Après deux longues années de guerre et de barbarie, les villes et villages de la Plaine de Ninive, en partie libérés depuis quelques mois, retrouvent tout doucement leurs populations. Remettre au cœur de ces communautés ferventes, des statues neuves de la Vierge Marie, a été un symbole d’espérance et d’encouragement face à la barbarie de Daesh qui cherche à effacer toute marque de la présence et de la mémoire chrétienne.
A peine arrivés, le premier jour, sous les 50° de la Plaine de Ninive, nous avons prié avec les évêques, prêtres et fidèles présents à Erbil. Et quelle ne fut pas notre joie de commencer ce séjour en assistant à un mariage de deux jeunes de Qaraqosh : un beau signe de vie et d’espérance pour ces vies marqués par le déracinement, la souffrance et par l’épreuve !
« Je me suis effondré en larmes à Batnaya, village mort où tout est détruit »
Beaucoup de rencontres ont jalonné ce voyage, des témoignages qu’il est difficile de résumer en quelques mots : cet homme qui essaye de déblayer les gravats de sa maison et qui est bouleversé par la prière d’un Notre Père et d’un Je vous salue Marie ; cette petite dame centenaire dans un centre commercial devenu camp de déplacés, portée dans un drap sur 50km au moment de l’exil, avec qui, un simple regard en dit beaucoup ; ce prêtre originaire de Mossoul qui gère un camp de 5000 chrétiens et qui est très inquiet de l’avenir de son pays ; ces deux jeunes adolescents dans le camp de réfugiés d’Ashti 2 qui, sur un canapé au soleil, lisent la Bible ; ces 3 dames de Bartella rencontrées dans un camp à qui je montre la vidéo sur mon portable de l’installation de la Vierge dans leur église et qui, heureuses embrassent mon téléphone de joie ; ces évêques, ces moines, ces prêtres, ces religieuses, ces laïcs qui ne cessent de remercier l’Eglise de France pour ce qu’elle fait pour eux !
Continuons de les porter quotidiennement dans notre prière ! Je le leur ai promis. Aidons-les également matériellement. Je me suis effondré en larmes dans l’église de Batnaya. Un village mort : tout est détruit. On ne peut marcher que dans les rues, car sous les décombres des maisons, des mines sont encore présentes. Seuls restent dans ce village, les murs de l’église qui a servi de camp d’entraînement pour les soldats de Daesh. L’autel est dévasté, les statues, après avoir été mitraillées ont été tranchées au sabre et les inscriptions en arabe et en allemand sur les murs de l’église ne méritent pas d’être reportées ici.
« Nous avons tout perdu. Il ne nous reste que Dieu et notre histoire. »
Ces chrétiens, tout comme les minorités sur place (les Yézidis particulièrement, peuple qui pratique une religion pacifiste) sont dans une insécurité permanente. Il faut que nous aidions ces peuples à reconstruire afin que la présence chrétienne demeure sur ces terres. J’ai pu voir les différents projets de l’œuvre d’Orient sur place : le travail déjà fait est considérable. Il faut continuer !
« Nous avons tout perdu. Il ne nous reste que Dieu et notre histoire. » Ces mots du père Najeeb, dominicain de Qaraqosh, resteront à jamais graver en moi. Et nous en Occident, nous avons plus que ce dont nous avons besoin : nous oublions Dieu, nous oublions notre histoire !
Merci à tous ces frères et sœurs chrétiens d’Irak pour ce témoignage de vie et de foi bouleversant.
Dans le cadre des Musicales pour les chrétiens d’Orient, l’organiste titulaire des orgues de la paroisse Sainte-Madeleine de Strasbourg, Christian Klipfel, donnera un concert dimanche 24 septembre à 16h au profit des chrétiens du Liban.
Plusieurs de ces pièces, confiées par des communautés de chrétiens, franchissent pour la première fois les frontières européennes, assure Charles Personnaz, chargé de mission pour le patrimoine et la culture à l’Œuvre d’Orient. Parmi elles, des fresques qui proviennent de la toute première église chrétienne connue.
Les fresques de Doura-Europos
En plein désert syrien, à l’Est de Palmyre, le site de Doura Europos a révélé l’existence d’une villa romaine transformée en lieu de culte. Elle fut bâtie au début du IIIe siècle. Une « domus ecclesiae » (« maison de l’assemblée »), dont le caractère sacré est mis en évidence par une série de fresques consacrées à des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Sur l’une d’elles, le bon pasteur est représenté, en même temps qu’Adam et Ève, pour signifier que le Christ lave l’homme du péché originel. Ce catéchisme en images, constant dans l’histoire des monuments chrétiens, confirme que ce bâtiment, qui a la structure d’une villa romaine, est bien un lieu de culte. Il a pu être daté précisément, grâce à une émouvante inscription, probablement laissée par un plâtrier : « L’an 544 (232/233). Qu’on se souvienne de Dôrothéos. »
L’église et la synagogue
Ces fresques rappellent celles que les premiers chrétiens romains réalisaient dans les catacombes. Mais si l’on veut trouver une ressemblance plus saisissante encore, il suffit de traverser la rue de Doura-Europos. À quelques mètres de l’antique église se trouvait en effet une synagogue, contemporaine de l’église, elle aussi ornée de fresques telles que celle représentant Moïse recueilli par l’une des filles du Pharaon. La proximité des lieux de culte, situés de part et d’autre de la Porte de Palmyre, vient rappeler que l’histoire des chrétiens d’Orient n’est pas faite que de drames, ils ont connu des périodes de prospérité, d’ententes et d’échanges avec leurs voisins.
