Le nouveau défi des Chrétiens d’Orient d’Istanbul à Bagdad

Juriste et historien, né en 1973 à Montpellier, Sébastien de Courtois est chercheur à l’École Pratique des Hautes Études. Il consacre ses travaux à l’étude du christianisme oriental et des diasporas chrétiennes. En 2001, il a soutenu une thèse de DEA à l’EPHE sous le titre : Une communauté syriaque orthodoxe en péril à la fin de l’Empire Ottoman.

 

 

 

 

 

 

 

 

INDE : une situation alarmante

Texte de Sandro Magister

    Depuis le 24 août, la vague de violences antichrétiennes a fait de nombreuses victimes. Les attaques ne faiblissent pas, loin de là. Elles ne sont plus sporadiques mais systématiques, presque quotidiennes. Outre l’Orissa, plusieurs états sont désormais concernés : le Kerala, le Karnataka, l’Andra Pradesh, le Madhya Pradesh, le Chattisgarh et le Tamil Nadu.

    Des fanatiques hindouistes s’en prennent surtout aux villages ruraux. Ils accusent les chrétiens de prosélytisme forcé parmi les classes les plus pauvres, les tribaux et les hors castes. Mais l’accusation n’est qu’un prétexte, comme le prouvent les recensements officiels. En effet, la part de la population chrétienne croît moins rapidement que celle des populations hindouiste ou musulmane (2,6% en 1971 – 2,3% en 2001).

    Les violences sont provoquées moins par les conversions que par l’action des chrétiens en faveur des pauvres, qui sont la base réduite en esclavage du système pyramidal sur lequel la société hindoue repose traditionnellement. La vraie « faute » des chrétiens est de prêcher et pratiquer l’égale dignité de tous, contre le système des castes.

    Les évêques catholiques d’Inde ont dénoncé à plusieurs reprises « l’apathie et l’indifférence du gouvernement, au niveau central et dans les états » face aux agressions contre les chrétiens. A chaque fois, les mesures de sécurité ont été tardives et sporadiques. La même apathie peut être reprochée aux gouvernements étrangers, qui se soucient très peu des attaques antichrétiennes en Inde.

    Mais le silence et l’inaction des leaders religieux et intellectuels hindouistes sont tout aussi graves. Rares sont les voix qui se sont élevées pour défendre les chrétiens et la paix interreligieuse.

    On trouvera ci-dessous l’une de ces interventions, parue le 28 septembre 2008 dans le quotidien anglophone « Times of India ». Son auteur, Shashi Tharoor, est de religion hindouiste. Essayiste et écrivain renommé, il a été candidat en 2006 au poste de secrétaire général des Nations Unies, après avoir occupé la charge de sous-secrétaire dans la Maison de Verre.

Les fondements de l’Inde sont attaqués – par Shashi Tharoor

    Fondamentalement, il y a en Inde deux sortes de politique : celle de la division et celle de l’unité. La première, de très loin la plus répandue, est pratiquée par des hommes politiques qui rivalisent dans le découpage et la fragmentation de l’électorat en configurations de caste, de langue et de religion de plus en plus petites. Dans le meilleur des cas, pour appeler ces identités particularistes à voter pour eux.

    Mais ce qui s’est passé au cours de ces dernières semaines dans l’Orissa puis dans le Karnataka et qui menace de se déchaîner dans les districts tribaux du Gujarat marque une dégradation accrue de notre vie politique. Les agressions contre les familles chrétiennes, le vandalisme qui a dévasté leurs lieux de prière, la destruction des maisons et des moyens de subsistance, les viols, les mutilations et les personnes brûlées vives dont on a fait état n’ont rien à voir avec les croyances religieuses des victimes ou des agresseurs. Au contraire tout cela fait partie d’un projet politique méprisable dont le plus proche équivalent est à trouver dans les attentats à la bombe perpétrés par des moudjahiddines indiens à Delhi, Jaipur et Ahmedabad, dans des hôpitaux, des marchés et des terrains de jeu. Dans les deux cas, il s’agit d’actes antinationaux et visant à diviser le pays en opposant les gens selon leur identité religieuse. Dans les deux cas, il s’agit de tirer un profit politique de cette polarisation.

