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[GRECE] Témoignage de Maÿlis « J’aime mon travail, les gens avec qui je le fais, j’aime la Grèce et la communauté avec laquelle je vis »

Maÿlis, 22 ans, étudiante est en mission depuis le mois de septembre et jusqu’au mois de juillet où elle aide le centre Jésuite à l’accueil des migrants : cours d’anglais, traduction, distribution alimentaire et de produits de premières nécessités.


Cher tous,

Le confinement strict a été à nouveau décrété à Athènes, les magasins sont fermés, on ne peut pas s’éloigner de plus de 2km de chez nous. Le couvre-feu est passé à 18h en week-end, et les possibilités de rencontrer de nouvelles personnes sont quasiment nulles. Alors bien sûr, je peux apprendre le grec, lire, et faire du piano. […] Côté travail c’est vrai, j’ai de la chance, pour l’instant nos activités sont maintenues : distribution de vêtements au magazi, Women Day center et cours à distance. […]

Confessions

Pour pallier ce manque de contact, j’avais organisé des activités : lundi, grâce au beau temps, j’ai organisé un cours d’anglais dans le parc, avec trois de mes élèves. Là, autour d’un café et d’une part de panetonne, les langues pouvaient enfin se délier, et N. et T. se sont confiées sur leurs inquiétudes pour leur fils. « Tu vois Yaya, pour nous c’est foutu, c’est pas grave, mais nos fils, ils ont 9 ans, ils peuvent même pas aller à l’école. Qu’est-ce qu’ils vont devenir ? On a fait tout ce chemin pour ça, pour leur offrir un avenir, et maintenant on dort par terre et on attend que le temps passe. Avant on n’avait pas grand-chose, mais on était heureux. Ici, on n’a rien, on est malheureux, mais bon, on est en sécurité. » N. a quitté le Congo après qu’ »ils » se soient introduit dans sa maison, aient assassiné son mari devant ses yeux et ceux de son fils, et aient abusé d’elle, toujours devant son fils. Je ne sais pas qui sont ce « ils ». Elle a pris l’avion pour la Turquie et a passé un an là-bas, à dormir dans la rue avec Exaucé, avant de prendre le « ding », le « bateau de la mort ». Elle a passé des heures dans l’eau, a finalement été sauvée par un autre bateau et amenée à Samos. Thérèse aussi a attendu des heures qu’on vienne les chercher. Elle ne m’a jamais dit pourquoi elle était partie.

C’est pour ces moments-là que j’aime mon travail. Pour cette confiance qui m’est accordée, ces fragments de vie que ces femmes extraordinaires acceptent de me confier, parce que je suis leur Yaya, leur « grande sœur » en Ningala. Et puis, parce qu’il ne faudrait pas s’apitoyer trop longtemps : « bon Yaya on le fait ce cours d’anglais ou pas ? ». Après un mois et demi de cours, elles connaissent les conjugaisons du verbe être et avoir, elles peuvent même dialoguer un peu : « Do you drink Coffee ? – Yes i drink Coffee ». Je les regarde, je finis mon café, et je suis très fière de mes élèves.

 

Les maraudes

Une autre de mes opérations a été d’organiser des maraudes dans la rue ces deux dernières semaines. Avec Ewa et Estelle, trois thermos de chocolat chaud et des gâteaux plein les poches, nous sommes allées dans la rue Phylis, connue pour ses drogués et prostituées. Avec le confinement, les maisons closes sont fermées mais ils sont nombreux dans la rue, sur le parvis de l’ancienne école de JRS, à attendre que la vie passe une pipe de crack à la main. Le sucre fait du bien alors nous offrons un, deux, ou trois verres de chocolat. Et puis nous allons à Victoria Square, il y a toujours quelques enfants qui jouent, ou une famille à la rue, installée sous un arbre. C’est l’occasion de parler avec les réfugiés peu nombreux qui continuent à se retrouver ici. Certains visages sont connus, on échange des nouvelles, c’est tellement agréable de prendre le temps de papoter, même si les conversations sont toujours un peu décousues.

J’aime mon travail, les gens avec qui je le fais, j’aime la Grèce, j’aime mes colocs et la communauté avec laquelle je vis. C’est précisément ce qui rend le confinement aussi frustrant : il y a tant à faire, tant à voir, tant à partager. Il faut donc attendre, attendre encore, et essayer de découvrir dans cet horizon coupé des choses que nous ne connaissions pas, creuser et approfondir des relations dont on peut penser tout connaitre. Chaque personne est une mine d’or et d’histoires, alors il faut réussir à mettre sa frustration de côté et créer la surprise, chercher l’étincelle, dans une situation qui paraît pourtant vue et revue.

N’oubliez pas de marcher 30 minutes par jour, de prendre la lumière du soleil, de sourire, et de manger du chocolat !

Je vous embrasse,

Maÿlis