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LIBAN : une forte instabilité politique, sociale et sécuritaire

Entretien avec le père Salim Daccache SJ

Le Père Salim Daccache est Recteur académique du collège Notre-Dame de Jamhour et du collège St-Grégoire. Il est membre élu de la 35ème congrégation générale de Compagnie de Jésus.

Actuellement la situation au Liban est marquée par une très forte instabilité politique, sociale et sécuritaire. Je ne vais pas vous parler des autres pays environnants, car le Liban est une synthèse des problèmes politiques que connaissent les autres pays de la région. Cette instabilité provient d’une crise politique faisant suite au départ des cinq ministres de la communauté musulmane chiite du gouvernement libanais en octobre 2006.

Ce départ a été suivi par une campagne de l’opposition constituée des musulmans chiites et d’une partie des chrétiens considérant le gouvernement comme illégal et non constitutionnel. Durant les mois de décembre 2006 et de janvier 2007, des jours de grève se sont transformés en bataille sanglante, avec le risque d’une guerre civile entre les musulmans sunnites et musulmans chiites. Une occupation et sit-in du centre ville de Beyrouth dure depuis janvier 2007, ce qui a mené à une paralysie économique d’une large partie de la capitale.

On ne peut terminer cette description de la situation sans signaler deux faits importants et tragiques :

  • Depuis l’assassinat du président du Conseil Rafic Hariri et ses compagnons en février 2005, quatorze attentats ont eu lieu contre des personnalités politiques et des journalistes qui ont coûté la vie à une trentaine de personnes et ont soumis le pays à une ambiance continue et lourde de peur et d’angoisse. La grande majorité de ceux qui ont été tués font partie du mouvement indépendantiste 14 mars, en référence à la grande manifestation qui a exigé le départ des troupes syriennes du Liban. Le pays se vide de ses forces vives et de ses ressources humaines les plus compétentes, qui quittent vers les pays occidentaux et surtout les pays du golfe arabique en plein essor comme Dubaï.
  • Le Liban, tout le Liban, a dû subir les atrocités du terrorisme d’un groupe fondamentaliste « Fatah al Islam » dans un des grands camps palestiniens du Liban, Nahr el-Bared qui logeait quelques 30 000 réfugiés palestiniens. Il a fallu trois mois (de juin à septembre 2007) à l’armée libanaise pour en finir avec ce mal qui cherchait à se propager dans les régions surtout musulmanes sunnites. Cette armée a payé cher son engagement puisque plus de 170 soldats ont été tués.

En fait, cette crise politique laisse ses traces sur la situation sociale et économique : d’une année à l’autre la population s’appauvrit et l’émigration s’accentue. Si les musulmans et chrétiens émigrent à égalité, ce sont les chrétiens qui deviennent de plus en plus minoritaires (aujourd’hui 35 %, en 1990 51 %) et perdent leur rôle politique. L’élection (qui aurait du avoir lieu avant le 22 novembre 2007) d’un nouveau président de la République traditionnellement issu de la communauté maronite est un défi pour les chrétiens. La crise politique peut mener à la disparition de ce poste « chrétien » et accentuer leur affaiblissement.

Depuis dix ans les grands évènements ou dates importantes se déclinent comme suit : le départ des troupes israéliennes du Sud Liban en 2002, l’appel des prélats maronites en 2000 pour le départ des troupes syriennes du Liban, troupes qui contrôlaient toute la vie politique, la tenue du synode de l’Église maronite (2003-2005), l’assassinat du Président Hariri en 2005, la guerre de juillet 2006 entre le Hezbollah et Israël.

On peut dire aujourd’hui que la situation libanaise est traversée par trois tendances :
1.    La transformation des chrétiens en minorité de plus en plus rétrécie. Cette situation devra faire réfléchir les chrétiens non plus en mentalité de celui qui est dominateur mais les faire réfléchir sur leur rôle et leur mission dans le monde arabe. Sa Sainteté Jean-Paul II avait parlé « du Liban non seulement comme pays, mais comme message de liberté et d’humanité ».
2.    L’une des richesses capitales du Liban est l’éducation ou bien ses institutions scolaires, académiques et universitaires. C’est par l’éducation que l’on peut accompagner la jeunesse, l’aider à se former et à discerner pour trouver son chemin de vérité.
3.    Le Liban a été fondé sur une convivialité islamo-chrétienne, sinon sur une volonté commune de vivre ensemble. Plus que jamais et en face des dangers des fondamentalismes, de l’intolérance et de l’exclusion de l’autre, les Églises chrétiennes du pays doivent avoir le souci évangélique d’ouverture, de dialogue et de reconnaissance de la richesse de l’autre, tout en exprimant sa foi et son jugement sur ce qui paraît à l’esprit de convivialité. La Compagnie demeure à la pointe du combat en faveur de cette convivialité.