de sauvegarder les rituels, l’histoire, la tradition et le patrimoine de leur église dans cet Orient sans cesse tourmenté par les invasions et les persécutions des chrétiens.

Le site est situé au bas du mont Makmel, une vallée creusée au pied du plus haut sommet de la chaîne libanaise de Qornet el-Saouda (3 083 m), au nord du pays, entre 900 et 1 900 m d’altitude. Il est en fait composé de deux vallées qui se rejoignent à l’ouest ayant pris chacune le nom d’un monastère : la vallée de Qannoubine au sud, du nom du monastère Notre-Dame de Qannoubine, et la vallée de Kozhaya au nord, du nom du monastère Mar Antonios (Saint-Antoine-le-Grand).
La partie la plus pittoresque de la vallée s’étend en amont sur une vingtaine de kilomètres, entre Bécharré, le village natal de Gibran Khalil Gibran, et Tourza.
La vallée de Qannoubine est une gorge profonde traversée sur 35 km par le fleuve Qadisha, dans lequel se déversent les torrents des eaux de source des montagnes surplombant la vallée et qui prend une appellation différente une fois arrivé à Tripoli : Nahr Abou Ali.

Avec Dario Escobar
Les pentes de la vallée de la Qadisha sont très escarpées et leurs falaises forment des remparts naturels idéaux pour le recueillement et l’isolement. Par endroits, les pentes se transforment en terrasses aménagées par les ermites des monastères pour cultiver le blé, la vigne et l’olivier, et d’autres plus loin, délaissées mais encore visibles, cultivées par les villageois de l’époque. L’érosion karstique souterraine est à l’origine d’une formation naturelle de grottes, souvent difficiles d’accès et classées patrimoine mondial. La plus importante, la grotte de la Qadisha, une vraie caverne de diamants sculptés par le ruissellement minutieux de l’eau calcaire, est située en amont de la vallée, au-dessus de Bécharré. Elle s’étendrait sur une profondeur de 778 m. La vallée est à proximité de la forêt des cèdres de Dieu, à laquelle elle est associée dans la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1998.

Quand nous nous sommes engagés dans l’escalier aménagé tant bien que mal dans la falaise qui protège en son sein l’ermitage de Notre-Dame de Hawka, à une altitude de 1 150 m, où vit l’ermite colombien Dario Escobar, un moine maronite, nous avons ressenti la difficulté qu’avaient eue les hommes et femmes des premiers siècles chrétiens à apprivoiser cette vallée.
L’atmosphère se fait pesante. Le décor est irréellement parfait, la pente est raide, les marches incertaines et le sentier très dangereux. Fadi Baroudi, notre guide, spéléologue et historien de la Qadisha, ne nous rendait pas la tâche facile en expliquant comment les premiers chrétiens frôlaient la mort de si près en empruntant presque le même sentier, mais sans aucun balisage à l’époque. Une chaîne humaine dévalait les centaines de marches à petits pas hésitants en retenant son souffle devant tant de beauté divinement agencée.

Après une visite à l’ermite colombien qui a béni les randonneurs en latin, le groupe s’est enthousiasmé en écoutant le récit du guide racontant les expéditions entreprises par les équipes libanaises et étrangères de spéléologues et d’archéologues dans les cavités accrochées à même les falaises, tels des nids d’aigle. Dans ces grottes creusées patiemment durant des siècles, des inscriptions des premiers chrétiens ont été retrouvées par les spécialistes, notamment dans la grotte d’al-Assi.
Couvents, églises, ermitages, où ont vécu des saints anachorètes, grottes où reposent encore des patriarches maronites… Tous ces lieux sont semés de part et d’autre de cette vallée, décorée furtivement par quelques taches de forêts de pins rendant l’air respirable si précieux.

Quelques kilomètres plus loin, nous visitons le sanctuaire de sainte Marina dont l’histoire est devenue légendaire : la célèbre sainte qui s’était déguisée en moine toute sa vie. Le chêne de sainte Marina est une escale incontournable, même pour les randonneurs les plus aguerris qui s’y ressourcent d’un silence d’or sous l’ombre de l’arbre millénaire couronnant leur journée de fatigue et de cheminement spirituel. Dans ce sanctuaire, nous découvrons de même des peintures religieuses très anciennes.