« Arrêtez de croire que le christianisme vient de l’Occident »
Décidé à rétablir une vision plus juste de l’histoire du christianisme, Charles Personnaz rappelle qu’il existait une Église en Syrie bien plus développée que celle qui existait à la même époque en Europe. À ses yeux, les œuvres d’art chrétiennes qui ont traversé les siècles jusqu’à nous sont les meilleures ambassadrices de la richesse des cultures des chrétiens d’Orient. Parmi elles, les Évangiles de Rabula constituent un chef-d’œuvre. Rédigés au VIe siècle, ils sont ornés de motifs floraux colorés sur 292 folios, presque intacts. L’art de l’enluminure oriental a perduré plus longtemps en Orient qu’en Occident, car il a mis plus de temps à être remplacé par l’imprimerie, et il a donné jusqu’au XVIIIe siècle des pièces remarquables. Outre ces pièces, l’exposition compte des icônes et s’achève par des photos, qui rappellent l’actualité tragique qui frappe ces chrétiens. Mais les dangers qui menacent actuellement les chrétiens d’Orient s’accompagnent d’une espérance : ces chrétiens de communautés très diverses prennent conscience d’une identité commune et séculaire, basée sur une histoire commune.
Un signe de croix, quelques prières murmurées du bout des lèvres et un chapelet accroché au miroir central. « N’oubliez pas de prendre de quoi boire » demande Monseigneur Philippe Barakat, l’archevêque syriaque catholique de Homs, aux prêtres qui l’accompagnent. La voiture démarre au pas. Les mines des passagers sont anxieuses. « La route du désert sera longue et c’est la première fois que nous retournons à Palmyre depuis la reprise de la ville par l’armée syrienne. » confie le prélat barbu, en allumant frénétiquement la première cigarette du voyage « nous ne savons pas sur quoi nous allons tomber » lâche t-il. Conquise par l’organisation Etat islamique (EI) en mai 2015, la ville emblématique avait été reprise en mars 2016 par l’armée syrienne, appuyée par ses alliées russes et iraniens, avant de retomber neuf mois plus tard aux mains de Daech. Libérée de l’emprise des djihadistes en mars dernier, la cité reste interdite d’accès, les autorisations d’accès sont compliquées à obtenir et les quelques 160 km de route à vol d’oiseau depuis Homs demeurent hasardeux.
Une chapelle discrète mais colorée
Célèbre pour son site antique, Palmyre – ou Tadmor comme l’appelle les orientaux – l’est beaucoup moins pour sa petite communauté chrétienne et sa modeste église. « La paroisse est dédié à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et date de l’époque des Français. Ces derniers en avaient fait don au diocèse syriaque catholique de Homs à la fin du mandat » explique Monseigneur Barakat.
Située au cœur de la ville moderne, le long de la Rue Principale vantée par les guide touristiques, ou les hôtels-restaurants rivalisaient avec les boutiques souvenirs, le sanctuaire était composé de cinq familles syriaques et d’une centaines de fidèles de tous rites et confessions chrétiennes confondus « c’était une paroisse très colorée » se rappelle le Père Georges Khoury, le prêtre de Palmyre « Lors de la messe dominicale, on trouvait des hôteliers arméniens, des commerçants grecs, des militaires, des ouvriers… et même des touristes étrangers de passage! » Le téléphone de l’abuna (Père) vibre. Une de ses paroissiennes lui demande de photographier l’état de sa maison. Depuis la reprise de Palmyre en mars dernier, la zone est encore sous contrôle militaire et aucun civile n’a pu retourner sur place.
Le désert, ocre et gris, s’étend à perte de vue. La voiture poursuit sa course le long de l’ancien axe jadis emprunté par les caravanes et les chameliers aujourd’hui transformé en un mauvais bitume gondolé par la chaleur écrasante du mois d’aout et chahuté par le passage répété des camions militaires. La monotonie du trajet est parfois interrompue par des barrages de l’armée syrienne, le passage de blindés russes doublés et de pick-up armés d’automitrailleuses arborant le drapeau jaune et noir de la division des « Fatimides », une milice chiite composée de combattants afghans. Bientôt, la voie vient à longer un aéroport militaire sur plusieurs kilomètres. « Il s’agit de la base aérienne T4, qui a joué un rôle clé dans la seconde reconquête de Palmyre » commente l’évêque « Les terroristes ont essayé à plusieurs reprises de s’en emparer sans y jamais parvenir. » Chassés au terme d’une lutte acharnée, les troupes de l’EI ont été repoussé d’une centaine de kilomètres vers l’Est en direction de Deir-Ez-Zor, où les combats se poursuivent.
