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[TERRE SAINTE] À Jaffa, une école unique… et des élèves heureux

À Jaffa, une école unique… et des élèves heureux


L’école des Frères lassaliens, fondée en 1882, a une double particularité : accueillir des enfants juifs, chrétiens et musulmans et enseigner en français. Elle est unique en Terre Sainte et tient bon en dépit des difficultés.

De Jérusalem à Tel-Aviv, l’autoroute est bordée de barbelés électrifiés, frontière entre Israël et les Territoires palestiniens. Sur ces mêmes territoires se dressent des immeubles flambants neufs, habités par des colons israéliens occupant chaque jour un peu plus ces terres.  On ne peut imaginer société plus fracturée, morcelée, séparée, déchirée. Et puis, il y a Jaffa, ancienne échelle du Levant, au sud de Tel Aviv, et son port antique, comme une oasis de mixité, de libertés. Et au cœur de cette oasis, une école en utopie.

Installée dans la rue Yefet depuis 1882, l’école des Frères Lassaliens compte 700 élèves de la maternelle au lycée, avec la double particularité d’accueillir des enfants juifs, chrétiens et musulmans, et d’enseigner en français. Dans ce port de pêche, « abandonné de Dieu et des hommes » d’après le frère Rafael, jusque dans les années 90, les rues n’étaient pas goudronnées, il n’y avait ici que des oranges et du vent. L’histoire, la grande et les petites, avait laissé le port exsangue, vidé de ses habitants les plus riches. Seules subsistaient depuis un siècle les écoles, dont celles des Frères, pratiquement gratuites, traversées par toutes les turbulences de la région.

Des élèves heureux d’être là

Contre vents et marées, elle a tenu bon. Seul changement notable, depuis 2007, la direction de l’école n’est plus assurée par un frère, mais par une femme laïque, Madame Maha, palestinienne chrétienne. « Cette école est importante, parce qu’elle est unique dans ce pays. Lorsque les élèves passent 14 années de leur vie ici, il en reste forcément quelque chose ». 22 nationalités se côtoient, jouent, étudient en une mosaïque de couleurs de peau, d’accents et de langues. Israéliens, Palestiniens, Russes, Ukrainiens, Bulgares, Roumains, Arméniens, Français, Sud-Américains, Camerounais ou encore Turcs, qu’ils soient juifs, musulmans, catholiques de différents rites, orthodoxes et protestants. C’est en hébreu qu’ils s’interpellent dans la cour de récréation, mâtiné d’arabe. D’après le frère Rafael, « ils mélangent les deux sans cesse, c’est du chinois ! ». Mais c’est en français qu’ils s’adressent à leurs enseignants. Au collège, ils choisiront ensuite s’ils veulent poursuivre dans le système français ou israélien, les deux étant possibles. Il y a un parfum particulier dans cette école, palpable assez immédiatement. Tous sont heureux d’être ici. Sandra, enseignante marocaine avoue adorer travailler dans cet établissement. Un professeur de collège, française, installée en Israël depuis 27 ans et à l’école depuis 22 ans, ne se lasse pas de cette ambiance où toutes les fêtes religieuses sont célébrées « peu importe le sens ultime, ce qui compte c’est de les fêter ensemble, et qu’ils connaissent les traditions de chacun ». Céline, également française, responsable des classes primaires, ne semble compter ni ses heures ni son énergie.

Mais un établissement en difficulté

Il faut cependant constater que le français est en perte de vitesse. Selon Katty, professeur de mathématique libanaise, les parents mettent leurs enfants ici avant tout pour la qualité de l’enseignement. « Cette langue a perdu de l’intérêt pour eux, même Dimitri, un de mes élèves camerounais, parle en hébreu ! Seuls les Russes scolarisent leurs enfants spécifiquement pour le français. » L’anglais s’invite également dans les conversations des collégiens. D’après le frère Rafael, il est aussi plus compliqué d’obtenir une bourse pour poursuivre ses études supérieures en France. L’école des Frères n’échappe pas au recul de la francophonie que l’on voit pointer dans d’autres pays du Moyen-Orient. Tout comme aux problèmes économiques qui ont durement frappé les parents dans cette ville si touristique, depuis le Covid. Certains enfants ont dû quitter l’école, faute de pouvoir payer la scolarité. « On peine à garder à flot cette école. Avant le réseau des écoles lassaliennes, dont celle du Liban, nous soutenait financièrement… La crise actuelle nous fragilise encore plus. Pourtant nous devons garder cet établissement, c’est un symbole, elle doit continuer d’exister. » martèle le frère Rafael, avec l’infatigable détermination de ces 94 ans « qui ont vu passer toutes les guerres du Moyen-Orient ».

La cuisinière des frères, palestinienne, nous annonce fièrement en français (elle-même ancienne élèves des sœurs de Saint Joseph, dont l’école n’existe plus aujourd’hui) que son petit-fils est élève ici, et parle sept langues ! Le frère Patxo, amusé, lui répond : « il ferait mieux de les parler toutes un peu moins pendant les cours surtout ! ». Une école en tour de Babel inversée où la multiplicité des langues et des cultures serait le plus sûr moyen pour revivre ensemble.


Article extrait du Bulletin n°812 à retrouver ici.

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