- Actualités
Mgr Cristian Crisan consacre un article à la mémoire du Cardinal Lucian Mureșan
A Dieu le Cardinal Lucian Mureșan
Un grand homme de l’Église de Roumanie s’est éteint le 25 septembre 2025 : le Cardinal Lucian Mureșan, Archevêque Majeur de l’Église Roumaine Gréco-Catholique Unie à Rome, le troisième cardinal de cette église après le Bx Iuliu Hossu et Alexandru Todea. Il était également le dernier survivant de la persécution subie par son Église sous le régime communiste.
Né le 23 mai 1931 dans un village à proximité de la ville de Baia Mare, au nord de la Transylvanie, il manifesta dès son enfance le désir de suivre l’appel du sacerdoce. Vocation qui rencontra de grands obstacles : par le Décret 358 du 1er décembre 1948 – qui ouvrait la persécution religieuse imposée par le diktat soviétique appliqué également par Staline en Ukraine – le régime communiste roumain interdit et dissout l’Église grecque-catholique du pays. Obligé de quitter le lycée pour rejoindre une école professionnelle, le jeune Lucian Mureșan travailla ensuite sur le chantier de la première hydrocentrale du pays.
En 1955, il fut accepté – avec la bénédiction de l’évêque romano-catholique Martin Aron – à l’Institut Théologique Romano-Catholique d’Alba Iulia, d’où il fut toutefois exmatriculé en sa 4e année d’études et mis sous surveillance par la police secrète roumaine, la Securitate. Il a continué cependant ses études théologiques en clandestinité avec des professeurs libérés de prison, effectuant en même temps un apostolat intense auprès des jeunes.
Consacré prêtre en secret le 19 décembre 1984 par Mgr Ioan Dragomir, évêque auxiliaire de l’éparchie de Maramureș, il déroula, souvent en pleine nuit, une activité pastorale clandestine – célébrations sacramentelles, catéchèse, exercices spirituels, formation des candidats à la prêtrise – pour assurer la survie de son Église. Après la Révolution de décembre 1989, l’Église Roumaine Gréco-Catholique retrouva sa liberté légale le 3 mars 1990.
Le Saint Pape Jean-Paul II nomma le père Lucian Mureșan en tant qu’évêque de Maramureș. Quatre ans plus tard, en 1994, après le retrait du cardinal Alexandru Todea, le même Pape le nomma Archevêque d’Alba Iulia et Făgăraș et Métropolite de l’Église Gréco-Catholique et fut installé à Blaj. La Métropolie fut élevée par Benoit XVI en 2005 au rang d’Archevêché Majeur. Le 18 février 2012, le même Évêque de Rome accorda à Mgr Lucian Mureșan la barette de cardinal et le titre de l’Église Saint Athanase de Rome. Le Cardinal Mureșan a exercé ainsi cinq mandats de président de la Conférence des Évêques Catholiques de Roumanie.
Si un autre Cardinal roumain, le Bx évêque martyr Iuliu Hossu, a qui est consacrée l’Année 2025, est le symbole de la résistance de l’Église dans les premières décennies de la persécution communiste, et si le Cardinal Alexandru Todea a conduit l’Église jusqu’aux premières décennies du retour à la légalité, le Cardinal Lucian Muresan s’identifie avec le vaste et complexe procès de refonte des structures pastorales, de reconstruction et de développement institutionnels et, surtout, de repositionnement de l’Église dans le monde contemporain. Sa fidélité au Saint Siège de Rome, ainsi que le dévouement de toute sa vie au service du Seigneur, de l’Église Gréco-Catholique et du peuple roumain ont renforcé et guidé le don de toute une vie au service de Dieu, de l’Église et du peuple roumain : visites canoniques, fondation de centaines de paroisses, consécration de très nombreux prêtres, activités caritatives et sociales – un authentique pasteur d’âmes.
La Cause de la béatification des Bienheureux Évêques martyrs (Valeriu Traian Frențiu, Vasile Aftenie, Ioan Suciu, Tit Liviu Chinezu, Ioan Bălan, Alexandru Rusu et Iuliu Hossu) a été finalisée le 19 mars 2019 quand le pape François a autorisé la publication du Décret de béatification des Sept Martyrs.
Le 2 juin 2019, le Cardinal Lucian Muresan a accueilli à Blaj le Pape François qui, dans le cadre de la célébration de la Divine Liturgie sur le Champ de la Liberté, a béatifié les Sept Bienheureux.
Le 19 mai 2022, en accueillant un groupe de séminaristes roumains lors d’une audience, le pape François leur disait : « Je pense au Cardinal Mureșan qui, dans quelques jours, fêtera ses 91 ans. : années de service en tant que prêtre qui ont commencé, il y a presque soixante ans, dans un sous-sol pauvre, après la libération de prison des évêques qui avaient survécu. Des pasteurs souffrant de pauvreté, mais riches par l’Évangile. Soyez comme lui, apôtres heureux de la foi dont vous avez héritée, prêts à ne rien garder pour vous-mêmes, prêts à vous réconcilier, à vous pardonner les uns aux autres, et à tisser l’unité au-delà de toute rancœur ou victimisation. C’est alors que vos grains seront, à leur tour, conformes à l’Évangile et porteront beaucoup de fruits ».
