[ÉGYPTE] Témoignage de Marine et Mariana : « Pour conclure un après-midi riche en émotions, nous confions au Seigneur la joie qui nous anime de servir auprès des plus pauvres. »

Marine et Mariana,  sont depuis un an, à Qusseya, un petit village de Haute-Égypte, où elles rendent service dans un dispensaire et un jardin d’enfants. 


Une journée à Al Qusiyah

05h40. Le réveille-matin sonne. Le soleil est levé depuis un bon moment déjà. Un signe de croix, et c’est une belle journée qui s’annonce.

06h30. Laudes et oraison avec les Filles de la Charité.

07h30. Messe (d’après la liturgie de Saint-Basile le Grand). A cette occasion, des fidèles se joignent à nous.

08h. Petit-déjeuner en communauté. Avant de partir, nous n’imaginions pas un seul instant manger des fèves pour le premier repas de la journée !

08h30. Après un rapide brossage de dents, direction le dispensaire. Côté pansements pour Mariana et laboratoire pour Marine, l’occasion pour l’une et l’autre d’apprendre l’arabe auprès du personnel et des patients. Au départ simples collègues, les gens du personnel sont devenus nos amis et nous échangeons avec eux nos joies du quotidien.

12h. L’heure des enfants. Nous partageons avec eux un moment de jeux et de danse en chanson. Au nombre de 40, les enfants font partie du programme de soutien scolaire « Better life ». Ils viennent le matin ou l’après-midi en fonction des groupes établis. Beaucoup de bruit, mais aussi beaucoup de rire pour ces enfants issus de familles pauvres qui, s’ils ne sont ni à l’école ni chez les Filles de la Charité, jouent dans l’agitation de la rue. Beaucoup de chahut, même à table, où chacun se lève comme il l’entend pour aller chercher de l’eau, se laver les mains, demander quelque chose, taper sur le voisin… El hamdoulilah, la présence de Sœur Camila fait régner un peu d’ordre. Les enfants participent volontiers à la prière (n. b. seul moment où ils sont -à peu près- calmes).

13h. Vient notre tour de déjeuner avec la communauté, l’occasion de parler de notre matinée et de planifier l’après-midi. Au menu ce jour : koshari, un délicieux plat de macaroni, riz, pois chiches, lentilles, oignons frits et sauce piquante, concocté par Madame Amal, la cuisinière en chef !

14h. Vaisselle et sieste. La vaisselle et un excellent moyen pour connaître les employés de la maison, ceux qui veillent à ce que nous ne manquions de rien et qui œuvrent dans l’ombre. C’est ainsi que nous avons connu Rana, une jeune fille de 17 ans qui a quitté l’école pour gagner sa vie. Elle nous a un jour confié, les larmes aux yeux, son attachement à nous et comment elle serait bouleversée au moment de notre départ. Nous avons alors pris conscience que notre simple présence ainsi que les insouciants moments de rire que nous partagions ensemble avaient de l’importance. Quant à la sieste, ce moment n’est de fait pas toujours accordé au repos. En effet, c’est aussi le moment du ménage de nos chambres, des lessives, de nos petits achats personnels, de la cuisine (Sœur Nadia adore la tarte à la carotte et les crêpes de Marine).

16h. L’heure du goûter, où nous toutes cédons volontiers aux gourmandises confectionnées par Sœur Nadia, d’autant plus que le péché mignon de Sœur Ferial s’appelle chocolat.

17h. Nous partons en visite avec Randa et Gerges, des habitués et connaisseurs de la ville. Nous nous rendons dans les foyers les plus démunis qui sont soutenus par les Filles de la Charité. Ce soutien peut-être d’ordre scolaire pour les enfants (« Better Life »), financier, alimentaire,  vestimentaire mais aussi rénovation de bâtiments. Le dernier projet en date auquel nous avons participé a été d’améliorer le réseau électrique de la maison d’Anna-Simone, une « Better Life » de 7 ans. Les fils électriques pendaient comme des lianes au plafond et sur les murs, rendant la maison dangereuse. La visite chez Anna-Simone a changé la vie de la communauté. En effet, Anna-Simone avait une tortue, mais pas grand-chose pour la nourrir. C’est donc tout naturellement que la tortue, baptisée Lolo, a rejoint la communauté des Filles de la Charité. Faisant surtout l’objet de l’attention de Mariana, Lolo est devenue la mascotte de la maison, attirant sur elle tous les regards, que ceux-ci soient jeunes ou moins jeunes.

18h30. Vêpres et oraison. Pour conclure un après-midi riche en émotions, nous confions au Seigneur la joie qui nous anime de servir auprès des plus pauvres.

19h30. Dîner. Un calendrier répartit pour chaque semaine les tâches attribuées à chacune des membres de la communauté. Nous avons été incluses dans ce calendrier pour tantôt faire les courses et cuisiner le repas, tantôt préparer les temps de prière et la chapelle.

20h30. Moment de détente et de jeux avec les Sœurs autour une petite douceur et d’une tisane. Sœur Elisabeth s’est révélée être une championne au Rummikub, suivie de près par Sœur Bachayère.

21h. Dernière prière commune avec la lecture de l’Évangile de la messe du lendemain, afin que la parole du Seigneur « infuse » en nous durant la nuit. Puis va se coucher qui veut et pour nous, c’est généralement le moment de confidences avec Sœur Camila, avec qui nous pouvons parler de tout et de rien en toute liberté. Nous pouvons ensuite regagner nos chambres respectives, apaisées, en pensant qu’aujourd’hui était la meilleure journée.

[ORIENT] André Maillard explique ce qu’est la Réunion des Œuvres d’Aide aux Églises Orientales

La R.O.A.C.O. (Réunion des Œuvres d’Aide aux Églises Orientales) est un comité qui réunit les Agences et Œuvres de divers pays du monde qui s’engagent à soutenir financièrement dans différents secteurs, des lieux de culte aux bourses d’études, des institutions d’éducation à l’assistance socio sanitaire.

