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Portrait de Mgr Pascal Gollnisch, à la croisée des mondes. Par Frédéric Mounier

L’homme a du coffre, et ne dédaigne pas d’en faire usage.

Voix forte, propos parfois véhéments et gros yeux furibards ponctuent la vie de Mgr Pascal Gollnisch, partagée à géométrie variable entre sa charge, depuis neuf ans, de curé de la grande paroisse de l’Ouest de Paris Saint-François-de-Sales (cinq vicaires, cinq diacres, 200 laïcs, 2 500 pratiquants réguliers, trois églises, une librairie, un espace culturel et social) et sa fonction, depuis trois ans, de directeur de l’Œuvre d’Orient (dont les 40 000 donateurs soutiennent, à travers un budget de 9 millions d’euros, les chrétiens d’Orient).

Pourtant, les apparences sont trompeuses.

En dépit de sa barbe, Pascal Gollnisch ne se sent pas oriental, même si le Proche-Orient, depuis ses jeunes années, le passionne.

Et, en dépit de sa grande gueule, il déteste la logique binaire, les explications trop simples. Cela tombe bien: les chrétiens d’Orient, dans toute leur complexité, voire leurs ambiguïtés, sont au cœur de l’actualité.

D’emblée, il prévient: « Il faut absolument s’abstenir de juger les problèmes du Moyen-Orient à l’aune de nos problèmes d’immigration et de la présence des musulmans en France. »

Cette dernière problématique est marquée au fer rouge de la décolonisation, de logiques de ghettoïsation, tandis que la première dépend de problématiques beaucoup plus larges. D’où la passion jamais éteinte que manifeste Pascal Gollnisch pour expliquer aux Français, du sommet de l’État aux paroissiens de base, la complexité des chrétiens d’Orient. Et inversement… Une position en forme d’aller et retour perpétuellement inconfortable.

Jeune séminariste, déjà, il s’était passionné pour cette cause: « Les Orientaux m’aident à comprendre ce que veut dire être latin, qui ne peut pas se confondre avec être catholique. Ils nous décentrent de notre catholicisme. Nos racines sont en Orient. » Dans les années 1970, avec ses amis Dominique Lebrun, devenu évêque de Saint-Étienne, et Olivier Ribadeau-Dumas, aujourd’hui secrétaire général de l’épiscopat, il partait l’été à la rencontre des communautés chrétiennes en Iran, Irak, Ouzbékistan, Albanie, Libye.

« À l’époque, l’Orient, certes compliqué, était calme. » se souvient-il aujourd’hui. D’où l’indifférence générale, voire le « dédain », qui les accueillait à leur retour. Tel n’est plus le cas aujourd’hui.

Mgr Gollnisch navigue ainsi en des eaux agitées. Il y a pris goût. En France, il doit expliquer que, si les persécutions à l’encontre des chrétiens sont de plus en plus fréquentes au Moyen-Orient, il existe pourtant des exemples vitaux de coexistence pacifique et constructive entre chrétiens et musulmans, notamment autour des nombreuses œuvres éducatives et de santé soutenues par l’Œuvre d’Orient.

De même, il doit expliquer avec doigté aux patriarches et évêques orientaux, pas toujours convaincus, que l’Occident ne les abandonne pas, et que la France, décrite par eux comme déchristianisée et inféodée à l’impérialisme américano-sioniste, ne souhaite pas attaquer leurs villes pour y imposer une loi étrangère. Ce jour-là, il avait fort à faire, à sa table, pour en dissuader un évêque copte de Haute-Égypte et un évêque venu d’Iran, et leur rappeler que la France s’était opposée à la guerre en Irak ou avait soutenu l’entrée de la Palestine à l’Unesco. Parfois, l’Orient compliqué se satisfait de logiques binaires… Cultivant sans faiblir la nuance, Mgr Gollnisch s’étonne encore d’un certain soutien « béat » apporté par l’opinion française à l’ex-président égyptien Morsi, membre des Frères musulmans, trop facilement victimisé lors de sa chute.

Sur le fond, Mgr Gollnisch analyse l’islam comme « un monothéisme qui s’est dressé contre l’idolâtrie et renvoie à une transcendance ».

Mais il s’inquiète « d’une manière d’enfermer Dieu dans cette dernière, au risque de cultiver une véritable idolâtrie de la transcendance. » Et « si nous affirmons que l’islam est compatible avec la démocratie, ce qui n’apparaît pas dans ses fondements, il nous faut alors un corps de doctrine pour le soutenir ». Il l’appelle de ses vœux.

