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[IRAK] Salam, salam, salam ! Shoukran ! Allah maak’on !

Le Pape ici, chez nous ? Un rêve ! Entre espoir et incrédulité, les chrétiens de la plaine de Ninive, comme tous les irakiens, préparent sa venue. Ils l’accueilleront avec ferveur. Notre reporter a partagé avec eux cette période exaltante.

 

Salam, salam, salam ! Shoukran ! Allah maak’on ! Les trois derniers mots du pape François en Irak, en arabe, électrisent le stade d’Erbil où il vient de célébrer la messe devant 10 000 fidèles venus de tout le pays. (Paix, paix, paix ! merci ! Que Dieu soit avec vous !) Jusqu’au dernier moment, tous ont cru ce voyage impossible. Pour d’évidentes questions de sécurité dans ce pays si instable, pour des raisons sanitaires liées à la pandémie de Covid, parce que jamais un pape n’avait pu se rendre en Irak. Parce que dans un pays meurtri et déchiré par plus de quarante ans de guerres successives, on apprend à ne plus rêver… Et pourtant, sœur Saint-Étienne à Teleskuff, dominicaine, nous confie une semaine avant sa visite : « Vous imaginez le pape à Qaraqosh ? C’est presqu’un village ! Et il va venir ? c’est comme un rêve ! J’attends beaucoup de cette visite, ce sera très fructueux, il va animer la foi des chrétiens et le cœur de tous les Irakiens. J’espère qu’il emportera avec lui le vrai visage de l’Irak, que la vie est toujours là. Les villages chrétiens renaissent »

En octobre 2016, l’armée irakienne et la coalition libèrent la ville de Qaraqosh du joug de Daesh. Pendant trois ans, les hommes de l’auto-proclamé État islamique ont occupé la plaine de Ninive, détruisant méticuleusement tous les signes religieux, brûlant églises et habitations. L’intervention de l’armée pour les déloger a fini de réduire ces villes en cendres. Les déplacés, qui ont vécu pendant 3 ans dans des camps de fortune au Kurdistan irakien, et tant attendu le moment où ils pourraient rentrer chez eux, ne retrouvent qu’un champ de ruines. Leur découragement est immense. Qaraqosh restera figée près d’un an avant que les travaux de reconstruction ne commencent. Nous les avions quittés sur ces images apocalyptiques, le moral en berne, ne voyant d’autres issues que de fuir ce pays.


« Comment ne pas se réjouir ! »

Fin février 2021, la ville est en effervescence, méconnaissable : les trois quarts de Qaraqosh sont reconstruits. Le souk grouille de vie. La rue principale est ornée d’affiches accueillant le pape. Les sœurs dominicaines aident les ouvriers à arranger les routes, balayant avec énergie les derniers gravats, n’hésitant pas à monter sur les toits pour accrocher d’immenses banderoles.

Dans le reste de l’Irak, l’enthousiasme est là, mais plus mitigé. Par crainte des attentats et du virus, les fidèles hésitent encore, une semaine avant, à assister à la messe à Erbil. D’autres, comme ce prêtre de Qaraqosh, regrettent que le pape ne reste qu’une demi-heure. « Cela fait 20 ans que l’on attend la visite du Saint Père ; on aurait tellement aimé qu’il célèbre la messe ici, au cœur du christianisme irakien. » D’autres chrétiens sont même indifférents, sans doute un peu vexés qu’il ne vienne pas dans leur ville. Ou encore déçus par ce moment choisi où la pandé

© Marine de Tilly

mie empêche ou limite les rassemblements. Quelques critiques un peu amères des chrétiens mais aussi des musulmans fusent ici et là : « Le gouvernement refait trois routes pour lui, pour lui montrer un beau pays quand le reste est en ruines et qu’on se tue tous les jours sur ces routes défoncées. » regrette un jeune assyrien.

Mgr Petros Moshe, archevêque de Mossoul et de Qaraqosh, nous apprend que l’idée initiale du Vatican était que le pape se rende à Ur, Bagdad et Mossoul : « Mais nous avons insisté pour faire changer ce programme ; le pape devait voir une Église vivante et pas une Église de ruines. » Il a été écouté. À Mossoul, nous rencontrons Omar, un ingénieur musulman en charge de la restauration de l’église de Notre Dame de l’Heure, qui, lui, nous partage son enthousiasme : « Cette visite sera un bien pour tous ! Comment ne pas se réjouir ! » Le père Tabhet de Karamless abonde en ce sens : « Mon ami musulman espère que la venue du pape sera une bonne chose pour tous. Les chrétiens mettent eux dans cette visite énormément d’espoir. Nous voulons tous créer un nouvel Irak basé sur la citoyenneté et non le sectarisme ». Et d’ajouter : « J’espère que lors de la rencontre avec l’ayatollah Al Sistani, le pape lui dira que la présence des chrétiens est essentielle. Le dialogue interreligieux est difficile, la visite du pape peut être un pont. Nous ne voulons pas que ce pays devienne des ilots isolés les uns des autres, l’Église est contre cela. Il faut garder l’Irak, uni, un ».


L’homme en blanc, enfin !

À une semaine de la venue du Saint Père, on s’étonne et on comprend aussi cet accueil en demi-teinte, entre espoir et réticence, on comprend surtout que personne ne croit réellement en sa venue. Et puis, le vendredi 5 mars, sur toutes les chaines irakiennes, l’homme en blanc atterrit à Bagdad. Ces trois jours menés tambours battants entre Bagdad, Ur, Nadjaf, Mossoul, Qaraqosh et Erbil, le sourire lumineux du pape François se déplaçant avec peine, ont eu raison de tous les doutes.

© Jean Matthieu Gautier

« C’était fou, tout le monde l’acclamait sur le chemin à Erbil, on était tous là, ensemble, je n’avais jamais vu ça ! » s’émerveille Samir, kurde sunnite. « Nous ne sommes pas allés à la messe, il n’y avait plus de place, mais nous nous sommes postés sur le bord de la route, musulmans, yézedis, chrétiens, c’était incroyable, ! » raconte cette famille chrétienne originaire d’Erbil. « Mais quelle joie, quelle joie, tous ces jeunes musulmans qui avaient préparé cette rencontre à Mossoul, raconte Elishoua, petite sœur de Jésus, qui pendant trois ans a vécu dans les camps avec les chrétiens déplacés. C’était magique. Nous sommes heureuses de pouvoir revenir à Mossoul, très bientôt, là où est notre mission. » Une semaine après la venue du pape, l’enthousiasme est toujours là. Sa présence, son humilité, son sourire encore ont marqué les cœurs et les âmes. Ses mots, dans cette ville martyre qu’est Mossoul, résonnent encore sur les ruines : « Avant de prier pour toutes les victimes de la guerre dans cette ville de Mossoul, en Irak et dans tout le Moyen-Orient, je voudrais partager avec vous ces pensées : Si Dieu est le Dieu de la vie – et il l’est – il ne nous est pas permis de tuer nos frères en son nom. Si Dieu est le Dieu de la paix – et il l’est – il ne nous est pas permis de faire la guerre en son nom. Si Dieu est le Dieu de l’amour – et il l’est – il ne nous est pas permis de haïr nos frères ».

 

Églantine Gabaix-Hialé

Chargée de mission Œuvre d’Orient


Cet article fait partie du dossier spécial « Pape François en Irak, joie et espérance  » publié dans le bulletin 803.

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