Elle est présidée par le Préfet de la Congrégation, et a pour vice-président le Secrétaire du Dicastère. Outre la Catholic Near East Welfare Association (États-Unis d’Amérique), approuvée par le Pape Pie XI en 1928, et la Mission Pontificale pour la Palestine (États-Unis), crée en 1949, les Agences qui recueillent des fonds en Allemagne, France, Suisse, Pays-Bas et Autriche en font partie.

Source : Vatican.

[ARMÉNIE] Témoignage de Augustine : « Je ne sais pas toujours ce que je sème, la surprise sera plus grande dans quelques semaines. »

Augustine, 22 ans, étudiante à NEOMA et volontaire pour 4 mois en Arménie auprès de personnes handicapées, d’adolescents et d’enfants de Gumri.


1 mois 1/2 de bonheur !

3 matinées par semaine je jardine au centre Emilie Aregak, centre de Caritas pour personnes handicapées.

Nous sommes une petite équipe de 5/6 jeunes pour un grand terrain, avec vue sur les montagnes, qui est en voie de devenir un beau potager. Nous préparons la terre et semons tous types de graines. La responsable Valeria ne parlant pas Anglais , je ne sais pas toujours ce que je sème, la surprise sera plus grande dans quelques semaines … J’apprends aussi beaucoup sur le travail de la terre, à ma plus grande joie ! Les jeunes me touchent par leur volonté de communiquer avec moi. Ils ont une simplicité de contact si agréable!

Une matinée par semaine, avec Clémence, nous essayons de partager un moment avec les personnes âgées du centre situé en dessous de notre logement. Tous les jours nous les croisons en coup de vent en rentrant de chez nous et il nous a semblé bon de passer un peu de temps avec elles. Deux fins d’après-midi par semaine, je donne des cours de français au centre Entanik. Les enfants ont entre 10 et 15 ans, sont de grands débutants mais avides de connaître notre belle langue. Recettes de cuisine françaises, jeu du « pendu », mimes, vocabulaire du quotidien, constructions de phrases simples, constituent les leçons..

Ma mission à Little Prince

Ma mission principale se déroule au centre Little Prince de Caritas qui accueille des adolescents. J’y suis tous les jours, environ de 12h à 16h. Je me suis lancée dans la création d’un potager. La préparation de la terre nous a bien occupé. N’ayant jamais mené un projet de ce type mais ayant plutôt l’habitude de suivre des professionnels (en woofing au début de l’année) me voilà maintenant à l’œuvre avec 60 adolescents, le tout en Arménien : j’ai été bien soulagée lundi, quand les premières poussent sont apparues !

Nous avons aussi organisé avec Anna (la responsable du centre) une après-midi festive autour de la francophonie. […] Cette après-midi avait pour objectif de donner de la bonne humeur aux jeunes marqués par la récente guerre, qui peut reprendre d’un moment à l’autre. J’ai aussi pu assister à des baptêmes d’adolescents qui se sont déroulés en toute simplicité, ici pas de beaux habits blancs ou de médailles, une simple cordelette et une croix en toc sont offerts. Les enfants sont tournés vers l’essentiel, et c’est beau !

Le week-end nous partons à la découverte du pays. Je suis impressionnée devant ces paysages époustouflants. Nous avons passé 2 we dans le nord-est du pays, près de Dilidjan « la petite Suisse Arménienne » . A cette période de l’année la nature est verdoyante, luxuriante, nos randonnées m’ébahissent ! Les trajets en voiture font aussi parti intégrante de nos moments détentes, les paysages sont à couper le souffle, et la route nous permet de les admirer. L’état des routes ne permet pas de rouler à plus de 70km/h, nous passons ainsi beaucoup de temps en voiture ! Le lac Sevan, plus grand lac d’altitude est splendide ! Nous y visitons le cimetière de Noradouz, connu pour sa concentration de khatchkars (fameuses stèles sculptées dans une pierre rouge).

Jean-Yves Tolot, Président du Conseil d’Administration de L’Œuvre d’Orient

L’Œuvre d’Orient se réjouit de l’élection de Jean-Yves Tolot à la présidence de L’Œuvre d’Orient par son conseil d’administration à compter du 9 juin 2021.

Il succède à l’amiral Pierre Sabatié-Garat qui a suivi et accompagné pendant quatorze ans les évolutions de l’association face à une actualité tumultueuse. L’Œuvre d’Orient exprime à l’amiral Pierre Sabatié-Garat sa profonde gratitude pour l’ampleur de la tâche accomplie depuis 2008.

Jean-Yves Tolot a rejoint l’association en 2008 et est membre du conseil d’administration de L’Œuvre d’Orient depuis 2018.

Biographie

Diplômé en droit, de l’Institut d’Études Politiques de Paris, et de l’École Nationale d’Administration, Jean-Yves Tolot débute sa carrière en 1980 dans l’administration où il occupe divers postes à responsabilité, successivement au ministère de l’Équipement et des Transports, au ministère des Finances et dans des cabinets ministériels.

En 1988, il entame une carrière industrielle successivement chez Thomson-CSF, EADS et Thales où il exerce pendant plus de vingt ans des responsabilités de direction en France ou à l’international, notamment au Moyen-Orient où il est expatrié pendant six ans. Il travaille également dans un fonds d’investissement basé à Paris.

Depuis 2018, il est médiateur d’entreprises et enseignant à Sciences Po. Il est chevalier de la Légion d’Honneur.


L’Œuvre d’Orient est une association catholique et apolitique, reconnue d’intérêt général, qui œuvre depuis plus de 160 ans pour soutenir les communautés chrétiennes au Moyen-Orient, comme en Irak, qui sont au service de toute la population (éducation, santé, culture). Elle est membre du Comité de la Charte et bénéficie du label « Don en confiance ». Ce label, garantit la totale transparence sur ses financements et la destination de ses fonds.

