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[ÉGYPTE] Le témoignage de Lucie : "Je me sens grandie de cette expérience qui m'a poussée à aller au delà de moi-même."

L’Égypte est en ce moment frappée de plein fouet par une crise économique sans précédent : avec 17 milliards de dollars de dette nationale, une dévaluation de la livre égyptienne à près de la moitié de sa valeur en un an, et une explosion de la hausse des prix, les familles dans le besoin ont de plus en plus de mal à nourrir leurs enfants. Le kilo de viande qui était avant à 120 livres en coûte aujourd’hui 270 et ne cesse d’augmenter.

Et pourtant, loin de se replier sur elle même, la communauté chrétienne de Qusiya redouble d’efforts et d’imagination pour entretenir sa cohésion. Les travailleurs se cotisent pour pourvoir aux besoins des plus démunis, les jeunes étudiants donnent de leur temps et de leur bonne humeur pour égayer les personnes âgées, les sœurs s’assurent que personne n’est délaissé et rendent visite aux veuves solitaires. Réunions de mouvements de jeunes, groupe de prière des mères de famille, cours de sport, il y a toujours autant de vie et de d’entrain et la grande cour de la communauté ne désemplit pas.


NOËL

La deuxième fête de Noël que nous avons célébrée s’est tenue le 7 janvier, deux semaines après Noël latin, et correspondait au Noël copte. En effet, les chrétiens d’Égypte, en immense majorité coptes orthodoxes, suivent le calendrier alexandrin qui est dérivé du calendrier égyptien antique et est décalé d’environ deux semaines par rapport au calendrier grégorien que suivent notamment les catholiques latins. Cette fête fut précédée de 43 jours de jeûne pendant lesquels les orthodoxes respectent un régime végétarien.

La grande messe de Noël, le 6 janvier jusqu’à minuit, fut l’occasion pour toutes les familles de se retrouver, notamment celles, très nombreuses, dont le père de famille travaille au Koweït.

Pour aider les familles les plus démunies à célébrer festivement Noël, les sœurs ont organisé comme chaque année une distribution de paniers de nourriture : chaque foyer a reçu 1kg de pâtes, 1kg de riz, du beurre, de l’huile et de la viande fraîche. Nous avons déposé un sac à chaque maison en sillonnant les rues de Zarabi, le quartier pauvre de Qusiya. Dans ce quartier, les enfants jouent ensemble dans la rue, les mères cuisinent sur le pas de la porte et les hommes se réunissent au café pour partager une chicha. La précarité n’ôte pas le sourire du visage des enfants qui inventent des jeux avec ce qu’ils ont sous la main, des pneus de voiture ou des morceaux de bois. C’est dans ces maisons qu’habitent la plupart des élèves qui participent au soutien scolaire Better Life et que je vois quotidiennement après ma matinée au dispensaire ; je croise plusieurs d’entre eux à chaque fois que je visite le quartier de Zarabi. Ils m’interpellent avec un grand sourire (« Ya Loucie ! ») et me présentent leurs amis.

 

DEIR AL MUHARRAQ

Le Deir al Muharraq, monastère dit des « terres brûlées », est un grand lieu de pèlerinage et de recueillement des chrétiens de la région. Une centaine de moines coptes vivent au rythme des prières entourés d’églises et de bâtiments dont les origines s’échelonnent du XIIe au XXe siècle.

L’histoire raconte que là où a été bâti le monastère se tenait au Ier siècle une petite cabane, utilisée par les commerçants itinérants pour prendre du repos, et dans laquelle la Sainte Famille aurait élu domicile pour les six derniers mois de sa fuite en Égypte. Cette conviction s’appuie notamment sur le verset 19 du chapitre 19 du Livre d’Isaïe : « En ce même temps, il y aura un autel à l’Éternel au milieu du pays d’Égypte ». Al Muharraq est en effet géographiquement situé précisément au milieu des lignes Nord-Sud et Est-Ouest qui relient les frontières égyptiennes. Jésus aurait donc vécu pendant une demi-année dans ce lieu lorsqu’il était âgé d’environ 5 ans, juste avant le retour de la Sainte Famille vers Nazareth.

Nous avons eu la chance de visiter tous les bâtiments ancestraux du monastères, guidés par Lazare, un jeune diacre ayant trouvé sa vocation de moine il y a 8 ans. Il nous a mené dans l’ancienne forteresse construite et rénovée plusieurs fois entre le VIIIe et le XIIe siècle pour permettre aux moines de soutenir un éventuel siège lors des pillages barbares. La forteresse est fermée au public en raison de son exiguïté, mais la chapelle qu’elle renferme est toujours le lieu quotidien de prière des moines qui se relaient par groupe pour assurer une présence dans le lieu.

La vie monastique copte diffère beaucoup de celle des ordres latins que nous connaissons. Tous les moines coptes appartiennent au même ordre et organisent leur journée comme ils le souhaitent avec très peu d’obligations communautaires : certains préfèrent se consacrer à la prière et l’étude de manière solitaire, d’autres ont un travail et suivent les offices en groupe.

