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[ÉGYPTE] Le témoignage d'Apolline : "Désormais, lorsque j'arrive, elle me tend la main et sourit."

Notre volontaire Apolline, psychomotricienne, est en mission au Home Notre Dame des Douleurs à Alexandrie, en Égypte.


Un peu plus de deux mois se sont écoulés depuis mon arrivée à Alexandrie. L’heure est venue de reprendre la plume pour vous
parler de mes aventures égyptiennes ! En février, ce qui était nouveau est progressivement devenu familier. Le vent et la pluie ont laissé la place à un soleil printanier (voire estival). Aujourd’hui, je me sens ici comme chez moi, tant dans ma mission, qu’à Alexandrie que j’ai beaucoup visité, et dans mes amitiés. En seulement deux mois, j’ai presque l’impression d’habiter à Alexandrie depuis plusieurs années (j’ai d’ailleurs découvert que ma Sainte patronne venait d’Alexandrie). Je prends plaisir à partager la langue et la culture des Égyptiens et, chaque jour, je fais des rencontres incroyables. J’aime m’investir dans ma mission que je construis un peu plus chaque jour auprès des sœurs et dans le quotidien rythmé et régulier des résidents. Ils forment une grande famille et prennent soin les uns des autres. Soeur Ragaa et certains résidents me surnomment Habebti, ce qui signifie mon amour.

Un quotidien rodé 

Mes journées commencent à 8 h. Après avoir donné le petit déjeuner de Mahroussa, cette dame de 90 ans que j’affectionne tant, je monte voir Naamat, une résidente qui n’est pus capable de marcher, ni même de bouger ou parler. Chaque matin, je lui propose de la
relaxation. Désormais, lorsque j’arrive, elle me tend la main et sourit.

Après la messe, je propose des activités en groupe et je rends visite à certains résidents dans leurs chambres. Bien qu’ils n’aient pas l’habitude de parler d’eux, les résidents apprécient ces temps que je leur propose. J’ai notamment rencontré Yolande, qui n’a plus de famille et qui s’autorise un peu plus chaque jour à me parler de ce qui est difficile pour elle. J’ai également été marqué par la rencontre de monsieur Pierre, un sacré personnage disant avoir 84 ans, mais qui en réalité en a bien 10 de plus ! Nous faisons des exercices autour de l’équilibre 3 fois par semaine. Il aime dire qu’avec moi, il retombe en enfance ! Impossible de partir de la chambre avant d’avoir bu une tasse de thé et mangé du fromage ou des olives, le tout en parlant d’histoire, ou d’économie. Monsieur Pierre est venu se reposer suite à une opération. Il a quitté le Home le 1er mars. Je pourrais vous parler de tous les autres, mais il me faudrait une dizaine de pages, car tous les résidents sont des pépites ! Je prends plaisir à imaginer chaque jour de nouvelles choses avec eux.

 

 

Depuis quelques semaines, j’ai mis en place un atelier mémoire avec deux résidentes qui ont la maladie d’Alzheimer : nous faisons des jeux de KIM, des Uno, des mémory, etc. Je profite des beaux jours pour sortir les résidents en petit groupe dans le jardin, face aux roses, et au potager. Dans cet autre espace, le temps passe différemment. Les résidentes se détendent, prennent le soleil, discutent, jouent au ballon ou même se font la lecture. J’emmène également au jardin des dames souffrant de grandes démences pour éveiller leurs sens. Je leur cueille des roses, et nous les sentons, touchons les pétales. Pour elles, c’est un défi de réussir à tenir la tige dans leurs mains fatiguées. Après ce petit temps, l’une d’elle, Yvonne, qui d’habitude somnole toute la journée, a voulu participer à des échanges de ballons ! La proposition était simple. Mais j’ai été touchée de ce moment de qualité. Depuis, Yvonne peut réclamer de sortir à nouveau dans le jardin.

Bien qu’elle parle l’arabe, nous communiquons par des sourires, le regard, des gestes. C’est rare que nous ne nous comprenions pas.

Les résidents francophones aiment fredonner des vieux chants à Marie qu’elles ont appris à l’école. Je les accompagne à la guitare. Souvent, je finis avec des comptines et les résidents entonnent avec plaisir ces chansons qui ont bercé leur enfance. Elles aiment
également lorsque je chante La vie en rose, ce qui est moins évident que Frère jacques, vous en conviendrez ! L’après-midi, nous jouons beaucoup aux dominos. Ici, c’est presque un sport national ! Les résidents ont également essayé de m’apprendre le taoula, un jeu de plateau dont les Égyptiens rafolent. Je ne pense pas percer de ce côté-là. Je profite d’un temps de pause après le déjeuner pour
pratiquer l’arabe, me reposer, faire de la musique et écrire.