[ÉGYPTE] Témoignage d’Inès :  » Ici nous assurons les lectures et les psaumes en français et le reste de la messe est en arabe . »

Inès, 23 ans, est ingénieur en agroalimentaire et sert pour quelques mois au centre Notre Dame des Douleurs d’Alexandrie qui héberge 60 personnes âgées dépendantes sous la direction de 6 sœurs de différentes communautés.


Sabal alkayr les amis,

Déjà presque 2 semaines depuis que je suis arrivée en Égypte, pays des pharaons et des chats, mais surtout pays des premiers moines chrétiens et enfin pays la mission que m’a donné l’Œuvre d’Orient.
J’ai l’impression que ça fait déjà longtemps que je suis là tant, l’intégration à la mission s’est faite rapidement et les souvenirs se sont déjà accumulés. Je vais donc essayer de vous parler un peu plus de ce que je vis ici avec un regard émerveillé, celui de la découverte, celui des débuts de mission.

Après avoir quitté Paris, j’arrive à Alexandrie, ville de plus de 5 millions d’habitants. Ville côtière, connues pour sa bibliothèque et son phare, elle fut très importante dans les années 20-40 car la vie y était agréable. Désormais, la surpopulation du pays a transformé la ville qui n’a plus aucune maison, mais que des immeubles à perte de vue ! Le Caire est encore plus impressionnant avec ses 20 millions d’habitants. En la survolant en avion, je ne voyais par les deux bouts de la ville. Clairement, on peut le dire, le Nil est vraiment le repère des villes égyptiennes.

Après cette très brève présentation du lieu de ma mission, je vais essayer de nous parler de ce que je vis ici :

Notre-Dame de Douleurs

Ici, nous sommes dans la maison Notre-Dame de Douleurs, tenues par 6 religieuses de deux communautés différentes. Il y en a 3 de Notre-Dame de Douleurs (communauté d’origine française) et 3 sœurs Elisabethine (communauté d’origine italienne). Ce mélange s’est fait il y a 6 ans, car elles n’étaient pas assez et il faut dire que l’harmonie règne ! Quand je suis arrivée le premier jour, je suis tombée sur 6 sœurs adorables en blanc, et là, je me suis tout de suite dit qu’elles étaient belles dans leur habit de sœurs, belles dans leur vocation et belles dans leur âge florissant (la plus jeune à 50 ans, je crois).

Ces 6 sœurs ont chacune des missions différentes, même si leur vocation commune est bien de s’occuper des personnes âgées. […] Il y a 60 résidents répartis sur 2 niveaux. Certains sont seuls en chambre et d’autres par 3. Ce sont à chaque fois des personnes âgées. Cela va de 65 ans environ à 102 ans pour notre doyenne Paulette qui est sourde comme un pot ! Il faut littéralement crier dans son oreille pour qu’elle nous entende ! Ici, nous avons tout type de personnes âgées et c’est une belle découverte de voir qu’avec le temps nous sommes diminués et nous avons besoin des autres pour des raisons différentes.

Certaines sont séniles, d’autres vraiment Alzheimer donc le lendemain elles ont déjà oublié votre prénom, certaines sont en fauteuil roulant, d’autres ne peuvent même plus manger seule. Mais toutes sont heureuses que ce soient les sœurs + le personnel (une 15aine de jeunes femmes venant de haute Égypte) qui s’occupe d’elles.

Vivre avec des chrétiens d’Orient

Ici, les chrétiens sont une minorité. Cinq fois par jour, les appels à la prière sont lancés dans les haut-parleurs postés à chaque coin de rue ! Il faut donc bien prévoir sa sieste  digestive ! Et ensuite répartie toutes les 3h je dirai différents appels à la prière. C’est drôle, car il y en a un qui tombe pendant l’adoration. Donc, vers 18h55, c’est l’appel, au moment où le soleil baisse dans le ciel. Cela contraste vraiment avec la mini-chapelle des sœurs où nous sommes en train de L’adorer ! Dehors, il crie l’appel, ici le Christ, parle dans le secret de nos cœurs ! Quelle chance ce Dieu que nous rencontrons à l’intime de nous-même et que nous pouvons adorer dans le silence ! Ce face-à-face des vêpres me marque toujours ! Et c’est aussi à ce moment-là que je me suis rendu compte que les religions habitaient ensemble !

Donc ces moments avec les sœurs sont précieux. Au repas, c’est là où on discute beaucoup, où l’on partage sur leur vie et on comprend aussi un peu leur appel. Il faut dire qu’elles sont belles toutes les 6 venant de deux communautés différentes. Elles témoignent ainsi malgré 2 spiritualités différentes à la base (franciscaine + jésuites), de leur amour, de leur appel qu’elles ont reçues à servir les personnes âgées ! C’est beau, et parfois bouleversant de voir qu’elles ne prennent pas un jour de repos, mais que toute leur vie est ordonnée au service des personnes âgées, et de voir qu’elles accomplissent leur mission simplement, sans avoir aucune reconnaissance.

C’est là où je comprends que le Christ doit vraiment leur parler, les combler dans leur vie. Bien-sûr ce sont des religieuses donc leur vie de prière est rythmée aussi par la messe quotidiennes, puis les 3 offices de bases: laudes, vêpres (en 3 langues ce qui demande une gymnastique d’esprit, et au moins 2 missels). Et le soir complies en arabe !

De plus, ici, nous suivons un autre calendrier donc nous venons d’entre dans la 5ème semaine après Pâques ! Une drôle d’occasion pour prolonger encore la joie du temps Pascale, même si je reste unie avec les fêtes en France ! La semaine précédant la Pentecôte, j’ai bien vu l’œuvre de l’Esprit dans les dons ou les fruits envoyés ! Enfin, tous les dimanches, nous avons une messe en rite copte, ce qui est aussi très beau, un bon moment pour comprendre un peu leur spiritualité ! Il faut dire que l’Égypte est vraiment un lieu important à la fois dans l’ancien testament, mais aussi au premier siècle avec les pères du désert ! Pour le moment, nous sommes dans une petite salle pour célébrer la messe nous assurons les lectures et les psaumes en français et le reste de la messe est en arabe ! La chapelle est en réparation, elle sera très belle à la fin et nous la verrons avant de partir pour l’instant c’est un chantier à l’Égyptienne.

