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[LIBAN] Le témoignage de Cécile : " Je me rends compte de l’importance de partir pour une mission longue "

Le témoignage de Cécile, 23 ans, en mission dans le foyer des pères Antonins à Mrouj au Liban


Je vous écris quelques nouvelles de ma mission, je m’étais promis d’écrire régulièrement des nouvelles pour partager mon expérience, mais je peine à mettre des mots sur ce que je vis, car de l’extérieur, ce n’est rien de très spectaculaire, et pourtant… je vis des moments des plus heureux de ma vie !

Tout d’abord, je me rends compte de l’importance de partir pour une mission longue, et si j’ai tout de suite été bien accueillie, il m’a fallu des semaines pour apprivoiser complètement cette nouvelle vie, me sentir totalement à l’aise.

Mais surtout c’est par rapport aux enfants que je vois le bénéfice de rester plusieurs mois : j’apprends toujours à les découvrir un peu plus, il y a ceux qui ont tout de suite été très démonstratifs avec moi, et il y en a d’autres plus secrets, qu’il faut bien connaitre pour comprendre s’ils sont malades ou tristes… Je sais qu’en dehors du foyer, ils ont une vie que je ne connais pas, souvent compliquée affectivement et difficile à comprendre pour des enfants. Ils gardent leur jardin secret, et je me dis que c’est bien comme ça. Je ne veux pas ressentir de pitié pour eux et préfère les voir comme des petits cousins dont on m’aurait confié la charge de les faire grandir.

Je me sens proche d’eux, et je pense que ma mission est belle car je suis amenée à m’occuper d’eux dans l’intimité de leur quotidien :du lever au coucher, et je partage avec eux les évènements de la vie: Charbel a « pris » une bonne note en maths, Les élèves de Aintoura ont encore été punis à l’école, il faut donner du Panadol à Antonios qui est malade, Jason a de nouvelles chaussures, Antonios a perdu son flanelle et son boxer, Joud n’arrive pas à s’endormir, Mathieu n’arrive pas à se lever le matin…

Comme dit Abouna Roland « on les fait grandir, et on grandit avec eux » C’est vrai qu’ils m’apportent énormément de joie, et je suis moi-même contente de leur montrer quand j’ai fait un nouvel achat à Tripoli par exemple « Mabrouk Miss Cécile ! » Ils sont affectueux et très expansifs (compliments, calins). Ca booste toujours le moral !

Le soir, lorsque la pénombre envahit le dortoir et que nous terminons la prière, on chante « Heureux bien Heureux » chanson calme qui signifie pour eux « il ne faut plus parler» mais aussi « dormez bien paisiblement, Dieu vous garde ».

Je prends alors le temps de revoir ma journée rétrospectivement : quels étaient mes bonheurs de la journée ? Je repense en souriant à une anecdote ou tel enfant m’a fait rire, et je réfléchis aussi aux moments où j’ai été moins patiente… Parfois je repense à la vie qui continue en France, à toute vitesse, et ça me parait bien lointain.

Je pourrais faire l’éloge de la lenteur et du repos dont j’ai découverts les vertus durant ma mission… Lorsque je prends le bus, il est très commun que le conducteur s’achète un café ou passe prendre de l’essence ! Pas un passager à bord ne semble agacé ou pressé, et lorsqu’il demande si quelqu’un a besoin de quelque chose au supermarché, c’est normal.

Ici, on a le temps. J’aime ces matinées libres ou je sors me promener, je sens l’air pur, emprunt parfois d’une odeur de pluie ou de fumée de bois ! Quel bonheur de côtoyer pendant 6 mois une vie de petit village: entrer dans le bus et serrer la main au conducteur, passer devant les commerçants et leur faire un signe, être reconnue dans la rue !

Ici on vit pour sa famille, on aide ses voisins et on connaît tout le monde! Quand on rencontre quelqu’un on lui demande « tu viens de quelle famille/ de quelle montagne ? »

Je découvre une culture joyeuse, dont la générosité est démesurée et l’ordre approximatif….  Tout le monde est spontané et affectueux. « Les libanais sont comme ca » me disait une maitresse en rigolant ! En un mot, ce sont des bons vivants !

Ils sont fiers de qui ils sont, et aiment leur pays! Lors de la fête de l’indépendance le 22 novembre: les enfants préparent des chants et petites scènes, ils connaissent tous l’hymne et sont déguisés en soldats… C’est beau à voir, quand on sait les difficultés que traverse le Liban

 

J’ai assisté à la journée des pauvres le 19 Novembre et j’ai été touchée par le discours du patriarche dont je vous glisse quelques lignes « Ce cri c’est celui des oubliés, des laissés pour compte, des invisibles, ceux que l’on ne veut pas voir et qui pourtant, au Liban, sont de plus en plus nombreux. » « C’est le cri des nouveaux pauvres, des déclassés contraints de multiplier les petits boulots pour survivre. C’est le cri des retraités des sans-salaires, des enfants privés d’école et d’instruction.»

L’Oeuvre d’Orient a appelé tous ces organismes (engagés socialement) à se lever pour dénoncer cette situation préoccupante d’un pays livré à lui-même, dont les conditions se détériorent de mois en mois. J’admire beaucoup les communautés religieuses qui se substituent aux services publiques et se démènent pour maintenir leur aide malgré le manque de moyens.

Je connais maintenant à peu près l’heure de départ, je sais que le temps file de manière affolante, et je m’en attriste. J’ai trouvé ici ce que je recherchais, un environnement différent, du temps pour apprendre à me reposer, à être plus simple et spontanée, à mesurer ma chance en France. Comme on dit aux enfants « il faut toujours être reconnaissant » et je le suis vraiment !

J’ai créé de vrais liens au foyer, j’apprécie le fait d’être la seule volontaire immergée dans une communauté. En côtoyant tous les jours 2 prêtres, j’ai pu remettre en cause l’imaginaire que je m’étais construit autour des religieux. Ils ne sont pas déconnectés de la réalité ou dogmatiques idéalistes, mais bien au contraire complètement ancrés dans le monde, et empathiques. J’admire leur dévouement pour les familles gravitant autour du foyer.

Ma mission ne serait pas non plus la même sans les moniteurs du foyer, avec qui je prends des longs cafés le matin, ou des diners supplémentaires quand les enfants dorment ! Leur amitié m’est précieuse, ensemble, on se raconte les perles de la journée, on rit ou on s’assoit juste devant la télé…

Je sais que ça va être très dur de partir parce que lorsqu’on se sent aussi bien dans un endroit, on a tendance à oublier qu’on est que de passage… Pour l’instant j’essaye de vivre à fond le moment présent (j’aurais pu être rapatriée en octobre comme d’autres français !) et plus tard, le moment venu, je m’attèlerai à retrouver ma vie en France avec sérénité.

Je vous souhaite un Joyeux Noel,

Cécile