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Noëls d’Égypte : deux nativités pour une communauté, de Baudouin

En mission de volontariat en Égypte, Baudouin nous raconte les deux Noëls, latins et coptes, qu’il a eu la chance de vivre.

 

…Vingt-quatre décembre, onze heure cinquante-huit : le silence précède la musique. Le chef d’orchestre est encore introuvable… A Alexandrie, la messe du Noël latin va commencer. L’église de Saint-Marc est presque pleine ; tous y sont élégants… Et tous y sont : orthodoxes, catholiques, protestants, y sont rassemblés. Encore une fois, la nuit de Noël peut éteindre les querelles de chapelles… Bientôt, des prêtres orthodoxes rejoindront les pères jésuites près de l’autel. La Chrétienté existe : je l’ai rencontrée. Et dans la chorale, à mes côtés, un de mes élèves, me glisse : « vous savez Monsieur, je suis à la fois orthodoxe et catholique… juste un peu plus orthodoxe que catholique ». Je ne réponds pas, mais je souris. Le chef d’orchestre est enfin arrivé, en trombe. Il a saisi sa longue et fine baguette claire… et, sur le regard du prêtre officiant, la messe commence ! S’ouvrant sur un chant qui, cette nuit-là, fut chanté de concert aux quatre coins du monde… un chant composé il y a près de quatre siècles pour célébrer un bébé, nouveau-né il y a deux millénaires : Adeste fideles.

 

Le lendemain, après la messe, j’étais invité par de bons amis alexandrins. S’il me fallait présenter un peu d’Alexandrie, ce pourrait être par eux : le père est copte orthodoxe, la mère est syro-libanaise maronite, les enfants ont été baptisés latins, et la grand-mère parle plus français qu’arabe… Mes hôtes (hôtes charmants) avaient devinés l’origine alsacienne de mon nom de famille… Ils ont donc eu l’extrême délicatesse de me préparer, pour ce repas de Noël… une choucroute ! Une « choucroute de Noël » : l’attention est merveilleuse. Ce genre d’attentions donne du sens à la fête. Et si la fête donne du sens à l’année, alors cette année est sans doute l’une des plus belle de ma vie. Car ce Noël était en effet loin de la facilité d’une Fnac, ou d’un quelconque grand magasin de jouets, bondé de gens anonymes et pressés : il était simplement autour d’une grande table, amicale et bien garnie. Cela suffit amplement… le nécessaire se suffit à lui-même.

 

Quelques jours ont maintenant passés. Nous sommes le 6 janvier, et nous faisons route vers le sud, la région d’El-Minya. La route militaire, ligne droite à travers le désert, traverse depuis plusieurs heures déjà des paysages lunaires… paysages où les dunes claires semblent des taches de soleils posées sur un océan de silex. Je m’amuse à suivre le serpentant marquage au sol, trimbalé dans une voiturette sans suspensions et remplie à ras-bord. Quelques monceaux d’ordures apparaissent devant nous, se consumant lentement, en fumées opaques, et au milieu de nulle part… Les habitations approchent. Et s’ouvrit sous nos yeux le miracle du Nil, rivière de verdure enserrée entre les deux déserts, entre deux chaînes de monts arides et rocailleux… La plaine du Nil, s’étend en effet, verdoyante, riche et grasse, en long champs de cannes-à sucre ou de topinambours entre lesquels paissent quelques ânes grisonnants… …L’Egypte, don du Nil.

 