Inès

[TURQUIE] Basilique Sainte-Sophie : au cœur de l’histoire d’Istanbul

[TURQUIE] Basilique Sainte-Sophie : au cœur de l’histoire d’Istanbul

Depuis la fondation de Constantinople par Constantin en 330, aujourd’hui Istanbul, carrefour des civilisations, son bâtiment emblématique de la sagesse divine, la basilique Sainte-Sophie, est toujours au centre des vicissitudes de l’Histoire.

Les premières origines de la basilique Sainte-Sophie remontent au IVe siècle, puisqu’elle a été fondée, comme tant d’autres basiliques de la première période de la paix de l’Église, par Constantin le Grand. Après avoir accordé la liberté de culte au christianisme, le grand empereur voulut établir, en 326, sur les rives du Bosphore, à l’emplacement d’une ville grecque, Byzance, une nouvelle capitale qui égalât l’ancienne en splendeur et en richesse, dont le symbole de ses œuvres et de sa gloire serait un monument chrétien.

Basilique Sainte-Sophie :  à l’histoire mouvementée ! 

La basilique Sainte-Sophie de Constantinople fut gravement endommagée par les Macédoniens vers 350, peut-être à la suite des troubles suscités par l’Arianisme et des longues luttes entre l’intrus Macédonius et l’évêque légitime Paul. L’empereur Constance la restaura. Incendiée de nouveau et fortement détériorée pendant les troubles qui suivirent la condamnation et l’exil du plus grand des évêques de Constantinople, saint Jean Chrysostome, après quelques années d’abandon, Sainte-Sophie de Constantinople fut reconstruite en 415 par ordre de Théodose II. Un siècle plus tard, elle fut incendiée le 13 janvier 532 pendant la sédition Nika.

L’empereur Justinien reconstruisit aussitôt la basilique beaucoup plus grande et majestueuse que les deux précédentes grâce à Isidore de Milet et Anthémius de Tralles. Le 27 décembre 537, la basilique terminée fut solennellement consacrée par le patriarche saint Mennas. L’empereur se rendit de son palais à la porte de la basilique sur un char attelé de quatre chevaux, et en entrant dans le somptueux édifice il s’écria : « Gloire à Dieu, dont la bonté m’a permis de mener à bien une pareille entreprise. Je t’ai vaincu, Salomon ! »

En 553, année du concile œcuménique, il y en eut un violent tremblement de terre qui dura quarante jours et qui endommagea gravement la coupole ; un autre, en 557, démolit une partie de la ville. La coupole, fragilisée, s’écroula le 7 mai 558, écrasant l’admirable ciborium* placé au-dessous. Le désastre choqua le peuple ; l’empereur ne se donna pas de repos qu’il n’eût reconstruit l’œuvre magnifique ! Le 24 décembre 562, la nouvelle coupole, décorée comme l’ancienne de splendides mosaïques, était terminée, et le patriarche Eutychius, successeur de saint Mennas, bénit à nouveau solennellement la basilique rendue à son ancienne splendeur.

Sainte-Sophie de Constantinople : une basilique aux mains des croisés

Sainte-Sophie fut pillée par les croisés en 1204. Décidée, dès 1198, par le pape Innocent III, cette croisade fut prêchée par Foulques, curé de Neuilly-sur-Marne, et par le légat Pierre de Capoue. Boniface, marquis de Montferrat, Baudouin, comte de Flandre, et Henri Dandolo, doge de Venise, conduisirent cette quatrième croisade qui, initialement dirigée contre l’Égypte, se caractérise par des conflits stratégiques entre le pape et les croisés. Ces derniers, pour équiper une flotte beaucoup plus importante au regard des moyens financiers dont ils disposaient, durent négocier avec Venise, malgré l’interdiction du pape. Venise détourna l’objectif principal de la croisade à son profit, en faisant participer les croisés au siège de Zara.  Le prétendant au trône byzantin, le jeune Alexis, beau-frère du roi allemand Philippe de gagna l’appui des croisés en échange de promesses très avantageuses. Toujours en dépit des instructions pontificales, les croisés prirent Constantinople le 17 juillet 1203 et remirent sur le trône, Isaac II Ange, pour qu’il régnât de concert avec son fils Alexis, couronné le Ier août 1203 sous le nom d’Alexis IV le Jeune (Ange). La discorde éclata bientôt entre les Grecs et les Latins, Alexis IV n’ayant pas pu tenir ses promesses. Une révolution permit, en janvier 1204, à Alexis V Ducas (Doukas) dit Murzuphle, de prendre le pouvoir, plaçant ainsi les croisés dans une situation très difficile qui se termina par un affrontement militaire. Après un siège assez bref, la ville fut prise d’assaut et pillée les 12 et 13 avril 1204. Ainsi l’Empire latin d’Orient remplaça l’Empire byzantin jusqu’à 1261, et Baudouin 1er, comte de Flandre, couronné le 16 mai 1204 en l’église Sainte-Sophie, fut le premier empereur.

La reconquête grecque fut réalisée par Michel VIII Paléologue, empereur de Nicée, qui n’eut aucune peine à s’imposer à l’Empire latin. Constantinople fut prise dans la nuit du 25 au 26 juillet 1261 par l’armée de Michel VIII, commandée par le général Mélissène. Baudouin II s’enfuit avec tant de hâte que sa couronne, son sceptre et son épée furent trouvés sur le quai. Le patriarche Giustiniani suivit l’exemple du dernier empereur latin.

