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Chrétiens d'Orient : de Ninive au Khabour, 1915, 1933, 2014, 2015

La communauté assyro-chaldéenne fait face à des temps sombres et à  une situation affligeante.

Ces attaques  criminelles, ces enlèvements d’innocents (plus de 250  personnes, des jeunes, des femmes et des personnes âgées sont prises en captivité), l’exil forcé de milliers de personnes (plus de 3000 réfugiés à Hassaké et à Qamichli), ces martyrs tombés (plus de 10 déjà !) sont un choc terrible pour une communauté qui a subi par le passé beaucoup de souffrances.
Une nouvelle tragédie et une extermination collective contre les Assyro-Chaldéens est, encore une fois, en train de se dérouler sous nos yeux, dans la douleur et le sang, en Syrie depuis le lundi  23  février, après celle de l’Irak où la province de Ninive est toujours en deuil depuis son invasion par les groupes terroristes du prétendu « État islamique », le 10 juin et le 17 juillet 2014.
Avec la destruction des monuments historiques qui remontent à plus de 3000 ans d’histoire et la démolition des églises et des sanctuaires par une bande  de nihilistes obscurantistes, on est en train d’effacer la mémoire d’un peuple et les traces d’une civilisation, la Mésopotamie, qui est un des berceaux de l’humanité, détentrice d’un patrimoine mondial matériel et immatériel.
Ces actes de vandalisme ont été vigoureusement dénoncés par la Directrice Générale de l’UNESCO, Madame Irina Bokova.
Tôt, le matin du lundi 23 février, la terreur de Daech s’est abattue  sur les villages assyriens du Khabour, dont les premières persécutions avaient commencé en septembre dernier, les sommant d’enlever les croix de leurs églises.
L’ironie du sort fait que ces nouvelles victimes, ces dignes  fils  du Hakkari, leur foyer ancestral, sont  justement les enfants des  déportés des massacres d’Irak de 1933, eux-mêmes les rescapés du génocide de 1915 sous l’Empire ottoman.
La Syrie fut leur troisième pays de refuge.
Ils vivent  au nord-est de la Syrie, depuis 1933, sur les deux rives  du fleuve Khabour, dans 35 villages entre les villes de Hassaké (qui est ma ville natale) et Ras–al-Aïn. C’est avec joie que j’ai passé mon enfance et ma jeunesse entre Hassaké et ces villages assyriens où je me suis nourri de l’amour du pays assyrien et appris la fierté d’appartenir à ce peuple.
Qui sont ces Assyriens ?
Les documents de la Société des Nations (SDN), qui est l’ONU de l’entre-deux-guerres, affirment que les Assyriens furent « chassés de leurs montagnes par les forces turques » en 1915 et « se réfugièrent à Ourmiah, en Perse, ville qui était, à l’époque, aux mains des troupes russes.».
Après 1915, une nouvelle tragédie survint, l’exode des Assyro-Chaldéens de Perse vers l’Irak, le 31 juillet 1918.

