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Mgr Gudziak nommé archevêque métropolitain de l'Archiéparchie Ukrainienne Catholique de Philadelphie

Diriger en écoutant le Seigneur et mes frères et sœurs

 

Entretien avec Mgr Borys Gudziak

 

 

 

Le 18 février, le Saint-Siège a annoncé que le pape François, en acceptant la recommandation du Synode des évêques de l’Église gréco-catholique ukrainienne (UGCC), a nommé l’évêque Borys Gudziak, Métropolitain et Archevêque de l’Archiéparchie catholique ukrainienne de Philadelphie. Au cours des six dernières années, Mgr Borys a été l’éparque de l’Éparchie Saint Volodymyr le Grand à Paris, au service des fidèles ukrainiens gréco-catholiques de France, de Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg et de la Suisse. Nous lui avons demandé de nous décrire ses réactions à la nomination, de revenir sur ses années de service à l’Éparchie parisienne et d’exprimer ses espoirs et ses aspirations à propos de sa nouvelle mission dans son pays d’origine.

 

 

Quelle a été votre réaction à la décision du Synode et du Saint-Père de vous nommer à l’Archiéparchie de Philadelphie ?

 

Permettez-moi d’être franc avec vous. Une nomination – et tout ce qu’elle implique – provoque pensées et sentiments divers. La première réaction est la gratitude et en premier lieu envers Dieu. Comme je mûris en tant qu’être humain, je me sens de plus en plus attiré par le mystère de notre Dieu en trois personnes. C’est peut-être audacieux – mais je veux être en la présence du Père, du Fils et du Saint-Esprit… Ma conviction est que le Fils est entré dans cette incroyable et misérable race humaine pour être avec moi et vous, même dans la mort, pour nous ramener à la maison vers le Père. La passion et la résurrection de Jésus et notre salut en Christ pour moi sont de plus en plus impressionnants et inspirants… Les conseils et le réconfort du Saint-Esprit me donnent plus d’espoir et de joie. Je sens la protection de la Mère de Dieu et la solidarité de la communion des saints, en particulier des martyrs. La vie dans le Seigneur, qui a servi et souffert, m’invite à souffrir et à servir avec bonheur ceux à qui je suis appelé. Mon désir de me donner pleinement à Dieu et de partager son amour et son amitié avec les autres déborde !

 

Je suis reconnaissant au Saint-Père, le pape François, au Père et chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne, sa Béatitude Sviatoslav et au Synode, pour leur confiance et leur bénédiction. Je suis en paix. En tant que chrétien et prêtre, j’essaie d’accepter la volonté de Dieu telle qu’elle s’exprime par l’Église, sans avoir cherché cette nomination.

 

Je ressens un sentiment de paix, malgré les fortes émotions qui m’habitent. Le métropolite émérite Stefan Soroka m’a accueilli au fil des années dans l’Archiéparchie bien organisée de Philadelphie. Il m’a donné des conseils judicieux au début de mon service pastoral à Paris : les personnes et les œuvres pastorales avant tout, pas les bâtiments. Mgr Andriy Rabiy, énergique et actif en tant qu’administrateur apostolique, m’a guidé avec soin et compétence. Les autres évêques de la Métropole m’ont encouragé fraternellement ces derniers jours. J’attends avec impatience la rencontre avec eux et le clergé, religieux et fidèles de l’Archiéparchie.

 

Je vais quitter l’Éparchie de Paris avec un sentiment de gratitude et de joie, mais aussi avec tristesse : gratitude pour tous les merveilleux prêtres, les religieux et les fidèles des cinq pays ; joie pour les nombreuses grâces que nous avons partagées, y compris, la maturité spirituelle et pastorale croissante du clergé, l’unité des fidèles et l’authentique synodalité qui s’est développée parmi nous. Ici nous avons écouté avec attention l’appel du Pape François et but à la source ecclésiale de l’Orient chrétien. Au cours des quatre dernières années, nous avons tenu huit sessions de notre Conseil éparchial (Synode diocésain), qui sont devenues pour nous un instrument efficace pour renforcer notre unité, notre foi et notre charité. La distance et de la diversité ne nous facilitait pas la tâche. Dieu nous a conduit à une vie de respect mutuel et d’amour. Servir en France, au Benelux et en Suisse n’a pas été pour moi, juste une responsabilité ecclésiale. Cela a été une vie en communion avec Dieu et son peuple. On ne peut pas si simplement tourner le dos à de telles expériences …

 

