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4 clés pour comprendre le grand concile panorthodoxe

Source La croix

► Qu’est-ce que le « concile panorthodoxe » ?

Attendue depuis un demi-siècle, la tenue d’un concile rassemblant toutes les Églises orthodoxes à Istanbul, siège du Patriarcat œcuménique de Constantinople, constituerait un événement historique de premier ordre, comparable sur le papier à celui de Vatican II dans l’Église catholique.

Le dernier concile œcuménique reconnu par l’ensemble des 14 Églises orthodoxes remonte en effet à… 787, avant le schisme avec Rome. Des synodes interorthodoxes se sont par la suite tenus jusqu’au XVIIe siècle, mais il a fallu attendre la conférence de Rhodes (1961) pour que l’idée d’un « saint et grand concile orthodoxe » soit relancée par le patriarche œcuménique Athénagoras, l’homme du rapprochement avec le pape Paul VI.

L’objectif de cette assemblée : résorber les divisions accumulées entre Églises orthodoxes au cours des siècles afin d’offrir au monde un témoignage de foi commun et actualisé. Une commission interorthodoxe débute alors ses travaux et des conférences préconciliaires se succèdent sur plusieurs décennies. Jusqu’à ce que les primats, début 2014, se mettent finalement d’accord sur un lieu – la cathédrale Sainte-Irène d’Istanbul – et une date : la Pentecôte 2016.

► Dans quel contexte se prépare-t-il ?

Depuis l’ère Athénagoras, l’effondrement du bloc soviétique et la fin du conflit Est-Ouest ont profondément reconfiguré le monde orthodoxe. Avec l’indépendance retrouvée, des Églises ont pu renaître de leurs cendres, comme en Albanie. D’autres ont connu une vitalité nouvelle, sur fond de compétition croissante entre Moscou et Constantinople.

De retour sur le devant de la scène après plus de soixante-dix ans de persécutions, l’Église orthodoxe russe (120 millions de fidèles, soit le tiers des orthodoxes dans le monde) dispute au Patriarcat œcuménique son leadership historique sur l’orthodoxie mondiale.

Tandis que les conflits de juridiction se multiplient aux marches de l’ex-empire soviétique (Estonie, Ukraine…), la diaspora fait l’objet d’une guerre juridique sans merci entre les deux sièges patriarcaux. En France par exemple, la récente récupération par Moscou de la cathédrale de Nice, placée durant la période soviétique sous la juridiction de Constantinople, est emblématique de ce climat de tension.

► Quelles sont les questions débattues ?

La liste des points à discuter est longue et n’avait jamais fait l’objet d’un consensus jusqu’aux dernières discussions. Parmi les questions les plus épineuses à résoudre : l’ordre de préséance entre Églises. Moscou, de fondation plus récente, aimerait bien remonter dans le classement du fait de son poids démographique. Viennent ensuite la manière de proclamer l’autonomie des Églises (sur ce point, les évêques sont tombés d’accord autour d’un projet de texte lors de la dernière conférence préconciliaire achevée en octobre), le statut juridique de la diaspora, ou encore l’unification du calendrier liturgique – en particulier la date de Pâques : faut-il s’en tenir au calendrier orthodoxe ou célébrer la principale fête chrétienne en même temps que les catholiques et les protestants ?

Les « relations de l’Église orthodoxe avec le reste du monde chrétien » ont également fait l’objet d’un préaccord en octobre – le mot « œcuménisme » ayant toutefois disparu des textes depuis 1986. Quant au projet de texte sur la « mission de l’Église orthodoxe dans le monde contemporain » (paix, justice, liberté, etc.), il ne recueille toujours pas l’assentiment des Russes et des Géorgiens en raison de sa dimension interreligieuse.

Cadenassé depuis la conférence panorthodoxe de 1976, cet ordre du jour tient résolument à l’écart les grands défis d’aujourd’hui. « La Russie et l’Ukraine, soit les deux peuples orthodoxes les plus nombreux de la planète, sont en guerre et les hiérarques ne prévoient même pas d’en parler », déplore ainsi l’historien de l’orthodoxie Antoine Arjakovsky (1).

Pas un mot non plus sur l’écologie, la gouvernance mondiale, les grandes questions bioéthiques ou la révolution numérique. « Les grandes priorités de l’agenda planétaire sont absentes du tableau de bord panorthodoxe, au risque de mettre hors jeu des Églises pourtant dotées d’une riche tradition théologique et synodale pour aborder la mondialisation », regrette Carol Saba, chargé de la communication de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF).

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► L’ÉGLISE ORTHODOXE

Issue du schisme de 1054 avec l’Église de Rome, l’or­tho­doxie (en grec, conforme à la juste doctrine) est une communion d’Églises indépendantes au plan juridique mais intimement liées entre elles du point de vue de la foi et de la doctrine. Si aucun chef d’Église n’a l’ascendant sur les autres, à l’instar de l’évêque de Rome dans l’Église catholique, le patriarche œcuménique de Constantinople (siège de l’Apôtre André) exerce sur les autres Églises une primauté d’honneur dont les modalités sont contestées. Son seul véritable pouvoir est de réunir le concile universel rassemblant tous les évêques de l’or­tho­doxie, qui ne s’est encore jamais réuni depuis le schisme avec Rome.

La population orthodoxe, aujourd’hui estimée entre 150 et 200 millions de fidèles, est surtout présente dans les pays de tradition orthodoxe, au premier rang desquels la Russie, les pays d’Europe de l’Est et la Grèce. Mais plus du tiers des orthodoxes sont issus de l’immigration en Europe occidentale, en Amérique du Nord, mais aussi en Afrique subsaharienne où leur présence est en augmentation.

Samuel Lieven