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Voyage du pape en Arménie : quelques clés historiques et politiques

Le Caucase : une région instable

L’Arménie forme avec la Géorgie et l’Azerbaïdjan les trois états du Caucase, cette région d’Orient coincée entre trois grandes puissances : la Russie, l’Iran et la Turquie. Mais cette nation a su perdurer dans l’histoire par trois piliers, comme le note Pierre Terzian, président du « Fonds arménien » et directeur de la revue Pétrostratégies : la montagne, « qui forge un caractère », la religion « une véritable religion d’état » et son propre alphabet (38 lettres).

Le pays a traversé douloureusement le chaos du XXe siècle.  Cette période lui a permis néanmoins de s’affirmer comme république à plusieurs reprises et d’enraciner son identité dans le monde d’aujourd’hui.

En 1920, L’Arménie affirme ainsi une première fois son indépendance par rapport à ses voisins la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Puis en septembre 1991, à nouveau, lors de l’effondrement de l’Empire Soviétique. À sa sortie, le pays connait une situation très difficile, « une activité économique à zéro, la partie nord du pays à reconstruire entièrement à cause du séisme de décembre 1988, et la guerre qui oppose les Arméniens aux Azeris dans le Karabagh, une région historique coincée entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie » poursuit Pierre Terzian.

L’Eglise apostolique arménienne dans l’histoire

L’Église apostolique arménienne a beaucoup souffert des persécutions successives, menées par la Russie tsariste, la Turquie ottomane, et le communisme soviétique qui a mené à sa quasi-éradication dans les années 1930 en Arménie même, mais la diaspora a contribué à sa survie. Un réveil religieux s’est fait jour dès le dégel qui a suivi la mort de Staline, puis grâce à la Perestroïka menée par le leader soviétique Mikhail Gorbatchev dans les années 1980, et, a fortiori, après l’indépendance de l’Arménie en 1991.

La Constitution arménienne garantit la liberté religieuse et la séparation de l’Église et de l’État, mais l’appartenance au christianisme est un élément presque consubstantiel à l’arménité, selon de nombreux observateurs.

Les relations entre le Vatican et l’Église arménienne

Depuis une cinquantaine d’années, les relations entre le Vatican et le siège d’Etchmiadzine (le siège du catholicos de l’Eglise arménienne) se sont intensifiées. Une visite historique en 1996 au Vatican entre le Catholicos Karékine Ier et  Jean-Paul II (10-14 décembre) avait abouti à une déclaration commune. Cette « réconciliation historique » avait permis de dissiper les querelles théologiques entre les deux Églises vieille de 1500 ans.

Le voyage apostolique du Pape Jean-Paul II en Arménie a eu lieu en septembre 2001 pour célébrer le 1700e anniversaire du baptême du peuple arménien. Jean-Paul II devenait ainsi le premier chef de l’Eglise catholique à mettre un pied sur le sol arménien. Après une longue parenthèse soviétique, l’Eglise affaiblie et coupée de la société civile a retrouvé une place majeure dans la société arménienne. Cependant, la visite du Pape en 2001 a suscité un enthousiasme limité auprès de la population.

Le Pape et la lourde question du « génocide »

Cette fois-ci, la visite du Pape est particulièrement attendue par les Arméniens. Le 12 avril dernier, alors qu’il célébrait une messe commémorative à la basilique de Saint-Pierre-de-Rome avec les catholiques arméniens, le Pape François – accompagné de Nerses Bedros XIX Tarmouni, le patriarche de l’Église catholique arménienne, et en présence du président arménien Serzh Sargsuan – a brisé un tabou en employant le terme de : « Premier génocide du XXe siècle » pour dénoncer le massacre des Arméniens, perpétrés par l’Empire Ottoman et en procédant à la canonisation du million et demi de victimes. Une première pour un souverain pontife.

« C’est un peuple qui aurait dû mourir. 40% de la population sont des descendants de gens qui ont échappé au génocide » insiste Pierre Terzian, montrant à quel point la question est douloureuse dans le pays.

Le lendemain de son arrivée, le pape se rendra d’ailleurs au mémorial du génocide arménien à Erevan, où il déposera une gerbe de fleurs et rencontrera des descendants des réfugiés du massacre (qui avaient été accueillis par Benoit XV dans la résidence papale d’été Castel Gandolfo). Aucun discours n’est cependant prévu lors de cette visite.

Durant tout son séjour, le pape François ne devrait pas réemployer le terme de génocide qu’il avait déjà utilisé, le 12 avril 2015 en la basilique Saint-Pierre.

Décrivant ce 21 juin le voyage à la presse, le porte-parole du Vatican, le P. Federico Lombardi, s’est d’ailleurs gardé d’utiliser le mot de génocide, qui avait provoqué l’an dernier le rappel par Ankara de son ambassadeur près le Saint-Siège – revenu depuis. « Nous ne voulons pas être pris au piège de disputes politiques et sociologiques », a justifié le P. Lombardi.

Il y a quelques jours, lors d’une visite à un collège universitaire romain, François avait déclaré ne pas aimer le mot « génocide » à propos des chrétiens du Moyen-Orient.  « En vérité, il s’agit d’une persécution qui conduit les chrétiens à la fidélité, à la cohérence de leur propre foi. Ne faisons pas de réductionnisme sociologique du mystère de la foi, du martyre » a-t-il précisé.

Avec La croix et Radio Vatican