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[LIBAN] Le témoignage d'Alice : " Que vos gouttes de sueur se transforment en perles de joie ! "

Notre volontaire Alice est partie en mission 9 mois au Liban au Home Notre Dame des Douleurs à Ghodrass auprès des personnes âgées.


Aich el hayet !  Vive la vie !

Ouvrir mon ordinateur 1 mois après mon retour, et tomber sur une page word avec pleins de dessins : c’était le modèle pour fabriquer un jeu de mémoire pour les résidents !
Mais non – fichier et nouveau document – je suis assise sur un fauteuil dans un coin de Bourgogne, pour vous écrire ma lettre de retour de mission.

Pas si simple, une de mes tantes (française cette fois) me disait la semaine dernière « ne nous décris pas toutes les activités que vous faisiez, mais écris-nous ce que tu as ressenti, c’est ce qui nous intéresse ». Mh pas tort, c’est vrai qu’un karaoké entre Annette qui hurle les paroles et Sonia qui chante une autre chanson en même temps ça se vit, ça ne se raconte pas !

Alors, voici une dernière tentative d’organisation pour cette dernière lettre « ressenti » : des au revoir (I), des à Dieu (II), et la fin d’une mission dans tout ça (III ?)… Yallah !

 

1ère étape : prendre le temps de dire au revoir ! Quelques histoires, semaine – 1 avant le départ

  • – Au revoir au pays : prendre une dernière fois le van qui traverse le Liban, et dans lequel il y a de la musique arabe à fond. Regarder les champs de bananiers du sud, et constater à nouveau le contraste de richesses, entre les enfants au bord des routes et les gros 4×4 dont le moteur vrombit sur l’autostrade. Regarder la 12ème élection présidentielle avec Sœur Souhame en mangeant des cacahuètes; me cramponner assise derrière Marc sur la moto tout en admirant la vue sur les montagnes. Tout cela d’abord en espérant que le jour où je reviendrai la situation sera meilleure, et ensuite en me disant « quand te reverrai-je, pays merveilleux ? »
  • – Aux amis : Une famille amie du village nous a invitées juste avant mon départ pour partager un dernier (énorme) repas ensemble. Pour moi c’était aussi un au revoir à l’hospitalité orientale qui m’aura marquée pendant toute ma mission (on fait pâle figure les Français ;-). ) : entre table qui déborde de plats, les paroles plus gentilles les unes que les autres, des petits cadeaux qui témoignent de l’amitié, et enfin… le selfie final incontournable ! Les Libanais, attentionnés et attachants.
  • – Au personnel : Bassila (une aide-soignante) une semaine avant, me demande la date de mon départ et me menace (je me suis fait au ton arabe mais quand même) pour que je n’oublie pas de passer une soirée avec elles toutes avant de partir. Et voilà donc un super bon moment avec les aides-soignantes après leur travail le soir, entre poèmes libanais et danses. Également l’occasion de tester ma chicha fraichement achetée à Bourj Hamoud (elles ont bien ri). On n’est pas nées dans le même pays, avec la même religion, ni la même culture, ni la même richesse, ni avec les mêmes horizons de vie. Mais on a collaboré pendant un an et l’émotion était là quand on s’est serrées dans les bras en se disant « au revoir ! Inch’Allah »
  • – A la communauté, à Marc, et aux covolontaires : Dernière fois que je me glissais à la communauté à la fin du service pour dire les vêpres. Là encore un contraste, entre l’intensité du service et le calme de l’oratoire qui ne sera réveillé qu’à 19h03 (horloge étant mal réglée mes sœurs) par un « nous t’adorons, très Saint Seigneur Jésus Christ » d’introduction. La veille de mon départ, c’était donc rendez-vous chez les sœurs pour diner ensemble. Après une journée à faire semblant de ne pas voir Claire, Marie et Sœur Marie-Dominique chargées de bouteilles de Seven Up de fête, la surprise était tellement réussie ! Et Marc qui a débarqué avec une bouteille de vin dans chaque main et une anecdote dans sa poche comme toujours, trop fort ! Puis des cadeaux et des petites vidéos des résidents, c’était génial, un dernier repas à la maison.
  • – PS : le dernier à qui j’ai dit au revoir en fait c’est Tony : chauffeur de la communauté à la conduite… sportive, ne parlant qu’arabe, et très réservé. Bon on a commencé à échanger des mots à la mi mission. On n’a jamais beaucoup parlé et pourtant un vrai lien s’est créé : il lançait un « Alice ! » et après c’était langage des signes : pour me montrer des photos de ses petites filles, ou m’expliquer son potager, me montrer le ciel en me disant qu’il allait pleuvoir. Bref, trop sympa, petite émotion de laisser ce Tony derrière moi à l’aéroport, mais… c’est la vie !