    Notre devoir est de ne laisser triompher aucune de ces deux formes de terrorisme.

    Les bandes criminelles de l’Orissa cherchent à tuer les chrétiens, à détruire leurs maisons et leurs églises pour terroriser les gens et diffuser ce message: « Tu n’es pas à ta place ici ». Comment en sommes-nous arrivés à ce qu’une terre qui a été un refuge de tolérance pour les minorités religieuses pendant son histoire soit tombée aussi bas? Pendant des millénaires, la civilisation indienne a offert un asile et surtout la liberté religieuse et culturelle aux juifs, aux parsis, aux musulmans et aux chrétiens de nombreuses confessions. Le christianisme est arrivé en Inde avec saint Thomas apôtre, le Thomas « du doute », qui a débarqué avant l’an 52 de l’ère chrétienne sur les côtes du Kerala où il a été accueilli par une jeune juive qui jouait de la flûte. Il a converti beaucoup de gens, si bien qu’il y a aujourd’hui des Indiens dont les ancêtres sont devenus chrétiens bien avant que beaucoup d’Européens n’aient découvert le christianisme et avant que les tenants de l’actuel chauvinisme hindouiste n’aient pris conscience qu’ils étaient eux-mêmes hindouistes. L’Inde dont nous pouvons tous être fiers, c’est celle où l’appel du muezzin se mêle habituellement au chant des mantras dans les temples, celle où le tintement des cloches des églises accompagne la récitation des vers du gourou Granth Sahib. Mais il y a aussi l’Inde qui a rasé la mosquée d’Ayodhya, qui a déchaîné les pogroms au Gujarat et qui verse désormais sa haine sur les 2% de la population qui sont chrétiens.

    En tant que fidèle hindouiste, j’ai honte de ce que font des gens qui affirment agir au nom de ma foi. J’ai toujours été fier d’appartenir à une religion dont l’ampleur et la largeur de vues sont extraordinaires; une religion pour laquelle toutes les voies d’adoration de Dieu sont également valables. C’est même l’unique grande religion au monde à ne pas prétendre être la seule vraie religion. Le fondamentalisme hindouiste est une contradiction dans les termes, puisque l’hindouisme est une religion sans « fondamentaux », où il n’y a rien qui pourrait ressembler à une hérésie. Comment une poignée de gourous ose-t-elle appauvrir la sublime majesté des Védas et des Upanishads par le fanatisme étroit de leur marque identitaire politique? Pourquoi les hindouistes devraient-ils leur permettre de réduire l’hindouisme à une autoglorification vociférante de hooligans de stade, de prendre une religion immensément tolérante pour la réduire à une violence chauvine?

    L’hindouisme, de par son ouverture, respecte la diversité, accepte toutes les autres croyances. Seul, il a su s’affirmer sans menacer les autres religions. Mais ce n’est pas ce que vomit l’Hindutva dans les haineuses diatribes de ses hommes politiques. L’hindouisme véritable est celui de Swami Vivekananda qui, en 1893, au Parlement Mondial des Religions de Chicago, a merveilleusement présenté l’humanisme libéral qui est au cœur de sa croyance et de la mienne. Vivekananda a affirmé que l’hindouisme est en faveur « de la tolérance et aussi de l’acceptation universelle, car non seulement nous croyons en un respect universel, mais nous acceptons aussi toutes les religions comme vraies ». Et de citer un hymne : « De même que les cours d’eau dont les sources sont en des lieux différents mêlent leurs eaux dans la mer, de même, ô Dieu, puissent tous les chemins, si différents soient-ils, tortueux ou droits, que les hommes empruntent selon leurs différentes tendances, conduire vers Toi ». La vision de Vivekananda – résumée dans le concept Sarva Dharma Sambhava – est en fait la forme d’hindouisme pratiquée par la grande majorité des hindouistes, dont l’acceptation instinctive des autres croyances et formes d’adoration constitue depuis longtemps la marque vitale de l’indianité.

