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Haut-Karabagh : Épée de Damoclès sur l'Arménie

Quel avenir pour la présence millénaire des Arméniens chrétiens et leur république dans le Sud-Caucase ? Le Haut-Karabakh est tombé sous le coup d’une offensive surprise azérie. Pourra-t-il être récupéré ? Et l’Arménie même n’est-elle pas en danger ?

 

UN EXODE DANS LA PANIQUE

Le 18 septembre dernier, des convois humanitaires entraient après neuf mois de blocus par le corridor de Latchine dans la région sécessionniste du Haut-Karabakh. Les images faisaient le tour du monde. L’Azerbaïdjan semblait enfin desserrer son étau. Mais ce n’était qu’un leurre. Le lendemain, en réponse à une prétendue « menace terroriste » des séparatistes arméniens, les autorités azerbaïdjanaises lançaient leur opération massive de 24 heures, forçant les autorités de la République autoproclamée à la reddition inconditionnelle.

Quand cet article est rédigé mi-novembre, l’avenir –guerre, accord régional, statu quo—est incertain. Et l’actualité autour de Gaza a braqué les projecteurs ailleurs. L’enjeu du Caucase pour les diplomaties occidentales apparaît plus secondaire.

La petite République autoproclamée de l’Artzhak, berceau ancestral de l’identité chrétienne arménienne, a décidé de s’auto-dissoudre. La quasi-totalité des 120.000 Arméniens ont tout quitté dans la panique :  leurs terres, leurs maisons, leurs églises, leurs cimetières. Affluant dans les villages frontaliers et jusqu’à Erevan et dans tout le pays.

La peur des exactions, des vengeances azéries –en 1993, 600.000 Azéris avaient fui des territoires conquis autour du Karabakh par les Arméniens, et des massacres avaient eu lieu de part et d’autre—a fait que les habitants du Karabakh n’ont cru les assurances officielles de Bakou sur leur sécurité s’ils devenaient citoyens azerbaïdjanais. Ils ne veulent de toutes façons pas d’une identité azerbaïdjanaise qui leur est hostile. Le président Ilham Alyiev lui-même n’avait-il parlé d’eux comme de « chiens » ?

Depuis le 19 septembre, souligne une habitante d’Erevan, « il y a une énorme mobilisation de volontaires, notamment jeunes. Le gouvernement n’a pas trop mal géré les choses, mettant en place des centres d’accueil et d’enregistrement, versant des allocations ». Mais une telle solidarité pourra-t-elle être financée longtemps dans un pays pauvre ?

DESEQULIBRE DES FORCES ET ISOLEMENT

Ainsi une guerre d’usure hybride d’un an –asphyxier une population et mener des attaques sporadiques s’achevant par une ultime offensive coup de poing—a  eu facilement raison d’un territoire disputé depuis l’époque de l’URSS, attribué arbitrairement par Staline à l’Azerbaïdjan. Pour cette enclave arménienne, s’étaient succédés plusieurs conflits, dont le principal entre 1999 et 2004, dont les Arméniens étaient sortis victorieux. Avant qu’en 2020, l’Azerbaïdjan réarmé reconquière la majorité des terres prises par les Arméniens et occupe une partie du Karabakh.

Plusieurs raisons ont sans doute concouru à cette défaite éclair: le premier ministre Nikol Pachinian, réaliste sur le déséquilibre des forces Arménie-Azerbaïdjan– avait accepté au printemps de fait la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Karabakh, que la communauté internationale et l’Arménie n’avait jamais reconnu en tant qu’Etat. Il n’a pas pensé à déclarer en septembre la guerre à Bakou. « La population est très partagée sur Pachinian. Pour les uns, c’est un traître, pour d’autres, il a dû prendre une décision douloureuse mais nécessaire. Son pouvoir ne semble pas menacé » estime l’habitante d’Erevan.

La Russie, alliée historique d’Erevan, occupée ailleurs, est soucieuse de bonnes relations avec Bakou, mécontente d’un dirigeant arménien démocrate qui avait affronté la corruption des élites pro-russes. Les deux mille hommes de sa force d’interposition ont certes accompagné et encadré l’exode des habitants du Karabakh. Mais un fort ressentiment s’accroit en Arménie contre Moscou depuis 2020.

Le président Ilham Aliyev, après avoir été félicité à Bakou par son mentor Tayyep Recip Erdogan, s’est rendu dans la capitale désertée du Karabakh, Stepanakert, renommée de son nom azéri Khankendi. Il est allé y fouler aux pieds le drapeau de l’Artshak, hissé le drapeau azéri et y a fait défiler ses troupes.

 

GAZ ET REALPOLITIK

A la suite notamment de la mobilisation de la vaste diaspora arménienne, l’ONU, l’UE et différents pays ont envoyé des missions, promis des aides. Mais aucune sanction n’a été décrétée, les intérêts occidentaux pour le gaz azerbaidjanais expliquant cette Realpolitik. La Russie a besoin de la voie de l’Azerbaïdjan pour contourner les sanctions sur ses propres livraisons de pétrole et de gaz. Le pays le plus mobilisé pour l’Arménie a été la France, qui va lui livrer des armes.

Le génocide perpétré par les Turcs de l’Empire ottoman contre les Arméniens en 1915/16, pèse très lourd dans l’inconscient collectif. Le panturquisme incarné par le nationaliste religieux Erdogan veut-il en finir avec ce petit pays enclavé de 3 millions d’habitants qu’est l’Arménie ? Pousser ses habitants à partir. Afin d’avoir une zone d’influence en continu qui irait de la Méditerranée jusqu’aux confins de la Chine. Les plus pessimistes pensent que cela arrivera tôt ou tard.

 

QUE FERA ALYIEV ? 

Même en excluant ce scenario, une épée de Damoclès pèse sur l’Arménie. Bakou souffle habilement le chaud et le froid.

Des réunions, notamment dans le format régional réactivé 3+3 (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan + Russie, Turquie, Iran) ont rassemblé différentes parites. Nikol Pachinian espère encore parvenir à un traité de paix. L’Iran se montre étonnement constructif avec Bakou : il promet d’achever une route qui reliera l’Azerbaïdjan à son enclave du Nakhitchevan en contournant l’Arménie.

Mais des raisons d’inquiétude sont nombreuses : 200 km2 du territoire arménien sont déjà sous contrôle azéri. Les Azeris veulent le retour de huit villages enclavés en Arménie. Soutenu par Ankara et, de plus en plus, par Moscou, Alyiev, félicité de sa victoire par les Azéris, pourrait lancer une offensive pour s’assurer le contrôle du fameux corrider de Zanguezur, reliant notamment à sa région autonome du Nakhitchevan frontalière de l’Iran. Ce corridor passe à travers le Siounik, province méridionale de l’Arménie, et certains experts pense que l’Azerbaïdjan convoite cette province.

 

Jean-Louis de la Vaissière

 

Retrouvez cet article dans la partie  » Décryptage » de notre nouveau bulletin n° 813.

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