La basilique Sainte-Sophie devient mosquée

Le mardi 29 mai 1453, après un siège mémorable de 54 jours, Mehmet II le Conquérant (Fatih), prenait la ville de Constantinople, mettant ainsi fin à l’Empire romain d’Orient, vieux de plus de mille ans. Quand la ville fut entièrement soumise, Mehmet II fit son entrée triomphale par la porte Saint-Romain. Il se rendit à Sainte-Sophie et après l’avoir visitée en détail, tout en témoignant la plus vive admiration pour cette merveille architecturale, donna l’ordre de la transformer en mosquée. Lorsque le sultan arriva au palais impérial, il fut vivement frappé de la morne solitude et du vide de ces appartements naguère si brillants et si animés, et il récita un distique* persan, évocation de l’instabilité des grandeurs humaines.

Ainsi, avec la prise de Constantinople, Sainte-Sophie devient la célèbre mosquée Ayasofya. Les siècles se succèdent jusqu’à la Première guerre mondiale. Dès 1915, les aspirations de la Russie sur Sainte-Sophie se résument en un seul projet ambitieux : faire de cette basilique le Vatican de l’Orthodoxie, avec un unique Patriarche dépendant du tsar.

L’armistice, qui met fin à la participation de l’Empire ottoman à la Première Guerre mondiale, est signé le 30 octobre 1918 dans le port de Moudros sur l’Île grecque de Lemnos. Suite à cet armistice, la ville de Constantinople est occupée par les troupes françaises, britanniques et italiennes à partir du 13 novembre 1918.

La basilique Sainte-Sophie, « otage » des enjeux religieux

Le Saint-Siège exprimait à Mgr Dolci (cardinal italien, vicaire apostolique de Constantinople) ses résolutions au sujet de Saint-Sophie : pour des raisons d’ordre public et surtout pour éviter une rébellion des Musulmans, si la Conférence de Versailles du 28 juin 1919 décidait de laisser la Basilique au statu quo, le Saint-Siège ne s’y opposerait pas. En revanche si la basilique, enlevée au culte musulman, était attribuée au culte grec orthodoxe, le Saint-Siège s’y opposerait et la réclamerait pour le culte catholique oriental. Pour contrecarrer les vues de la Russie, le Saint-Siège désirait en fait confier Saint-Sophie à la France afin que la basilique soit ainsi rendue au culte grec catholique.  Cependant, le sujet étant très délicat et au vu des polémiques qu’une telle démarche du Saint-Siège pourrait provoquer, les Éminences furent consultées le 5 juillet 1919. La Commission, composée par les Sacrées Congrégations De Propaganda Fide, des Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires, et pro Ecclesia Orientale, exposa dans un Rapport les raisons de cette démarche, justifiant la revendication de Sainte-Sophie pour les Grecs catholiques.

Mgr Louis Duchesne (ndlr : éminent historien, membre de l’Institut et de l’Académie française) , tout en critiquant le mémoire nous éclaire sur la différence « entre le droit de propriété sur l’édifice sacré et le titre de l’évêque à y diriger les services religieux » : Le propriétaire n’est sûrement pas l’Évêque : il n’est que l’administrateur temporaire. Le propriétaire, c’est l’église locale, la communauté des clercs et des fidèles, personne morale apte à posséder des immeubles.  En conclusion, affirme Mgr Duchesne, le propriétaire de Sainte-Sophie, c’est l’Église locale, c’est l’Église de Constantinople qui n’a pas cessé d’exister sous la direction de l’évêque local, le Patriarche Œcuménique, dont le Phanar est la résidence actuelle.

Convertie en musée, Sainte-Sophie de Constantinople redevient mosquée

Le 6 octobre 1923, la ville d’Istanbul est libérée. Les forces Alliées quittent la ville, mettant fin à l’occupation. Le 29 octobre, la République est proclamée. Entre 1930 et 1935, la basilique Sainte-Sophie reste fermée au public pour cause de travaux de restauration. En 1934, Mustafa Kemal Atatürk désire « offrir à l’humanité » cette merveille architecturale. Par décret n° 7/1589 du Conseil des Ministres du 24 Novembre 1934, Sainte-Sophie devient un musée ouvert aux visites dès le 1er février 1935. Le 2 juillet 2020, la Cour suprême de Turquie donne son feu vert au changement du statut de Sainte-Sophie et le 10 juillet, le décret de transformation de Sainte-Sophie en mosquée est publié.

Rinaldo Marmara

Historien chercheur. Istanbul


Pour retrouvez

Conférence de Mgr Gollnisch sur les chrétiens de Turquie , cliquez-ici.

Histoire des chrétiens d’Irak par Christian Lochon

Histoire des chrétiens d’Irak par Christian Lochon

Les chrétiens d’Irak étaient, dans ce pays de 434 000 km², , en 2003, 1 million 300 000 ; ils seraient aujourd’hui entre 200 et 400 000 sur les 41 millions d’Irakiens. 85 % sont arabes, 11 % kurdes, 3 % turkmènes. 70 % des Arabes et 15 % des Kurdes sont chiites.

Irak : religion chrétienne, berceau de l’histoire

Nos ancêtres culturels ont vécu en Mésopotamie avant l’Égypte et la Grèce qui leur ont tant emprunté ; les thèmes de l’épopée de Gilgamesh (-2500) paraissent dans la Bible et le Coran (le Déluge, Noé, Job). L’Église chrétienne s’établie très tôt comme religion en Irak ; un évêque est attesté à Kirkouk dès 117. Les rois sassanides imposent à l’Église « de l’Orient » de couper les liens avec Byzance. Ses missionnaires évangéliseront jusqu’en Chine le long de la Route de la Soie, mais l’invasion mongole conduira les fidèles à se réfugier au Kurdistan au XIIIe siècle. Les chrétiens d’Irak ont conservé les dénominations des anciens Mésopotamiens ; Assyriens pour les fidèles de l’Église de l’Orient et chaldéens pour les catholiques.

Les califes abbassides (750-1256) apprécient le rôle culturel et scientifique de l’élite chrétienne (traducteurs en arabe des ouvrages grecs) et respectent leur Patriarche dont le siège est aussi à Bagdad. Les Mongols ayant détruit Bagdad, les chrétiens gagneront le Nord, Mossoul (20 % de la population au XVIe siècle) et la plaine de Ninive. Les Ottomans prennent Bagdad en 1638, avec un bataillon arménien autorisé à y construire une église.

