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En Éthiopie, les conséquences d’une guerre oubliée

LES CAPUCINS D’ÉTHIOPIE

Les missions des Capucins vers l’Éthiopie ont débuté en 1846 et c’est en 1883 que la province capucine de Toulouse se voit attribuer le Vicariat Apostolique des Gallas.


La pénétration des missionnaires capucins en pays Galla –  aujourd’hui appelé Oromo – a été longue et périlleuse, tant par la nature hostile du pays que par l’environnement religieux (coptes et musulmans) mais aussi par les convoitises politiques multiples. Le missionnaire, plein de zèle apostolique, œuvre en principe à rejeter tout ce qu’il considère comme étant de la barbarie. Ce travail d’« humanisation » et de « civilisation » passe ainsi par l’éducation des jeunes filles, l’enseignement dans les écoles, les soins infirmiers donnés dans les dispensaires, la libération des esclaves, etc.

Évaluer les conséquences de la guerre

Du 3 au 5 janvier 2022, une équipe de Capucins composée des Pères Gebrewold Gebretsadik, Ministre provincial, Tilaye Alemshet. conseiller, Amanuel Gabriel, économe provincial et Hailegabriel, coordinateur des projets, a visité ses missions de Dessie, Kobbo et Kombolcha, situées en zone de conflit. Le but de la visite était de voir les conséquences de la guerre sur ces trois missions et d’évaluer les dommages causés afin de prendre des mesures pour les réhabiliter.

Retour sur la situation politique

En mai 1991, le parti dirigé par l’EPRDF (Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens) renverse le gouvernement DERG (gouvernement militaire provisoire de l’Éthiopie socialiste) de Mengistu Hailemariam. Meles Zenawi devient chef du gouvernement et restera au pouvoir pendant 21 ans, jusqu’à son décès le 19 août 2012. Il est remplacé par le Premier ministre Hailemariam Desalegn qui démissionne en février 2013. Le 13 mars 2013, Abiy Ahmed lui  succède.

Le principal adversaire de l’EPRDF est le TPLF (Front de libération du peuple du Tigré). Mécontents de la nouvelle direction d’Abiy Ahmed, ses membres se révoltent contre le gouvernement et attaquent la Force de défense nationale dans la région du Tigré, le 4 novembre 2020. C’est le début d’une guerre qui n’est pas encore terminée.

La mission de Dessie

Les villes de Dessie et Kombolcha se trouvent sur la route reliant Addis Abeba au nord du pays et à Djibouti. Sur le chemin de Debreberhane à Kobbo, nous avons assisté à la destruction de nombreux véhicules militaires, chars, camions civils, bâtiments endommagés. De même, nous avons vu les routes patrouillées par de nombreux soldats, manifestant qu’il s’agit toujours de la zone de guerre.

À notre arrivée à Dessie, qui avait été occupée du 30 octobre au 15 décembre dernier, nous avons rencontré les quatre frères capucins qui nous ont informé de ce qui s’était passé et de la façon dont ils ont survécu dans ces jours difficiles.

Pendant l’occupation, les rebelles ont tout emporté à Makalle (carburant, voitures, meubles, machines, nourriture, ustensiles de maison, matériel hospitalier, matériaux de construction, etc.). Les frères n’avaient plus d’accès aux transports, pas de voiture, d’eau, d’électricité, de réseau, de téléphone, etc. L’école a été fermée jusqu’au 27 décembre. Ils ont dû s’occuper des 11 pensionnaires et des 16 orphelins venus de Kobbo.

Nos frères ont été particulièrement choqués quand la ville a été bombardée par les deux camps en présence. Ils sont reconnaissants au Seigneur que la mission n’ait pas été endommagée et qu’ils n’aient pas perdu la vie. Seules les deux voitures ont été prises, sinon les frères sont restés fermes dans leur engagement. Ils ont été psychologiquement remués mais se sont sentis soulagés quand les occupants ont quitté Dessie et Kombolcha après une quarantaine de jours de présence.

Pour le moment, la ville de Dessie semble reprendre ses activités normales. L’alimentation électrique, l’eau, le réseau, la télévision, le transport aérien, le carburant, la nourriture, etc., tout est à nouveau disponible.

Nous avons apporté une aide d’urgence de 100 quintaux de farine, d’huile, de pâtes, de macaronis et de désinfectant reçus des Sœurs Missionnaires de la Charité d’Addis-Abeba pour la mission de Dessie. Les frères ont été heureux d’obtenir cette première aide de l’extérieur. Aujourd’hui, Dessie nécessite des travaux de rénovation, surtout des toilettes pour les 11 étudiants internes.

