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[EGYPTE] Le témoignage de Lucie : " L’église est toujours un des principaux lieux de socialisation, et surtout l’un des rares endroits mixtes pour les jeunes ! "

Notre volontaire Lucie est en mission depuis Septembre à Alexandrie chez les Filles de la Charité à l’école St Vincent en Egypte.


La mission de professeur me plaît énormément : je suis super heureuse d’être aux côtés des jeunes et au sein d’un établissement que j’admire beaucoup.

* Tisser des liens

L’école est un véritable lieu de vie pour les élèves, elles passent beaucoup de temps à l’école en dehors des heures de cours. Que se soit pour des projets, pour des mouvements religieux, pour des services : il y a constamment de la vie dans l’enceinte de l’école. Cela me permet de tisser des liens forts avec les élèves et de témoigner de leur épanouissement.

J’aime participer aux réunions des groupes du MEJ de l’école et donner des cours de théâtre (pour les premières classes de collège). Ce sont des moments particuliers de partage et détente avec les jeunes.

Étant responsable des élèves des cycles préparatoires et secondaires (niveau collège/lycée en France), je suis amenée à avoir de supers discussions avec les filles qui me permettent d’avoir un regard direct et complet sur comment vivent les adolescentes ici.

** Le Centre Vive le Soleil

En XX, Sœur Odile (encore présente à la communauté) a créé dans l’école un centre pour les personnes handicapées. Chaque jour le centre fonctionne sur les mêmes horaires que l’école et propose plusieurs activités. Je m’y rends dès que j’ai un trou dans mon emploi du temps, c’est toujours un bol d’air dans ma journée. On discute, on joue, on chante, on danse… Les élèves du centre dansent super bien !!

C’est super de voir comme il est devenu naturel pour les filles de l’école de côtoyer des personnes handicapées. En effet, l’Égypte compte beaucoup de personnes porteuse d’handicape, mais leur intégration et prise en charge, mais aussi le respect à leur égard, est un véritable défi pour le pays.

Sœur Odile a aussi créé un mouvement de formation spirituelle pour les handicapés qui s’est répandu dans tout le pays, c’est le mouvement Foi et Lumière. Dans l’école deux groupes Foi et Lumières se sont formés et chacun d’eux se réunit deux fois par mois. Les équipes sont super sympas, j’adore y aller aussi ! On développe un lien différent avec les jeunes handicapés au sein de ces séances. Par exemple, afin de bien faire comprendre et intégrer des passages de la Bible, on les présente sous forme de scénettes de théâtre, puis chacun leur tour les jeunes se mettent dans la peau des personnages clés pour reproduire leurs actions.

*** Une grande liberté

Ce qui est génial enfin c’est la confiance que m’accordent les sœurs et les professeurs dans la gestion de mes cours. J’ai carte blanche : mon seul objectif est de faire parler mes élèves ! Comme je prends les classes par demi groupe je suis dans de très bonnes conditions pour faire des cours ludiques et laisser place à la créativité. J’aime faire des jeux où l’on passe par la créativité, le théâtre, l’invention pour pousser à parler plus spontanément et laisser les filles aborder les sujets qu’elles aiment.

 

J’adore la ville d’Alexandrie ! C’est une ville très agréable à vivre, où la qualité de vie est très supérieure au reste de l’Égypte ! Je suis souvent en vadrouille dans Alexandrie pour me balader ou pour différents services dans d’autres communautés religieuses.

* Hospice des Missionnaires de la Charité

Les sœurs de Mère Teresa tiennent un hospice pour les personnes malades et handicapées sans ressource. Les pensionnaires viennent parfois d’eux-mêmes demander de l’aide, mais le plus souvent ce sont les gens du quartier qui viennent parler aux sœurs de quelqu’un vivant dans la rue pour qu’elles aillent le chercher. L’hospice est très simple, les sœurs possèdent le strict minimum pour accueillir leurs pensionnaires. Avec Louis, l’autre volontaire de l’Oeuvre, nous nous rendons là-bas avec des jeux, de quoi cuisiner, des produits de beauté pour les femmes, des instruments de musique… pour passer un bon moment avec eux. Nous aimons aussi prier avec eux en allant à leur messe le dimanche matin ou en priant le chapelet. Ce sont toujours des moments touchants car les pensionnaires ont une foi très forte. Bien sûr, les musulmans ne participent pas à ces prières mais les respectent.

** Maison de retraite internationale

Régulièrement dans la semaine, je me rends aussi dans une maison de retraite en face de l’école. Ici, les pensionnaires sont plus aisés, la plupart parlent plusieurs langues (ce qui était commun dans toutes les familles éduquées il y a quelques années). Je passe donc de longs moments à discuter avec eux de l’évolution du pays et de leur vie, souvent passée à travers le monde. Cela m’aide à mieux comprendre les moeurs.