Mi-février, j’ai commencé mes cours d’arabe, chaque mardi et jeudi après-midi. Les cours se déroulent en anglais, autant vous dire qu’après une heure, j’en perds souvent mon latin. J’ai appris à compter, l’alphabet, les formules de salutations, etc. Je suis désormais plus à l’aise pour déchiffrer des mots, en écrire et pour utiliser les mots du quotidien. C’est fascinant d’apprendre une nouvelle langue. Cela me demande de mobiliser toute mon attention. Je récite chaque soir le chapelet en arabe, puis les vêpres avec les soeurs. Grâce à cela, j’ai appris le Notre Père et le Je Vous Salue Marie en arabe. C’est agréable de pouvoir les réciter avec elles. Chaque vendredi, la
messe est dite en français, et je suis invitée à lire une lecture et chanter le psaume ! J’aime beaucoup ce moment. Le samedi, nous méditons l’évangile du lendemain puis nous partageons nos impressions. Nous alternons ce partage une semaine en français, l’autre en arabe et l’autre en italien, vous l’aurez compris. J’espère devenir trilingue à ce rythme !

Chaque mardi soir, je participe à un temps de prière (franco-arabe) au centre jésuite d’Alexandrie. Je participe à l’animation avec un petit groupe d’amis. Nous chantons des refrains et souvent, j’improvise un air pour le psaume. Cela me permet de m’entraîner en attendant de passer une audition pour intégrer la chorale de la Bibliothèque d’Alexandrie qui aura lieu en septembre. Au sein du groupe de prière, j’ai rencontré des amis que je vois souvent en dehors. Nous sommes allés jouer au ping-pong dans le foyer de l’église de Mar Girgis (Saint-Georges), faire du vélo sur la corniche d’Alexandrie, du paddle, etc.

Ici, on ne s’ennuie pas ! À l’occasion de l’anniversaire d’une volontaire de l’Œuvre d’Orient, nous avons passé la soirée sur le toit de la maison de nos amis, autour d’un beau feu de camp ! J’ai esquivé quelques pas de danse orientale, et surtout nous leur avons appris à danser le rock ! C’était vraiment une belle soirée.

Marc, un de mes amis Égyptiens, m’a aidé à commander du matériel de psychomotricité pour les résidents. Autant vous dire qu’il avait un peu de mal à comprendre pourquoi j’avais besoin de cerceaux, de plots et de bâtons pour des personnes âgées ! Je ne sais pas s’il a compris malgré mes explications. Lorsque je parle de mon métier — « psychomotricienne »—, les Égyptiens me disent tous « j’en aurais bien besoin » ! C’est un concept inconnu ici. Il n’est pas dans la coutume de parler émotion ou psychologie. C’est même connoté négativement (« réservé aux fous »). Certains amis m’ont demandé de venir parler de mon métier à leurs équipes au travail, ou à des jeunes. J’attends de parler un peu mieux arabe avant de me lancer. En tout cas, au Home, je commence à être bien équipée.

J’ai déniché toute sortes de balles de massage pour constituer une caisse de psychomotricité que je promène partout entre les étages du Home. Cela fait beaucoup sourire les employés de la maison qui rattrapent souvent mes balles que je sème un peu partout lorsque je passe dans les couloirs.

Je propose des ateliers autour de la prévention des chutes. Après un temps de gymnastique douce, j’installe un parcours psychomoteur. Les résidentes s’élancent avec appréhension, accrochées à leurs cannes ou a mon bras, pour enjamber les obstacles, s’asseoir sur un physioball ou encore shooter dans un ballon. Les groupes sont très joyeux !

Découverte d’Alexandrie

Chaque vendredi, (jour de congé) je visite Alexandrie. Je ne suis pas venue au bout de la Corniche qui s’étend sur 25 km ! Le contraste entre la beauté de la mer, et les immeubles aux façades qui s’effritent, aux déchets qui volent, et au brouhaha permanent m’a beaucoup marqué à mon arrivée. Aujourd’hui, je me suis habituée. Alexandrie est une ville où il fait bon vivre !