À Kombolcha, plus de peur que de mal

Kombolcha, occupée entre le 31 octobre et le 16 décembre 2021, est une extension de la mission de Dessie. Les frères s’occupent du service de la chapelle et gèrent un jardin d’enfants et une école. C’est une ville industrielle où les rebelles ont emporté les machines, des voitures, des ustensiles de maison, le carburant des stations-service, etc. Les voleurs ont emporté la télévision de la mission. Nous pensons qu’il s’agit d’un vol plutôt que d’une confiscation par le groupe rebelle. Le jardin d’enfants et l’école ont recommencé à fonctionner comme avant. Il y a encore quelques arrivées tardives pour les inscriptions car certains parents ont cherché refuge en dehors de la ville et ne rentrent que maintenant à Kombolcha. Le seul défi à relever est de réparer les balançoires de l’aire de jeux du jardin d’enfants. Sur le chemin de Kobbo, nous constatons que les ponts ont été détruits par les rebelles. Qu’allons-nous trouver sur place ?

Kobbo, une mission importante…

Nous avons de nombreux amis de la mission de Kobbo, et je crois qu’ils seront tristes de savoir ce qui lui est arrivée. C’est celle où les rebelles ont causé le plus de dégâts. Les frères capucins ont abandonné Kobbo le 19 juillet, craignant pour leur vie. Les sœurs ursulines, elles, sont restées et les dommages qu’elles ont subis sont faibles comparés à ceux de l’enceinte des Capucins. À Kobbo, il y a trois sœurs actives et deux sœurs en prison parce qu’elles sont soupçonnées d’avoir collaboré avec les rebelles. Nous n’avons pas le chiffre exact des victimes, mais selon les nouvelles du gouvernement, dans la seule journée du 21 septembre, plus de 600 civils ont perdu la vie.

La mission de Kobbo comprend une résidence pour les frères capucins, une église paroissiale, un orphelinat, une dépendance autonome, une école primaire et une école secondaire, des entrepôts, une ferme laitière et des terres agricoles. Comme vous pouvez le voir, c’est une mission importante.

… complètement dévastée

Dès notre arrivée à Kobbo, nous avons constaté que l’armée Fano (armée régionale de la région d’Amara) y campe encore. Il y a des milliers de militaires dans l’enceinte, avec beaucoup de véhicules militaires et d’autobus civils. Une partie de l’enceinte ressemble à une gare routière avec des dizaines de bus garés là.

Les fenêtres de la dépendance ont été brisées par les bombardements et le bâtiment a servi de dortoir aux rebelles. Maintenant, il n’est plus occupé par personne. Quant aux bureaux de l’école primaire, ils ont été utilisés comme bois de chauffage par les rebelles : il n’y a plus aucune table. Les 50 ordinateurs et les équipements du laboratoire ont été emportés. Pour la rouvrir, il faudra de nouveaux bureaux, des ordinateurs, des fournitures et du matériel…

La résidence des Capucins a été vandalisée ; les rebelles ont emporté une voiture, des ustensiles de cuisine, un matelas, des couvertures, des draps, des tables, des bureaux, trois ordinateurs, une télévision… La seule chose qu’ils n’ont pas touchée, c’est la chapelle.

ou occupée par les militaires

L’école secondaire est utilisée comme camp militaire pour FANO. Toutes les salles de classe sont occupées en dortoir par le personnel militaire. Il y a une salle de classe réservée aux prisonniers de guerre (je ne connais pas exactement le nombre de prisonniers, mais il y avait des prisonniers dans une pièce). Tous les bancs, tables et chaises ont été jetés dehors au soleil et sous la pluie sans aucune protection. Le matériel de laboratoire et les ordinateurs ont été emportés.

L’orphelinat est également occupé par les militaires de Fano. Ils l’utilisent comme dortoir et font cuire leur nourriture dans son enceinte. Les deux entrepôts servent aussi de dortoir.

La ferme laitière n’a pas été endommagée et les vaches laitières sont toujours là alors que les terres agricoles sont dégradées, car il n’y avait pas de gardes pour s’en occuper. Ce sera une priorité pour l’autonomie de la mission.

Des perspectives malgré tout

L’école devait rouvrir le 10 janvier 2022, mais cela s’est avéré impossible car la fraternité de Kobbo n’est pas encore reconstituée et le complexe a besoin d’un grand nettoyage et de nouveau mobilier. Les documents sont détruits, nous n’avons plus de dossiers scolaires, il n’est donc pas facile de rouvrir l’établissement.

De plus, l’Ordre des Capucins doit désigner de nouveaux membres de la fraternité pour cette mission. Le 10 janvier, le Conseil provincial a tenu une réunion extraordinaire à la fraternité Saint-Sauveur, à Addis-Abeba, en Éthiopie, pour discuter de cette situation.

Nous prions humblement pour que nos partenaires viennent à notre aide et nous permettent de réhabiliter la mission de Kobbo.

 


Fr. Hailegabriel Meleku, Cap.

Coordinateur pastoral

et de projets,

Province des Capucins d’Éthiopie