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[Grèce] Le témoignage d'Estelle : "chaque rencontre est une occasion d’étonnement".

Retrouvez le témoignage d’Estelle, volontaire en Grèce.


Lundi 14 septembre. Il est 10h40 en Grèce. J’ai quitté le sol français il y a deux heures. Je suis maintenant à 2000 km de chez moi, presque arrivée à Athènes, capitale de la Grèce. Je ne serai de retour en France que dans 6 mois. L’exploration de ce pays à l’histoire millénaire commence ici.

De l’avion qui me porte en Grèce, le premier visage de ce pays se dévoile. Un paysage dévasté par le soleil, une terre sèche, nue, brûlée. Je crois voir un désert que la mer visite par endroits. L’aridité du pays est flagrante. Je pense immédiatement aux hommes qui doivent travailler sur ces terres assoiffées. Cette image de pays harassé par la chaleur, par la nature qui le fait vivre et mourir me reste en tête.

C’est la nature qui fait vivre la Grèce : ces paysages magnifiques que tous nous avons en tête et qui s’offrent à la vue de chacun sont la vitrine de ce pays splendide. Cyprès immenses, mers de sable et d’eau salée, terres battues par un vent fort et qui s’émiettent dans la mer, voilà la Grèce que j’aperçois. Les touristes sont nombreux et confirment cet attrait inépuisable pour cette Grèce si séduisante.

C’est aussi la Grèce et son climat exténuant qui affaiblissent ce peuple. Dans la ville, tous les volets sont fermés, tous les stores baissés, et cela, à toute heure de la journée. Dans le quartier où j’habite, seules les nombreuses échoppes qui donnent sur la rue laissent voir ce qui s’y passe à l’intérieur. Les étages supérieurs semblent tous inhabités ou morts. C’est comme si la vie s’arrêtait au premier étage.  

Circulant plus tard au hasard des rues, mon impression d’arriver dans un pays tiraillé dans deux directions opposées par la même réalité me reste en tête : des ruines et des ruines. Les ruines d’une civilisation antique et magnifique qui a fondé l’histoire de l’Occident et les ruines d’un pays sacrifié dans des crises successives. Ici immeubles délabrés côtoient hôtels de luxe fringants. De même, sur les trottoirs de marbre qui parcourent la ville dorment des gens qui n’ont rien. Athènes m’apparaît donc d’abord comme une cité impressionnante dont l’histoire est parfaitement rendue par l’architecture. Je contemple l’Acropole qui domine la ville comme la Grèce rayonna jadis sur tout le bassin méditerranéen et je m’arrête sur les décombres de nombreux bâtiments, miroirs d’un pays qui s’effondre.

Ce qui me frappe aussi c’est cette économie parallèle, que les économistes appellent naïvement économie sous-terraine, mais qui est partout perceptible. Vente à la sauvette, prostitution, paiements réguliers en cash… Cette réalité frappante est d’autant plus visible que la police omniprésente y reste indifférente. On comprend alors la vétusté des infrastructures : routes, bâtiments délabrés et police passive donnent l’image d’un Etat inexistant.

Enfin, le visage d’une Grèce très religieuse se laisse facilement regarder. Les églises et petites chapelles orthodoxes sont partout. Les icônes qui emplissent ces lieux de culte sont reproduites sur des murs de la ville. Le drapeau de l’Eglise grecque orthodoxe est arboré sur certains bâtiments publics. Mon regard de française habituée à une distinction claire entre l’Eglise et l’Etat est désorienté mais surtout émerveillé par cet Etat qui, malgré des défauts évidents, persiste à défendre publiquement les racines qui font son peuple !

C’est dans ce pays fatigué, à genoux mais à l’âme toujours vivante que s’inscrit ma mission. L’Œuvre d’Orient m’a envoyée au JRS (Jesuit Refugee Service). Le JRS est porté ici par la communauté jésuite d’Athènes et par 4 sœurs, avec qui je vis. Je découvre jour après jour que l’Eglise catholique romaine est largement minoritaire en Grèce. Les volontaires, dont je fais partie, sont donc de véritables soutiens pour l’Eglise catholique de Grèce.

Dans le centre JRS où je suis volontaire, je rends service à des réfugiés venus de loin pour trouver un ciel meilleur. La plupart de ceux-là sont afghans, et africains. La première fois que je suis amenée à rencontrer ces personnes, c’est à Victoria Square, à 10 minutes à pied de la communauté avec laquelle je vis. Je vois des familles, de nombreuses familles, assises, par terre, sur des cartons, des couvertures. Que font-elles ici ? Qu’attendent-elles ? Ce sort est-il celui que ces familles ont recherché en quittant leurs pays ? Bon nombre de questions me viennent à l’esprit. Révolte, frustration, incompréhension m’habitent. Le plus étonnant, et certainement le plus consolant c’est que ces personnes ne semblent pas fondamentalement malheureuses. Plus fort encore, je crois percevoir, dans ces quelques premiers regards, l’espoir qui les fait vivre. Je crois que j’avais toujours considéré les réfugiés, que je ne connaissais que par ce que les médias m’en disaient, comme des gens privés de tout. En réalité, ils doivent avoir un espoir immense pour accepter de vivre tout cela. Cet espoir, ils me le transmettent dès cet instant où mon regard ose la rencontre avec le leur. Je manque d’espoir, et c’est eux qui m’en donnent !

En arrivant ici, je pensais côtoyer des situations désespérées alors qu’il semblerait que ce soit radicalement le contraire : si ces gens sont ici, c’est qu’ils ont l’espoir, et même pour certains, une religieuse espérance d’offrir un avenir meilleur à leurs enfants. A noter également que les échanges avec les femmes que je rencontre sont profonds, et ce, bien que nous ne parlions pas la même langue. L’échange se joue essentiellement dans la communication non verbale. On me l’avait enseigné et c’est impressionnant de l’expérimenter. Lors d’une discussion avec une femme afghane, elle me fait comprendre qu’elle voit tout l’avenir devant elle. Sans doute sa famille a-t-elle rencontré des épreuves très lourdes mais leur espoir est plus grand que ces obstacles ! Ces rencontres sont pour moi pleines d’enseignement.

J’apprends que le JRS propose plusieurs services, dont un centre d’accueil de jour pour les femmes et un magasin de vêtements. Je remarque rapidement que même dans cette ONG d’une taille relativement petite, la bureaucratie se fait pesante. Par exemple, si une femme vient au centre d’accueil sans sa carte d’inscription au JRS, elle doit rentrer chez elle pour aller la rechercher. Si un homme arrive au magasin, sans rendez-vous, le responsable des entrées du magasin lui refuse l’entrée. Ces petits événements sont en réalité assez nombreux et la menace pour le JRS de passer à côté de son objectif est alors particulièrement présente.

Ces quelques lignes résument en substance ce que j’ai découvert au cours des deux semaines passées. J’aurais certainement bien plus à dire : chaque rencontre est une occasion d’étonnement, et souvent d’émerveillement. Enfin, je souhaiterais que cette admiration que j’ai éprouvée pour la plupart des personnes rencontrées ne se tarisse pas. Qu’elle fasse croître en moi le zèle qui m’a portée jusqu’à elles !