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Témoignage de Chiraz : " Ce que j’apprécie par-dessus tout, c’est la simplicité des échanges qui dépassent la barrière de la langue "

Découvrez le témoignage de notre volontaire Chiraz, volontaire au JRS depuis 3 mois. 


Après quelques jours de tempête de neige et un aller-retour au ski le temps d’un week-end, me voilà de nouveau en pull sur le balcon de notre cuisine, profitant du doux soleil d’Athènes durant ma
pause déjeuner. Quel plaisir de sentir la chaleur du soleil et cet air printanier en plein mois de février. C’est dans ces moments-là que je souhaiterais que le temps se fige, ralentisse sa cadence effrénée pour pouvoir profiter un peu plus de ces instants qui rythment mon quotidien. Après deux mois passés ici et 21 ans d’existence, ce n’est que maintenant que j’apprends à apprécier la banalité de la vie.

De plus en plus, je me surprends à aimer ces simples moments en communauté où l’on cuisine, boit du thé, joue à des jeux de société, fait la vaisselle, en musique ou en silence, seul ou accompagné…Je réalise enfin à quel point ces petits moments, aussi simples soient-ils, ne sont pas moins précieux et importants dans les relations que j’entretiens avec les autres volontaires et les migrants. Moi qui aime prendre mon temps, il semblerait que je me plais dans ce quotidien où chacun vit à son rythme dans cet espace commun.

Une communauté en mouvement

Si j’ai la chance d’être bien entourée, la vie en communauté se révèle bien différente de celle d’une colocation où chacun paie sa part du bail. Ici, il faut accepter que l’espace ne nous appartienne pas, qu’il faut partager des moments ensemble, qu’il y a des va-et-vient, et des allers et des venues, des bienvenus et des adieux. Ses deux dernières semaines ont été particulièrement éprouvantes avec le départ d’une volontaire, l’arrivée d’une nouvelle sœur, d’un nouveau jésuite et l’accueil de trois jeunes filles sur leur chemin de pèlerinage. A peine ai-je le temps de faire connaissance avec une personne que celle- ci s’envole vers de nouveaux horizons et se voit remplacée par une autre avec qui il faut partager son quotidien. Telle est la vie de la communauté et il faut s’en accoutumer, mais il est parfois difficile de l’accepter. Et si tout ce monde me permet de ne jamais me sentir seule, je ressens en ce moment le besoin de m’évader, reprendre mon souffle et profiter de quelques instants de solitude pour me ressourcer.

 

Un savoir-faire à cultiver

Au sein de ma mission, je gagne en confiance et m’applique à la tache. Mon visage est désormais familier auprès du public que je côtoie et c’est avec une certaine émotion que je constate que certains migrants et enfants connaissent même mon prénom, pourtant difficile à retenir. Après deux mois de mission, ma perception de l’enseignement a également évolué vers une approche plus détendue et transversale. Étant chargée d’animer un cours d’anglais à une classe d’adulte, je me sentais alors peu légitime d’enseigner une langue que je ne maitrise pas complètement à des élèves du double de mon âge.
Les semaines passantes, j’ai compris qu’enseigner sans en avoir les réelles compétences n’était pas une question de légitimité mais de solidarité. Que celle-ci ne se résume pas à une aide professionnelle mais englobe tout soutien, toute présence, tout moment passé avec et pour l’autre. Il n’est ni question de hiérarchie ou de rapport de force mais juste d’effort et de soutien. Et lorsque je constate à quel point mes élèves sont motivés, déterminés et prêts à tout pour progresser, je ne peux m’empêcher de ressentir une pointe de culpabilité en pensant à l’époque où j’osais détester l’école.

Ce que j’apprécie par-dessus tout, c’est la simplicité des échanges qui dépassent la barrière de la langue. Petit à petit, je découvre et apprends une nouvelle manière de communiquer : par des gestes, par des mots, par une présence, par des sourires et des regards. Moi qui ai passée trois années de fac à étudier les langues, je réalise que si leur apprentissage est essentiel dans le monde dans lequel nous vivons, elles ne constituent pas l’unique moyen de communication. Bien évidemment, je ne pourrais pas dire que mon français, mon anglais et mes bases en arabe sont obsolètes. Ces trois langues se révèlent au contraire très utiles dans mon environnement de travail quotidien mais j’ai l’étrange sentiment qu’en dehors du grec, c’est dans la communication non-verbale que je m’améliore.

 

Un regard nouveau sur mon environnement

Lorsque le temps me le permet, je me rends chez les sœurs de mère Theresa pour les aider à servir les repas qu’elles cuisinent et distribuent trois fois par semaine à près d’une centaine de migrants, dont une majorité de sans-abris. Après un temps consacré à la messe, les migrants peuvent venir chercher les barquettes de nourriture que nous distribuons.

Ici, il n’est pas difficile de constater que la misère est d’un autre ordre que celle que je côtoie au quotidien. La différence entre ceux qui sont logés et les sans-abris se voie à l’œil nu, aux haillons dont ils sont vêtus, aux cernes sur leur visage, à la saleté de leurs ongles et à leur odeur… Les uns derrière les autres, les migrants font la queue pour manger, se disputent sur les quantités de nourriture et se jettent sur les repas à peine servis. Les tensions montent lorsque certains demandent des rations doubles ou triples, en nous expliquant qu’il y a tel ou tel enfant qu’il faut nourrir et qui n’est pas là. Mais nous leur expliquons qu’il est plus juste de servir tout le monde avant de passer aux extras. Mais comment parler de justice à des sans-abris lorsque ceux qui leur servent à manger dormiront tranquillement sous un toit?
En travaillant quotidiennement avec des organismes religieux, la question me brûle de savoir comment parler de foi face à la misère de ces populations. Ou comme diraient Gutierrez et Ludwig Müller dans la théologie de la libération, « comment parler d’amour de Dieu face à la misère des pauvres et l’injustice qui règne dans le monde ? ». Cette question est bien trop profonde pour que je m’y attarde aujourd’hui mais fera sûrement l’objet d’une réflexion détaillée dans mes prochaines newsletters.

Ces migrants m’apprennent beaucoup et je suis impressionnée par leur courage dans leur détresse. De temps à autre j’aime explorer leur regard. Je m’interroge sur ce qu’ils voient, ce qu’ils perçoivent et comment le perçoivent-ils. Je rêverai de plonger dans leur esprit et de lire dans leurs yeux l’histoire de leur vie pour mieux les comprendre et les appréhender. Mais ces questions sont difficiles à poser alors je me contente de les traiter comme tout être humain et d’agir comme je l’ai toujours fait, avec respect et simplicité.

A l’instant où j’écris ces lignes et conclus cette deuxième newsletter, mon cerveau s’émerveille encore de tout ce que cette vie m’offre et m’apprends au quotidien. Je me sens reconnaissante et
chanceuse de pouvoir vivre cette expérience qui ne me laissera pas inchangée. Alors que je souhaite déjà remonter le temps et revivre mes premiers jours ici, il me tarde de savoir ce que les prochains mois me réservent…

A bientôt,

Chiraz