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Témoignage d'Aymeric, volontaire depuis un an en Irak

« Aymeric, 25 ans, après un master II de RH a commencé en janvier 2018 un volontariat d’un an au Kurdistan Irakien, qu’il a prolongé de 6 mois. ».

 

L’Œuvre d’Orient en Irak :

L’Œuvre d’Orient est présente en Irak depuis presque une centaine d’années et y développe de nombreux projets de soutien aux communautés locales. Mais, depuis 2014, elle a transformé son approche en Irak pour répondre aux besoins d’urgence provoquées par l’invasion de l’Etat Islamique. Depuis 2017 avec la fin du conflit en Irak contre l’Etat Islamique l’Œuvre d’Orient accompagne le retour des minorités chrétiennes dans leurs villes tout particulièrement à Mossoul et dans la Plaine de Ninive.

Aujourd’hui, les projets entrepris sont principalement orientés vers la reconstruction (logements, écoles, lieux cultuels …), mais aussi l’éducation et la santé (écoles, centres d’accueil pour handicapés, personnes en fin de vie, associations, etc.) ainsi que la préservation du patrimoine des minorités du Proche-Orient.

C’est dans ce contexte compliqué que j’ai été envoyé en mission à Erbil en 2018 pour un an. Ma feuille de route consistait à prendre en charge différents projets pour aider au retour des chrétiens dans la Plaine de Ninive.

Ma mission :

Le principal projet qui m’a été confié est un projet dit « livelihood » c’est-à-dire proposer des solutions pour héberger des familles qui voulaient revenir dans leurs villages malgré les destructions mais aussi gérer un atelier multi-activités : menuiserie et ferronnerie pour aider à la reconstruction.

En parallèle, j’assure le suivi de différentes associations de jeunes dont nous soutenons les projets (éducation des jeunes, reconstruction, etc.).

J’ai la chance de travailler avec Ninwaya, un jeune irakien originaire d’une ville dans les montagnes du Kurdistan Irakien. Il m’accompagne dans mes déplacements sur le terrain avec sa voiture et assure la traduction (anglais/arabe/kurde/soureth, la langue parlée par les chrétiens).

Mes tâches :

Depuis mon arrivée, on m’a confié la responsabilité d’un projet de l’Œuvre d’Orient dans la plaine de Ninive, appelé la « Base Vie », situé à Karamless (35 Km de Mossoul).

Les résidents de la « Base Vie », Karamless, Plaine de Ninive.

Il consiste en l’hébergement de familles chrétiennes pauvres et étudiants originaires de Mossoul ou des villes voisines (50 bénéficiaires depuis 2017). Ils habitent dans un lotissement de 10 maisons (dont une salle commune/réfectoire). Les familles sont en période de transition pour reconstruire leur logement détruit durant la guerre. Quant aux étudiants, leurs parents habitent encore au Kurdistan Irakien, loin de l’université. Le logement qui est mis à leur disposition leur permet de se rapprocher de l’université de Mossoul où ils suivent leur cursus tout en résidant dans une zone sécurisée.

 

Réalisation de tables d’école, Karamless, Plaine de Ninive.

Mes missions consistent à m’assurer que chacun a accès aux commodités de base ainsi que les repas (petit-déjeuner et dîner) préparés dans le réfectoire par une cuisinière. J’anime également la vie étudiante en organisant des événements (films, workshops, cours d’anglais, dîners/fêtes…). Les étudiants sont très enthousiastes pour partager des moments de convivialité lorsqu’ils trouvent un peu de temps entre les révisions.

D’autre part, je gère l’activité d’un atelier de menuiserie et ferronnerie (5 bénéficiaires chrétiens), toujours à Karamless. Au sein de cet atelier, nous fabriquons des meubles à destination des communautés

Ninwaya et moi : le duo de choc !

chrétiennes (congrégations religieuses, diocèses). Ainsi, nous avons réalisé des tables pour des écoles, des meubles pour des jardins d’enfants et pour un centre d’accueil d’enfants handicapés, des bancs pour des églises, etc. J’ai également développé l’aspect formation en recrutant des jeunes qui sont devenus apprentis. Dans la plaine de Ninive, l’activité économique peine à reprendre. C’est donc une chance pour ces chrétiens d’apprendre un métier ou de gagner en expérience et de participer à la reconstruction de leur région. Je m’assure du bon fonctionnement de l’activité (entretien du lieu, du matériel de production, acheminement des matières premières, gestion des délais et livraisons, etc.) et des équipes (RH – recrutement, paie, développement des compétences) et j’assure le suivi comptable et financier de l’ensemble du projet.