Y compris en Syrie, véritable champ de mines religieux: « Je comprends, évidemment, l’angoisse des chrétiens. Si nous ne soutenons pas ceux qui récusent l’islam politique, si nous n’aidons pas à mettre en place des pouvoirs distants des fondamentalistes, alors risque d’émerger un régime incapable d’admettre en son sein les minorités. Ce serait un drame. » Dans l’immédiat, deux points préoccupent le directeur de l’Œuvre d’Orient: « Nous avons de grandes difficultés à acheminer l’aide alimentaire en Syrie, pour laquelle nous avons déjà dépensé trois millions d’euros. » Et puis, « à la rébellion proprement dite sont mêlés des groupes djihadistes et aussi de véritables bandits », ce qui rend opaque l’avenir de la Syrie.

Au fond, même au milieu des complexités orientales, ou au sein des clivages franco-français, Mgr Gollnisch reste passionné par la vie des communautés qui lui sont confiées. Déjà « cancre chahuteur » et « très mauvais élève », quoique scout très actif, au lycée parisien Janson-de-Sailly, puis étudiant en droit à Nanterre « dans la lassitude de l’après-68 » ou sous-officier appelé au 5e régiment de dragons de Tübingen (Allemagne), ce qui le passionne, c’est l’homme et sa relation à Dieu, au Christ.

Durant ces années, d’aumônerie en aumônerie, il s’interroge, au grand dam de ses parents, sur la pertinence existentielle de la carrière d’expert-comptable à laquelle ils le destinent, à l’image de son père. « Pas enthousiaste à l’idée du célibat », il leur annonce « le plus tard possible » sa décision d’entrer au séminaire, mûrie dès le scoutisme. « C’est une catastrophe », disent ses parents, catholiques pratiquants.

Il faut dire que, à l’époque, les séminaires se vidaient à grande allure. Lui-même vécut sa propre décision comme un « arrachement », même si ce fut sa « première décision prise en toute liberté ». Son entrée au séminaire de Rome, voulue par le cardinal Marty au détriment de son souhait d’entrer au séminaire parisien, plus « intellectuel », des Carmes, fut pour lui un « sacrifice ». Il y cohabita avec le futur ministre des affaires étrangères de Benoît XVI, Mgr Dominique Mamberti, avec le futur secrétaire général de l’épiscopat, Mgr Antoine Hérouard, ou encore avec Mgr Jean-Pierre Battut, aujourd’hui évêque auxiliaire de Lyon. Cette passion de l’homme, et de « la personne du Christ, sans laquelle nos vies n’auraient pas de sens », il l’a construite lorsqu’il fut chargé d’âmes jeunes à l’aumônerie du lycée parisien Lavoisier, puis de l’université parisienne de Jussieu, et enfin à la toute jeune maison Saint-Augustin, créée contre vents et marées par le cardinal Lustiger pour former son clergé parisien.

Au fil de ces lieux, il vécut « le miracle de l’engagement des laïcs », mais aussi le désarroi de ces étudiants, puis jeunes couples, « qui n’en peuvent plus de mettre leur foi dans leur poche ». Il se souvient encore de cette étudiante à Jussieu (« Sur 70 000 étudiants, nous en avions­ une centaine à l’aumônerie ») en larmes après qu’elle eut osé lever la main lorsqu’un enseignant avait demandé: « J’espère qu’aucun d’entre vous ne croit aux sornettes de la Bible? »

Pas question pour autant de succomber aux sirènes identitaires. Même dans les deux grosses paroisses parisiennes qui le virent passer (Saint-Jean-Baptiste de Grenelle et aujourd’hui Saint-François-de-Sales), il a été taraudé par le même questionnement: « Comment ne pas rester entre soi? Comment donner du goût à l’Église? Comment construire le sentiment d’appartenance commune au sein de nos communautés, sans repli sectaire ou nostalgie d’une chrétienté qui n’a jamais existé? » Ce défi-là, il sent bien qu’il « existe aussi entre l’Orient et l’Occident ».

Enfin, loin des convulsions du Proche-Orient, autant que des charges sans fin d’une lourde paroisse parisienne, c’est dans le Perche, chaque lundi sans faute, que Mgr Pascal Gollnisch se retire. Pour souffler, prier, discerner. Et puiser ainsi la force de repartir à la croisée des mondes, mais jamais comme un croisé.

Source la Croix