Primat de l’Église Roumaine, il a présidé également la Conférence épiscopale de Roumanie à plusieurs reprises. Il a joué un rôle central dans la reconstruction des structures ecclésiales, la restitution des biens confisqués, et la réorganisation pastorale.
Il devient membre du Dicastère pour les Églises orientales en représentant son pays au sein de l’Église universelle, notamment lors du Synode sur la famille en 2014. Ayant déjà dépassé le seuil des 80 ans lors de sa création cardinalice, il ne participa ni au conclave de 2013 ayant conduit à l’élection du pape François, ni à celui de 2025 ayant élu Léon XIV.
Toutefois, la limite d’âge de 75 ans ne s’appliquant pas aux chefs des Églises orientales, il est resté en poste jusqu’à la fin de sa vie, assumant le grand rôle de témoin de la foi vécue dans la persécution. La fonction épiscopale étant assumée dans une logique de paternité spirituelle, il était, à 94 ans, le plus vieux cardinal ayant encore officiellement la charge d’un diocèse.
Il a présidé à la reconnaissance nécessaire du rôle de son Église fondée à la fin du 17e siècle comme le premier pas significatif vers l’intégration d’une province roumaine en Europe. Événement historique qui avait été souligné aussi bien par le Président de l’Académie Roumaine, Ion Aurel Pop, que par la poète Ana Blandiana, lors de la session consacrée par l’Académie au Cardinal Iuliu Hossu en début de cette année.
Contribution fondamentale qui a été également saluée lors de la célébration des obsèques du Cardinal Mureșan dans la Cathédrale de Blaj le 29 septembre 2025 par le Président de la Roumanie, M Nicușor Dan, qui a apporté, au nom du pays entier, un vibrant hommage de gratitude et d’honneur au Cardinal Lucian, ainsi qu’à l’Église Roumaine Gréco-Catholique. Il a déclaré que la Transylvanie, et d’ailleurs la Roumanie et son peuple, doivent leur profonde reconnaissance au rôle déterminant de cette institution de foi et de culture dans leur histoire représentée par cette Église. Il a souligné également, vu l’injustice des souffrances subies par cette Église, vu la relativisation des valeurs du temps présent, l’importance du rôle fondamental de la figure du Cardinal Mureșan dans la réconciliation et de rapprochement fraternel entre les différentes confessions et entre les hommes. Un inoubliable symbole d’honneur ! Hommage de juste reconnaissance qui a trouvé un large écho dans les colonnes des journaux.
M Ciprian Olinici, Secrétaire d’État pour les Cultes, en exprimant également l’hommage du Gouvernement de Roumanie, a souligné la richesse de l’héritage du Cardinal à son Église, “un trésor de foi, de résistance et d’espérance”, ainsi qu’un appel à continuer sur le chemin de justice, le la vérité et de la fraternité.
Il était d’ailleurs impressionnant de constater l’harmonie œcuménique et interreligieuse dans la Cathédrale historique de Blaj pendant ces obsèques : à côté d’un grand nombre d’évêques, prêtres, séminaristes, il y avait des représentants de l’Eglise Orthodoxe et du Culte Protestant, des chevaliers de Malte, de la foi musulmane et aussi de la communauté juive. Il faudrait souligner par ailleurs que la célébration de l’Année Iuliu Hossu en Roumanie était l’initiative de M Silviu Vexler, le président de la Fédération des Communautés Juives du pays.
La grande richesse de l’héritage spirituel et patriotique du Cardinal Mureșan a été également saluée par les représentants du Saint-Siège. Son Éminence, Claudio Cardinal Guggerotti, Préfet du Dicastère pour les Églises Orientales, a souligné le rôle du Cardinal Muresan en tant que grand témoin du Christ, offrant son sacrifice de fidélité au Successeur de Pierre. Il a mis en évidence la contribution du Cardinal à la renaissance remplie d’espérance de l’Église de Roumanie.
Son Excellence Giampiero Gloder, Nonce apostolique en Roumanie et en République de Moldavie, a transmis l’hommage vibrant du Saint Père Léon XIV qui “a remercié le Seigneur pour le témoignage exemplaire de ce fils dévoué de l’Eglise”, qui a montré “sa patience son dévouement évangélique” pendant toute sa mission, en éclairant des générations de de fidèles. “Je suis confiant que, accompagné par les Martyrs et les bienheureux de l’Église Greco-Catholique Roumaine, il sera le bienvenu dans la joie du royaume éternel.”
Pour conclure on peut rappeler, les paroles du Cardinal Lucian Mureșan adressées au Pape Léon XIV a l’occasion de l’acte commémoratif en l’honneur du bienheureux Iuliu Hossu dans la chapelle Sixtine le 2 juin dernier. En citant les dernières paroles du Bx Iuliu Hossu, le Cardinal Lucian présentait son propre testament à ses fidèles : « Ma lutte est finie ! La vôtre continue ! Menez-la jusqu’à la fin ! ».
Mgr Cristian Crișan