…A la lisière des champs, dans la poussière dorée du désert, quelques hectares de petites pyramides de terre sèche s’enserrent les uns sur les autres… Ces cimetières chrétiens traditionnels y dressent leurs pointes depuis la nuit des temps. Voiçi Baladeya ! L’on sait que l’on est arrivé, car aux portes de chaque maison, une croix copte ou latine y est toujours fièrement placardée. Et presque à chaque carrefour, est érigée une petite statue de la Vierge, ou de saint Georges, qui est particulièrement vénéré dans la région. Autour du seul minaret du village, des dizaines de clochers y fendent le ciel… Que ces clochers soient coptes orthodoxes, coptes protestants ou coptes catholiques n’a pas d’importance, et l’on retrouve quelquefois plusieurs confessions dans une même famille. Ici, la foi vécue est vécue ; et est bien loin des théologiens de bibliothèques qui éructent en latin ou en grec les causes poussiéreuses des Grands Schismes. Dans cet îlot de christianisme en Terre d’Islam, il n’y a que des chrétiens. Le nécessaire se suffit à lui-même. Le dîner de Noël fut somptueux, et je fus reçu comme le Christ, devant une table débordante de victuailles, essentiellement faites de viande… J’y ai découvert la molokheïya, une sorte de soupe d’épinard particulièrement goûtue. Ce repas constitue une rupture du jeûne, car les coptes jeûnent 43 jours avant la fête de la Nativité : quarante jours pour le Désert, et trois pour la Trinité. Gargantuesque. Je me suis fait reprocher de ne pas avoir fini les plats. Puis, après avoir joué à « Jacques-a-dit » avec les trois enfants du foyer, enfants à qui j’ai appris quelques mots de français (c’est toujours fascinant de voir à quel point les enfants apprennent vite), nous sommes allés à la messe, ou plus exactement à la première messe. Il est en effet huit heures du soir, et les messes de Noël ont commencé depuis une heure environ ; elles se termineront le lendemain, vers une heure du matin. La première où je suis allé fut une copte orthodoxe. Mon hôte me fit déchausser et rentrer dans le Saint-des-Saints pour parler avec le prêtre, une stature imposante qui avait financé sur ses deniers l’église et l’hôpital qui en dépendait. Celui-ci me proposa d’adresser quelques voeux aux fidèles… ce que j’acceptes bien volontiers. Il faut croire cependant que ni mon prénom, ni mon patronyme n’était pour lui prononçable… puisqu’il me présenta en arabe, comme « un frère français ». Or, « frère » ici veut dire « religieux », ou plus exactement « Frère des écoles chrétiennes » (lassalien), congrégation qui a ici créé une menuiserie pour les villageois.

 

Le temps passe, et dans les rues joyeusement animées, nous nous dirigeons vers une deuxième fête, copte orthodoxe elle aussi. Autour de nous, des enfants jouent avec les tisons de foyers qui partout ont été allumés dans les rues … le sol du désert ne retient pas
la chaleur du jour, et il fait très froid. Mais cette nuit, nuit glaciale, est une nuit chaleureuse, et je ne compte pas le nombre de mains que j’ai serrées. « -Kolo sana wenta taïb ! » « -…Wenta taïb ! » Nous arrivons enfin devant une belle crèche… « système D » oblige, le bonhomme de neige juste devant était fait de gobelets de plastiques.

 

Deuxième messe copte orthodoxe : le curé officiant, longue barbe de patriarche, me fait assoir sur son siège… Après avoir passé la micro à son vicaire, il m’offre, dans un geste, un immense « pain de l’amitié ». Ces magnifiques pains, normalement distribués à tous à la sortie des messes, sont des hosties non-consacrée, trouées de cinq points, symbolisant les cinq blessures du Christ en croix.

 

…Il est maintenant 11h du soir, et nous changeons encore d’église, nous rendons cette fois-ci à une célébration copte catholique pour y recevoir la communion. Nous sommes un peu en avance, car la communion ne commence qu’à minuit. Ça me laisse le temps d’apprendre quelques mots de français à un des enfants qui m’avait suivi. Je rencontre sur le chemin un des notables du village, étonnamment italophone : il me parle en italien, je lui réponds en anglais…On se débrouille. Mais voici enfin minuit ! Dans l’église, archibondée, la procession pour la communion s’érige, lentement. Ici, les femmes sont à l’étage, surplombant une assistance masculine qu’elles dévisagent en riant. Devant moi, le large curé barbu à la grande mitre blanche tire l’oreille d’un enfant qui jouait trop près de lui : les églises orientales sont d’abord des lieux de vie.

 

Ce fut une très belle fête, que j’ai faite en trois parties, dans trois églises différentes. Une messe de près de 6 heures. Et, ce que je vais retenir de cette nuit, ce ne sont évidemment pas les églises gardées par l’armée, ce ne sont pas les quelques milices urbaines qui patrouillent, kalashnikovs en main. Ce sont les rires du « Jacques-a-dit », ce sont les foyers dans les rues, c’est cette famille qui m’a accueilli à bras ouvert, cette belle nuit glaciale et ce grand et beau « pain de l’amitié ». Et les grands yeux de la petite Maryam, qui, après que j’ai adressé mes voeux, m’a dit une gentille phrase en souriant et en arabe, phrase dont je n’ai compris que le mot « microphone ». …Les églises orientales sont des lieux de vie, et de chant. Et, si l’ordre n’y règne pas, c’est parce qu’il y règne un très bel ordonnancement… Le nécessaire se suffit à lui-même.

 

 

 

Baudouin