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[ÉGYPTE] Témoignage de Judith: "Ces temps de jeux et de complicité nous ont rapprochés des filles."

Judith, 26 ans, est volontaire au Caire depuis le mois de novembre 2020. Elle travaille dans un orphelinat pour jeunes filles où elle dispense des cours de science et mathématiques tout en accompagnant les filles dans leur quotidien.


Bienvenue à la Maison

Cela fait un peu plus de 3 mois que je suis au Caire. J’ai refait mémoire de ma première rencontre avec les filles.

C’était mon premier jour, juste après la mise au point avec la sœur des occupations de chacun, nous sommes partis vers la cuisine pour déjeuner. Entrée dans la petite véranda faisant office de couloir entre les deux parties de la maison, une foule de petites têtes étonnées se sont tournées vers moi et tout de suite précipitées à ma rencontre. Essayant d’avancer dans cette mer de « benettes » (filles en égyptien), j’essayais de comprendre : « Esmik é ? Esmik é ? Ana Mariam » « ou ana Zouzou, flower ». Une des filles s’est improvisée traductrice et m’a déclaré « elles te demandent comment tu t’appelles ». […] Ce jour-là, je rencontrais les secondaires. La plus grande qui passe son bac en spécialité maths et sciences, ainsi que la petite bande de premières secondaires qui est rapidement devenue ma classe préférée. Toutes les filles de la maison sont adorables et sont mes préférées, mais d’un point de vue de l’enseignement, les grandes classes sont agréables à enseigner, elles sont autonomes et comprennent déjà mieux que les plus jeunes.

Ainsi, les journées se sont déroulées selon le même emploi du temps. Arrivée pour le déjeuner puis explication des cours et exercices. Après une semaine, j’ai commencé à m’habituer au bruit. Ici, pour s’exprimer, c’est la loi de la jungle. Les filles ont des voix très graves, ce qui n’est pas étonnant, l’arabe est une langue avec de nombreuses tonalités. Il n’est pas rare d’entendre des gens parler très fort et avoir l’impression qu’ils sont en plein conflit verbal, avant de les voir afficher de grands sourires.

Ce rythme de travail de l’après-midi a continué jusqu’à début janvier où nous avons appris que le gouvernement demandait que les écoles ferment et repoussait les examens après les vacances de février. Les cours de certaines classes ont continué par zoom, d’autres se sont juste retrouvées à ne rien faire. Nous avons donc réorganisé les emplois du temps. En Egypte, les cours sont assurés de manière partielle le matin. De cette manière, les parents sont obligés de payer des cours particuliers l’après-midi, avec ces mêmes professeurs, pour que leur progéniture puisse avoir les explications qui accompagnent les fiches d’exercices ou les formules du matin.

Nous avons donc assisté à des situations étonnantes. En anglais, par exemple, les filles apprennent les verbes irréguliers par cœur, mais sans la traduction, cette dernière n’étant pas imprimée dans le manuel scolaire. En ce qui concerne les filles de la Maison, le travail de la Sœur qui s’en occupe est crucial. Ce lieu est la promesse d’une chance de réussite scolaire et professionnelle pour toutes ces « benettes ». La plupart d’entre elles sont ici à cause d’une situation familiale et/ou financière difficile. Beaucoup ont des histoires touchantes.

La sœur qui s’en occupe aujourd’hui a pris la responsabilité de la maison il y a 23 ans. Elle veille à la santé, au bien être des filles et à leur éducation. […] Quelques mamans ou grand-mères ou anciennes filles de la maison se relaient dans la semaine pour la cuisine ou le ménage. Souvent, des anciennes de la maison viennent surveiller les filles ou les aider dans leur travail, surtout pendant les vacances universitaires. Deux anciennes sont devenues des employées de la maison à temps plein. La sœur emploie aussi quelques professeurs pour faire travailler les filles. Cela constitue une part importante du budget. Cependant, la première part de son budget est la scolarisation des filles. Si on part du principe qu’à peu près la moitié des 80 filles vont à l’école chez les sœurs françaises et que la scolarisation là-bas coûte entre 7000 et 10000 livres égyptiennes, et que les autres vont dans les écoles du gouvernement où l’année coute un peu moins de 1000 livres, vous pouvez estimer la dépense. A cela s’ajoutent les uniformes et les manuels scolaires. Pour la nourriture, certaines denrées alimentaires sont des dons. Des anciennes qui apportent quelque chose pour les filles. Le reste est acheté avec le budget de la maison.

Les filles ne manquent de rien, comme dans toute fratrie, les vêtements sont passés des plus grandes aux plus jeunes et les filles n’ont pas de téléphone avant d’aller à l’université. Ce qui leur manque peut-être, c’est l’attention et la saine solitude, ainsi qu’un peu plus de sollicitation artistique et d’éveil culturel. Mais cela reste plus difficile dans une maison où s’entassent plus de 80 caractères différents.

En regardant cette solitude que nous éprouvons parfois, loin de nos familles, sachant que pour certains nous ne reverrons pas nos proches avant de rentrer en France, cela m’encourage à me mettre à la place de ces filles qui n’ont pas revu leurs familles depuis octobre. C’est encore plus difficile pour un enfant.

Noël en Orient

Notre deuxième Noël, nous l’avons passé avec les filles le 7 janvier, date de Noël en Orient. En arrivant à la Maison, nous avons été accueillis par des filles «sapées comme jamais ». Nous sommes descendus dans la cours préparer les sièges pour la messe en plein air. Le frère Emmanuel de chez les dominicains a célébré la messe en français et Iriny, une des universitaires, traduisait en arabe. Nous étions un peu déçus de ne pas avoir eu une messe de Noël orientale, mais à ce moment encore toutes les églises orthodoxes étaient fermées. En effet, en décembre, la communauté orthodoxe a perdu 8 prêtres en un week-end à cause du covid.

Après la messe de Noël, les filles ont mis de la musique et nous avons joué et dansé. Les benettes dansent tellement bien ! Elles ont ce déhanché oriental qu’elles seules maîtrisent ! Cela s’est poursuivi avec un copieux repas à base de dinde et patates-légumes, puis d’un immense gâteau de fête au chocolat et les jeux ont repris avec des spectacles de danse préparés par les filles. Ces jours de jeux et fêtes sont les plus fatigants mais sont des explosions de joies des filles qui se coupent un peu de leur rythme d’études et s’amusent. Nous avons pu avoir ces temps d’amusement avec le changement de rythme après la fermeture des écoles.

Pendant les mois de janvier et février, nous sommes allés à la Maison le matin, de 10h à 17h30 et avons mis en place des temps de récré pour les filles. Cela nous permettait de descendre dans la cours avec elles et jouer un peu au foot, ce qu’elles adorent. Nous avons aussi pris des temps de jeux de stratégie et cartes.  Ces temps de jeux et de complicité nous ont rapprochés des filles, c’est une grande chance car il y a beaucoup d’interaction. Nous avons de la chance de pouvoir les connaitre mieux et d’être là pour elles, un peu comme des grandes sœurs ou des tantes!

Aujourd’hui avec la reprise prochaine des cours, notre rythme change à nouveau. Nous verrons bien ce que cela donnera.

 

 

Judith Zabek