« J’ai beaucoup pleuré »
Les heures défilent, l’horizon s’ouvre et les langues se délient. En enchainant les clopes, le père Georges se remémore cette journée du 21 mai 2015 où les hommes de Daech sont entrés dans Palmyre : « L’armée gouvernementale est venue nous avertir que les djihadistes approchaient. J’ai fais affrété des bus et des voitures en catastrophe pour évacuer nos familles vers Homs. Sept heures plus tard, l’EI prenait possession de Palmyre. » Puis ce seront les années d’exil, de guerre encore et de privation, où sa communauté a d’abord trouvée refuge dans le hameau de Meskané, à la périphérie rurale de Homs : « Les familles sont demeurées plusieurs mois en logeant dans la salle paroissiale. Mais comme la situation s’éternisait et qu’il n’y avait pas de travail, elles ont finis par se déplacer ailleurs ou par émigrer » La population chrétienne de Syrie, qui comptait deux millions d’âmes avant le début de l’insurrection en 2011, serait à l’heure actuelle trois fois moins nombreuse.
Jusqu’à présent, le Père Georges prend en charge la paroisse de Meskané tout en faisant le commis voyageur pour retrouver ses fidèles de Palmyre éparpillés dans la région : « Je leur apporte des paniers alimentaires, des médicaments, des vêtements tout en assurant la pastorale. J’ai même célébré plusieurs baptêmes et quelques mariages ! » Aux cours de ces années noirs, il assiste de loin, impuissant et horrifié, aux mises en scène d’exécution opérées dans le théâtre antique, où près de 280 personnes seront massacrés selon l’OSDDH, et à la destruction des monuments historiques. « Palmyre était la perle de l’Orient et la fierté de tous les Syriens. Le jour où ils ont fait sauter les temples de Baalshamin et de Bêl, j’ai beaucoup pleuré » avoue le père Georges, qui – la petite quarantaine – vivait à Palmyre depuis dix ans et était devenu un familier du site antique, que l’UNESCO qualifiait de « valeur exceptionnelle universelle ».
Soudain, la citadelle arabe de Fakhr-Ed-Din, une place forte du XIIème siècle, apparaît au sommet de son python rocheux. Les bouches se taisent. Nous entrons dans Palmyre.
Le pardon des ancêtres
La ville moderne de Palmyre pourrait ressembler à un château de carte effondré ou à un village fantôme de far-west après OK Corral. Des barricades entre des buildings en ruine, des minarets à terre au milieu de véhicules calcinés, partout des traces de pillages et de combats de rue mais pas une âme qui vive- en dehors des militaires de faction. Adjacent à une placette aux fontaines asséchée, où les habitants aimaient à prendre le frais de l’oasis en fumant un narguilé le soir, un « café des touristes » à l’agonie attend le client. « La ville est dans un bien pire état que la première fois » constate abuna Georges, qui était retourné voir l’état de la cité après la première reprise de Tadmor au Printemps 2016 « Ca n’augure rien de bon » tranche-t-il.
Le prêtre fait signe au chauffeur de s’arrêter. Le véhicule se gare devant ce qui, avant son état apparent misérable, devait être une chapelle. A l’intérieur, l’autel est dévasté, les dalles au sol ont été arrachées et les murs sont carbonisés. Le Père Georges est effondré : « Après le premier départ des islamistes, l’église avait été pillée mais pas incendiée. Je pensais même la remettre symboliquement en état. Maintenant c’est foutu !» se lamente-t-il. Adjacente au sanctuaire, la maison d’accueil a subit le même sort. Soutenu par l’Œuvre d’Orient, ce centre d’une dizaine de chambres avait pour objectif de créer des emplois et de stimuler la communauté chrétienne locale en accueillant les visiteurs et pèlerins de passage. « Nous avions commencé les travaux du centre en 2010. Le chantier allait être terminé. Quel gâchis !» regrette Monseigneur Barakat et de conclure : « Que nos ancêtres et nos enfants nous pardonnent ce que nous avons fait de la Syrie ! »
Avant de quitter les lieux, nous faisons un saut au site antique. Le véhicule passe devant le musée archéologique, entièrement pillé et dévasté. Depuis la piste caillouteuse, l’hippodrome et les premières colonnades défilent… « 80% du site doit bien être encore debout. » juge à vue de nez le Père Georges avant d’ajouter « Le site reste impressionnant. Il l’était deux fois plus auparavant. » Le véhicule est bloqué par l’armée aux abords des tours funéraires, elles aussi victimes de la folie destructrice des djihadistes. Bientôt, la voie est coupée : « On ne peut pas aller plus loin » avertit un homme en arme, en nous indiquant de faire demi-tour. Sur une colonnade aux trois quart effondrés, face aux immensités désolées et brûlantes, l’étendard conquérant des « Fatimides » surmonté d’un fanion russe délavé flottent au vent.
Vincent Gelot, responsable Projets Moyen-Orient de l’Œuvre d’Orient
Les Editions Nouvelle Cité nous donnent de prendre un chemin durant 15 jours avec un pionnier en France de l’islamologie, ami et proche de la pensée du Bienheureux Charles de Foucauld. Cet homme agnostique à ses débuts, membre de la « Commission Sykes-Picot », soutenu par des personnalités de premier rang, parmi lesquelles André Malraux et le Général de Gaulle, découvre la foi lors d’une croisière sur le Tigre le 3 mai 1908… L’histoire de cet homme pourrait s’arrêter là, et nous en resterions à un personnage romanesque découvrant l’Orient, ses populations, et aussi le Dieu de Jésus-Christ. Un « orientaliste » de plus !
