• Actualités

Irak : « Pourquoi n’aurions-nous pas la possibilité de demeurer chez nous ? »

Comme ses fidèles, il a fui précipitamment, le 6 août, la ville chrétienne de Qaraqosh dans le nord de l’Irak, envahie par les jihadistes de l’État islamiste (Daech). Il plaide pour que les chrétiens d’Orient puissent continuer à vivre en sécurité dans leur pays.
Des chrétiens vivent-ils encore à Qaraqosh ?

Quelques centaines y étaient restés, surtout des personnes âgées et malades, lors du «grand exode» du 6 août. Par la suite, nous avons réussi à faire sortir 150 personnes. Sur place, il y aurait encore une quarantaine ou une cinquantaine de chrétiens. Mais je ne sais pas s’ils sont encore vraiment à Qaraqosh. Peut-être ont-ils bougé depuis pour aller dans des familles à Mossoul. Nous sommes aussi sans nouvelle d’une petite fille de 3 ans qui a été arrachée à sa mère, d’une jeune fille de 25 ans, enlevée à ses parents, et d’une jeune femme prise à son mari par les jihadistes. J’ignore ce qui leur est arrivé, si elles ont été vendues.
Pour beaucoup, le retrait très soudain, le 6 août, des peshmergas (les combattants kurdes irakiens) qui défendaient Qaraqosh, laissant ainsi la voie à Daech, demeure incompréhensible. Qu’en pensez-vous ?

Pour moi, ce n’est pas une trahison. Mais c’est un mystère. Cela a été très rapide. Je ne sais pas qui leur a donné l’ordre de quitter Qaraqosh, s’il y a eu des pressions et pourquoi.
Les chrétiens de Qaraqosh veulent-ils émigrer ?

C’est vrai surtout pour les jeunes qui n’ont pas de perspectives d’avenir. Les personnes plus âgées souhaitent plutôt rentrer chez elles, récupérer leurs biens, voir s’il est possible de reprendre leur vie d’avant. Si la situation ne s’arrange pas, beaucoup de mes fidèles vont quitter le pays. Mais ce n’est pas si simple d’émigrer. Il faut obtenir un visa, avoir l’argent pour le voyage. Certaines personnes ont perdu leurs papiers d’identité. Et s’intégrer en France est difficile. Les chrétiens irakiens ne connaissent pas la langue, le mode de vie. Pour eux, c’est douloureux de rester sans travailler, de passer les journées en silence… Quatre familles qui avaient émigré en France sont rentrées récemment à Erbil [dans le Kurdistan irakien où la majorité des chrétiens d’Irak ont trouvé refuge, ndlr].

A ce jour, quelques milliers sont partis à l’étranger. Il y en a quelques dizaines ici, en France ; d’autres se sont installés en Jordanie, au Liban ou en Turquie.
Déplorez-vous le fait que les chrétiens quittent l’Irak ?

Ce pays est le nôtre, l’héritage de nos pères. Ce n’est pas une terre usurpée. Pourquoi n’aurions-nous pas la possibilité de demeurer chez nous ? Je ne dis pas qu’il ne faut pas partir au vu du conflit, mais je demande à ce que les chrétiens puissent vivre en Irak, en sécurité, avec dignité et respect. En dépit de la situation très difficile, la vie continue malgré tout. Depuis notre exode de Qaraqosh, nous avons par exemple célébré 150 mariages.

 

Vous espérez retourner un jour à Qaraqosh ?

Oui, j’ai cet espoir. Une coalition internationale s’est constituée, l’armée irakienne commence à se réorganiser, et de plus en plus de civils s’opposent maintenant à Daech. Il faudra sûrement du temps. Mais que retrouverons-nous à Qaraqosh après cette catastrophe ? C’est toute la question.

 

Sera-t-il possible de reconstruire une vie avec les musulmans ?

Nous avions de bonnes relations avec eux. Force est de constater que certains ont rallié Daech. D’autres pillé nos maisons après notre départ. Nous ne comprenons pas pourquoi ils ont fait cela.

Est-ce que nous aurons encore l’audace de vivre avec eux ? On verra.

 

Le pape François sera en Turquie fin novembre. Certains pensent qu’il rendra visite aux réfugiés chrétiens aux frontières turco-syro-irakiennes ou même à Erbil. Est-ce vraisemblable ?

Tout est possible. Mgr Louis Sako, le patriarche des chaldéens, lui a proposé plusieurs fois de venir en Irak.

Propos recueilli par Bernadette Sauvaget (à Nantes).
Retrouvez l’interview sur le site de Libération