    Vivekananda ne faisait aucune distinction entre les actions des hindouistes en tant que peuple (par exemple garantir l’asile) et en tant que communauté religieuse (tolérance envers les autres croyances). Pour lui, la distinction n’était pas valable car l’hindouisme est à la fois une civilisation et un ensemble de croyances religieuses. « Les hindouistes commettent des fautes – ajoutait Vivekananda – mais ils veulent punir leurs corps et non couper la gorge de leurs voisins. Si un fanatique hindou s’immole sur le bûcher, jamais il n’allumera le feu de l’Inquisition ».

    Il est triste que ces thèses de Vivekananda soient contredites par ceux qui crient dans les rues qu’ils font revivre sa foi et son nom. « Ces hindouistes militants, a observé Amartya Sen, donnent de l’Inde l’image « d’un pays d’idolâtres intolérants, de fanatiques délirants, de dévots belliqueux et d’assassins religieux ». Discriminer l’autre, agresser l’autre, tuer l’autre, détruire le lieu de culte de l’autre, tout cela ne fait pas partie du dharma hindouiste que Vivekananda a si merveilleusement prêché. Pourquoi donc les chefs religieux hindouistes n’élèvent-ils pas la voix pour défendre ces fondements de l’hindouisme?

    Lu sur PRO LITURGIA : En un peu plus d’un mois, la vague de violences antichrétiennes qui a débuté le 24 août dans ce pays a fait 60 victimes auxquelles il faut ajouter plus de 18 000 blessés, 178 églises détruites, 4 600 maisons brûlées, 13 écoles et centres sociaux dévastés.
En outre, 50 000 chrétiens au moins ont fui leur village pour se mettre à l’abri dans des camps de réfugiés et dans les forêts. Peut-être ne prions-nous plus assez ?

            Article publié avec l’aimable autorisation de www.chiesa, traduction Charles de Pechpeyrou
           
Shashi Tharoor a fait ses études dans des écoles chrétiennes et obtenu ses diplômes en droit et en diplomatie à la Fletcher School de la Tufts University, aux Etats-Unis. Il écrit pour de grands titres comme le « New York Times » et « Newsweek ». Il est éditorialiste pour le « Times of India ».

J’ai dit NON à la VENGEANCE, Martyrs chrétiens en Turquie

18 avril 2007. Trois chrétiens sont sauvagement assassinés en Turquie. Largement relayé par les médias sur le moment, puis aussitôt oublié par certains, le drame de Malatya représente pour d’autres une réalité douloureuse aujourd’hui encore. Désormais seule avec ses enfants,, Susanne Geske a dit haut et fort non à la vengeance. Où a-t-elle pu trouver la force de pardonner? Les auteurs ont cherché à connaître la vérité et ils livrent ici le résultat de leur enquête. Un récit bouleversant en forme de coeur à coeur, qui mérite d’être lu, relu et distribué.

 

 

 

ARMÉNIE – Equipons un atelier de plomberie pour sortir les jeunes de la rue

Contexte : la ville de Gümri fut dévastée par un terrible tremblement de terre en décembre 1988. Bilan : 25 000 morts, 500 000 sans abris et des milliers d’orphelins.

Le nouvel État n’ayant pu assurer la reconstruction économique et sociale de la région, Gümry détient aujourd’hui encore les tristes records concernant le nombre d’enfants des rues et la délinquance.

Le centre : les Sœurs de l’Immaculée Conception ont ouvert un Centre pour accueillir de nombreux orphelins de 6 ans et plus. Ils y reçoivent une éducation scolaire mais aussi religieuse, culturelle, artistique et humaine.