Nous avons vécu en communion fraternelle. Nous avons vécu humblement dans des conditions sociales et économiques parfois difficiles. La guerre en Ukraine se poursuit toujours et dure déjà depuis plus de cinq ans. La plupart des fidèles catholiques ukrainiens de l’Éparchie de Paris sont des immigrants ou des réfugiés. Presque tous, y compris moi-même, avons eu du mal à apprendre une ou plusieurs des six langues officielles de ces trois royaumes et deux républiques. La France, le Benelux et la Suisse sont parmi les pays les plus sécularisés du monde. Tandis que nous priions et travaillions ensemble à établir un cap et à le maintenir sur des mers agitées et imprévisibles, nous avons mené une vie simple et de service. Notre éparchie est devenue un petit coin du Royaume de Dieu sur terre, modeste mais authentique et rempli de foi, et qui reste encore à venir.

 

Je n’oublierai jamais ces expériences. L’énergie et la vie de l’Éparchie de Paris, l’enthousiasme de notre petite équipe et l’amour de tous les fidèles vont me manquer. Le clergé et les laïcs sont fantastiques et ont été mes professeurs et guides dans de nombreux domaines. Je reste très reconnaissant aux conférences épiscopales d’Europe occidentale, aux différentes associations et fondations qui ont soutenu notre mission et aux innombrables personnes qui nous ont aidés à grandir. Je suis envahi d’un sentiment profond de gratitude pour ces six dernières années et demie.

 

En même temps, cette nomination représente un retour aux sources. Ma famille américano-ukrainienne et l’Église des États-Unis m’ont donné vie, corps et esprit. Je suis né à Syracuse, dans l’état de New York. Là où, à l’église catholique ukrainienne Saint-Jean-Baptiste, rue Tompkins, j’ai été lavé dans les eaux du baptême. Là où, Dieu m’a appelé à la prêtrise. Des décennies plus tôt, l’Amérique avait chaleureusement et généreusement accueilli mes parents sans un sou, réfugiés de la Seconde Guerre mondiale fuyant la persécution communiste en Ukraine. L’Amérique leur a offert un nouveau départ, leur garantissant la liberté et la dignité. C’est l’histoire de beaucoup de familles dans l’Archiéparchie. C’est là que vivent mon frère et le reste de ma famille et où repose la dépouille mortelle de mes parents. A moi, l’Amérique a accordé une enfance en sécurité, des années de bonne éducation catholique et des études universitaires. Les États-Unis d’Amérique constituent un modèle sociopolitique remarquable, bien que non sans faille, inimaginable sans principes et notions bibliques. C’est un pays qui, à bien des égards, déclare encore : « Nous avons confiance en Dieu ».

 

Ayant vécu 30 ans de ma vie d’adulte en Europe, j’attends avec impatience l’aventure de redécouvrir les États-Unis et son Église d’une nouvelle manière. J’ai un grand respect pour le service de l’Église envers les générations successives d’immigrants et de pauvres. Le développement de la vie intellectuelle catholique aux États-Unis a été une contribution importante à l’Église universelle. Je suis convaincu qu’en cette période de grands défis, qui est aussi une période de purification, l’Église en Amérique est appelée à un nouveau témoignage spirituel et moral par la conversion et le service, annonçant hardiment la Bonne Nouvelle. À cet égard, l’Église catholique ukrainienne a une vocation spécifique, qu’elle développe depuis près d’un siècle et demi et une vocation qui devrait être revisitée de manière critique et créative pour le peuple d’aujourd’hui et de demain. En ces temps de profonde division, d’agression, de peur et même de scandale, qui sont aussi des moments de grande opportunité humaine et d’espoir chrétien durable, le Seigneur accordera sa grâce à l’Église et à l’Amérique, par l’intermédiaire de l’Église.

 

 

Lors de votre intronisation à la cathédrale Notre-Dame de Paris le 2 décembre 2012, vous avez appelé le clergé et les fidèles de l’Éparchie de Paris à avancer ensemble «de gloire en gloire ! ». Quel était le but de ce pèlerinage ? Que s’est-il passé pendant ces six années ?

