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Mgr Pascal Gollnisch : "Le monde arabe a besoin avant tout de respect et d'espoir"

Article publié dans France Catholique, Septembre 2014

L’Irak et la Syrie traversent aujourd’hui une crise majeure qui vient s’ajouter, pour l’Œuvre d’Orient aux crises en Ukraine, en Érythrée, en Palestine et tandis que l’Égypte se remet lentement de ses difficultés.

Le groupe djihadiste à cheval sur la Syrie et l’Irak s’est d’abord auto-proclamé « Émirat », puis « État islamique », puis « Califat ». C’est en réalité une institution terroriste qui a érigé la cruauté, mise en image par elle-même, en principe de terreur sur toute une région. Les limites du supportable sont franchies ; le respect minimum de la dignité humaine est aboli.

Ce groupe n’est pas un « État » et les autorités musulmanes en France et hors de France lui dénient sa prétention à se revendiquer « islamiste ».

Des familles ont dû quitter leur maison, leurs biens, leur village, leurs racines en deux heures de temps. Après une fuite éprouvante, elles se retrouvent en territoire kurde, hébétées, traumatisées, démunies, à la rue. Au-delà des otages journalistes américains, nous avons des images insoutenables de décapitation à la chaine, au couteau de cuisine.
Malgré le dégout qui nous saisit, essayons d’apporter quelques éléments d’analyse, sans prétendre être exhaustif, et dégageons quelques pistes d’action.

Si nous plongeons dans la géographie, en regardant une carte du monde, nous voyons que cette région est au carrefour des grands blocs : l’Asie et en particulier le monde persan et le monde indien, l’Afrique, l’ensemble Europe- Méditerranée, la péninsule arabique. Un peu comme Sarajevo se trouvait au point de rencontre des grands empires européens en 1914, ou Dantzig dans un carrefour en 1939. Cette région, qui dispose de réserves énergétiques énormes, ne laisse aucun pays indifférent.

D’un point de vue historique, il y aurait tant à dire de cette région qui a connu des civilisations parmi les plus anciennes et les plus prestigieuses, région où l’écriture a été inventée, région véritable paradis des archéologues. Retenons quatre faits majeurs.

  • Au troisième siècle avant Jésus-Christ, Alexandre le Grand représente le premier envahisseur venu du nord, rêvant d’une fusion universelle de ses peuples conquis, confrontant les cultures grecques, persanes, et sémites, spécialement à Alexandrie. Ce rêve ne se réalisera pas, car voulu les armes à la main, mais les généraux d’Alexandre se partageront l’Orient jusqu’à leur remplacement par les romains.
  • La Pentecôte, au début de notre ère. De Jérusalem l’Évangélisation commencera à Damas, à Antioche, à Alexandrie, à Babylone. L’Église se fonde et se structure sans l’aide de missionnaires venus d’Europe, mais c’est bien l’inverse qui se passera. Les populations seront chrétiennes durant des siècles, le christianisme est une religion d’origine asiatique, profondément marquée par le Moyen-Orient. Il faudra cependant attendre le vingtième siècle pour que les latins acceptent clairement que l’on puisse être totalement « catholique », c’est-à-dire uni au Pape, sans être nécessairement « latin ».
  • Au septième siècle, irruption de l’Islam de manière fulgurante. En un siècle leurs armées sont aussi bien à Poitiers qu’en Inde; comment les musulmans n’y verraient-ils pas un signe de bénédiction ? Car si cette religion reconnait la transcendance de Dieu, jusqu’à une sorte d’ivresse, elle ignore l’incarnation et encore plus la crucifixion. Dès lors celui qui perd et qui souffre ne peut faire de sa situation la lecture spirituelle qui nous est familière. En outre l’Islam n’a pas encore élaboré les outils conceptuels et institutionnels qui lui permettraient d’affronter la modernité et ses redoutables défis.
  • Au quatorzième siècle, les turcs vont dominer la région, étouffer le monde arabe même si le sultan est musulman. Les « réveils arabes » sont une lente sortie de ce long sommeil pour s’émanciper du pouvoir ottoman, puis du pouvoir occidental. Ce réveil est un processus initié à la fin du dix-neuvième siècle (Laurence d’Arabie) dont nous voyons une terrible étape, et qui est loin de s’achever.

