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[LIBAN] Témoignage de Paul « Veiller sur eux c’est comprendre un peu mieux le monde qu’ils nous laissent en héritage »

Paul est en mission au foyer Notre Dame des Douleurs à Ghodras au Liban, où pendant quelques mois il est au service des personnes âgées. 


Au cœur du foyer Notre Dame des Douleurs.

Niché dans la montagne libanaise, loin de l’agitation de la côte et du bruit de la ville le  » foyer de vieillards  » de Ghodras est un lieu de tranquillité. De l’extérieur, la sérénité transparait, l’imposant bâtiment surplombe une mer lisse à l’horizon, le vent souffle avec douceur sur les chênes et pins avoisinant, seul le sifflement des oiseaux rythme le silence. Le calme est apparent, une fois la porte ouverte c’est bien dans un lieu plein de vie dans lequel on pénètre. Soixante-dix fils et filles dont s’occupent trois Sœurs habitent la maison. Une famille nombreuse qui est en mouvements perpétuels. Dans les longs couloirs, on marche, on roule, on déambule. Dans les salles communes – dont la principale nommée Agora – on discute, on bavarde, on crie. L’animation est assurée par un ballet d’aide soignants et d’infirmières.

Le profil des résidents est varié, certains sont ici pour se rétablir suite à une opération, une maladie, d’autres par nécessité, leur famille ne pouvant s’occuper d’eux. Le niveau d’autonomie diffère donc d’une personne à l’autre : la motricité est un handicap qui affecte particulièrement les résidents, beaucoup se déplacent en des fauteuils roulant ; la tête devient également plus fragile avec l’âge. Au troisième étage, se trouve donc un secteur clos réservé aux patients dits « Alzheimer » pour leur permettre de se mouvoir en toute liberté sans mettre leur vie en danger.

Vivre en foyer, c’est vivre en communauté.

Vivre en foyer cela signifie partager le quotidien de l’autre, se soumettre aux règles de la maison. Ce n’est par forcément facile à un âge avancé où l’on pourrait exiger un soin particulier. Mais que faire quand les enfants sont loin, faisant partie de cette génération libanaise qui a émigré au Canada, en France, en Italie. Comme dans toute structure d’accueil de personnes âgées, il n’y a pas assez de personnel pour les tâches les moins qualifiées mais essentielles : ménage, douche, vaisselle… Rien ne remplace le traitement individuel à la maison. Certains résidents ne peuvent le concevoir et exigent sans arrêt qu’on leur rende service : « apportez-moi une bouteille d’eau ! Mon téléphone ! Je suis mal installé ! »

Le volontaire a cette marge de liberté par rapport aux aides-soignants qui lui permet de prendre vraiment le temps avec chaque résident. Il ne voit pas dans ces demandes des plaintes mais un service particulier qu’il s’attache de rendre pour le confort du résident c’est aussi une occasion de dialoguer. Pour les aides-soignantes au contraire cela leur pèse, ne pouvant se démultiplier et donc répondre au besoin de chacun. Malgré des attitudes parfois brusques, elles témoignent d’une vraie bienveillance à l’égard de chacun et d’un sincère dévouement à la tâche.

 

Quant au quotidien, la chorégraphie débute chaque matin par le lever et le petit déjeuner des résidents. Tout le monde n’est pas au diapason, il faut dire deux aides-soignantes s’occupent de au minimum huit personnes, la plupart nécessitent une vraie aide pour s’habiller, au moins pour se doucher ou pour déguster son petit-déjeuner. La présence du volontaire est tout à fait bienvenue pour cette tâche. Si la plupart peuvent manger tout seul, un groupe est lui complétement dépendant. Assis dans leur fauteuil, affaiblis par le handicap ils ont besoin qu’on les serve à la petite cuillère. Il est déjà l’heure de la messe, c’est alors un train de fauteuils qui se dirige vers l’Eglise. Les résidents sont très assidus à l’office, il compte beaucoup pour eux et ils participent de vive voix, même si la note n’est pas toujours bonne. C’est une vraie chance que d’avoir la messe tous les jours, elle joue pleinement ce rôle de source dans laquelle on puise quand on a soif.

Sur un plan matériel la maison est tout à fait confortable. Toute une partie est même très moderne, les chambres y sont très bien équipées avec salle de bain individuelle, lit mécanisé, et télévision. La montagne nous sépare géographiquement du tumulte de l’actualité libanaise. Si certains se tiennent au courant par l’Orient Le Jour et la télévision, ils restent pour la plupart isolés de la crise du pays. Celle dont ils ont pu faire l’expérience est celle de la COVID qui a transformé le foyer en lieu hermétiquement clos pendant une longue période. Mais le printemps a apporté ses lots de vaccin, et la maison a pu progressivement s’ouvrir sur l’extérieur. Les visites de familles et proches ont repris pour le plus grand bonheur des résidents. Ils reviennent du sas le sourire en bouche et les mains pleines de présents : chocolat, biscuits, vêtements…

Le temps du récit.

Les expressions de gratitude sont nombreuses, je suis constamment remercié pour le service que je rends. Les marques d’affection sont attendrissantes : ils aiment à serrer la main, à envoyer des baisers de loin, un mot gentil. Je suis particulièrement touché par le « Bonjour Habibi » de Sœur Barbara 97 ans, qui est ma motivation de chaque matin. Il en est un autre fruit que je trouve particulièrement savoureux. Celui des histoires racontées. Je pense que l’on peut comparer le foyer de vieillards à un recueil de contes. Chaque personne est un chapitre d’une aventure humaine. Je peux rester des heures à écouter l’un des résidents me raconter son métier, ses déplacements au Liban et dans le monde. Ces personnes sont des trésors d’expérience : que de parcours de vie différents, que d’aventures traversées. Nés pour la plupart il y a 80 ou 70 ans, ils ont connus un monde si différent de celui d’aujourd’hui. Ils ont grandi dans un Liban qui venait d’acquérir son indépendance, dans un contexte de guerre froide, de conflit israélo-Palestinien. Tous ont subi la guerre civile libanaise. Je reste sans voix face à ce récit d’une résidente née à Jaffa, et donc palestinienne qui a dû quitter à l’âge de cinq ans son pays pour le Liban, suite à la création de l’Etat d’Israël en 1948. Ou bien de cette autre qui témoigne de comment une petite fille grandit dans l’Egypte de Nasser. L’histoire contemporaine de la région est riche d’une histoire conflictuelle. Ils sont tous les témoignages des changements du Moyen-Orient.

Servir au foyer de vieillards est une école de l’humilité, les anciens sont toujours source d’enseignement pour qui sait les écouter. Veiller sur eux c’est comprendre un peu mieux le monde qu’ils nous laissent en héritage.

 

Paul Péry