Il entre en lui-même, relit sa vie, et entre dans une démarche de « retour » et de « repentir » (tawba/tawwâb). Ce chemin va lui permettre d’interroger les mystiques de l’Islam et les prophètes de la Première Alliance. Il interroge la « théologie négative » des musulmans en regard avec la théologie dite « apophatique » des Pères de l’Eglise ; dont saint Grégoire de Naziance… « de Dieu on ne saurait rien dire ». Il étudie al-Hallaj, les soufis, le thème de l’hospitalité abrahamique et christique… Il ne convertit pas à la marge. Il a un réel désir de se donner, de s’impliquer en personne comme son ami à Tamanrasset. Il a un fort désir d’Absolu…
En 1922, il développe une réflexion spirituelle sur le Patriarche Abraham, « Hanif » pour les musulmans. L’auteur note à la page 15 qu’il fut « un priant parmi d’autres priants » tout comme il s’est voulu, partout et toujours, chercheur et pèlerin, ami et substitué, doué d’une rare sensibilité abrahamique et christique ».
Le Père Maurice BORRMANS
On retiendra sans doute de lui sa recherche constante de se mettre en chemin de « badaliya »; c’est-à-dire, de la « compassion et de « la substitution en faveur de personnes qui lui étaient devenues chères pour des raisons éminemment transcendantales ». (p 83) il s’agissait « de vivre, en esprit de badaliya, une solidarité mystique avec les croyants musulmans, tout en étant solidaires des chrétiens arabes qui sont leurs concitoyens » (p 83). Il comprenait cette disposition à la substitution par compassion, au travers de l’imitation de Jésus-Christ. Ce fut, sans doute, l’intuition majeure de sa pensée, et en définitive de toute sa vie… On notera également dans ce petit livre de belles pages autour de la mystique, du sacerdoce et de la Vierge Marie. La prière finale « pour une nouvelle badaliya » nous fait penser, bien sûr, au chemin de ces moines en Algérie qui donnèrent leurs vies en offrande. Un chemin de rencontres pour chercher, avec les Justes et les mystiques, avec l’homme de bien, une nouvelle relation à l’autre dans sa quête du Tout Autre…, l’Unique !
Père Patrice Sabater, cm
20 mars 2017
Maurice BORRMANS, Prier 15 jours, avec Louis Massignon – islamologue. Editions Nouvelle Cité, Paris 2016. 120 pages. 12,90 €
Dans les paroisses trône la photo de Bachar al-Assad…
« Ici 70% des chrétiens soutiennent le régime, » m’avait confié, il y a un an le P. Imad, curé melkite de la paroisse Kachkour, un quartier sud de Damas. « La montée de l’islamisme radical, ajoutait-il, est un cancer pour nous. Seul un régime fort peut y faire face, et protéger notre communauté.» Un argument que réfute Boutros Hallaq. Pour ce chrétien melkite, docteur en langue et littérature arabes, Assad et son entourage ne protègent en rien les chrétiens, mais se sert plutôt d’eux pour renforcer son pouvoir. « Voilà près d’un demi-siècle que ce clan assure son emprise en dressant les communautés les unes contre les autres, s’emporte l’universitaire. Chrétiens contre musulmans, chiites contre sunnites, kurdes contre Arabes. » Selon M. Hallaq, la protection des chrétiens n’est qu’une stratégie de la dictature régnante, masquée par une idéologie laïque mensongère, puisque depuis l’arrivée au pouvoir du clan Assad, « le nombre des moquées a été multipliée par vingt, et que l’aide de l’Arabie saoudite aux associations salafistes s’est largement accrue. »
Boutros Hallaq
Boutros Hallaq a quitté son pays natal, pour la France à l’âge de 26 ans. Né à Yabroud en 1944, près de Damas, il ne peut plus revoir les siens, restés sur place. Sa dernière visite dans son pays natal remonte à février 2011, un mois avant le début de la rébellion, une période où les Syriens croyaient encore à des réformes démocratiques. Fiché comme opposant, le professeur de littérature arabe qu’il a été à l’université Paris III, est aujourd’hui coupé de sa vieille mère de 94 ans, et de ses frères et sœurs. Un mois après sa dernière visite en Syrie, le peuple s’était soulevé pacifiquement contre le régime, et un grand nombre de chrétiens syriens soutenait alors la rébellion. Bachar al-Assad, successeur de son père Hafez en 2000, avait alors confessionnalisé le conflit, distribuant des armes et répondant aux demandes de liberté par une répression sanglante. Progressivement, les islamistes avaient investi la rébellion, arrivant en masse de l’étranger pour se mêler aux insurgés. Les revendications devenaient de plus en plus religieuses. Les chrétiens se retrouvaient marginalisés, exclus. « D’autant explique Boutros Hallaq, que le Conseil National Syrien (CNS), organe officielle de la rébellion, fut peu à peu noyauté par le Qatar, soutien des frères musulmans sunnites, dont plus de 20 000 militants furent massacrés en 1982 à Hama, par l’armée syrienne, majoritairement alaouite (*1). Naïfs, les leaders chrétiens de l’opposition n’avaient pas vu venir l’emptise des frères sur le CNS. »
Par peur plus que par conviction, l’immense majorité des chrétiens syriens restés au pays finit par opter pour la dictature, Epaulé par des milices chiites iranienne, libanaise, et afghane, le clan Assad réussit à persuader la majorité de son peuple et la communauté internationale, que son maintien à la tête du pays constitue l’unique rempart contre le terrorisme islamiste. Six mois après les espoirs suscités par le « Printemps syrien » s’envolent, et des centaines de chrétiens fuient ou se terrent. Un tiers d’entre eux (*2) aurait quitté leur maison pour se déplacer dans une autre ville syrienne, en attendant de s’exiler à l’étranger… D’où ils pourront peut-être faire entendre leur voix.
