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Interview Mgr Pascal Gollnisch - Valeurs actuelles 23 décembre 2017

Au fur et à mesure que les combats s’estompent et que les persécutions s’atténuent, et depuis que Daech a –enfin-  été chassé de son territoire, on observe une amélioration et une sorte de respiration pour les chrétiens d’orient. Cependant, ce ne sera pas un Noël de la joie, et encore moins, comme chez nous, une fête de la surconsommation, tant les blessures et les destructions, dans la plaine de Ninive, à Homs ou encore à Alep, sont profondes. Les églises syriennes et irakiennes ont vécu des tragédies. Certains ont perdu tous leurs biens, d’autres sont blessés dans leurs corps ou leurs esprits, d’autres encore ont perdu des proches. L’émigration, envisagée à contrecœur, est vécue comme une déchirure. Ce qu’ont vécu ces chrétiens, réfugiés au Kurdistan ou habitants de villes devenues champs de bataille comme Alep, me rappelle d’une certaine manière les situations auxquelles furent confrontés les Européens lors des deux guerres mondiales. Plongés de façon brutale dans le chaos, ils eurent à faire face à des questions de vie ou de mort, à choisir de réaffirmer des valeurs fondamentales. Et ainsi, j’ai rencontré de nombreuses jeunes femmes à Alep, car, un peu comme en 14-18, les hommes ont été enrôlés pour combattre ou faits prisonniers, qui se sont accrochées durant les huit années de guerre pour faire en sorte que leur ville revive et essayer de rebâtir un avenir ensemble… Une note d’espoir dans cet océan de désolation laissé par les affrontements.

Mais s’il ne s’agira pas d’un Noël dans la joie, la Nativité sera toutefois, et tout particulièrement, une fête christique : plus que jamais ces chrétiens seront unis à cet évènement de Noël qui s’est passé en orient, dans des conditions similaires. Elle célèbre, en effet, la naissance d’un dieu fait homme, pauvre parmi les pauvres, né dans un abri pour animaux. Cette proximité dans le dénuement en fait le moment d’une union forte au Christ qui nous rappelle les fondamentaux de l’évangile.

 

Le premier ministre irakien a annoncé samedi dernier la « fin de la guerre » avec Daech. Pensez-vous qu’avec les défaites subies en Syrie et en Irak par les membres de cette organisation terroriste, la pression exercée sur les chrétiens d’orient se relâchera ?

 

On peut, en effet, considérer que l’état islamique a perdu pied en Irak. Mais le problème du  fondamentalisme islamiste et djihadiste n’a pas disparu, il a simplement été obligé d’entrer dans la clandestinité. C’est là un frein car il possédait auparavant un territoire et pouvait alors vendre du pétrole via la Turquie, disposer de camps d’entrainement, acheter des armes et bénéficier de connections internet et d’une agence de communication. Tout ceci est donc en train de disparaitre. Cependant, pour arriver à une paix en profondeur, un travail des consciences est nécessaire. Ce travail doit être spirituel pour une part, et culturel de l’autre. Car plus on encourage l’éducation des populations, plus on s’éloigne du fondamentalisme violent. Mais il faudra des années et des générations pour y arriver.

En Irak, tous ont souffert, sunnites, chiites, yézidis et chrétiens. Ces souffrances communes peuvent être l’occasion de règlements de compte tout comme elles peuvent engendrer la volonté de reconstruire ensemble autrement. L’avenir nous dira laquelle de ces hypothèses se réalisera…

 

Le prince saoudien Mohammed Ben Salmane a déclaré vouloir mettre au pas le clergé wahhabite et faire revenir l’islam à ce qu’il était avant la révolution islamique de 1979.  Y-a-t-il une voie pour cet islam modéré qu’il semble incarner? Peut-il combattre le djihadisme ?
 

C’est là un phénomène nouveau. On ne peut pas nier qu’auparavant des Saoudiens, des Qataris et des Koweïtiens ont contribué à la montée en puissance de ce fondamentalisme islamique, dans des pays comme l’Egypte. Or l’état islamique avait un programme très organisé et explicité : établir un califat à cheval sur l’Irak et la Syrie dans un premier temps. Dans un deuxième temps, étendre ce califat à la péninsule arabique en renversant les pouvoirs en place. Puis, enfin, s’installer dans le « royaume de la croix », c’est-à-dire l’Europe. Les états de la péninsule arabique se sont alors rendu compte qu’ils étaient, eux aussi, menacés par Daech et qu’ils avaient joué avec le feu. On aurait d’ailleurs aimé entendre plus fort leur mea culpa à ce sujet. Il est indéniable que le wahhabisme de la péninsule a alimenté et influencé le fondamentalisme terroriste.