L’Irak moderne

Lors de la création du royaume irakien (1921-1958), les chrétiens, sécurisés, reviennent à Bagdad, actifs dans le commerce, l’industrie et l’éducation. Le Patriarche chaldéen est nommé sénateur à vie. Le 14 juillet 1958, la famille royale exécutée, l’Irak devient une république dirigée par le général Abdelkarim Qassem. Une série de coups d’État s’ensuit en 1962, 1963, 1968. De 1979 à 2003, Saddam Hussein imposera son pouvoir dictatorial. En 2003, l’intervention américaine mit fin à son régime mais entraîna contre les chrétiens des attentats, des expulsions, des rackets qui les firent fuir à l’étranger et vers le Kurdistan.

Les chiites, persécutés jusqu’alors, investissent Bagdad, menaçant sunnites et minorités. En 2006, Saddam Hussein est jugé et pendu. Al Qaïda locale, menée par Al Zarqaoui, et son successeur Al Baghdadi qui fonde l’État islamique, enrôlent les sunnites ulcérés par la dissolution du Baath. Vient ensuite une période marquée par de nombreux actes de violence à l’encontre des chrétiens : en 2008, l’enlèvement et la mort de l’évêque chaldéen de Mossoul ; en 2010, l’attentat à la cathédrale syriaque catholique Notre-Dame du Perpétuel Secours qui a fait 48 morts et de nombreux blessés ; le coup de grâce étant porté en 2014 avec la prise de Mossoul et de la plaine de Ninive faisant fuir tous les habitants chrétiens et des autres minorités vers le Kurdistan et perpétrant un véritable génocide envers les yézidis. Les Daechis ont saccagé les églises avec une méticulosité terrible. L’armée, les milices chiites pro-iraniennes, les Pechmergas reprennent Mossoul en 2017.

Le gouvernement fédéral irakien actuel, siégeant à Bagdad, répartit les postes confessionnellement : le Président de la République est un sunnite kurde, le Président du Parlement est un sunnite arabe, le Président du Conseil est un chiite arabe. L’article 2 de la Constitution stipule que l’Islam est la religion d’Irak officielle de l’État, la source principale de la législation. Les élections législatives du 12 mai 2018, comptant 65 % d’abstentions, ont réservé 25 % des sièges parlementaires aux femmes. Mais les particularismes ethniques, confessionnels l’emportent sur l’intérêt national. La corruption a capté, depuis 2003, 300 milliards $. Demeurent sensibles le dossier de milliers de personnes disparues (250 000 et à un million) et les charniers de Daech non encore exhumés, faute de budget !

Les chrétiens d’Irak dans la société

Les chrétiens d’Irak, malgré leurs épreuves, ont toujours joué un rôle important dans la culture irakienne. Maha Al Haïdar, jeune femme musulmane alors consul à Paris, a montré dans une thèse combien les écoles catholiques ont contribué à former l’élite intellectuelle chrétienne et musulmane et les premiers journalistes du pays. C’est encore vrai aujourd’hui pour les écoles mais aussi pour les hôpitaux et les maternités.

Mgr Youssef Thomas Mirkis, évêque de Kirkouk, évoquant en 2020 la place des chrétiens dans la nouvelle société irakienne, disait : « Il faut nous aider à rester en Irak en tant que chrétiens, à ne pas céder à la tentation de l’émigration. Même si nous restons des minorités, en Orient nous sommes chez nous ! »

Le Pr. chiite Saad Salloum, dans ses Chrétiens d’Irak, (Bagdad 2013) affirme que « L’Irak est un arbre musulman mais les racines sont chrétiennes. Peut-on séparer un arbre de ses racines ? ». En 2019, au Patriarche chaldéen venu Place Tahrir, les jeunes manifestants dirent : « Vous chrétiens, vous êtes les origines de ce pays ». En février 2020, se mêlant aux manifestants à Bagdad, le Père Amir Jaje, dominicain irakien, s’est entendu dire « Nous respectons le clergé chrétien ; on cherche à avoir un pays et non à subir le sectarisme religieux. On veut un pays libéré de l’emprise iranienne ».

Parce que les chrétiens représentent le sel de la terre mésopotamienne, le Saint-Père, dans ses escales, aura rencontré tous les Irakiens, le gouvernement à Bagdad, les chiites à Najaf, les fidèles des religions abrahamiques à Ur, les sunnites à Mossoul, les Kurdes à Erbil, les chrétiens à Qaraqosh. Il aura apporté à tous un immense message d’espoir et d’amour.

Christian Lochon

[ÉGYPTE] Témoignage de Marie-Liesse : « La vie en communauté c’est s’adapter les uns aux autres et partager de beaux moments. »

Marie-Liesse, 21 ans, est en mission pour deux mois auprès des personnes âgées du home Notre-Dame des douleurs d’Alexandrie pour soutenir la communauté des sœurs de Marie saint-Frai. 


La vie en communauté.

La vie en communauté c’est s’adapter les uns aux autres et partager de beaux moments. La directrice Sœur Marie-Vianney a su prendre le temps d’apprendre à connaitre chacune des sœurs de la communauté pour s’adapter à leurs besoins. Elle a su notamment attribuer les responsabilités qui correspondaient le plus à leurs qualités. Chacune est essentielle au fonctionnement de la maison Notre-Dame des douleurs.

Pour être tout à fait honnête je ne m’attendais pas à ça quand j’ai su que j’allais vivre en communauté de sœurs. Je pensais à une ambiance plutôt calme durant les repas. Je me suis trompée ! Les sœurs sont curieuses, souriantes, cultivées et drôles même si la plus part sont assez âgées. Néanmoins, la vie en communauté dans cette maison est particulière. Nous sommes face a des sœurs qui viennent de pays différents et qui n’ont pas du tout grandit dans le même environnement.  De jour en jour j’ai appris à les connaitre mais il est parfois compliqué de se faire comprendre car certaine parlent uniquement arabe et italien.