Luc Balbont
(*1) Secte chiite
(*2) « Sur environ 1,7 millions de chrétiens qui vivaient en Syrie avant mars 2011, 600 000 auraient déjà quitté leurs maisons, dont grand nombre pour l’étranger.» Propos tenus par un religieux franciscain à Damas, en août 2016.
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Né le 23 avril 1949, journaliste. Arabisant, Luc Balbont vit depuis 1989 entre la France et le Liban, pays où réside sa famille. En 40 ans de journalisme il a couvert une grande partie des évènements et des bouleversements du monde arabe, de la guerre du Liban (1975-1990) aux révolutions arabes de 2011. Il a reçu en 2006 le prix « Reporter d’espoir » pour des reportages effectués en Egypte et en Palestine, et le prix littéraire de l’œuvre d’Orient en 2012, pour le livre « Jusqu’au bout » (Nouvelle Cité), entretiens avec Mgr Casmoussa, archevêque syriaque catholique de Mossoul. Il est actuellement correspondant à Beyrouth pour le quotidien francophone algérien « Liberté ».
La foi en l’Assomption, générale parmi les chrétiens d’Orient (même si ceux-ci préfèrent parler de « dormition de la Vierge »), est partagée par les catholiques.
On célèbre cette fête dès le IVè siècle, à Antioche, et au Vè siècle en Palestine. Il semble que la date du 15 août ait été choisie en Orient par l’empereur Maurice (582-603) pour commémorer l’inauguration d’une église dédiée à la Vierge montée au ciel.
C’est le 1er novembre 1950 que le Pape Pie XII affirmait la foi de l’Église en l’Assomption de la Vierge Marie par une définition dogmatique.Il écrivait notamment : « …Nous affirmons, nous déclarons et nous définissons comme un dogme divinement révélé que l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours Vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste. »
Cette fête est aujourd’hui, en France, l’une des quatre fêtes catholiques légalement chômées (avec Noël le 25 décembre, l’Ascension et la Toussaint le 1er novembre).
La Vierge Marie, depuis 1638, sous le règne de Louis XIII, est la Patronne de la France (Sainte Jeanne d’Arc étant la patronne secondaire), ce patronage a été confirmé par le Pape Pie XI (2 mars 1922).
Statue de la Vierge Marie déposée par l’Œuvre d’Orient au monastère orthodoxe de Mar Mattai, Irak
Dormition ou Assomption ? La Vierge Marie en Orient et en Occident
Il n’est pas besoin de rappeler que la Vierge Marie est une figure majeure de foi en Orient et en Occident, pour les catholiques et pour les orthodoxes. Ceux-ci la fêtent et l’honorent de diverses manières, à travers moult célébrations liturgiques, artistiques ou populaires. Le 15 août, dit dans diverses contrées la « fête de la Vierge », est l’une de ces dates où l’on célèbre Marie. Mais de quelle solennité s’agit-il ? D’aucuns, catholiques, répondent : c’est l’Assomption de la Vierge Marie ; et d’autres, orthodoxes, rétorquent : c’est la Dormition de la Mère de Dieu !
Les deux fêtes se confondent effectivement dans une même date, et l’histoire lie, dans un certain sens, l’évolution de ces deux visions de la personne de Marie. Cependant, force est de constater que cette célébration n’est pas qu’une expression de la diversité de l’Église, mais aussi l’endroit d’un différend dogmatique qui existe entre les catholiques et les orthodoxes. Si les premiers considèrent la Dormition comme faisant partie du dogme de l’Assomption, les seconds refusent ce dernier, et pour cause, sa dépendance du dogme de l’Immaculée conception que les Églises orthodoxes rejettent. Pourtant, la Dormition et l’Assomption sont deux concepts qui expriment une même réalité : le départ exceptionnel de Marie. Cet article a comme but de mettre en lumière ces différentes lectures du « mystère de Marie ». Pour commencer, faisons un peu d’histoire.
Bien que saint Éphrem (+373) évoque dans ses écrits la préservation du corps de Marie après son décès, de l’impureté de la mort, les plus anciennes traditions de la croyance en la Dormition ou en l’Assomption de la Vierge Marie remontent aux Ve et VIe siècle. On les trouve présents dans des traités théologiques, des textes liturgiques, des écrits apocryphes et des traditions populaires. Au VIe siècle, l’empereur Byzantin Maurice déclara le 15 août jour de la fête de la Dormition de la Vierge Marie. Un siècle plus tard, cette solennité mariale trouva son chemin vers l’Occident, grâce au pape Théodore. Au VIIIe siècle, elle changea de nom et s’intitula fête de l’Assomption. Si la Dormition n’est pas considérée comme un dogme par l’Église orthodoxe, l’Église catholique proclama la croyance en l’Assomption de la Vierge Marie comme dogme en 1950.