Euphoriques
La vallée accueille certains des plus anciens monastères chrétiens du Moyen-Orient. Nous trouvons aussi au fond de cette vallée le monastère Mar Lichaa ou Elishaa (Saint-Élysée), mentionné pour la première fois au XIVe siècle. Son église communautaire comporte quatre chapelles creusées dans sa façade rupestre.
Ce temple naturel, à la fois forteresse et siège imprenable, où de nombreux patriarches maronites ont aménagé leur résidence ou refuge entre 1440 et 1823 pour tenter de se soustraire aux invasions des Mamelouks, puis celles des Turcs, est un lieu de prière, de méditation et de communion totale avec la nature. Cette oasis sacrée n’était pas seulement occupée par les maronites. Ses grottes et falaises ont abrité d’autres communautés chrétiennes au cours des siècles. « Aucun généticien ne peut deviner la religion d’un visiteur de la Vallée sainte », affirme le père Hani à la fin de la rencontre qui a duré toute la journée.

Au monastère de Notre-Dame de Qannoubine, où est exposé le corps encore intact du patriarche Joseph el-Tyan, un documentaire retrace le patrimoine culturel de cette région à l’écart de la civilisation, mais cependant si ancrée dans les esprits de ses visiteurs. La sœur Lina, une religieuse antonine qui gère le monastère, se lamente du désintérêt des médias pour ce petit coin de paradis où les religieuses et le patriarcat maronite tentent « malgré toutes les contraintes naturelles et techniques de perpétuer les traditions héritées » de leurs ancêtres. « Nous sommes tous unis par notre humanité symbolisée par la majesté de la nature, qui a bien accepté de servir de refuge sécurisant quoique impitoyable aux premières communautés maronites. Cette même nature est déterminée encore aujourd’hui à accueillir à bras ouverts tous les enfants du Liban et du monde entier, quelle que soit leur appartenance politique ou confessionnelle », reprend le père Hani.

Sous le regard vigilant du siège patriarcal d’été de Dimane, qui contemple en un silence solennel l’ancien siège patriarcal, celui de Qannoubine, les visiteurs quittent les lieux totalement sereins, sans pouvoir l’expliquer, et littéralement euphoriques. Un voyage dans le temps, un retour aux sources pour certains qui a permis de partager des moments intenses avec les journalistes, invités gracieusement par la municipalité de Bécharré dont le président, Antoine Tawk, a tenu à accompagner les visiteurs dans leur pèlerinage.

Un bref aperçu historique

La vallée de la Qadisha a été habitée par des communautés religieuses depuis les toutes premières années du christianisme et reste aujourd’hui l’un des sites les plus importants dans la vie monastique chrétienne dans le monde.
Les reliefs particulièrement vertigineux de la vallée et son isolement ont contribué à en faire un refuge naturel pour les communautés de la région. Des grottes de la vallée ont ainsi été utilisées comme abris ou tombes depuis le paléolithique. Dès les premiers siècles du christianisme, la vallée sacrée a servi de refuge à différentes communautés religieuses, pas seulement chrétiennes, mais son histoire est surtout liée à celle des maronites qui s’y sont enfermés, fuyant leurs terres d’origine de la vallée de l’Oronte. Ils étaient accusés par les Byzantins de monothélisme (doctrine christologique du VIIe siècle affirmant qu’il n’existait en Jésus-Christ qu’une seule volonté, la volonté divine). Ils s’y sont réfugiés par la suite lors des persécutions religieuses après la destruction du monastère Saint-Maron, au Xe siècle. Les moines maronites établirent alors leur nouveau centre dans la vallée de Qannoubine.
À la fin des croisades, les maronites des villages environnants et ceux habitant dans les grottes de la Vallée sainte furent victimes de persécutions, principalement de la part des sultans mamelouks (XIIIe siècle). Du XVe au début du XXe siècle, l’Église maronite fit du monastère Notre-Dame de Qannoubine le siège du patriarcat maronite.