Les enfants grandissant, il est devenu indispensable de leur apprendre un métier pour assurer leur avenir, aussi les religieuses chrétiennes ont-elles eu l’idée de créer des ateliers de formation professionnelle.
Gümri manquant sérieusement de plombiers, une formation dans ce domaine est apparue prioritaire. La question du formateur est résolue, mais reste à équiper l’atelier et chaque étudiant…

Coût : 3 000 € permettraient de participer à l’achat d’outillage pour l’atelier et de 10 boîtes à outils pour les élèves (valeur unitaire : 128 €).Ces jeunes pourront ainsi se lancer dans la vie avec un véritable projet professionnel

Code Projet MICO : Projet 71 07 (suite)

ÉGYPTE : Comment dépasser l’indignation face aux incidents inter-religieux en Égypte?

    Une fois encore, l’Égypte fait parler d’elle avec la mort dramatique de six chrétiens coptes et un musulman, mitraillés à la sortie de l’église le mercredi 6 janvier dernier à Nag Hammadi, petite ville de Haute-Égypte jusqu’ici célèbre par les manuscrits gnostiques qui y furent découverts en 1945. Le moment choisi est particulièrement dramatique, car c’était le début de la fête de Noël pour les les orthodoxes.

    Une fois encore, les autorités politiques et religieuses du pays se sont élevées contre les agissements intolérants d’une minorité, peu représentative, nous dit-on, de la population égyptienne, foncièrement tolérante. “Nous sommes tous Égyptiens, tous frères”, lit-on dans la presse indignée. Les autorités assurent que les coupables seront jugés sévèrement. Le grand imam, cheikh Mohamed Sayyed Tantawi, et le ministre des Affaires religieuses sont allés en personne à Nag Hammadi présenter leurs condoléances à l’évêque Kirillos et à ses fidèles.

    Une fois encore, hélas, le concert de protestations, locales et internationales, semble voué à n’être qu’un voeu pieux, conduisant tout juste à renforcer la protection policière des lieux de culte chrétiens, jusqu’au prochain incident. Les incidents de ce genre sont réguliers, au moins une fois par an : ils démarrent souvent à partir d’un conflit local pour une terre, la réputation d’une jeune fille, une compétition électorale, et puis tout s’embrase : le conflit devient inter-confessionnel et finit dans le sang. Pour comprendre ce qui se passe, sortir de l’émotion et, peut-être, agir sur les vraies causes, un peu d’analyse est nécessaire.

Quelques rappels sur les chrétiens d’Égypte :