 

Notre pèlerinage «de gloire en gloire » (Corinthiens 2- 3, 18) à l’Éparchie de Paris doit être considéré en terme spirituel, notamment parce que nos actifs matériels étaient extrêmement modestes. Notre « gloire » ne pouvait clairement pas être dans de grands projets et initiatives. La vie devait être simple. C’était en fait une grâce. Nous nous sommes concentrés sur les bases : la Parole de Dieu, la Liturgie et la prière, en favorisant la confiance mutuelle en soignant les blessures de chacun et en encourageant les hommes et les femmes laïcs à assumer leurs responsabilités dans l’Église. Suivant l’initiative du Saint-Père, nous avons vécu ensemble une année de miséricorde, celle de Dieu envers nous et la miséricorde des uns envers les autres. Nous sommes passés de la gloire d’une fête et d’un sacrement à un autre, d’une rencontre authentique à une autre. Nous avons appris à célébrer de tout notre cœur, à prier et à chanter avec le symbolisme mystique et la «chorégraphie » de la Liturgie. Notre point de départ était un amour – l’amour du Christ – pour en construire un autre – notre amitié, notre solidarité et notre coopération fructueuse. Par le sacrifice et l’abandon de soi-même, nous sommes entrés à plusieurs reprises dans le mystère pascal, rencontrant l’essence de la vie en Christ. Nous nous sommes écoutés et nous nous sommes parlés de cœur à cœur. En fin de compte, c’est là que Dieu réside et place Sa gloire – dans nos cœurs et nos âmes, dans notre liberté, dans notre dignité, dans notre capacité de vie. Nous avons également ri – beaucoup – ensemble, de nous-mêmes et entre nous.

 

 

L’Éparchie de Paris a lancé de nouveaux projets. Sont-ils durables, comment vont-ils se développer ?

 

Aujourd’hui, je pense humblement aux nombreuses choses que nous n’avons pas pu accomplir et à ce qui reste à faire. Mais il est vrai que le Seigneur a béni de nombreuses initiatives. L’éparchie a ouvert de nouvelles paroisses et missions. En 2012, on en comptait 20, il y en a maintenant 44. Le nombre de nos prêtres a plus que doublé, passant de 9 à 23. Les structures canoniques et l’administration de l’éparchie ont été créées. Les associations constituantes existantes ont été réformées et mises en ordre juridique. Les laïcs ont été appelés à occuper des postes clés de gouvernance. Les conseils presbytéral et économique, six commissions éparchiales, le service de la communication et une mission auprès des gens de mer ont vu le jour et fonctionnent efficacement. De généreux donateurs de nombreux pays ont répondu à nos initiatives. A Senlis, l’Éparchie a acheté une église inutilisée depuis 200 ans et a créé le Centre culturel Anne de Kyiv, (Reine de France au onzième siècle). Avec la participation d’une centaine de membres du clergé, théologiens, consultants extérieurs et membres laïcs de l’éparchie, nous avons élaboré un plan pastoral de cinq ans. L’équipe éparchiale a formulé une vision pour faire revivre notre centre de pèlerinage à Lourdes et la remise en route de certains projets, par exemple, le centre pour la jeunesse « Paul Kohut » à Mackwiller en Alsace est en train de reprendre vie.

 

L’Éparchie a parrainé un certain nombre de conférences universitaires internationales et publié des ouvrages sur la vie de notre Église dans différentes langues. Un bon nombre de programmes télévisés et de films sur l’éparchie ont été diffusés en français et en ukrainien dans différents pays. Enfin, en coopération avec l’Université catholique ukrainienne de Lviv, nos laïcs ont géré ce qui pourrait être le premier sondage sociologique approfondi d’une représentation discrète de l’émigration massive intitulée « Les défis de la migration contemporaine : la communauté ukrainienne à Paris ». Le «projet» primordial visait à favoriser  une atmosphère de charité mutuelle et une vie de communion, l’unité ecclésiastique du clergé, des religieux et des fidèles tout en essayant de s’ouvrir le plus possible à ceux qui n’étaient pas membres de l’Église.

 

Nos espoirs et nos aspirations spirituelles semblaient fantasques. Mais un cheminement de foi consiste à croire que Dieu veut que nous vivions dans Son Royaume. Beaucoup a été accompli parce qu’ensemble nous avons cru en la présence de Dieu parmi nous.

 

La durabilité des projets éparchiaux repose sur cette foi. Il y a sept ans, j’ai quitté une entreprise spirituelle assez ambitieuse et mon rôle de recteur de l’Université catholique ukrainienne (UCU) à Lviv pour venir m’installer à Paris. Certains pensaient que cela pourrait mettre en péril des aspects de la vie de l’UCU. En fait, c’est l’inverse qui s’est produit : une fois que je sois devenu évêque à Paris, l’université s’est développée de manière exponentielle. J’espère que cela se produira également dans l’Éparchie de Paris (rires).