Il existe diverses manières pour définir la Dormition, mais toutes vont dans le même sens. Elles signifient que Marie mourut naturellement, comme tous les êtres humains – mais sans souffrances ni vieillesse dixit certaines traditions – ; que son esprit fut reçu par le Christ après son décès, et que son corps fut ressuscité le troisième jour et transporté au ciel. Ainsi, l’idée de l’assomption de Marie au ciel existe dans la croyance orthodoxe en la Dormition de la Vierge. L’Église catholique accepte cette conception de la Dormition, et on peut considérer qu’elle fait partie de son dogme de l’Assomption. Jusque-là, les deux Églises sœurs sont d’accord.
Mais l’Église orthodoxe refuse le dogme catholique de l’Assomption qui enseigne que « la Vierge Immaculée, préservée de toute tache de la faute originelle, au terme de sa vie terrestre, fut élevée à la gloire du ciel en son âme et son corps » (Lumen Gentium, § 59). Par sa définition, l’Église catholique lie le dogme de l’Assomption au dogme de l’Immaculée conception – rejeté par les orthodoxes –, d’une manière étroite. Ces derniers considèrent que Marie, solidaire de toute l’humanité, mourut par la nécessité de la nature humaine, liée à la corruption survenue après la chute originelle. Ainsi, la considérer comme préservée du péché originel, donc sauvée par anticipation, la rendrait hors d’atteinte de la mort, ce qui contredirait sa Dormition qui est une mort naturelle. De plus, les orthodoxes rajoutent que la dire Immaculée correspondrait à en faire une personne à part du genre humain, abrogeant la liberté qu’elle avait de dire « non » à l’appel de Dieu par l’ange Gabriel.
Marie est une figure œcuménique réunissant en sa personne des visions antagonistes qui la célèbrent pourtant, à la même date, et qui lui témoignent d’un attachement particulier. Nous restons confiant que l’Esprit guide les Églises dans leurs dialogues œcuméniques, ce qui leur permettra un jour de résoudre leurs différends dogmatiques d’une manière qui respecte et honore les traditions et les héritages de tous. Mais en attendant, la plupart des croyants des deux Églises sœurs se soucient peu des antagonismes théologiques ou les ignorent, et célèbrent Marie, en Orient et en Occident, le 15 août, dans leurs différentes communautés. Même si les enseignements des Églises restent d’un grand intérêt, l’importance de la « fête de la Vierge » est dans le fait que les croyants y perçoivent la figure maternelle de Marie et l’exemple exceptionnel de celle qui crut, livrant sa vie à Dieu et traçant des chemins de foi uniques.
Merci à Antoine Fleyfel, professeur de théologie et de philosophie à l’université catholique de Lille et responsable des relations académiques à l’Œuvre d’Orient.
Le livre de Mouchir Basile Aoun, primé par l’Œuvre d’Orient a pour axe de réflexion la convivialité dans le domaine de la « théologie arabe »; et ce dans le contexte libanais. Le terme même de « théologie arabe » peut étonner du fait de la dramaturgie que nous vivons depuis l’éclosion des « printemps arabes », de la guerre en Irak et en Syrie, et de l’ensemble des phénomènes de rejet qui sont attachés. Un des premiers chrétiens contemporains à avoir utiliser cet adjectif est le Père Jean Corbon. Il le fit essentiellement dans un livre intitulé : « L’Eglise des Arabes ».[1] On redécouvre alors qu’il y a parmi les chrétiens… des Arabes ! Nouveau concept dans le monde de la théologie et de la pensée tant en pays arabo-musulmans qu’en Occident. Renouveler la pensée et l’approche théologique en contact avec des sociétés émergentes dans le contexte des sociétés arabes en mutation. Jamais sans doute ce besoin de convivialité, de réception et de compréhension de l’Autre n’a été autant attendu et recherché. L’auteur en témoigne dans les premières lignes de son introduction. Il ajoute que « les communautés chrétiennes du monde arabe cherchent, en effet à exprimer le message de la foi chrétienne dans les catégories de l’ouverture à l’altérité musulmanes, de la convivialité existentielle et de la solidarité fraternelle. Pour ce faire, elles s’appliquent à élaborer une nouvelle théologie contextuelle. Celle qui entend fonder la vie commune avec les partenaires arabes dans les exigences profondes de la foi chrétienne ». (page 7)
Il ne s’agit pas, ici, de syncrétisme ni de dilution, mais d’une marche exigeante favorisant l’acceptation des différences et de la personne croyante qui les porte, et à partir d’elles d’entrer dans un mouvement de partage. Pour ce faire, il convient dans un premier temps de comprendre comment, dans les sociétés arabes, les réalités sociales, politiques et culturelles ont déterminé et favorisé l’implication des chrétiens arabes. En second lieu, l’auteur s’attache à réinterpréter « l’événement Jésus » en regard du débat avec les musulmans. Qui est Jésus ? L’Homme de la foi ? L’Homme historique ? Une figure tutélaire ? Fils de Dieu ou Messie ? Un prophète ? La troisième proposition de ce livre se concentre autour de l’idée de fraternité partagée, d’une quête spirituelle à accueillir, et d’un engagement chrétien et musulman en connivence et en engagement moral. Le Liban semble se prêter à cette recherche humaniste et théologique du fait que ce petit pays du Moyen-Orient agit à la fois comme un véritable « laboratoire » d’analyses et de recherches, et comme le lieu par excellence dans cette région d’un « vivre ensemble » qu’il s’attache à promouvoir et à sauvegarder…, parfois avec de grandes difficultés !