Récemment, j’ai visité la bibliothèque d’Alexandrie avec une amie Égyptienne qui m’a raconté de nombreuses anecdotes. La bibliothèque a été construite dans les années 2000, en mémoire de la précédente qui était la plus grande bibliothèque du monde, signe du rayonnement culturel de la ville. Cette bibliothèque a la forme du soleil levant. L’architecte a pris soin de proposer les codes architecturaux de l’Égypte anciennes : on y retrouve par exemple les colonnes lotuformes. Au sein de la bibliothèque, il y a un département de livres français, et plusieurs expositions fascinantes sur l’Égypte. J’ai particulièrement apprécié cette visite, ainsi que le musée gréco-romain que nous avons découvert avec des volontaires de l’Œuvre d’Orient. Il est de loin le plus beau musée que j’ai visité ! Au cours de ces dernières semaines, j’ai également visité les catacombes, la cathédrale orthodoxe Saint Marc, et d’autres églises Coptes. Je passe de temps en temps à l’institut français.

Au cours du mois de Mars, j’ai visité le monastère Copte de Mar Mina (martyr Égyptien) avec Sœur Ragaa, Marc (comptable des
sœurs), et docteur Heba (du dispensaire). Sur le trajet, nous avons vu de beaux paysages. Ils correspondaient à ce que je m’étais imaginé de l’Égypte : un ciel bleu, une étendue de sables, de verdure, de palmiers, des habitations aux couleurs chaudes, etc. Je suis très touchée de la foi des Égyptiens. Ils ne se cachent pas de croire en Dieu, et le mettent au centre de leur vie (et de leurs expressions). Ici, la plupart des chrétiens ont une croix tatouée sur leur poignet.

Fêtes et solennités 

Le mois de mars a été marqué par le début du ramadan. Les commerces ouvrent en fin de matinée et jusqu’à tard le soir, les institutions (banques, musées, écoles) réduisent de moitié leurs amplitudes horaires. Cela a impacté notre quotidien assez
positivement. La ville est décorée, colorée par de beaux tissus. Elle brille de mille feux. Il n’y a pas de coupures d’électricité, ni d’internet la journée. L’inconvénient c’est qu’avec le bruit, nous dormons un peu moins, surtout avec la grande prière qui résonne
dans toute la ville un peu avant 5h du matin. Le soir, les familles dressent de grandes tables sur les trottoirs, et dans certains quartiers, les musulmans prient sur de grands tapis dans la rue ! À 21h, tout le monde est dans la rue : les familles se baladent, font leurs courses et même le marché ! C’est un rythme très différent. En revanche, il ne faut pas boire et manger dans la rue. J’ai été invitée à partager un IFTAR (repas de rupture du jeûne le soir) avec les élèves de l’école d’arabe. Le soir, on entend les pétards exploser et le son de musiques entraînantes, de rires, etc.

Au sein de la maison de retraite, il y a souvent des occasions de faire la fête. Les sœurs n’en ratent pas une : fêtes locales, anniversaires, etc. Pour la St-Valentin, nous avons réuni soignants, sœurs et résidents ! En Égypte, tout le monde célèbre la fête de l’amour avec ses amis, sa famille, etc. Le personnel a voulu m’apprendre quelques pas de danse orientale, j’ai essayé de les suivre tant bien que mal. Le soir, le directeur du dispensaire de la maison de retraite m’a invité à un concert avec sa femme, et plusieurs couples égyptiens ! Les solistes chantaient des chansons d’amour américaines. Nous avons également célébré la St-Joseph le 19 mars. Pendant deux jours nous avons fait la fête, dansé, organisé une veillée et de belles messes. Le 21 mars, en plus du printemps, nous avons célébré la fête des mères. Le personnel a offert des cadeaux aux sœurs. Pour toutes ces occasions, nous parons une belle table pour le déjeuner, et nous l’ornons de fleurs. Soeur Marie-Vianney prévoie un petit cadeau pour chacune d’entre nous. J’en ai même reçu un pour la fête des mères (elle m’ont dit qu’après tout, « j’étais une petite mère » !). Enfin, nous avons commencé le carême seulement le 20 mars, en même temps que les Coptes Orthodoxes. Cette année il y a 5 semaines d’écart avec l’Église latine mais l’année prochaine, ils devraient être en même temps !

J’ai profité de quelques jours de vacances la semaine dernière pour aller visité le Caire. Cette coupure m’a permis de me reposer, de visiter et de rencontrer certains volontaires de l’Œuvre d’Orient ! Dimanche, nous sommes allés faire du cheval dans le désert de Saquarra. Cette expérience m’a beaucoup marqué. J’ai même galopé pour la première fois !

À dans deux mois, pour de nouvelles aventures !