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INDE : une situation alarmante

Texte de Sandro Magister

    Depuis le 24 août, la vague de violences antichrétiennes a fait de nombreuses victimes. Les attaques ne faiblissent pas, loin de là. Elles ne sont plus sporadiques mais systématiques, presque quotidiennes. Outre l’Orissa, plusieurs états sont désormais concernés : le Kerala, le Karnataka, l’Andra Pradesh, le Madhya Pradesh, le Chattisgarh et le Tamil Nadu.

    Des fanatiques hindouistes s’en prennent surtout aux villages ruraux. Ils accusent les chrétiens de prosélytisme forcé parmi les classes les plus pauvres, les tribaux et les hors castes. Mais l’accusation n’est qu’un prétexte, comme le prouvent les recensements officiels. En effet, la part de la population chrétienne croît moins rapidement que celle des populations hindouiste ou musulmane (2,6% en 1971 – 2,3% en 2001).

    Les violences sont provoquées moins par les conversions que par l’action des chrétiens en faveur des pauvres, qui sont la base réduite en esclavage du système pyramidal sur lequel la société hindoue repose traditionnellement. La vraie « faute » des chrétiens est de prêcher et pratiquer l’égale dignité de tous, contre le système des castes.

    Les évêques catholiques d’Inde ont dénoncé à plusieurs reprises « l’apathie et l’indifférence du gouvernement, au niveau central et dans les états » face aux agressions contre les chrétiens. A chaque fois, les mesures de sécurité ont été tardives et sporadiques. La même apathie peut être reprochée aux gouvernements étrangers, qui se soucient très peu des attaques antichrétiennes en Inde.

    Mais le silence et l’inaction des leaders religieux et intellectuels hindouistes sont tout aussi graves. Rares sont les voix qui se sont élevées pour défendre les chrétiens et la paix interreligieuse.

    On trouvera ci-dessous l’une de ces interventions, parue le 28 septembre 2008 dans le quotidien anglophone « Times of India ». Son auteur, Shashi Tharoor, est de religion hindouiste. Essayiste et écrivain renommé, il a été candidat en 2006 au poste de secrétaire général des Nations Unies, après avoir occupé la charge de sous-secrétaire dans la Maison de Verre.

Les fondements de l’Inde sont attaqués – par Shashi Tharoor

    Fondamentalement, il y a en Inde deux sortes de politique : celle de la division et celle de l’unité. La première, de très loin la plus répandue, est pratiquée par des hommes politiques qui rivalisent dans le découpage et la fragmentation de l’électorat en configurations de caste, de langue et de religion de plus en plus petites. Dans le meilleur des cas, pour appeler ces identités particularistes à voter pour eux.

    Mais ce qui s’est passé au cours de ces dernières semaines dans l’Orissa puis dans le Karnataka et qui menace de se déchaîner dans les districts tribaux du Gujarat marque une dégradation accrue de notre vie politique. Les agressions contre les familles chrétiennes, le vandalisme qui a dévasté leurs lieux de prière, la destruction des maisons et des moyens de subsistance, les viols, les mutilations et les personnes brûlées vives dont on a fait état n’ont rien à voir avec les croyances religieuses des victimes ou des agresseurs. Au contraire tout cela fait partie d’un projet politique méprisable dont le plus proche équivalent est à trouver dans les attentats à la bombe perpétrés par des moudjahiddines indiens à Delhi, Jaipur et Ahmedabad, dans des hôpitaux, des marchés et des terrains de jeu. Dans les deux cas, il s’agit d’actes antinationaux et visant à diviser le pays en opposant les gens selon leur identité religieuse. Dans les deux cas, il s’agit de tirer un profit politique de cette polarisation.

    Notre devoir est de ne laisser triompher aucune de ces deux formes de terrorisme.

    Les bandes criminelles de l’Orissa cherchent à tuer les chrétiens, à détruire leurs maisons et leurs églises pour terroriser les gens et diffuser ce message: « Tu n’es pas à ta place ici ». Comment en sommes-nous arrivés à ce qu’une terre qui a été un refuge de tolérance pour les minorités religieuses pendant son histoire soit tombée aussi bas? Pendant des millénaires, la civilisation indienne a offert un asile et surtout la liberté religieuse et culturelle aux juifs, aux parsis, aux musulmans et aux chrétiens de nombreuses confessions. Le christianisme est arrivé en Inde avec saint Thomas apôtre, le Thomas « du doute », qui a débarqué avant l’an 52 de l’ère chrétienne sur les côtes du Kerala où il a été accueilli par une jeune juive qui jouait de la flûte. Il a converti beaucoup de gens, si bien qu’il y a aujourd’hui des Indiens dont les ancêtres sont devenus chrétiens bien avant que beaucoup d’Européens n’aient découvert le christianisme et avant que les tenants de l’actuel chauvinisme hindouiste n’aient pris conscience qu’ils étaient eux-mêmes hindouistes. L’Inde dont nous pouvons tous être fiers, c’est celle où l’appel du muezzin se mêle habituellement au chant des mantras dans les temples, celle où le tintement des cloches des églises accompagne la récitation des vers du gourou Granth Sahib. Mais il y a aussi l’Inde qui a rasé la mosquée d’Ayodhya, qui a déchaîné les pogroms au Gujarat et qui verse désormais sa haine sur les 2% de la population qui sont chrétiens.