– Les chrétiens égyptiens sont environ 8 millions selon les estimations, soit un peu moins de 10% de la population. Bien que minoritaires dans leur pays, ces chrétiens constituent néanmoins, et de très loin, le groupe chrétien le plus nombreux au Moyen-Orient.
– Ces chrétiens sont des nationaux, des citoyens égyptiens. Les coptes aiment, d’ailleurs, rappeler que leur nom est le même que Egyptos. Être chrétien et être égyptien reviendrait donc au même, disent les coptes-orthodoxes, en tout cas jusqu’à ce que l’islam ne devienne la majorité religieuse dans ce pays au 10ème siècle.
– Ces chrétiens égyptiens sont orthodoxes à plus de 95%, l’Église copte-catholique comptant seulement 200 à 250 000 fidèles. Les autres chrétiens d’Égypte, Grecs-catholiques, Syriens catholiques, Maronites, Arméniens, Chaldéens, Latins ne sont plus que quelques dizaines de milliers, beaucoup ayant quitté le pays à l’époque nassérienne. Il y a actuellement un petit courant d’immigration vers l’étranger, mais rien de comparable à ce qui se passe en Irak, par exemple.
– Malgré les menaces récurrentes qu’elle doit affronter, l’Église copte-orthodoxe est très vivante : sous la houlette du pape Shenouda III, régnant depuis maintenant 39 ans, les diocèses se sont multipliés, y compris dans la diaspora ; les monastères du désert où est né le monachisme se sont remplis de jeunes, la plupart du temps diplômés ; les chrétiens sont très actifs dans leur Église, où ils participent activement à la liturgie, reçoivent une formation soutenue. Ce dynamisme va de pair avec une grand rigidité doctrinale et disciplinaire, peu propice à l’oecuménisme avec les autres confessions chrétiennes.
– Tout en étant presque 10% de la population, les chrétiens d’Égypte sont indiscutablement discriminés : accéder à un poste élevé dans le monde politique, l’armée ou la police, dans des milieux en vue comme l’équipe nationale de foot (on est en période de coupe du monde) est pratiquement impossible. Moins au nom d’une loi écrite que d’un consensus régnant dans la majorité des citoyens. Quelques exceptions comme Boutros Boutros Ghali, ex-ministre des Affaires étrangères et Secrétaire général des Nations-unis ou la dynastie des milliardaires coptes-orthodoxes Sawiris, ne doivent pas faire oublier cette discrimination. Le mot “discrimination” est plus juste, à mes yeux, que celui de “persécution”, car la pratique religieuse est libre et accessible à chacun. Obtenir un permis de construire une église, ou même une autorisation de la réparer, relève de la gageure. Il faut rappeler encore que depuis Sadate, l’article 2 de la Constitution indique que la loi musulmane est « la source principale du droit », texte que les chrétiens voudraient voir modifier.
Cette discrimination n’empêche pas de vivre ensemble au quotidien, parfois même dans une réelle amitié, mais elle crée tout de même au niveau du pays, et surtout dans les villages pauvres de Haute-Égypte, un climat de tension et de malaise.

    Le paradoxe est que cet état de fait déplait fortement aujourd’hui à nombre d’Égyptiens, Chrétiens, bien sûr, mais aussi Musulmans. “Où est-il, entend-on, le temps où nous vivions en bonne intelligence, Chrétiens et Musulmans”, “et même Juifs”, ajoutent certains ? Ces derniers ont presque tous quitté l’Égypte à l’époque des nationalisations et des surenchères panarabes de Nasser. “Que nous est-il arrivé” ?, disent de concert nombre d’amis Égyptiens, des deux religions. Où est l’Égypte de Taha Hussein, cet universitaire musulman réputé pour son ouverture intellectuelle et humaine ?

Un contexte général difficile

Pour comprendre, on ne peut isoler la question religieuse du contexte général du pays. L’Égypte est, comme la plupart des pays du monde, affectée par la crise économique mondiale. Moins que d’autres peut-être, car la demande intérieure reste forte, mais elle est affectée tout de même, ne fût-ce que par la chute très sensible des recettes du canal de Suez. A cela s’ajoute une mauvaise distribution de la richesse et une corruption que tous, y compris les autorités de l’Etat, fustigent sans parvenir à la juguler tant la culture du bakchiche est profondément ancrée. La vie des pauvres est rude dans les campagnes défavorisées – c’est le cas de Nag Hammadi où a eu lieu le dernier incident- mais aussi dans les quartiers populaires des villes, surtout le Caire : 20 millions d’habitants, des services publics très déficients (transports, hôpitaux, entretien des quartiers), la vie chère, une pollution qui atteint des records mondiaux. Bref, le climat social est très détérioré.