Si nous essayons de regarder la situation actuelle, nous constatons les difficultés du monde arabe, qui ne représente qu’une infime minorité du monde musulman moderne. Touché par la crise économique mondiale, il ne manque pourtant pas de moyens, mais les ressources sont très inégalement réparties. A côté de richesses insolentes existe ici ou là une véritable misère. Ce monde arabe se vit aussi comme humilié par la crise palestinienne, par les interventions occidentales en Irak. Tout chef de guerre capable d’inquiéter l’Occident bénéficie d’un capital de sympathie. Ce monde vit aussi une désespérance du politique, plus encore que chez nous, entrainant souvent une sorte de résignation mais aussi des épisodes de rébellions violentes. Cela n’épargne d’ailleurs pas les chrétiens.

Le monde arabe a besoin avant tout de respect et d’espoir. Il a besoin aussi de réflexion politique en profondeur, car il y a une cruelle absence de modèle politique, de projet de société. Si dans une conversation de rue on est prompt à refuser la démocratie comme un produit imposé par l’Occident, on est plus discret sur ce que l’on voudrait proposer. Les peuples qui manquent de respect et d’espoir sont vite la proie des plus violents.
Dans cet univers, les chrétiens forment de petites minorités – sauf au Liban – fortes dans leur foi, souvent cultivées, au service de la population par les œuvres de santé et d’éducation, discriminées, victimes d’actes de violence ponctuelle, et aujourd’hui en Irak persécutés et victimes d’un génocide.

Que faire ?

Tout d’abord nous interroger sur nous-mêmes. Si nous nous sentons agressés parfois par l’Islam, nous devons nous interroger sur la fidélité à notre foi, si nous sommes chrétiens. Quelle est notre propre fidélité à l’incarnation et à la crucifixion ? Ceux qui ont rencontré l’Islam en profondeur étaient particulièrement fidèles à ces deux aspects de notre foi chrétienne, comme François d’Assise et Charles de Foucauld. Les chrétiens d’Orient me demandent souvent s’il y a encore des chrétiens en France. A chacun de nous de les rassurer !

Il nous faut aussi les connaître. Parfois on mélange orthodoxes et orientaux. Ou bien on va visiter les pyramides sans rencontrer une communauté chrétienne d’Égypte. Ou bien on ignore tout de leur histoire…

Nous devons mener avec les musulmans un dialogue respectueux mais exigeant, dans lequel la situation de nos frères chrétiens d’Orient soit évoquée, et dans lequel les principes qui permettent de construire une vie sociale soient élaborés de part et d’autre.

En Irak et en Syrie, trois actions sont à mener :

  • D’une part, l’aide pour les réfugiés doit se mettre rapidement en place et répondre à l’ampleur du désastre. On évoque entre 500 000 et 800 000 personnes en fuite sur les routes qui manquent de tout.
  • D’autre part, il convient de neutraliser les terroristes. Bien sûr, l’Église ne souhaite pas les guerres. Mais si on comprend que l’État islamiste est en réalité un groupe terroriste, on comprend aussi la nécessité d’une action. Si des terroristes sont dans un avion, on ne leur abandonne pas les passagers. Ici, les terroristes tiennent une région entière.
  • Enfin il convient d’accompagner les réfugiés en France, mais nous ne pouvons pas faire avec gentillesse ceux que d’autres font avec cruauté : vider l’Irak de ses minorités. La justice internationale doit aussi être saisie.

La sécurisation de la région passe par celle de la Syrie. Les évêques syriens avaient largement prévenu des risques liés à la radicalisation fondamentaliste.

La diplomatie occidentale est figée. Il convient de prendre des initiatives nouvelles, de retrouver des espaces de médiation et cela passe sans doute par nos relations avec la Russie. On comprend, devant les faits de cruauté, que les populations se placent derrière le régime Assad. Mais quelles autres possibilités offrons-nous ?

Au-delà de la sécurisation se pose la question de l’avenir. On ne peut détruire un pouvoir sans s’interroger par quoi le remplacer. Cette réflexion ne peut se faire qu’avec les populations concernées. Il est temps que des initiatives internationales soient prises pour dégager des solutions durables, de manière assez transparente pour ne pas donner le sentiment que le pétrole gouverne tout. Dans cette solution en profondeur, la situation des citoyens appartenant à des minorités doit être stabilisée, non seulement pour ces citoyens eux-mêmes, mais pour construire la paix ; celle-ci n’est pas possible sur un fond de nationalisme idéologique des groupes majoritaires. Un siècle après le génocide des chrétiens de Turquie, nous assistons à un nouveau génocide…

L’Œuvre d’Orient, avec d’autres associations catholique, poursuit son action sur place pour aider les Églises, pour l’éducation, pour la santé. Elle veut surtout renforcer la communion spirituelle entre ces « deux poumons » de l’Église. C’est par la prière que tout commence et que tout s’accomplit.