 

Le plus important est de continuer à promouvoir un esprit de responsabilité, de confiance mutuelle et de transparence dans la vie spirituelle, la gouvernance de l’Église et sa gestion. Il est important de parler clairement en vérité, mais de le faire avec douceur et miséricorde. Dans une Éparchie qui s’étend sur près de 2 000 kilomètres du nord au sud et d’est en ouest, avec de petites missions dispersées, l’unité spirituelle est essentielle. Nous nous sommes réunis aussi souvent que possible : le clergé et les dirigeants laïcs des cinq pays se sont retrouvés presque une fois par mois pendant trois jours dans un monastère. En outre, comme je l’ai déjà mentionné, nous avons tenu huit conseils de l’éparchie (synodes diocésains) au cours des quatre dernières années. Ces conseils cessèrent d’être des occasions spéciales et devinrent un forum régulier de prise de décision et de gouvernance – prêtres, religieux et laïcs, hommes et femmes, y compris les jeunes, ont discerné ensemble la volonté de Dieu et la responsabilité partagée avec l’évêque. J’espère que cette pratique, désormais inscrite dans la culture d’entreprise de l’Éparchie de Paris sera pérenne. J’espère aussi que la synodalité sera le mode de vie de l’Église aux États-Unis et dans le monde. Cette modalité a été à maintes fois encouragée par le pape.

 

 

Que craignez-vous le plus ? Quelle est votre plus grande préoccupation ?

 

En général, j’essaie de repousser la peur, sauf une saine crainte de Dieu. La peur est mauvaise conseillère. En général, elle paralyse ou conduit à l’agression. L’Église doit toujours se préoccuper de deux dangers fondamentaux et interdépendants : la perte de la foi et le déclin de la prière. Sans foi, nous n’avons pas la vie dans l’Église ; sans prière, nous ne pouvons pas développer notre relation avec Dieu. Puis tout s’écroule. Je reste conscient que de petits vices peuvent créer de gros problèmes : la jalousie entre le clergé et des laïcs ; l’impatience pour une promotion de personnes talentueuses ; passions exacerbées, surtout la colère ; la création de clans ou de partis parmi les fidèles. Le pape François parle régulièrement de ces questions. Elles peuvent survenir n’importe où. Le danger d’ignorer de vrais problèmes est également une préoccupation. Ce sont les instruments du mal, par lequel il sape la construction du Royaume. Mais ma confiance en Dieu et en mes frères et sœurs des deux côtés de l’océan est plus grande que ma peur.

 

 

Mgr Hlib Lonchyna, évêque ordinaire de l’Éparchie de Londres pour la Grande-Bretagne et l’Irlande, est devenu l’administrateur apostolique de l’Éparchie de Paris. Comment souhaitez-vous le présenter à vos fidèles ?

 

Je suis ravi que le Saint-Père ait nommé Mgr Hlib Lonchyna, évêque de Londres, administrateur apostolique de l’Éparchie de Paris jusqu’à la nomination d’un nouvel évêque. Mgr Hlib est un moine et un homme de la Parole de Dieu. Il est un célébrant accompli et un étudiant de la Liturgie, un prêcheur de retraite très respecté et un homme de grande culture. Il est également un musicien talentueux et parle plusieurs langues, y compris le français. Mgr Hlib est clair dans sa doctrine et généreux dans sa miséricorde. Ce qui est très important, c’est qu’il connait bien l’Éparchie de Paris : il nous a rendu visite régulièrement, a servi et prêché dans nos différentes paroisses et nous a enseigné beaucoup de choses au cours des dernières années. Il connaît personnellement les prêtres et leurs familles et ils le connaissent. Il apporte de la joie à nos fidèles.

 

 

Quel est votre état d’esprit lorsque vous démarrez votre nouveau service ?

 

Je suis rempli d’espérance. Au début, je cherche à écouter et à apprendre, à devenir frère, père et pasteur du clergé et des fidèles. Il est important de prier et de réfléchir, de développer une vision future de l’Archiéparchie de Philadelphie et de travailler en étroite collaboration avec les autres éparchies de la métropole, ainsi que les évêques catholiques orientaux, catholiques latins et orthodoxes, leur clergé et fidèles. J’espère que nous pourrons faire un pas en avant dans la recherche d’une coopération œcuménique avec nos voisins protestants et d’une harmonie interreligieuse interethnique et interraciale. Les pauvres et les marginalisés devraient être dans notre cœur. À l’Université catholique ukrainienne, par exemple, les handicapés mentaux sont devenus la pierre angulaire de notre pédagogie et de notre mission. Je crois que nous devons nous écouter et parler de cœur à cœur. J’espère diriger en écoutant le Seigneur et mes frères et sœurs. Pour le moment, il est essentiel pour moi d’entendre et d’entendre bien et de ne pas formuler prématurément des projets, qui pourraient s’avérer uniquement les miens.