A cela s’ajoute un manque de perspective politique. Le président Moubarak, âgé de 81 ans, finit bientôt son 5ème mandat, et voudrait, dit-on, placer son fils Gamal sur le siège présidentiel. Au-delà de cette possible succession dynastique, c’est surtout le climat politique d’ensemble qui fait problème : pas de réel débat politique, alors que les problèmes à affronter sont immenses et mériteraient que l’on associe pour y répondre toutes les forces vives du pays, l’ensemble de la société civile. Une telle situation, socialement explosive, ne dure que parce que le régime tient le pays avec une main de fer : la loi d’urgence, qui interdit toute manifestation non autorisée et donne des pouvoirs régaliens à la police, est en vigueur depuis l’assassinat du président Sadate en 1981. Une excellente analyste de l’Egypte contemporaine, Basma Kodmani, considère que le régime, soucieux de garder le contrôle du politique et de l’économie, a abandonné le culturel et le symbolique à des courants religieux rétrogrades : on vise ici moins les Frères Musulmans, groupe officiellement interdit et régulièrement réprimé avec sévérité, qu’une idéologie religieuse conservatrice, venue largement d’Arabie saoudite (le wahhabisme), qui s’est insidieusement installée dans la vie quotidienne et imprègne désormais toute la vie sociale : de la mentalité des universitaires jusqu’à la manière de s’habiller. Il faut avoir l’air pieux, bon religieux et l’afficher : d’où la zebiba, empreinte sombre sur le front des hommes qui souligne leur fidélité aux cinq prières quotidiennes, le voile porté désormais par quasi toutes les femmes musulmanes, la manière de se saluer, etc. Ces courants conservateurs font d’autant plus de ravages que l’école et l’université sont en piètre situation : engorgement des classes, faible motivation de professeurs mal payés, recours généralisé aux leçons particulières payantes : on est loin de l’Égypte d’antan, capitale culturelle du monde arabe. Ce conservatisme ambiant et ce manque d’esprit critique touche aussi, d’une certaine manière, les chrétiens orthodoxes, prompts à lire la Bible à la lettre et à voir partout des miracles : tous ou presque se sont tous enthousiasmés au mois de décembre dernier pour des soit-disant apparitions de la Sainte Vierge à Imbaba, banlieue populaire et islamiste du Caire, puis dans divers quartiers de la capitale et d’autres villes du pays. Chacun vous montrait avec fierté sur son téléphone portable l’apparition lumineuse de la Vierge qui se répétait presque chaque nuit, disait-on, sans aucun recul et avec un brin de triomphalisme. « Cela va nous valoir des ennuis », nous annonçait fin décembre un laïc chrétien égyptien plus éclairé. De l’avis de tous aujourd’hui, la situation est grave : l’intolérance montre dans le pays et même la presse officielle commence à s’en inquiéter ouvertement.

Comment sortir de cette impasse

La tâche est immense et on ne saurait donner des recettes simples. Il faut attaquer le problème à tous les niveaux. A côté des nécessaires réformes poltiques et sociales, soulignons au moins deux aspects où les chrétiens d’Égypte oeuvrent à un changement des mentalités :

L’école. Il est essentiel d’y promouvoir non seulement une formation de qualité, mais une éducation ouverte à l’autre. C’est à quoi s’emploient avec dévouement et compétence les écoles catholiques (Frères des Écoles chrétiennnes, Jésuites, religieuses de diverses congrégations). Plus de 50 000 enfants, chrétiens et musulmans, sont ainsi scolarisés au Caire et dans toute l’Égypte dans un esprit qui promeut l’ouverture à l’autre et le respect mutuel. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans un pays où les élèves et étudiants se comptent par millions.

Promouvoir un autre regard sur l’islam et aider les musulmans à s’ouvrir à l’autre : c’est ce que promeut l’Institut Dominicain d’Études Orientales du Caire (IDEO) où, depuis des décennies, l’islam est étudié de manière scientifique et non idéologique. Fréquentée majoritairement par un public de chercheurs musulmans, la bibliothèque de l’IDEO, une des plus importantes en son genre, offre les outils pour une pensée critique, adulte. La communauté dominicaine qui porte cet institut s’efforce aussi, à la suite de son fondateur, un dominicain égyptien, le père Georges Anawati, de créer un climat d’amitié qui permette de désamorcer la peur de l’autre et de le rencontrer dans sa vérité humaine et spirituelle.