**** Vivre à Alexandrie

Alexandrie a son identité propre. Ce qui la rend un peu magique c’est la façon dont se mêlent les époques : les bâtiments et les musées révèlent le faste et la cosmopolitanie passés de la ville. L’immense corniche, toujours magnifique, permet de s’installer tout au bord de la mer pour profiter de l’air marin et des splendides couchers de soleil sur l’eau. Je sais déjà qu’Alexandrie va me manquer à mon retour.

Ce qui fait la force de mon expérience c’est aussi les liens que j’ai pu lier avec des jeunes égyptiens de mon âge. La plupart sont des chrétiens : des anciennes de l’école toujours fidèles au mouvement de l’établissement, les enfants des familles proches de la communauté, mais c’est surtout dans un centre culturel tenu par des jésuites que j’ai connu le plus de monde.

Depuis l’année dernière, un grand nombre de jeunes de 18 à 30 ans se retrouvent le mardi soir pour une prière de Taizé !! Ayant beaucoup fréquentée ce monastère au lycée, j’aime beaucoup sa spiritualité, j’étais très heureuse et étonnée de savoir qu’elle était aussi connue et appréciée ici. J’y ai rencontré un très bon groupe d’amis avec qui je sors souvent. J’aime qu’ils me fassent découvrir Alexandrie mais surtout discuter avec eux de leur vie et de leurs habitudes, ils sont aussi très curieux de savoir comment on vit en France.

Ces prières ne sont pas les seules références à Taizé ici : un moine orthodoxe a aussi créé un monastère, Anafora, sur le même principe que le monastère français. Y compris le principe d’oecuménisme. C’est très symbolique ici car les orthodoxes ont souvent (et de plus en plus) du mal à s’ouvrir aux autres chrétiens. La prière du mardi soir et Anafora sont donc des lieux assez exceptionnels d’unité des chrétiens. Ainsi, j’ai pu passer le nouvel an dans la famille d’une amie. En Égypte le réveillon du 31 n’a rien avoir avec la France : on le passe en famille et la plupart des familles jeûnent encore en cette période pour préparer le Noël orthodoxe qui est le 7 janvier (ici Noël se prépare toujours en jeûnant et jeûner veut dire ne manger aucun produit d’origine animale hormis le poisson). De plus, en Égypte, on considère que le Nouvel an est une fête chrétienne. En réalité aujourd’hui tout le monde le fête au moins un peu mais le 1er janvier n’est pas férié par exemple. Donc moins de grandes fêtes jusqu’au petit matin pour cette occasion en Égypte. Chez les chrétiens, on commence dès le début de l’après-midi à préparer le repas en famille. On mange des plats délicieux de poissons, de riz, de houmous…

On joue, on chante, on danse, puis vers 22h on va à l’Église jusqu’à minuit pour prier et fêter ensemble la nouvelle année, puis une messe est célébrée. Certains continuent encore la fête chez eux en famille mais calmement. J’ai aimé commencer l’année 2024 de cette manière pour marquer mon année de mission : c’est un nouvel an dont je me souviendrai. J’accompagne aussi souvent mes amis ou certaines élèves dans les services qu’ils rendent au sein de leur église. Ici les églises sont énormes car les chrétiens passent tout leur temps à l’église pour se retrouver et faire des activités bénévoles (qu’ils appellent service) : soutien scolaire, maraude, visites de malades ou dans les bidon-villes… Ainsi dans chaque église on trouve le lieu de prière principal mais aussi une autre chapelle, une cafétéria, des salles de travail, des salons, des boutiques de souvenirs… L’église est toujours un des principaux lieux de socialisation, et surtout l’un des rares endroits mixtes pour les jeunes !

J’ai aussi eu la chance de pouvoir commencer à visiter le reste de l’Égypte. Même si les vrais voyages sont encore à venir, je suis fascinée par toutes les facettes de l’Égypte que j’ai déjà pu découvrir. C’est un pays tellement diversifié : si Alexandrie a son identité propre, le Caire, la Haute-Égypte et le désert sont eux aussi uniques en leur genre.

* La Haute-Égypte

Après nouvel an à l’égyptienne, nous avons vécu, avec les autres volontaires, le Noël orthodoxe dans un petit village de Haute-Égypte. C’est un frère lassallien du Caire qui nous a emmené dans sa famille. La Haute-Égypte c’est vraiment la campagne reculée du pays. Dans le village où nous étions il n’y avait rien à part les habitations et quelques très rares toutes petites échoppes où l’on vend des bouteilles d’eau, des biscuits et des paquets de chips. Il y a énormément de pauvreté et les habitants de cette région sont souvent victimes d’un certain mépris de la part du reste du pays. Les villes et villages de Haute-Égypte sont très souvent majoritairement chrétiens (parfois même exclusivement). On y trouve énormément d’églises, aussi grandes que dans les grandes villes, et la spécialité de la région est l’élevage du porc !! En Égypte en général la famille est sacrée mais en Haute-Égypte encore plus ! Les familles ne se séparent jamais, chacune à son immeuble et on y construit jamais de toit pour pouvoir bâtir un nouvel étage quand un fils se marie. Si on a plus de place, la famille construit un nouvel immeuble ! On ne quitte le cocon familial que pour rentrer dans les ordres et c’est alors un déchirement !