L’auteur
Mouchir Basile Aoun est l’héritier de tout un courant de pensée depuis Louis Massignon qui a œuvré dans le sens de l’hospitalité, d’une réinterprétation du kerygme chrétien (intelligibilité), « d’une nouvelle structuration du discours théologique arabe » (page 8), d’une réinterprétation du langage et de la vision de l’islam et des musulmans. Les croyants des deux communautés sont appelés à travailler ensemble solidairement dans le contexte qui est le leur, afin de promouvoir un espace de paix, de convivialité, de justice sociale, et d’égale citoyenneté. Parmi ces chercheurs, il est bon de se remémorer Michel Hayek, Youakim Moubarac qui a œuvré toute sa vie en consacrant son œuvre à l’islamologie et aux rapports islamo-chrétiens, le Père Jean Corbon, le Lazariste Farid Jabre, Mgr Grégoire Haddad – l’évêque melkite démissionné par le Synode de son Eglise, Georges Khodr…
Le Christ arabe
Dans le présent ouvrage, Mouchir Basile Aoun propose un chemin d’investigation et de réflexion en cinq chapitres et deux grands ensembles. Comme nous l’avons dit précédemment, le premier temps se concentre sur « la double tâche de description et de fondation. Description de la réalité humaine et fondation du témoignage chrétien », et ce dans des champs d’investigation touchant à plusieurs domaines de la société et de l’identité culturelle (au Liban) (page 8). La deuxième partie de l’opus « se propose d’analyser quelques modèles de théologie arabe de la convivialité (…) Il s’agit de l’œuvre de quelques théologiens et penseurs issus de la terre orientale qui se consacrèrent à la délicate tâche de penser le sens de leur existence et de leur témoignage au sein du monde arabe». (page 9)
L’auteur s’applique à inviter les chrétiens, à la fois au-delà et au cœur de l’arabité (et de l’islamité), à demeurer dans un esprit de conversion personnelle et communautaire, tenant pour vrai « que la démarche de la théologie chrétienne arabe contemporaine s’inscrit pertinemment dans l’optique de l’urgence du Royaume ». (page 10) La part que ces derniers prendront de façon résolue, déterminera la nécessité « d’une convivialité arabe renouvelée ». Une nouvelle formulation de la foi est à naître en incluant « inter-culturalité » et « universalité du Christ » (de façon large). Elle le sera d’autant plus que le chrétien arabe s’attachera à dépasser ses peurs, certains immobilismes pour s’ouvrir résolument à une autre dimension. Il y a, sans nul doute, un espace à proposer pour un nouvel engendrement et une espérance affective et effective… L’avenir le dira.
Patrice Sabater
Mouchir Basile Aoun, Le Christ arabe – Pour une théologie chrétienne arabe de la convivialité. Editions Le Cerf. Coll. Patrimoines. Paris 2016. 390 pages – 35 €
[1] Jean Corbon, L’Eglise des Arabes. Le Cerf. Paris 2007. Ce livre a été publié pour la première fois en 1977.
L’on parle beaucoup depuis plusieurs années de l’Irak, et des tourments que vit ce pays Berceau de l’humanité et du Christianisme. A vrai dire, nous connaissons très peu ce qui constitue cette nation qui essaye de survivre à la violence, aux enjeux géopolitiques, à l’horreur de la barbarie et à la guerre. Le cardinal Fernando Filoni, ex-Préfet pour l’évangélisation des Peuples nous propose sa lecture personnelle, historique et spirituelle de l’Eglise en Irak. Mgr Filoni a été également nonce apostolique en Irak pendant la guerre du Golfe et deux fois Légat du Pape François auprès des réfugiés irakiens.
L’ouvrage
Ce livre publié à Madrid à la Bibliothèque des Auteurs Chrétiens (BAC)[1], en espagnol, nous renseigne à la fois sur l’histoire, le développement et la mission de cette Eglise entre Tigre et Euphrate, depuis ses commencements jusqu’à nos jours. Un appareil critique constitué de notes riches et intéressantes vient donner une épaisseur à cet ouvrage de 186 pages, renforcé par une bibliographie et un index onomastique permettant au lecteur de se situer et de comprendre ce que sont ces chrétiens irakiens, comment ils vivent et comment ils ont porté jusqu’à nos jours le Christ dans leur vie.
Il faut « entrer dans la logique de vivre ensemble dans un profond respect pour l’autre », déclare le cardinal Fernando Filoni. « Mon livre raconte que dans cette histoire, dans ce développement, les chrétiens ont un rôle clé, car ils ont contribué à la vie, à la tradition et à la culture de ce pays », souligne le Préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples dans une interview accordée à Radio Vatican. Et d’ajouter : « Nos chrétiens font partie de l’histoire de la vie au Moyen-Orient en général et en Irak en particulier ».
Cet ouvrage, nous l’aurons compris, s’il n’est pas celui d’un spécialiste de l’Orient chrétien, est pour le moins un livre d’importance écrit par un homme de foi, Docteur en Philosophie et en Droit canonique. Le cardinal Filoni, qui est entré au Service diplomatique du Saint Siège en 1981, est un témoin de première instance pour comprendre ce qu’est l’Irak d’aujourd’hui.