Le chemin d’un changement est long. Mais il n’y en a probablement pas d’autres.

Jean Jacques PÉRENNÈS, o.p.
                Vicaire provincial pour le Monde arabe
                Secrétaire général de l’Institut Dominicain d’Études Orientales –Le Caire

Prophètes du dialogue islamo-chrétien

Conflits et rencontres se sont succédé entre chrétiens et musulmans depuis 14 siècles. L’auteur se fonde sur les parcours et actions de quatre penseurs du XXe siècle qui ont oeuvré dans les voies du dialogue interreligieux en renouvelant le regard chrétien sur les valeurs de la culture islamique.

 

 

 

 

 

 

 

 

ÉGYPTE – Aidons 50 jeunes enfants à être scolarisés chez les filles de la charité au Caire – Helmiah el guidida

Contexte : La paroisse chrétienne de Boulac se situe dans un quartier très populaire. Une centaine d’enfants de 6 à 12 ans fréquentent le centre paroissial où, deux fois par semaine, 3 religieuses viennent leur apporter un enseignement spirituel et moral. Cette mission s’accompagne aussi d’une aide sociale et matérielle.

Le projet : Dans les familles très pauvres de la paroisse, les parents n’ont pas les moyens d’acheter à leurs enfants les quelques vêtements ni les fournitures scolaires nécessaires à la vie quotidienne, cadeaux traditionnels des fêtes de Pâques et de Noël, ni de payer le transport.
Les besoins sont urgents pour 50 d’entre eux. « Une petite fille qui avait reçu un peigne pour Noël, m’a demandé de l’échanger contre un crayon ! » nous a raconté une des sœurs.

Coût : 25 730 € pour assurer les frais de scolarité, de transport et l’achat de vêtements pour 50 enfants
Code Projet : Projet 04 08 (suite)

IRAN : Liberté de culte des chrétiens respectée

Témoignage de Mgr Ramzi Garmou,

Evêque de Téhéran des Chaldéens,
président de la conférence épiscopale iranienne. 
recueilli par Radio Vatican

 « Dans la constitution de la République islamique d’Iran, les chrétiens sont reconnus officiellement comme une minorité religieuse. Nous avons donc la liberté de pratiquer le culte et de donner une formation chrétienne à nos fidèles à l’intérieur de nos églises. Nos églises sont ouvertes pour le culte et la formation chrétienne », a expliqué Mgr Garmou.

Pour l’évêque, le défi actuel de l’Église catholique en Iran est « d’aider les fidèles à passer d’une foi sociologique, ethnique, transmise par les parents, à une foi issue d’une expérience personnelle authentique, un témoignage de vie, et donc qui soit avant tout un don de l’Esprit Saint ». Il s’agit d’un « passage nécessaire » à promouvoir grâce à des rencontres, réunions, prédications, indique l’évêque. 

Il discerne un autre défi : la promotion de l’unité des chrétiens en Iran, soulignant que la division entre baptisés « constitue un scandale » pour les chrétiens eux-mêmes. Il faut donc tout faire pour qu’ils puissent « vivre en communion » et que leur témoignage soit par conséquent plus « crédible ». Il souligne qu’il faut « intensifier et approfondir le dialogue œcuménique pour répondre à la volonté du Christ que tous ceux qui croient en lui « soient un afin que le monde croie ».
L’Église catholique iranienne compte trois archidiocèses de trois rites : deux de rite chaldéen (Téhéran et Urmy?Ѭ�), et un de rite latin (Ispahan) ; une archiéparchie de rite chaldéen (Ahwaz) et une éparchie de rite arménien (Ispahan).
Les chrétiens sont environ 100.000 dans le pays, ils appartiennent en majorité à l’Église arménienne apostolique dite « Grégorienne » du nom de saint Grégoire l’Illuminateur qui a baptisé le souverain arménien en 301.
Par ailleurs, l’évêque insiste sur l’importance de ce petit troupeau : « Nous devons en outre être convaincus que bien que nous soyons une petite minorité, Dieu peut cependant faire à travers nous de grandes œuvres ».  « L’importance d’une Église ne réside pas dans sa visibilité, sa grandeur visible, a fait observer Mgr Garmou, mais dans la qualité de sa foi, et dans le témoignage de ses fidèles ».