 

Vous me direz qu’il manque les résidents ! Mazbout (c’est vrai).
Mais il y a une particularité dans une maison de retraite : ne faut-il pas dire à Dieu ?

 

Vous êtes peut-être en train de penser, allez, super l’ambiance mortifère.
Mais non, la mort au foyer, même si on en parle peu, c’est un sujet non sensible ! Alors je vous en parle comme ça. Il se trouve que mes 15 derniers jours ont été marqués par de nombreux décès. La mission d’accompagnement à la fin de vie a donc été bien concrète début juillet. L’occasion de quelques échanges marquants et leçons d’humanité.

– D’abord avec Sœur Marie-Dominique, je crois que c’était après le 4ème décès en une semaine. On a veillé une dernière fois et puis on s’est retrouvées assises à discuter avec cette religieuse discrète sur ce qu’elle ressentait. Un moment, pour l’écouter partager avec nous sa compréhension de la mort qui est pour elle un passage. Finalement la vie, puis la mort du corps, puis la vie ; les vivants et les âmes ; le visible et l’invisible; ce n’est qu’une chose : l’éternité. « Finalement la terre, et le ciel, c’est la même chose, voilà ! » (le « voilà » est caractéristique de Sœur Marie-Dominique haha). L’écouter dire que l’émotion est normale pour nous tous, mais croire que cela nous dépasse.
Bon là ça fait philosophique, mais c’était si simple la façon dont elle le disait. Elle nous parlait de ce en quoi elle croyait.

 

– Ensuite avec Sœur Marie-Clara, deux semaines avant mon départ le résident doyen du foyer a été en fin de vie, Monsieur Moussa. Alors elle m’a proposée que je l’aide pour la toilette; qui serait en fait la dernière. Commencer par le visage, puis laver jusqu’à la pointe des pieds, avec un bon savon et de l’eau chaude, enfin lui enfiler une blouse d’hôpital toute propre et lui mettre quelques gouttes d’eau de Cologne. Je ne suis pas du genre à laisser facilement transparaitre mes émotions mais ça m’a tellement émue. Je me suis arrêtée un moment pendant la toilette en regardant la Sœur faire et je me suis dit à ce moment-là : c’est ça la dignité humaine. Le lendemain on est restées avec lui jusqu’au dernier moment, tout a été paisible, il est parti entouré (et propre !).

Ça se sont des à Dieu c’est sûr, mais il restait à le dire à tous les autres résidents avant mon départ… comment ? En fait personne ne sait le faire, mais tout est drôle avec un peu d’émotion, quelle légèreté́.
Certains me disent « bonnes vacances » et d’autres « trouve toi un mari », Monsieur Paul « je pensais que tu deviendrais religieuse », et enfin Tante Sonia, un peu perdue d’habitude, qui réagit à l’annonce de mon départ : « je suis étonnée que tu partes… – ah oui, et pourquoi ? – parce que je t’aime moi ! ».

 

Finalement ça a été la fête jusqu’au dernier moment avec l’aide de Claire et Marie : je suis passée dans les chambres pour danser et prendre des photos, on a mangé des gâteaux, on a regardé tous ensemble Sister Act en mangeant des pop-corn, et enfin le dernier jour on s’est égosillés une dernière fois sur les sons arabes et d’Aznavour : voilà comment on s’est dit A Dieu ! aux petits vieux et au tablier bleu 😉

 

Que vos gouttes de sueur se transforment en perles de joie ! Et à la mission : A Dieu ou au revoir?

 

Quelques mots enfin sur la mission dans son ensemble. Avant que je parte du foyer quelqu’un m’a dit « tu sais ici nous sommes éprouvés dans ce que nous sommes ».
C’est vrai, en mission tout ressort, nos qualités sont mises à l’épreuve et nos défauts nous sont révélés, nos certitudes et nos opinions aussi, ça ouvre l’esprit, tout en consolidant les fondations.

Au quotidien j’ai couru et je me suis assise, j’ai été un peu tendue et en même temps j’ai bien ri : sortir de sa zone de confort pour se rendre plus disponible à la rencontre et au service et finalement repartir… grandie ?

Quittons nous avec quelques mots d’arabe qui ont surpris plus d’un vendeur dans les souks haha :

Allah Yahmikon, kol anto, anjad shukran ktir ! Ento barif, fi liem maa chems w liem maa choie chete bass ana mabsouta ktir koulo haida sene !

 

Que Dieu vous protège, vous tous, vraiment merci beaucoup ! Vous savez, il y a eu des jours avec du soleil et d’autres avec un peu de pluie, mais je suis très heureuse de toute cette année !

A vous qui avez suivi et soutenu mes aventures de loin, mais aussi à ceux qui m’ont accompagnés au quotidien et qui se reconnaitront dans cette lettre : un immense merci et … au revoir !

 

Alice