Les moments que je partage le plus avec les sœurs sont les repas, je n’en ai raté qu’un depuis que je suis arrivée. […] Je respecte cette vie en communauté et le travail que chacune d’entre elles fourni sans rien en retour, mais elles n’ont besoin de rien en retour Je respecte particulièrement leur sérénité, les sœurs ne se plaignent jamais. Elles se lèvent tôt chaque matin. Une des sœurs a plus de 80 ans mais se lève chaque matin à 4h30 pour gérer la cuisine de la maison et cela depuis quelques années. Grâce à elles nous pouvons relativiser sur tellement de choses dans notre vie […]

 

La résidence et les personnes âgées.

Les 65 résidents sont majoritairement des femmes. La plupart des résidents de la maison sont des personnes du quatrième âge et très peu d’entre eux peuvent marcher.  Néanmoins j’ai la possibilité de les emmener tous dans la salle d’animation et surtout leur rendre visite dans leur chambre et de passer un moment avec eux. Ce sont des moments précieux pour eux comme pour nous. Depuis la crise sanitaire, les personnes âgées se sentent particulièrement seules car elles ont très peu de visites de l’extérieur. Avant les visites étaient très fréquentes et des groupes venaient pour s’occuper d’elles. Aujourd’hui les allers et venues sont très limités et contrôlés. Je suis devenue assez proche de plusieurs résidentes qui parlent français dont Paulette, Isis, Latifa (qui veut dire délicate en arabe) ou encore Jacqueline. Elles n’ont pas toutes leurs têtes, beaucoup ont Alzheimer, et leurs humeurs sont très changeantes mais notre présence est importante pour elles. Parfois elles peuvent dire des phrases très touchantes, comme : »je suis si heureuse de te connaitre »; « j’aime passer des moments avec toi » ou encore « tant que je suis avec toi ca va ! » ce qui est plutôt motivant !

Bref, concrètement qu’est ce que l’on fait ?

Quand je suis arrivée dans la maison de retraite il n’y avait absolument aucun moyen pour organiser des activités, donc difficile d’animer ! J’ai donc décidé de lister tout ce dont nous pourrions avoir besoin et Sœur Marie-Vianney m’a accompagné au Carrefour pour tout acheter !

Voici quelques photos qui vous illustrerons notre quotidien :

Recension du livre : Louis Massignon, « Le catholique musulman » de Manoël Pénicaud par Christian Lochon

 Louis Massignon « Le catholique musulman » de Manoël Pénicaud fait partie des 7 ouvrages sélectionnés pour la 10ème édition du Prix littéraire de l’Œuvre, présidé par Mme Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française. À cette occasion, découvrez la recension publié à bibliothèque de l’ASOM et réalisée par  Christian Lochon, membre de l’Académie des sciences d’Outre-mer et membre du jury de ce Prix littéraire.


Nouveau biographe de Louis Massignon, qui fut membre de notre Académie , l’anthropologue Manoël Penicaud, est chargé de recherche au CNRS ; son précédent livre Le Réveil des Sept Dormants (Cerf 2014) avait été recensé dans ces colonnes. On lui doit la remarquable exposition Lieux Saints partagés présenté au MUCEM de Marseille, au Musée de l’Immigration de Paris et à l’étranger. L’auteur a « remodernisé  l’un des   plus fascinants savants du XXe siècle dont le temps est passé mais dont le message et le témoignage continuent de résonner avec justesse » (p.413) pour le rendre accessible au lecteur de notre siècle (p.13). « Cet essai biographique a cherché à retracer la trajectoire d’un homme lancé dans une quête d’absolu comme de lui-même (et montré) combien sa vie personnelle a influencé l’œuvre et vice-versa » (p.410).  62 photos de la collection personnelle de L.Massignon, dont plusieurs inédites, illustrent le texte qui a bénéficié de découvertes récentes.

Surnommé par Pie XI « Le catholique musulman », ce professeur au Collège de France, islamologue, historien, linguiste, sociologue, militaire, agent des services secrets français, écrivain, citoyen militant, a eu une grande influence sur Claudel, Barrès, Jacob, Genêt, Jacques Maritain, Cocteau (p.29). Il sera l’exécuteur testamentaire de Huysmans.  Edmond Michelet  le décrit comme « un homme inspiré, une sorte de prophète très simple » (p.322) ; Louis Aragon lui-même reconnaîtra que « cet homme de Dieu aura travaillé mieux que bien des hommes, ses frères incroyants, mais ses frères » (p. 405). Tous reconnaissent sa complémentarité de croyant et de savant (p.179)

Proche de sa mère catholique, il l’est aussi de son  père, le sculpteur Pierre Roche,  dont l’incroyance influencera le fils (p.28). Elève des lycées Montaigne et Louis-le-Grand, il étudie l’arabe à l’Ecole des Langues Orientales. Après des séjours en Algérie, au Maroc, en Egypte et en Irak, il se marie en 1914  avec sa cousine  (p.130).  Leur voyage de noces dans le Sud Algérien pour y retrouver Charles de Foucauld sera interrompu à cause de l’insécurité avant Touggourt  (p.133). La description rigoureuse du bureau du Pr. Massignon (p.210) rappelle des souvenirs de chaleureux accueil qu’il réservait à ses hôtes, même envers  les plus modestes étudiants comme je le fus en 1956 !

Car c’était un professeur conscient de ses responsabilités « qui ne pensait pas que l’authenticité d’un savant se limitât au travail de cabinet ». (p.221). En novembre 1909,  il est détaché à l’IFEAD du Caire, et donne des cours de philosophie islamique à la nouvelle Université (laïque) égyptienne jusqu’en  avril 1913 (p.122). En 1919, il devient  suppléant au Collège de France du Pr. Le Chatelier ; en 1926, il est élu à l’unanimité à la chaire de Sociologie et Sociographie de l’islam, qu’il assumera jusqu’en 1954 (p. 201). Il fonde l’Annuaire du Monde Musulman en 1923, la Revue des Etudes islamiques en 1927, Abstracta Islamica en 1928. Il crée l’Institut d’Etudes Islamiques à la Sorbonne et il sera directeur d’études à l’EPHE.