En parallèle, je gère d’autres projets autour de l’éducation (en propre ou via des associations dont L’Œuvre d’Orient soutient les projets). Pour ces projets, il s’agit surtout de faire de la coordination entre les différentes parties prenantes (opérateurs du projet, bénéficiaires, L’Œuvre d’Orient) et d’assurer le suivi administratif et financier.

Fabrication de bancs d’église, Karamless et Bartella, Plaine de Ninive..

 

Mes impressions :

A mon arrivée, j’ai été bouleversé en découvrant le pays dans lequel j’allais vivre pendant 1 an. La guerre contre l’Etat Islamique était terminée depuis 2 mois mais la tension était encore palpable. Dans la Plaine de Ninive, proche de Mossoul, les vestiges de la guerre étaient omniprésents (bâtiments effondrés à cause des bombardements, tranchées, tunnels creusés par les soldats de Daesh). L’une des choses qui m’a le plus marquée a été de rencontrer des familles dans un camp de réfugiés Syriens à Darashakran, au Nord d’Erbil (Kurdistan Irakien). J’ai rencontré des personnes qui vivaient là depuis 7 ans. Un père de famille m’expliquait qu’au fur et à mesure des années, les tentes avaient été remplacées par des maisons en dur avec un toit de fortune. C’était pour lui le signe que le conflit s’enlisait et qu’il ne retournerait peut-être jamais chez lui. C’était une véritable ville avec ses commerces, ses écoles, ses terrains de sport… Mais tout cela entouré de grillages et un checkpoint à l’entrée.

Aide financière aux étudiants Yézidis de l’université de Mossoul, Bashiqa, Plaine de Ninive

Peu à peu, j’ai pris mes marques dans ce nouvel environnement. A Ankawa, le quartier chrétien d’Erbil où je vis la plupart du temps, j’ai pris l’habitude de visiter les familles chrétiennes du camp de déplacés d’Ashti 2. Je suis invité à boire le thé ou un café turc et à manger des Kletchas (pâtisserie à la pâte de datte). Les familles parlant un petit peu anglais, je parviens à comprendre leur vécu et tout ce qu’elles ont enduré. Aux gré des rencontres avec les chrétiens de Mossoul, de la Plaine et même de Bagdad, je prends conscience de l’ampleur des persécutions entre 2003 et 2014 (lettres de menaces, enlèvements contre rançon, assassinats). Toutes les tranches d’âges étaient concernées. La plupart ont trouvé refuge à Erbil, à Dohuk et à Soulemanyah (les grandes villes du Kurdistan Irakien). Le départ des chrétiens pour le Kurdistan Irakien s’est accéléré avec l’invasion de Daesh à Mossoul et dans les villes chrétiennes de la Plaine en 2014. Un couple âgé m’expliquait que le plus dur pour eux était d’avoir vu partir leurs enfants et leurs petits enfants dans les pays occidentaux à chaque fois qu’ils obtenaient un visa (Amérique du Nord, Europe, Australie). C’est d’autant plus difficile que dans la culture orientale, ce sont souvent trois générations d’une même famille qui vivent sous le même toit. Les liens familiaux sont tellement forts ici.

J’ai vite compris que ma présence dans le pays n’allait pas révolutionner cette société marquée par les conflits mais représentait un témoignage fort pour les irakiens chrétiens à l’heure où beaucoup sont tiraillés entre partir vers les pays occidentaux ou revenir s’installer sur leur terre. Vivre auprès d’eux en partageant les mêmes conditions de vie les aide à exprimer leur passé douloureux et faire face à un futur incertain.

Meubles pour le centre d’enfants handicapés des sœurs missionnaires de Marie, Qaraqosh, Plaine de Ninive.

Pour ma part, j’apprends des tas de choses chaque jour sur le terrain. Je mets en pratique tout ce que j’ai acquis au cours de mes études de management et RH grâce aux projets et aux responsabilités qui me sont confiées. Je prends plaisir à transmettre ce que j’ai appris aux jeunes que je côtoie à la base vie de Karamless via les workshops que j’organise. Et je fais surtout des choses que je n’aurais jamais imaginées, comme apprendre à bâtir les murs d’une maison, dessiner le mobilier d’une église, gérer la logistique malgré des checkpoints tous les 10 kms ou encore réaliser des interviews d’étudiants de l’université de Mossoul.

C’est donc une expérience très riche à la fois professionnellement et humainement. Ce n’est pas tous les jours facile à cause des difficultés territoriales et de la barrière culturelle mais le sens de l’accueil et d’entraide des irakiens donnent envie de se mettre au service chaque matin !

 


Camp de jeunes avec l’association « Etuti », Sarsing, Kurdistan