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[INDE] Les chrétiens entre dynamisme social et pression hindouiste

Évangélisée par Saint Thomas arrivé au sud de l’Inde dès le 1er siècle, la chrétienté du pays est aujourd’hui très multiple. Des petites communautés missionnaires parfois menacés mais bien vivantes.

Pour décrire la situation des chrétiens dans cet État fédéral de 1,3 milliard d’habitants, dirigé depuis 2014 par le gouvernement fondamentaliste hindou de Narendra Modi, toute généralisation s’avère erronée. Par rapport aux musulmans, les chrétiens (2 %, entre 30 et 35 millions de fidèles, certains non déclarés) sont moins l’objet de discriminations. Peu représentés dans des fonctions exécutives, ils auraient le plus haut taux d’alphabétisation et le taux le plus élevé de femmes dans la vie professionnelle. Ils sont aussi très fragmentés : anciennes Églises orientales rattachées à Rome, catholiques latins, orthodoxes, jacobites, etc… sans compter la galaxie protestante.

Enracinement   

Dans le sud (Kerala et Tamil-Nadu), les Églises de rite oriental, syro-malabare (5 millions de fidèles) et syro-malankare (500 000), sont inculturées et modernes. Le 15 mai, un laïc chrétien du Tamil Nadu, Devasahayam Pillai (1712-1752), est le premier martyr indien à être canonisé.

La vénération des reliques, les rites du feu et de l’eau trouvent des échos chez les hindous qui suivent certaines processions, telle la fête de Jonas à Kuravilangadu (Kerala). La transcendance est acceptée comme une partie de l’être. Mais la religiosité extrême porte le risque du fondamentalisme : on pense détenir la vérité, ce qui crée des tensions sur les rites, y compris entre chrétiens, comme entre orientaux et latins au Kerala, ou entre syro-malabars et syro-malankars sur la célébration des messes.

Les chrétiens sont-ils menacés ?

Des lois anti-conversion, le déboulonnage d’une statue du Christ, des habitants chassés de leurs maisons, des saccages… Mais on est loin des massacres en 2007/8 de l’Odisha (est) avec ses villages brûlés et plus d’une centaine de chrétiens assassinés.

Y-a-t-il un parti-pris anti-chrétien des autorités ? Les avis divergent. Les exécutifs régionaux adoptent des attitudes variées, communistes et Congrès se montrant souvent les plus tolérants. Ce qui est redouté est l’extrémisme du mouvement hindou Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, quelque 200 millions d’affiliés), alors que Narandra Modi avait été élu sur l’« Hindutva » (l’hindouité).

« À la différence des musulmans, les chrétiens n’ont pas été assassinés depuis 2014. Il faut faire la différence entre les catholiques, dont les institutions sont reconnues par la société, et les nouveaux groupes pentecôtistes qui convertissent souvent avec un don d’argent et une vision extrêmement critique de l’hindouisme ce qui ne fait que jeter de l’huile sur le feu », analyse le père Yves Vagneux, des Missions étrangères de Paris (MEP), auteur de « Portraits indiens, huit chrétiens à la rencontre de l’hindouisme » (Mediaspaul).

Présence forte sur le terrain social et éducatif

« On veut d’abord éduquer avant de proposer une conversion », insistent les prêtres interrogés. Le tandem église-école, le Pallikoodam, est caractéristique du christianisme au Kerala. Si les missionnaires de la Charité de Mère Teresa sont les plus connues, toutes ces Églises ont des congrégations très présentes auprès des plus pauvres de toutes communautés, ce qui irrite certaines autorités.

Relations délicates avec l’islam

La proportion des chrétiens tend à diminuer alors que celle des musulmans augmente. « Depuis une dizaine d’années, l’islam politique est apparu ; on croise au Kerala des femmes portant la burqa », témoigne un prêtre syro-malabar.

L’argent des pays du Golfe finance communautés et écoles et des organisations islamiques achètent terrains et commerces. Une manière pour l’islam politique de s’enraciner, concurrençant le christianisme. Quelques vives polémiques éclatent : Mgr Joseph Kallarangattu, évêque du diocèse de Palai (sud), a même invité fin 2021 les jeunes chrétiens à se protéger du « narcojihad » qui chercherait à les détruire.

Les Églises ont-elles bien intégré les dalits ?

L’an dernier, une nomination a fait la une : Priya Rajan, dalit (intouchable) de l’Église évangélique, est devenue maire de Chennai (ex-Madras), quatrième ville d’Inde. Mais les dalits dans certaines Églises resteraient séparés des autres, et ont moins de prêtres ordonnés, alors que 70 % des chrétiens seraient dalits. Certains menacent même de fonder leur propre Église. D’autres quittent les Églises pour bénéficier à nouveau des droits accordés aux basses castes.

L’Église syro-malabare a 9 000 prêtres, l’Église syro-malankare 500 et on compte 117 petits séminaires. Le pape a autorisé ces deux Églises à sortir de leur périmètre historique. Elles envoient, dans la plaine du Gange et autres régions hindoues, des hommes et des femmes qui opèrent des conversions. Mais aussi à l’étranger : plus de 8 000 dans 166 pays ! Les prêtres indiens sont aussi nombreux à se former en Occident.

Ces Églises se veulent fortement solidaires et impliquées dans l’Église universelle. Ainsi, à titre d’exemple, en 2020, la transformation de Sainte-Sophie en mosquée, à Istanbul, avait suscité des protestations des chrétiens d’Inde du sud, bien plus fortes qu’en Europe…

Jean-Louis de la Vaissière


Cet article fait partie du dossier « Décryptage » » publié dans le bulletin 807 qui vient de paraître.

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