Cet exode effroyable est décrit dans ces termes :« Après avoir parcouru dans la débandade  300 miles (480 km) en direction du sud-est, avec leurs familles, leur bétail et leurs biens, les Assyriens arrivèrent enfin à Hamadan, décimés par de perpétuelles  attaques des Turcs, des Kurdes et des Persans sur tous les flancs. Brûlés par la chaleur de l’été, ravagés par le typhus, la dysenterie, la variole et le choléra, vieillards et enfants, épuisés de fatigue et de fièvre, étaient abandonnés sur le bord de la route, et les morts et les mourants marquaient le chemin de la retraite. A la fin, après avoir perdu 20 000 d’entre eux, les survivants atteignirent Hamadan et prirent contact avec les troupes britanniques.»
Quinze ans après leur arrivée en Irak (1918-1933), ils furent à nouveau victimes de massacres qui ont été  à l’époque largement répercutés par la presse internationale, notamment française.
Pourtant, lorsque l’Irak obtint son indépendance  et fut admis à la SDN le 30 octobre 1932, des engagements étaient pris en vue d’établir les Assyriens,  originaires du Hakkari, en unité ethnique homogène et en  groupe compact. Cependant, le mot « unité » fut mis au pluriel, maintenant ainsi la dispersion de ce peuple. A l’époque, trois idées-clefs résumaient leurs revendications : établissement homogène, autonomie administrative et droit de collecter les impôts.
Tous les efforts entrepris pour établir les Assyriens  en bloc avaient échoué à cause de la résistance des autorités irakiennes. De ce fait, on était devant un tel état de dispersion, de désunion et de ballotement que la situation devenait de plus en plus critique.
Des massacres eurent lieu au village de Simélé et dans d’autres localités au nord de l’Irak en août 1933, commis  par l’État irakien désormais indépendant.
On fit état de 3000 victimes, tuées dans des conditions atroces. C’est alors qu’un certain nombre des montagnards Assyriens prirent derechef le chemin forcé de l’exil, vers la Syrie où ils furent accueillis et installés dans la région du Khabour, par les autorités françaises qui avaient alors le Mandat sur la Syrie, confié par la SDN.
Des villages cités en modèle
Ils ont construit des villages et mis en valeur des terres agricoles qui étaient en friche. Ils étaient cités comme modèle de réussite et de loyauté en Syrie.
Nous pouvons citer avec fierté la liste des  principaux villages assyriens construits grâce à leur labeur, estimés à 35, qui sont un microcosme et une reproduction qui leur  rappelait le Hakkari :
Um Gargan, Tal Arbouch, Tal Hormuz, Tal Damshesh, Tal Tal,Tal Maghada, Kharita, Um Alkeif, Um Waqfa, Abu Tina, Qabr Shamiyeh, Tal Baloaa, Tal Goran, Tal Shamiram, Tal Jazirah, Tal Talaa, Tal Najmé, Tal Hefian, Tal Nasri, Tal Baz, Tal Jumaa, Tal Maghas, Tal Masas, Tal Jadaya, Tal Tawil, Tal Tamer, Tal Kepchi, Tal Faidat, Tal Ahmar, Tal Ruman Tahtani, Tal Ruman Fokani, Tal Brej, Tal Sakra,  Tal Wardiate, Tal Shamyeh.
Le Khabour, une miniature du Hakkari
Ce qui est extraordinaire, d’un point de vue anthropologique et sociologique, c’est que dès leur arrivée dans le Khabour, les Assyriens ont reproduit les structures d’organisation tribales, claniques, familiales et religieuses qui prévalaient, depuis des temps lointains au Hakkari.
Ainsi, Tal Damshesh fut occupé par les habitants de Qotchanès qu’on appelle les Qotchesnayé, village qui était jusqu’en 1915, le siège patriarcal des Mar Shimoun, les Baznayé à Tal Baz et Tal Ruman Tahtani, les Talnayé à Tal Tal, les Djéloayé à Qabr Shamiyé, les Tchalnayé à Tal Brej, les Gounouknayé à Tal Sakra et  Qabr Shamyeh, les Mazernayé à Tal Wardiate, les Deznayé à Tal Baloaa, les Gavarnayé à Tal Goran et Tal Maghas, les Marbouchnayé à Tal Shamiram, les Halemnayé à Tal Jumaa, les Barwarnayé à  Tal Masas, les Ilynnayé à  Tal Jadaya, les Tiarayé à Tal Tamer, les Akernayé à Tal Kepchi, les Mazernayé à Tal Ruman Fokani….
La défense de leur identité, ethnique, culturelle et religieuse
Cette histoire est  transmise, depuis, par un patrimoine immatériel, par les chansons, illustrée par le folklore, perpétuée par de nombreux poèmes et des productions littéraires.
Appartenant à l’Église assyrienne de l’Orient, dite naguère nestorienne, regroupés autour  de leur patriarche (qui vivait en exil) et leurs chefs (les Maleks), ils ont bâti des églises dont les noms rappellent leurs saints, ceux qu’ils vénéraient au pays, comme Mar Shalita, Mar Zaya, Mar Pétion, Mar Guiwarguis, Mar Sarguis, Mar Bichou…

Et chaque village est composé  principalement de la tribu et du clan auxquels ils appartenaient.
Une stratégie sciemment préparée et un crime contre l’humanité
Depuis le 23 février, la situation est extrêmement inquiétante, plusieurs villages comme Tal Tamer, Tal Shamiram, Tal Tawil et Tal Hormuz  ont été attaqués par des islamistes ultra radicaux, équipés d’armement lourd.
Le malheur s’est abattu sur cette communauté pacifique qui ne demande pourtant que sa part à la vie et son droit à la dignité et au respect.
Nourris par une idéologie politique de la haine, il s’agit d’une stratégie, concertée et savamment préparée en vue de vider la région  de sa population chrétienne, en déstabilisant, en semant la peur et répandant la terreur.
Face à ces actes cruels et barbares, il  est urgent de réagir en prenant des mesures concrètes et de rompre avec cette passivité et incohérence dans la quelle la communauté internationale se complaît.
Comment en est-on arrivé là ? Quel  mépris de l’être humain et quel recul de la civilisation !

Le dimanche 1er mars 2015.