 

ALEXANDRIE

La mission de ma co-volontaire Agnès s’est achevée au mois de janvier et nous avons clôturé son engagement par une semaine de voyage à la découverte de nouvelles splendeurs égyptiennes.

Première étape : Alexandrie, la perle de l’Orient. Cette ville garde encore quelques vestiges de sa splendeur passée. D’immenses villas tombent à présent en ruine faute d’entretien et laissent place peu à peu à des immeubles récents moins chargés d’Histoire. L’air marin donne pourtant beaucoup de charme à la promenade sur la corniche, bordée de cafés et de restaurants qui ont les pieds dans l’eau.

La nouvelle bibliothèque d’Alexandrie, inaugurée en 2022, est le repaire de tous les étudiants qui viennent y trouver un cadre de travail exceptionnel par sa richesse culturelle. Nous avons pris le temps de feuilleter quelques uns des millions d’ouvrages accessibles au public dans les 20.000 m² de la grande salle de lecture.

 

LE FAYOUM

Deuxième étape : l’oasis du Fayoum. Cette oasis artificielle à 2h du Caire est un repaire pour les expatriés à la recherche de calme et de nature, et nous avons passé deux jours à déambuler dans le village de potiers et à découvrir le désert. Nous avons admiré les milles facettes de ce dernier : montagnes rocailleuses bordant des lacs, mer de dunes, plaines arides à perte de vue, les paysages se succèdent et ne se ressemblent pas. Un musée au cœur des montages exposait au public les squelettes monumentaux de dinosaures de plusieurs dizaines de mètres de long, premiers ancêtres des baleines, qui ont été retrouvés encastrés dans les pierres du Fayoum par des archéologues.

Une séance de surf de sable et un thé bédouin préparé par notre guide sur le feu et apprécié dans le silence écrasant du désert ont achevé notre découverte de cette terre stérile qui recouvre presque toute la surface de l’Égypte.

 

FIN DE MISSION

Les dernières semaines du mois de février marquent la fin de ma mission à Qusiya. Un peu de recul sera indéniablement nécessaire pour mesurer tout ce que ces six mois m’auront apporté ; je peux néanmoins voir tout le chemin parcouru depuis mes premiers pas en Haute-Égypte.

Le défi à relever a été la barrière de la langue. Je me souviens de ma frustration des premières semaines, étant incapable de suivre les conversations et ayant beaucoup de mal à me faire comprendre, même sur les sujets les plus simples. A force de persévérance et d’apprentissage de listes de vocabulaires, les progrès ont été réguliers et très gratifiants ! Je ne suis toujours pas capable de soutenir une conversation aisément mais je peux suivre une bonne partie des discussions et échanger de manière simple avec ceux que je rencontre. Dialogues avec les patients du dispensaire, jeux avec les enfants ou même interrogatoire de police (rassurez-vous, je n’avais rien à me reprocher :), ces rudiments d’arabe m’ont ouvert de nouvelles portes dans les relations et m’ont aidé à m’intégrer de mieux en mieux.

Cependant, bien que j’ai apprécié pouvoir davantage communiquer avec eux et apprendre à les connaître plus personnellement, les personnes qui m’entouraient n’ont pas attendu de comprendre mon baragouin pour m’accueillir à bras ouverts. Que ce soient les sœurs de la communauté qui ont fait de leur maison la mienne grâce à leur gentillesse et leur prévenance, mes collègues du dispensaire qui ont veillé à mon adaptation progressive, ou les enfants de Better Life qui n’ont pas eu besoin de long discours pour me partager leurs joies et leurs tristesses, il n’a pas fallu si longtemps pour que je me sente à ma place. Sillonner les rues de la villes qui me paraissaient au début si rudes est devenu un plaisir grâce aux saluts des commerçants qui me reconnaissaient et aux checks enthousiastes des enfants que je croisais.

J’étais désireuse de partir à la rencontre de nos frères chrétiens d’Orient pour partager leur quotidien et apprendre comment ils vivent leur foi dans des régions où ils subissent de l’oppression. J’ai découvert alors une communauté chrétienne fière de sa foi, forte de ses valeurs et extrêmement soudée par les épreuves qu’elle traverse. Même les paroisses des petits villages de campagne ont un dynamisme à faire pâlir bon nombre de nos paroisses parisiennes.

La mission n’a bien sûr pas été facile tous les jours. Être maintenue hors d’une zone de confort pendant plusieurs mois m’a demandé de faire preuve de plus de persévérance et de résilience que je n’aurais imaginé ; mais ayant pu compter sur le soutien de ma famille, de mes amis et des responsables de L’Œuvre d’Orient pendant les moments difficiles, je me sens aujourd’hui grandie de cette expérience qui m’a poussée à aller au delà de moi-même.

Je rentre alors en France heureuse et fière d’avoir entrepris ce projet, immensément reconnaissante envers tous ceux qui m’ont accueillie et avide de témoigner de leur histoire.