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[ÉGYPTE] Sœurs de l'ombre, femmes d'exception : À Koussieh, les petites mains de Dieu

« C’est là qu’est notre mission, dans la poussière et dans le bruit, avec et aux côtés des plus pauvres » Sr Nada, Libanaise, n’était pas revenue dans « sa » mission depuis 2005. Envoyée ensuite en Syrie et en Iran, elle retrouve aujourd’hui ce qui lui avait tant manqué, le cœur de sa vocation : servir et partager la vie de ceux qu’elle sert.

À 5h de route au sud du Caire, Koussieh a des allures de village : une seule rue goudronnée traverse cette ville de près de 100 000 habitants dont 36 000 chrétiens. Des touk-touk par milliers usent de leur klaxon jour et nuit, des charrettes, quelques voitures. Il pleut tous les 10 ans, la poussière recouvre tout. À un carrefour, la mission et cinq religieuses des Filles de la Charité : Nada, Bachayère, Férial, Nadia et Camilla. Un havre de vie plutôt qu’un havre de paix. Les bruits de la ville s’y encaissent, la plus proche mosquée jouxte les chambres des religieuses. La maison abrite un dispensaire, un jardin d’enfants, une cantine, des groupes de femmes et, d’une manière générale, tous ceux qui veulent passer un temps à l’ombre de la bâche dressée dans la cour. À part leur chambre, les sœurs n’ont pas d’espace privé. Au moment des repas, il y a toujours quelqu’un qui toque à la porte « c’est le seul moment où les gens sont sûrs de nous trouver ! » confie Sr Camilla entre sourire et fatigue. On les croit sans peine quand les Sœurs disent que c’est ici leur mission la plus bruyante du Proche-Orient.

Sr Nada a repris les rênes depuis moins d’un mois. Elle fait le tour des bâtiments découvrant parfois quelques changements : « alors ici, dans cette pièce c’était notre buanderie » À l’odeur qui s’en échappe, on devine que ce n’est plus le cas. La porte s’ouvre sur une chambre transformée en poulailler sous le regard encore accroché de Saint Vincent de Paul et dubitatif de Sr Nada.

Vocations et missions

Sr Camilla, infirmière à la quarantaine joyeuse, est originaire de Sedfa, en Haute-Égypte. Elle a rencontré les Filles de la Charité à l’école. « Leur manière d’être m’a plu. Sr Marcelle au Caire aussi m’a marquée, son amour et sa miséricorde envers les employés, son sens de la justice. Tout le monde lui obéit parce que tout le monde la respecte. Pourquoi ça marche alors qu’elle-même ne marche plus ? glisse-t-elle avec une maitrise certaine des subtilités de la langue française, « l’amour tout simplement ».


Ana vient d’un milieu pauvre et n’a pas pu faire des études. Au dispensaire, elle apprend sur le tas depuis 2014 comme assistante dentaire. Plus qu’un métier, c’est une vocation qu’elle est venue chercher ici. Bientôt, elle partira en noviciat au Caire. Regarder les sœurs vivre lui a donné envie de suivre leurs traces. En Haute-Égypte, les vocations sont nombreuses.


Entre exemplarité et difficultés de la vie communautaire au quotidien, entre idéal et pragmatisme, il n’est pas toujours évident de retrouver le sens de sa vocation. Issue d’une famille copte orthodoxe aisée du Caire, sr Nadia a été fiancée deux mois avant d’avouer son intérêt pour la vie religieuse « Il était très bien, le fiancé, mais ce n’était pas ça ma vie ! Et puis une fois ce choix fait, il y a eu les doutes, notamment sur la vie en communauté. Pourquoi avais-je tout quitté pour une vie finalement comme les autres ? Pour moi la vie de la communauté était un idéal et ce n’est pas toujours le cas, il faut bien le dire. Cela a été dur à accepter. Je voudrais que les choses soient parfaites, mais seul Dieu est parfait, je me dois seulement de faire ce que je peux. »  Sr Férial, syrienne, dit aimer changer de lieux de mission « ça permet de se concentrer sur l’essentiel, de se détacher. Il arrive que l’on ne s’entende pas entre nous, si c’est vraiment compliqué, on change de mission. Pour servir le Christ, mieux vaut qu’on ne gaspille pas notre énergie en dispute non ? ».


À Menchieh, un peu plus au sud de Koussieh, 16 femmes travaillent dans la fabrique de bougies initiée par Sr Nadia. « La pauvreté ici n’est pas que matérielle, il faut que les filles sortent de la maison où elles n’ont même pas une oreille pour les écouter : c’est ça la vraie pauvreté ». Les bougies sont vendues dans toutes les églises d’Égypte et les ouvrières ont pris les rênes de l’atelier.


Une vie de prières et de dévouement

La vie religieuse contient son lot de blessures intimes, de déception, de doutes, de découragement. Quand on demande à Sr Camilla ce qui la porte dans ces moments-là : « La prière. Le Christ est plus fort que nos fatigues. Même constat pour Sr Nadia : « Les temps de prière et d’oraison sont essentiels, on lit notre journée à la lumière de l’Esprit. » De fait, leur vie est rythmée par ces temps de prières, des laudes aux vêpres, de 6h30 à 21h. Entre temps, elles soignent, éduquent, enseignent, conseillent, cuisinent, nettoient, écoutent, ont mille vies dévouées en une journée, avec une patience digne d’un garde suisse. Chacune a sa propre liturgie en ce qui concerne la vaisselle. Tout comme chaque communauté des Filles de la Charité en Égypte a ses propres règles pour jouer au Rummikub. Certaines ont même des réputations de tricheuses qui les suivent dans tout le Moyen-Orient, ou disons des façons de jouer qui leur sont propres.

Lors des vêpres, Sr Nada a instauré un rituel. Égrener les noms des Filles de la Charité décédées ce jour-là, leur lieu et date de naissance, de vocation et de décès, inscrites dans un grand livre. Elles sont nées en Bretagne, en Auvergne, en Pologne, en Angleterre, en Égypte, au Liban, du milieu du XIXe au début de ce siècle, et sont décédées loin de chez elles à 25, 50 ou 90 ans. Après avoir tout quitté pour des raisons qui nous resteront toujours mystérieuses. Des vies simples, données, exceptionnelles.

« En mémoire de Sr Henriette, rencontrée dans une léproserie en Iran, en 2005, où elle a passé la plus grande partie sa vie, décédée en septembre 2020 au Liban. Et de ces deux parties de scrabbles que nous avions jouées, où elle avait triché éhontément ».

Églantine Gabaix-Hialé

Chargée de mission Œuvre d’Orient


Cet article fait partie du dossier « Sœurs de l’ombre, femmes d’exception » publié dans le bulletin 804 qui vient de paraître.

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