** Le désert et les bédouins

Plus tôt dans l’année, nous sommes allés à l’oasis de Fayoum. Nous avons visité Tunis un tout petit village au bord du lac de l’oasis. Depuis la venue d’une femme canadienne mariée à un homme originaire du village, Tunis est un village de potier. Cette dernière est tombée amoureuse de Tunis mais, attristée par la misère, elle a voulu re-dynamiser la petite ville en transmettant son savoir : la poterie. Elle a même créé une école de poterie encore active. Aujourd’hui, Tunis est très réputée et tous les habitants font de la poterie dès le plus jeune âge. C’est très agréable de se promener là-bas car il est frappant de sentir combien les habitants, en particulier les jeunes, sont épanouis par rapport aux grandes villes. Le soir, nous avons dormi dans un campement bédouin. Après un repas traditionnel (avec des viandes cuites sous le sable) et une soirée de danse et de chants traditionnels, les deux jeunes bédouins du camp nous ont proposé d’aller faire une balade dans le désert. Ils nous avaient promis quelques minutes mais nous sommes partis environ deux heures ! Ils nous ont amenés sur de hautes dunes et dans des souterrains sous le désert dont je ne connais toujours pas l’utilité. C’était amusant, mais le plus intéressant a été de pouvoir discuter avec eux de leur vie entre deux cultures : ils ne se considèrent pas égyptiens mais bien bédouins, pourtant, entourés de touristes, ils ne vivent plus la vie bédouine traditionnelle. Ils nous ont expliqués être fiers et tenir à leur héritage culturel mais se sentir souvent seuls et regretter de ne pas avoir d’amis comme les autres jeunes. Finalement, ce que j’apprécie le plus dans ma mission ce sont les liens que j’ai tissé et tout ce que je partage ici, en particulier avec les chrétiens d’Orient. Ma motivation pour partir au Moyen-Orient était cette soif de découvrir et de comprendre une nouvelle culture si différente et pourtant géographiquement plutôt proche de nous. L’Égypte est un pays peu occidentalisé, on y vit dans des conditions très différentes de chez nous. J’aime beaucoup cette culture de l’accueil, de la spontanéité, l’absence de prise de tête, la générosité, le sens de la famille, la foi… C’est un pays où je me sens bien ! Et j’admire la fidélité aux coutumes et aux mœurs, même si je suis aussi témoin de combien elles peuvent être sclérosantes sur de nombreux points.

En effet, il y a des choses qui me laissent perplexe et qui m’attristent. Par exemple, si en France on prie souvent pour l’unité des chrétiens, ce n’est pas vraiment à la mode ici et les relations catholiques/orthodoxes sont ambiguës. Les prêtres orthodoxes refusent la communion même aux religieuses et prêtres catholiques. Les sœurs m’expliquent que cette réticence augmente et elles se désolent de voir aujourd’hui les élèves orthodoxes qui refusent de communier à la messe de l’école. En Haute-Égypte, il y des villages où l’on refusent que viennent s’installer des non-orthodoxes : nous avons été accueillis dans un de ces villages par un prêtre, très gentil au début, qui a fini par critiquer avec énormément de mépris les catholiques pendant presque une heure sans chercher le moindre dialogue avec nous… Alors que si peu de choses nous séparent.

De plus, les règles sociales sont très fortes : les jeunes ici savent rarement faire la différence entre ce qui est culturellement/socialement interdit et ce qui est véritablement juridiquement condamné. Ce qui m’étonne c’est de voir combien les jeunes sont rebutés par certaines coutumes (comme les mariages arrangés par exemple), car ils savent très bien que l’on fonctionne autrement ailleurs, mais ne peuvent pas imaginer faire autrement chez eux. C’est un décalage énorme avec l’Occident de voir aujourd’hui des jeunes générations pour qui l’ordre socio-culturel est quelque chose d’immuable à presque tous les niveaux. Bien sûr, je savais que ce fonctionnement existait et je n’ai jamais pensé que se soit quelque choses de forcément négatif, au contraire d’ailleurs. Pourtant maintenant que j’en suis directement témoin, je suis souvent troublée par cette situation. Je ne me rendais pas compte que ce type de système très traditionnel limitait autant les questionnements personnels et la recherche de sens.

Ainsi, j’ai parlé plus haut de la liberté dans mes cours, mais la règle d’or qui fait obstacle à cela ce sont les « 3 sujets tabous en Égypte » que j’ai interdiction d’aborder avec les élèves : la religion, la sexualité et la politique. C’est souvent frustrant avec les filles les plus âgées mais j’aime aussi cet exercice de devoir m’adapter à la réalité de ce qu’on vit ici.