Mobilisé en 1914 en tant qu’arabisant, il dépouille la presse arabe pour le Gouvernement puis il sert au Front d’Orient à Salonique, aux Dardanelles, en Macédoine. Il y sera blessé et reprendra Monastir aux Bulgares et aux Turcs. En mars 2017, il est muté en Egypte comme assistant de Georges-Picot qui négociait avec les alliés britanniques (Sykes) et l’Emir Faysal ; il y sera opposé à Lawrence qui lui avouera « Vous aimez les Arabes plus que moi » (p.152). Il deviendra acteur de la politique musulmane de la France (p.157). Lyautey lui demande des études sur le Maroc  (p.159). En 1938 il accompagne le Maréchal Weygand à Ankara pour obtenir la neutralité de la Turquie dans la guerre qui se prépare (p.163). En 1945, il se rend en Afghanistan, Iran, Inde, Turquie, à Jérusalem, en Irak pour plusieurs missions diplomatiques (p.166)

Excellent arabisant, son mémoire de fin d’études est consacré au Tableau géographique du Maroc du XVIe siècle d’après Léon l’Africain : Corporations de la ville de Fès. (p.55) ; sa thèse  principale Passion de Hoseyn Ibn Mansour Al Hallj exécuté à Bagdad le 22 mars 924, étude d’histoire religieuse. (p.190) et sa thèse complémentaire Origine du lexique technique de la mystique musulmane (p.133) requièrent pour la recherche des sources la connaissance profonde qu’il avait de l’arabe, du turc, du persan, de l’anglais, de l’allemand, du grec et latin dans la recherche des sources (p.172). En Irak, il est chargé d’une mission au château sassanide  d’Ukhaïdir. Il s’entretient avec les lettrés  dont le juriste hanafite Ali Aloussy

L’islam a joué, dit M. Pénicaud  un rôle maïeutique pour ce pionnier du dialogue islamo-chrétien (p.317) et de la connaissance de l’islam dans le monde académique et la société civile (p.17). Ibrahim Madkour, alors Président de l’Académie de Langue Arabe du Caire le considère comme «  le plus grand musulman parmi les chrétiens et le plus grand chrétien parmi les musulmans ». En mystique,  il a choisi d’étudier le soufisme. Pour Tahar Benjelloun : « Il a su montrer la présence dans l’islam d’un mysticisme actif, nourri de sa souffrance, de poésie et de compassions » (p.412). Sensible aux intersignes, il dépose le manuscrit de sa thèse sur Hallaj le 26 mars 1922, soit  mille ans après le supplice de ce martyr (p.285). Al Hallaj l’aura beaucoup influencé par sa théorie de la substitution qui consiste à s’offrir en sacrifice pour sauver un pêcheur. Pour cela, il fonde en 1934 au Caire la Badaliya (Substitution) avec Mary Kahil, le dominicain P. G. Anawati, le Cardinal Montini futur Paul VI ; ce mouvement influencera le traitement des religions non chrétiennes au moment de Vatican II .  Lorsqu’en 1951 Geneviève Massignon découvre le « Pardon des Sept Saints » à Vieux-Marché dans le Finistère, Louis Massignon décide de greffer sur ce Pardon breton un pèlerinage rassemblant musulmans et chrétiens ; le premier a lieu en 1954 et deviendra, avant Vatican II, la première œuvre islamo-chrétienne en France (p.396). M.Penicaud a largement décrit cette manifestation devenue annuelle dans son livre Le réveil des Sept Dormants.

Ayant délaissé toute pratique religieuse,  Louis est foudroyé par une expérience mystique à l’âge de 24 ans, en 1909, sur un bateau sur le Tigre, où des officiers ottomans l’accusent d’espionnage et le font arrêter à Bagdad. Interviendra pour le libérer le respectable  cheikh Al Aloussy. Le Consul de France l’exfiltrera par la Syrie vers Beyrouth où il s’embarquera pour la France avec un érudit Capucin de Bagdad, le Père Anastase (p.84 à 107).  Il multiplie les pèlerinages, se rendant 28 fois à Jérusalem, à Ur en Irak lieu de naissance d’Abraham, à BeÏza en Iran où naquit El Hallaj (p.386) et aux sanctuaires dédiés à Marie, à Ephèse ; à Notre Dame des Blachernes à Istanbul,  à La Salette, à Lourdes, à Notre Dame de Fatima. Il voit en Marie un trait d’union essentiel entre les deux religions (p.299), d’autant plus que la valeur numérique des prénoms Myriam et Fatima est la même en arabe, soit 290 (p.300). Le nom qu’il adopte en 1931 lorsqu’il devient tertiaire franciscain est Abraham (p.25). Il compare la mort prématurée de son fils au sacrifice d’Abraham (p.296). Dans une lettre de 1959, il écrit : « Je suis un croyant qui a soif des sources du sacré » (p.410). En 1950, il sera ordonné au Caire dans le rite melkite qui admet les prêtres mariés. Grand mystique, sa spiritualité est fondée sur la notion d’hospitalité « Pour comprendre l’autre, il faut devenir son hôte ». La notion d’hospitalité est le fil rouge de sa vie. (p.24)

Il s’engage également socialement et politiquement selon ses principes spirituels, sûr que « la justice est la perfection de l’amour ». Il participera à l’alphabétisation des ouvriers nord-africains illettrés  de Gennevilliers. Présidant le Comité chrétien d’entente avec l’islam, il deviendra visiteur des détenus maghrébins et sera pris à partie par les rapatriés d’Algérie, perdant la vue de l’œil droit sous les coups qui lui sont assénés en 1958 (p.25).

Le  lecteur appréciera l’iconographie répertoriée (p.417-420) et la richesse de la bibliographie (p.421-426).

 

Christian Lochon