Ce livre intéressera toutes celles et ceux qui veulent approfondir avec sérieux et bonheur l’histoire de ces chrétiens qui nous donnent une si belle leçon de don et d’abandon…, mais à quel prix ?!?
[1] Fernando Filoni, La Iglesia en Irak – Historia, desarrollo y misión, desde los comienzos hasta nuestros días. Ed. BAC, Madrid, 2015. 186 p. – 16,35 €
Ce libre est également publié en italien: Fernando Filoni, La Chiesa in Iraq. Storia. sviluppo e missione, dagli inizi ai nostri giorni. Ed. Librería Editrice Vaticana, juin 2015. Malheureusement, sa traduction française n’est pas pour l’heure accessible aux lecteurs français…
On a presque autant écrit sur le désert que sur le Frère Charles de Foucauld !
Le livre de Sébastien de Courtois est un chemin, une rencontre…
Ce livre n’est pas une étude ni du reste une bibliographie ni même une présentation spirituelle d’un héros des Temps modernes. Le livre de Sébastien de Courtois est un chemin, une rencontre…, et peut-être même quelque chose qui vient éclore au creux des mains de ce journaliste et écrivain résidant depuis plusieurs années à Istanbul. Nous connaissons bien sa plume qui sollicite le lecteur par le cœur, et qui donne envie de tourner aussi rapidement que délicatement la page suivante.
D’un premier chef, nous n’aurions peut-être pas pensé qu’il nous livre ce récit tant son activité et son cœur sont davantage tournés vers le Proche et Moyen-Orient… Néanmoins, il jette ici un pont universel et nécessaire entre le Maghreb et le Machrek. Sans doute est-ce davantage un lieu de passage plutôt qu’un pont, comme le fut la vie donnée et abandonnée du Frère Charles. Dans les premières pages du livre, il affirme avec raison que « le défi d’écrire sur un tel homme n’est pas évident tant la tentation est grande de s’approprier une part du « monument » Charles de Foucauld, une tentation d’exclusivité ou d’interprétation d’une œuvre aussi dense (qui) côtoie un désir de clarté, de justice, entre hagiographie, récits désincarnés et manipulations » (p 20).
Sébastien de Courtois n’hésite pas à solliciter les avis autorisés des personnes qui connaissent bien la personne autant que l’œuvre du bouillonnant et sémillant Bienheureux de Foucauld. Un homme pas toujours « négociable », que l’on pourra dire parfois instable ou ingérable, critiquant ses contemporains (colons ou militaires), s’affrontant à son Père Spirituel l’Abbé Huvelin pour qui il a un respect profond. Il y a de la rugosité chez ce saint personnage, de l’ardeur, de l’intransigeance, et beaucoup d’amour et d’abandon. L’auteur se risque à souligner ce caractère affirmé. Les prophètes ne sont-ils pas de cette trempe ? Et justement, notre siècle n’aurait-il pas besoin d’autres Frères Charles pour ressaisir au fond de nous, et au cœur de notre vie, cet essentiel qui nous fait tant défaut ?
La figure de Charles de Foucauld telle que nous l’a décrite Sébastien de Courtois me rappelle la figure extraordinaire
que fut, au monastère des Clarisses de Nazareth, Sœur Joséphine ; religieuse libanaise qui a touché tant de cœurs en évoquant cet « Ami sûr » qui vécut dans ce lieu, caché, portant dans son cœur ce qu’il allait vivre en Algérie. Cet Ami qui passe son bras derrière la tête, et qui le pose délicatement sur les épaules de son frère. Oui, comment ne pas penser à Massignon, à Ramon Llull le Catalan, et à tous ces amis qui ont cherché ce lien d’amitié le plus sûr pour convoquer les cœurs à se tourner vers l’Unique ! L’auteur évoque des noms, des rencontres, des points de vue, des vies, et d’autres lieux de passages. C’est ainsi que le livre se termine sur la figure d’un jésuite italien, fondateur de la Communauté monastique de Mar Moussa al Habashi (saint Moïse l’Abyssin), dans le désert de Syrie ; dont nous n’avons plus de nouvelles depuis son enlèvement en 2013…, ni du reste des deux évêques et d’autres prêtres ayant subi le même sort. L’actualité est là. Elle rend la présence de Charles de Foucauld plus que nécessaire pour notre monde.
Ecrire. Se laisser pénétrer par les ondulations d’une pensée au cœur du monde comme les courbes de ces dunes du désert du Sahara, d’un désir de rencontre de l’Autre et de ses amis proches et si « différents ». C’est cela l’expérience « d’un cœur qui n’a cessé de s’ouvrir au cours de ces années passées près des Touareg » (p 185). Puisse cela, être pour nous-mêmes, une invitation « à se rendre au désert » afin d’y puiser ce que le monde attend : paix, justice et amitié… Merci à Sébastien de Courtois de nous avoir livré ce beau récit « d’aventures » au cœur de la foi en Celui qui nous appelle à devenir Fraternels !!!
Patrice Sabater
Passer par le désert, sur les traces de Charles de Foucauld, deSébastien de Courtois. Éditions Bayard, 190 pages, 17,90 euros.