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Lettre de Pierre, volontaire de l'Œuvre d'Orient à Jérusalem


Jérusalem le 28 octobre 2018,

Fête de Notre Dame de Palestine

 

 

Voilà presque deux mois que je suis arrivé à Jérusalem comme aide-soignant à l’Hospice Saint Vincent. Il est toujours difficile de commencer une lettre, si bien qu’il est souvent préférable de se concentrer sur l’idée que l’on souhaite faire passer. Je souhaiterais ici retenir un mot, celui de « partage ». Il s’agit en effet de ce qui m’a le plus touché depuis mon arrivée.

 

Étudiant en Histoire, le monde du handicap m’était à l’origine étranger. J’avais certes déjà côtoyé des personnes souffrant de handicaps, mais jamais toute la journée, et sans partager avec elles chaque moment – y compris les plus intimes – de leur vie.

La première chose qui m’a marqué au cours de ces quelques semaines est la diversité des handicaps. Les limites, ou l’absence de limites, d’un handicapé, permettent souvent de prendre conscience de nos propres limites. Ainsi, certains handicapés ne se lassent pas de nous pousser à bout de nerfs, ce qui peut s’avérer très fatigant, mais ne nous empêche pas, bien au contraire, de les aimer.

 

La seconde chose qui m’a marqué est l’amour. On s’attache très rapidement à chaque personne, et ce, malgré la diversité des caractères. On se rend également compte de ce qui les rend heureux. Il s’agit souvent de choses simples, qui nous demandent du temps : ce n’est pas tant le moment en lui-même qui importe, mais le fait que l’on le passe avec eux. Ainsi, passer 10 minutes dans la chapelle avec un handicapé chrétien peut lui donner un sourire pour la journée. De même, faire une chose aussi simple qu’une course de fauteuils roulants dans le couloir procure une véritable joie contagieuse.

 

En Orient, le quartier, la maison, les voisins, ont une importance capitale – contrairement à la France où l’on ne connaît parfois pas son voisin. Cela se ressent à l’Hospice, en raison du nombre de personnes présentes. La communauté des Sœurs, les Filles de la Charité, est très attentive à chacun : elles ont toujours de petits gestes qui embellissent nos journées. Il peut au contraire y avoir des tensions avec les salariés de l’Hospice, en raison de notre statut de volontaire, mais également de différences culturelles, et des mises au point sont parfois nécessaires. Néanmoins, au bout de deux mois, je commence à construire de vraies relations avec certains salariés, et ce, malgré la barrière de la langue, voire de la religion. Il existe également d’autres groupes dans l’Hospice : des salariés et volontaires travaillent dans une crèche qui recueille de nombreux enfants ; le personnel d’entretien est nombreux – lavandières, cuisiniers, femmes de ménages, etc. ; certaines personnes vivent là et aident les sœurs de temps à autre.

 

L’Hospice se trouve le long de Mamilla Street (Jérusalem Ouest), une rue piétonne souvent comparée, en raison de son luxe, à l’avenue des Champs-Élysées à Paris. La présence de nombreux produits de luxe occidentaux est marquante, lorsque l’on a conscience de la présence de l’Hospice, et de la pauvreté qui y est associée aux yeux de la population locale. Il s’agit d’un symbole fort – un hospice au milieu du luxe ostentatoire – dans un pays où l’on tente de tout cloisonner – quartier chrétien, quartier musulman, quartier juif, quartier des juifs orthodoxes, etc. Cette ville qui semble cloisonnée en quartiers confessionnels révèle ainsi un visage d’une impressionnante diversité. L’Historien français Vincent Lemire parle par conséquent de « Ville-Monde ».

 

Face à cette diversité il existe trois possibilités :

  • Une politique de communautarisme à outrance où chacun reste dans son coin – cela pousse à la construction de murs ;
  • L’effacement des frontières communautaires, afin de calquer Jérusalem sur le modèle d’unité occidental (et surtout français) avec un peuple, une culture, – cela pourrait conduire à un conflit où l’on cherche à éradiquer la différence.
  • L’écoute fraternelle.

 

C’est en cette dernière attitude que je crois, et je cherche à la vivre ici. Il est selon moi essentiel de vivre la rencontre, de comprendre ce que vit l’autre. Je vis cette rencontre au travail, mais également dans mon temps libre. Ainsi, il y a une semaine, je me suis rendu à une rencontre œcuménique à l’Ecce Homo, événement primordial dans un lieu comme Jérusalem. Je suis également proche de la communauté maronite (libanaise), une Église en communion avec la religion catholique, tout en ayant un rite différent du nôtre. C’est là la beauté de l’Église : elle est Une et en même temps Catholique, ce qui implique une grande diversité. Ce partage peut également se vivre dans des moments simples. Ainsi, le 27 octobre, nous avons fait une marche dans le Wadi Qelt (chemin de Jérusalem à Jéricho) : nous étions six Latins, un prêtre maronite et un pasteur protestant. Ce fut un temps de ressourcement, d’émerveillement et de partage très riche.

 

La mission que tu reçois, c’est la route, et la route, c’est toi qui te la trace : veux -tu mettre Jésus sur ce chemin ? veux -tu marcher avec Lui comme les pèlerins d’Emmaüs pour qu’il t’ouvre les yeux ? Dieu veut avoir besoin de moi pour toucher l’autre, et par cette rencontre avec l’autre, par l’autre, Dieu me touche.

 

 

Seigneur, tu as voulu te faire Homme en cette Terre, tu es venu au milieu de la souffrance pour prendre nos souffrances. Viens demeurer dans les cœurs des habitants de ce pays, dans ceux des fidèles de nos communautés afin qu’ensemble, nous puissions bâtir ta Paix. 

Nous te le demandons par l’intercession de Notre Dame qui fait tomber les murs.

Amen.