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"En quête de l’Orient perdu", Olivier ROY - la recension du Père Sabater

L’exercice permet à l’auteur de faire mémoire de son parcours. Au fil des moments importants de son histoire, nous découvrons un intellectuel, un routard, un défricheur, et un homme de convictions. En 1968, ce philosophe d’origine protestante est en Classes préparatoires au Lycée Louis-le-Grand (Paris). Dans les années 1960-1970, il est tenté par le marxisme-révolutionnaire… mais c’est en 1985, alors qu’il est membre du CNRS, qu’il découvre l’Orient pour la première fois. Il découvre particulièrement l’Afghanistan. Sa connaissance de terrain lui permet de déchiffrer la guerre entre ce petit pays reculé et l’Union soviétique. La deuxième puissance du monde est dans le bourbier. Un vaste champ d’investigation s’ouvre à lui sur ces terres qui ne sont pas encore entrées dans la modernité. Apparemment, l’Afghanistan semble aujourd’hui encore hermétique à cette dimension. Olivier ROY s’immerge de plus en plus au cœur de cet Orient qui reste à l’époque, faut-il le dire, si lointain et fondamentalement inconnu ou presque. Il s’y donne corps et âme en apprenant les langues, les coutumes afin de vivre de l’intérieur et en communion cet appel à rejoindre ces frères du monde. On le retrouvera sur les chemins d’Iran, sur les sentiers d’Ouzbékistan, ainsi qu’au Tadjikistan, au Pakistan…

 

Philosophe et reporter atypique, Olivier ROY, cherche constamment à dépasser le régime conventionnel de la pensée. Il refuse les prescriptions au grand dam de ses proches qui penseraient pour lui à une carrière bien menée. Non. A l’heure où les uns choisissent les « Chemins de Katmandou », et les autres s’adonnent à la musique des Beatles, il part dans un autre ailleurs… Il faut qu’il bouscule… ; et c’est le départ – non la fuite -, le passage vers cet Orient si étrange…, si loin et si incertain.

 

Il devient spécialiste de l’islam politique, de la guérilla, du renseignement militaire, du « retour du religieux » dans la sphère de l’islam. Il aborde les ruptures de notre temps, la radicalité en islam, l’islamisme, « l’essentialisation »… Il va à contre-courant de la pensée normée de l’establishment jusqu’à critiquer les raisons propres de l’embrigadement de jeunes dans ces courants islamistes. Il refuse de penser, par exemple, que l’islamisme est une réponse « à la révolte des opprimés », qui cette dernière se trompe radicalement en confondant « buts » et « moyens ». Religion n’est pas religiosité ! Cela est vrai pour toutes les religions. Le livre d’Olivier ROY nous apprend à distinguer, à reformuler nos connaissances et notre pensée sur l’islam, à changer notre regard, à apprendre à lire et à déchiffrer des codes. Son expertise nous désarçonne quelques fois, et ses avis souvent tranchés dérangeront le lecteur. On aurait sans doute besoin de plus de souplesse pour penser et islam et l’Orient !

 

Ce livre n’est pas seulement une somme de pensées et de réflexions. C’est aussi un ouvrage rempli d’anecdotes, parfois de récits qui frisent la drôlerie… « L’esprit souffle où on l’attend », dit-il. (page 312) Ce sera là peut-être le début de notre voyage en Orient ?!? Olivier ROY termine ses entretiens par un épilogue dans lequel il écrit : « une belle histoire, la mille et unième de mon Orient perdu, et la dernière ». (page 314) Espérons qu’il donne encore à regarder vers l’Orient sans complaisance ni commisération, mais avec le désir de vraiment entrer en amitié et en communion avec cette partie de l’humanité si éprouvée… Bonne lecture !

 

Patrice Sabater, cm

29 mai 2017

 

Olivier ROY, En quête de l’Orient perdu. Ed. Le Seuil. Coll. Points n°820. Paris, avril 2017. 316 pages. 8,80 €.