    En tant que fidèle hindouiste, j’ai honte de ce que font des gens qui affirment agir au nom de ma foi. J’ai toujours été fier d’appartenir à une religion dont l’ampleur et la largeur de vues sont extraordinaires; une religion pour laquelle toutes les voies d’adoration de Dieu sont également valables. C’est même l’unique grande religion au monde à ne pas prétendre être la seule vraie religion. Le fondamentalisme hindouiste est une contradiction dans les termes, puisque l’hindouisme est une religion sans « fondamentaux », où il n’y a rien qui pourrait ressembler à une hérésie. Comment une poignée de gourous ose-t-elle appauvrir la sublime majesté des Védas et des Upanishads par le fanatisme étroit de leur marque identitaire politique? Pourquoi les hindouistes devraient-ils leur permettre de réduire l’hindouisme à une autoglorification vociférante de hooligans de stade, de prendre une religion immensément tolérante pour la réduire à une violence chauvine?

    L’hindouisme, de par son ouverture, respecte la diversité, accepte toutes les autres croyances. Seul, il a su s’affirmer sans menacer les autres religions. Mais ce n’est pas ce que vomit l’Hindutva dans les haineuses diatribes de ses hommes politiques. L’hindouisme véritable est celui de Swami Vivekananda qui, en 1893, au Parlement Mondial des Religions de Chicago, a merveilleusement présenté l’humanisme libéral qui est au cœur de sa croyance et de la mienne. Vivekananda a affirmé que l’hindouisme est en faveur « de la tolérance et aussi de l’acceptation universelle, car non seulement nous croyons en un respect universel, mais nous acceptons aussi toutes les religions comme vraies ». Et de citer un hymne : « De même que les cours d’eau dont les sources sont en des lieux différents mêlent leurs eaux dans la mer, de même, ô Dieu, puissent tous les chemins, si différents soient-ils, tortueux ou droits, que les hommes empruntent selon leurs différentes tendances, conduire vers Toi ». La vision de Vivekananda – résumée dans le concept Sarva Dharma Sambhava – est en fait la forme d’hindouisme pratiquée par la grande majorité des hindouistes, dont l’acceptation instinctive des autres croyances et formes d’adoration constitue depuis longtemps la marque vitale de l’indianité.

    Vivekananda ne faisait aucune distinction entre les actions des hindouistes en tant que peuple (par exemple garantir l’asile) et en tant que communauté religieuse (tolérance envers les autres croyances). Pour lui, la distinction n’était pas valable car l’hindouisme est à la fois une civilisation et un ensemble de croyances religieuses. « Les hindouistes commettent des fautes – ajoutait Vivekananda – mais ils veulent punir leurs corps et non couper la gorge de leurs voisins. Si un fanatique hindou s’immole sur le bûcher, jamais il n’allumera le feu de l’Inquisition ».

    Il est triste que ces thèses de Vivekananda soient contredites par ceux qui crient dans les rues qu’ils font revivre sa foi et son nom. « Ces hindouistes militants, a observé Amartya Sen, donnent de l’Inde l’image « d’un pays d’idolâtres intolérants, de fanatiques délirants, de dévots belliqueux et d’assassins religieux ». Discriminer l’autre, agresser l’autre, tuer l’autre, détruire le lieu de culte de l’autre, tout cela ne fait pas partie du dharma hindouiste que Vivekananda a si merveilleusement prêché. Pourquoi donc les chefs religieux hindouistes n’élèvent-ils pas la voix pour défendre ces fondements de l’hindouisme?

    Lu sur PRO LITURGIA : En un peu plus d’un mois, la vague de violences antichrétiennes qui a débuté le 24 août dans ce pays a fait 60 victimes auxquelles il faut ajouter plus de 18 000 blessés, 178 églises détruites, 4 600 maisons brûlées, 13 écoles et centres sociaux dévastés.
En outre, 50 000 chrétiens au moins ont fui leur village pour se mettre à l’abri dans des camps de réfugiés et dans les forêts. Peut-être ne prions-nous plus assez ?

            Article publié avec l’aimable autorisation de www.chiesa, traduction Charles de Pechpeyrou
           
Shashi Tharoor a fait ses études dans des écoles chrétiennes et obtenu ses diplômes en droit et en diplomatie à la Fletcher School de la Tufts University, aux Etats-Unis. Il écrit pour de grands titres comme le « New York Times » et « Newsweek ». Il est éditorialiste pour le « Times of India ».