S’il faut se réjouir de cette nouvelle prise de conscience, il ne faut avoir aucune indulgence sur les atteintes aux droits fondamentaux dans ces pays. Ces derniers, qui ont pourtant signé la charte des Nations Unies, n’appliquent pas la liberté de culte à l’intérieur de leurs frontières. Il y a ainsi deux millions de chrétiens en Arabie saoudite et il n’existe pas une seule église… Il reste beaucoup de chemin à faire et il faut arrêter de n’être pas trop regardant sur la question des droits de l’homme pour des raisons commerciales. Les coups de fouet, les mains coupées ne doivent pas être tolérées, tout comme les condamnations à mort pour blasphème, à l’instar d’Asia Bibi qui attend sa sentence en prison au Pakistan  depuis plusieurs années. Nous devons pouvoir questionner les autorités musulmanes sur ces problématiques-là, sur ces atteintes au droit, en France comme à l’étranger. Afin de savoir comment ils se situent vis-à-vis du fait qu’un musulman qui se convertit au christianisme met sa vie en danger, qu’une musulmane ne peut pas épouser un chrétien, qu’il est très difficile voire impossible de construire des églises dans certains pays… En posant ces interrogations et en aidant les chrétiens dans la reconnaissance de leurs droits, on fait aussi progresser ces pays. Les minorités sont  moteur pour faire avancer la reconnaissance des droits pour tous…

 

Que pensez-vous de la diplomatie française menée dans cette région ?

 

En tout premier lieu, celle-ci ne doit pas se reposer sur ses lauriers. Car il ne faut pas croire qu’avec l’entrée en clandestinité de Daech, le retrait des troupes russes de Syrie, et la libération de l’Irak, la situation est réglée. Les groupes fondamentalistes subsistent, comme Al-Qaïda ou al-Nostra.  De plus, lutter contre l’Etat islamique en Irak, en Syrie, en Lybie et dans le Sahel, c’est s’attendre à ce qu’il renaisse dans le Sinaï et en Afghanistan. Il aurait fallu anticiper ces résurgences-là, sans quoi nous ne faisons que déplacer le problème. Se pose aussi la question du sort des dix mille Européens qui ont rejoint  ces groupes terroristes cruels. Ils ont fait ce choix conscients d’être complices de leurs atrocités et ne doivent donc bénéficier d’aucune indulgence. S’ils rentrent en France, le jugement doit se faire au cas par cas mais avec rigueur : je n’accepte pas que l’on dise qu’il s’agissait d’idéalistes voire de quasi victimes.

 

L’Union Européenne a été très absente des crises syriennes et irakiennes.  Elle n’a pas exercée de véritable diplomatie. Et il semble désormais que la France soit devenu le seul pays européen du conseil de sécurité des Nations Unies à pouvoir agir : l’Allemagne est peu présente militairement en dehors de ses frontières et se cherche une nouvelle coalition gouvernementale, la Grande-Bretagne est prise par le Brexit et a diminué son budget dédié aux affaires internationales… C’est donc un moment très important à jouer pour la politique internationale de notre pays. Cependant par le passé nous avons raté des nombreuses occasions dans ce domaine. L’une de celles-ci est la francophonie : plus de 400 000 élèves, de l’Egypte à la Turquie, reçoivent un enseignement en Français dans les écoles catholiques. Or le soutien qui lui est apporté n’est pas à la hauteur et les écoles vont finir par fermer. Cela accélèrera le déclin de la francophonie, pourtant déterminante pour l’influence française dans la région…

 

En matière d’occasions ratées, comment jugez-vous notre politique en Syrie ?

 

Aux débuts du conflit, nous avons tenté d’intervenir en essayant de faire évoluer le régime avec les rebelles qui paraissent enclins à cette évolution. Mais très vite, nous avons commis l’erreur de choisir un camp contre l’autre, celui des rebelles contre celui du régime, en se basant sur des affirmations qui mériteraient d’être vérifiées. Par exemple, celle selon laquelle les premières manifestations contre le régime étaient pacifiques. Je crois savoir qu’il y avait déjà beaucoup d’armes entassées dans les sous-sols de certaines mosquées… Il faut se débarrasser de l’idée que nous savons qui sont les gendarmes et les voleurs : ce n’est pas parce que les uns sont méchants que les autres sont bons. Je regrette donc que la majorité des médias occidentaux ait eu une écoute des souffrances d’un seul camp et pas de celles de l’autre. Nous avons eu une position sélective et nous aurions pu avoir davantage un rôle de médiation, surtout au fur et à mesure de l’avancée de la guerre civile. Nous devons donc revoir notre position. Nous n’avons eu de cesse de réclamer le départ du Président Assad sans l’obtenir, il est grand temps de voir les choses autrement. D’autant que je suis inquiet de constater que la politique de la France n’est plus comprise au Moyen-Orient, en particulier sa politique menée en Syrie. Les syriens considèrent que la France est devenue l’ennemi de leur pays. C’est un phénomène nouveau car même après le mandat, une amitié envers la France existait. Celle-ci a disparu à cause de notre approche de leur guerre civile : réclamer le départ de leur président a été perçu comme une déclaration de guerre.  Si la France ne souhaite renouer tout de suite un dialogue politique, elle a toutefois encore d’autres moyens de manifester son amitié pour le peuple syrien, à travers diverses modalités. Alors que nous avons fermé l’ambassade et rappelé l’ambassadeur, nous pourrions faire travailler des sections consulaires au sein des ambassades d’autres pays amis à Damas. Nous pourrions aussi montrer notre intérêt pour les œuvres d’art  ou sites archéologiques abimés par la guerre et les djihadistes ou encore revoir l’embargo, s’interroger sur sa pertinence…  Alors que tout le monde a parlé pour le peuple syrien, plus que jamais, nous devons nous mettre à son écoute. Le côté positif de tout cela, c’est que nous avons réalisé que la Méditerranée était notre village, et que l’on ne peut s’en désintéresser.

 

Mgr Pascal Gollnisch

Directeur General de l’Œuvre d’Orient

Vicaire général de l’Ordinariat des catholiques orientaux en France.