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Le rêve brisé d’Alexandrie par Mgr Chafik

Les martyrs d’Alexandrie

Pour les chrétiens d’Egypte, les fêtes ont un goût de cendre. L’année 2010 s’ouvrit sur le Noël sanglant de Nag-Hammadi, elle se referme sur l’attentat perpétré, la nuit de la Saint-Sylvestre, contre l’église des Deux-Saints d’Alexandrie. Comme dans un cauchemar, l’horreur se répète et la colère gronde chez les coptes qui ont du martyre une trop longue expérience. Après le drame, ils sont descendus dans la rue et se sont opposés aux forces de l’ordre peu enclines, lorsqu’ils sont menacés, à leur porter secours. Lors des obsèques, les fidèles ont imposé le silence à l’évêque Youanes chargé de leur transmettre les condoléances du président. L’Etat, comme toujours, tente de minimiser les faits et se refuse à reconnaître tout caractère confessionnel à l’attaque meurtrière. Les coptes n’en peuvent plus des mensonges et des non-dits qui étouffent leur pays. Ils veulent en finir avec l’image d’Epinal d’une Egypte pacifique, conviviale, où chrétiens et musulmans vivraient en bonne intelligence. Le mythe de l’unité nationale est mort avec Sadate qui, pour se démarquer de son prédécesseur, a joué les apprentis-sorciers en initiant une politique d’islamisation de la société. Il en fut, ironie du sort, la victime la plus célèbre. S’il garde le contrôle du politique et de l’économique, le pouvoir actuel est absent du champ social, religieux et culturel. Les frères musulmans et les tenants du wahabbisme ont eu tout loisir d’infiltrer la société et d’en modifier en profondeur les références et les comportements. Sous leur influence, l’Egypte décréta l’interruption des programmes télévisés, cinq fois par jour à l’heure de la prière. Durant celle-ci, la vie se figea, on ne communiqua plus que par gestes. Dans les transports, on vit apparaître des voitures réservées aux voyageuses. Les femmes se coiffèrent du voile islamique tandis que les hommes laissèrent pousser leur barbe : autant de symboles qui contribuèrent à exacerber les antagonismes. C’en était fini du rêve alexandrin de la coexistence heureuse des religions et des cultures. Celle que Lawrence Durrell surnommait « la capitale de la mémoire » s’enfonça, inexorablement, dans la peur, l’obscurantisme et le refus de l’autre. De toutes les frustrations, les chrétiens furent, plus que jamais, les boucs-émissaires.

Le choix de l’espérance:

Lorsque j’écrivais ces quelques lignes pour les martyrs d’Alexandrie, je ne pensais pas que l’actualité s’emballerait ainsi. Depuis le 25 janvier, du Caire à Alexandrie la colère soulève l’ Egypte. « Le peuple avance comme l’éclair, le peuple est montagnes, le peuple est mers, un volcan qui gronde, une tempête qui creuse la terre » chantait Oum Kolsoun à l’époque du panarabisme triomphant. Aujourd’hui les égyptiens croient de nouveau en des jours meilleurs. Pour les coptes cependant, la situation est d’une extrême délicatesse. Certains bravent le couvre-feu et réclament la démission du Raîs qui, depuis un quart de siècle, asservit le pays. Tous aspirent à plus de liberté, plus de justice, plus d’équité dans la redistribution des richesses mais nul ne peut préjuger du sort qui sera réservé aux chrétiens lorsque s’effondrera le pouvoir. Comment ignorer la menace que les Frères musulmans font peser sur l’avenir? Depuis le début de la révolte, ils se rendent indispensables, à tel point qu’El Baradaî a été mandaté par eux pour organiser la transition. Omniprésents sur le terrain, ils soignent les blessés, distribuent des repas, organisent des patrouilles citoyennes, se substituant ainsi à la police défaillante. Dans les cortèges, peu de slogans religieux. Les Frères préfèrent montrer le visage rassurant de certains de leurs dirigeants, des avocats en costumes occidentaux. L’habit, on le sait, ne fait pas le moine et leurs objectifs demeurent inchangés: intensifier l’islamisation de la société, appliquer à la lettre la charia, rallumer si nécessaire le jihad. Comment ne pas évoquer en outre l’exemple irakien? Les chrétiens étaient sans aucun doute mieux traités au temps du Baas qu’ils ne le sont actuellement, preuve, s’il en fallait, que la démocratie ne s’improvise pas. Par ailleurs l’Iran a montré que, dans la région, une dictature peut en cacher une autre. Comparaison cependant n’est pas raison et le pire ne s’avère jamais certain. Si, par malheur, les Frères musulmans devaient prendre le pouvoir en Egypte, les choses auraient le mérite d’être claires. Génial illusionniste, le Raïs a su brouiller les cartes. L’occidentalisation forcée jusqu’à la caricature de Charm-el- Cheigh ne saurait masquer que l’Egypte de Moubarak a, selon la constitution, l’islam pour religion d’état. Quoiqu’il en soit, il y a peut-être d’autres hypothèses, dont l’instauration de l’ Etat laïque que chrétiens et musulmans éclairés appellent de leurs voeux. S’il voyait le jour, en vertu du principe selon lequel « la patrie est à tous et la religion à Dieu », les coptes accèderaient à la pleine citoyenneté qui leur est toujours refusée. Portés par l’espérance qu’ils cultivent avec obstination, les coptes font un pari: ils veulent croire que le printemps égyptien fera renaître le rêve alexandrin assassiné la nuit du Nouvel An.

Mgr Michel Chafik Recteur de la Mission copte catholique de Paris