Iran : Une minorité chrétienne tentée par l’émigration

Moins de 0,04 % de la population, c’est ce que représente aujourd’hui la toute petite communauté catholique iranienne. Ainsi, dans un pays à 90 % musulmans, les catholiques (Assyro-Chaldéens, Arméniens et Latins) atteignent le chiffre de 25 000 (10 000 selon d’autres estimations).
Et ces chiffres ne vont pas en s’améliorant. Ces dix dernières années, le nombre de chrétiens a baissé en Iran, notamment en raison du taux de natalité plus bas parmi les chrétiens que parmi le reste de la population iranienne, mais aussi et surtout à cause d’une émigration qui a subi une brusque accélération après 1979 (Révolution islamique) et durant la guerre avec l’Irak (1980-1988).
Selon Radio Vatican, « la nouvelle législation islamique » a rendu l’intégration des chrétiens « encore plus difficile ». Car si la Constitution iranienne reconnaît les zoroastriens, les juifs et les chrétiens comme « minorités religieuses », les libertés concédées par le régime, « comme l’autorisation de boire du vin, de ne pas porter le tchador ou de pratiquer des activités sportives ou récréatives mixtes, entre hommes et femmes », restent limitées. « Et si l’accès aux charges publiques et à l’armée ne leur est pas formellement interdit, ils peuvent difficilement espérer y faire carrière ».
« Le désir d’émigrer de beaucoup de chrétiens iraniens exprime donc la situation d’une Église isolée dans un pays où la liberté de culte et d’association n’est autorisée qu’au sein des lieux de culte », affirme encore Radio Vatican. Les jeunes et les élites sont les premiers à émigrer. Les conséquences de ces départs sont donc « graves », estime encore Radio Vatican qui cite le « vieillissement et l’affaiblissement de la communauté locale, la difficulté pour les jeunes de réussir à trouver un conjoint chrétien et la baisse des vocations sacerdotales ».
Enfin, si l’Église latine a été « la communauté la plus pénalisée par le gouvernement des Ayatollah » (notamment pendant les deux premières années de la Révolution islamique), cette situation s’est améliorée ces dernières années : « d’une hostilité ouverte, on est passé à une phase d’assouplissement sous Rafsanjani, puis à une plus grande ouverture sous Khatami, qui s’est traduite en terme d’entrées plus faciles à obtenir pour le clergé, même si un numerus clausus est encore en vigueur », conclut Radio Vatican.

L’Église dans la terre d’Abraham, du diocèse de Babylone des Latins à la nonciature apostolique en Iraq

Unique ambassadeur resté là-bas pendant toute la période de la seconde guerre du Golfe, le nonce apostolique, Fernando Filoni, en se plongeant dans les archives de la nonciature, a reconstruit l’histoire de la présence de l’Église catholique dans la terre d’Abraham, à partir de la création du diocèse des Latins de Babylone en 1632, jusqu’à sa représentation actuelle, en passant par la fondation de la délégation apostolique en Mésopotamie, au Kurdistan et en Arménie Mineure. Par cette enquête soignée et originale, dans le droit fil de ce qui a uni, dans les cinq derniers siècles, le siège apostolique de Rome et le pays de l’Euphrate, Fernando Filoni a recueilli la tragédie d’un peuple, lui donnant une occasion précieuse de redécouvrir  l’histoire de l’Église en Iraq.