 

 

Vous êtes né et avez grandi en Amérique, mais vous avez vécu 30 ans de votre vie adulte en Europe. Comment percevez-vous les États-Unis à l’heure actuelle ? Quels sont les besoins des Ukrainiens des différentes vagues d’immigration ?

 

Les pays et les cultures sont variés, mais l’ADN spirituel fondamental de tous les êtres humains est le même. Au cours de ma vie, j’ai eu l’occasion de vivre ou de servir dans une douzaine de pays. Ces dernières années, je traversais généralement une frontière internationale au moins deux fois par semaine.

 

 

Parce que ma mère âgée, de mémoire bénie, décédée en juin dernier, vivait seule à Syracuse et avait besoin de soutien, je me rendais aux États-Unis trois ou quatre fois par an. J’ai observé les divisions croissantes dans la société américaine, la superficialité du discours moral, les médias sociaux et la virtualité croissante de la communication interpersonnelle. Nous sommes de plus en plus dépendants des stimuli – gastronomiques, chimiques, informatifs, sensuels. Ces mêmes défis prévalent en Europe occidentale et orientale et concerne les immigrants ukrainiens des différentes vagues. Au XXIe siècle, nous sommes tous appelés à recommencer, à aller plus loin, à suivre la vocation de Jésus de « sortir au plus profond » sans crainte – duc in altum ! Le pape Saint Jean-Paul II l’a appelée la « nouvelle évangélisation ». Dans cette vie, la plus grande profondeur réside dans le cœur de l’homme. Nous avons besoin d’entendre le battement du cœur et son désir ardent ; et le cœur a besoin de réaliser son véritable destin. C’est là que Dieu parle. C’est ma première tâche en tant qu’archevêque nouvellement nommé : écouter avec soin, attentivement, et dans la prière.

 

 

Avez-vous l’impression de rentrer à la maison ?

 

Oui, c’est un retour aux sources pour des raisons que j’ai déjà mentionnées et pour d’autres. Après des décennies de vie itinérante, la définition d’un chez-moi a cessé d’être simplement géographique. Pour moi, la maison est un lieu où je vis de bonnes relations reflétant notre relation avec Dieu. Oui, j’ai l’impression de rentrer chez moi, non seulement à cause de mon histoire personnelle, mais aussi parce qu’il existe des gens biens et pieux en Amérique, dans notre Église et en dehors.

 

 

Alors que les scandales en Pennsylvanie et dans d’autres États sont rendus publics, l’Église catholique aux États-Unis traverse une période difficile. En tant que membre de la conférence des évêques américains, comment allez-vous relever ce défi ?

 

Les abus sexuels sur les jeunes, voire sur qui que ce soit, dans l’église et à l’extérieur, est un grand scandale de notre temps. Les souffrances des victimes sont indicibles. C’est une crise spirituelle. Le problème est un profond manque de vertu. Nous avons besoin de conversion, d’un retour aux sources. Beaucoup a été fait dans l’Église pour commencer à y remédier. Mais il est clair qu’il reste encore beaucoup à faire. J’admire ceux qui traitent la crise de manière radicale. Je comprends qu’aujourd’hui, en Amérique, l’Église est redevenue l’un des endroits les plus sûrs pour les jeunes. Mais il reste encore beaucoup à faire pour soigner les blessures du passé, entendre les victimes qui se sont tues pendant des décennies. J’espère que l’Église se purifiera pour pouvoir continuer à être le chef de file dans la lutte pour la dignité et la sécurité de toutes les personnes vulnérables tout au long de leur vie, de la conception à leur mort naturelle.

 

 

Nous devons faire face à la vérité avec humilité, en reconnaissant nos péchés et en nous repentant. Lorsque nous cessons d’avoir peur, un nouvel espoir revient. Il y a quelques semaines, l’Éparchie de Paris a assisté à un séminaire dirigé par le père Hans Zollner, sur l’ampleur des abus sexuels dans le monde et dans l’Église et sur l’inadéquation de notre réponse. Fr. Hans est l’un des principaux organisateurs de la réunion sur les abus, organisée ces jours-ci par le pape François à Rome. Les histoires et les statistiques de ceux qui ont été violés rendent malades. Et pourtant, la conscience de la vérité conduit à l’espoir. Si nous vivons dans l’illusion, nous sommes condamnés à l’angoisse. Nous savons que c’est faux et que tôt ou tard nous allons passer à travers le plancher. Les illusions sont dépouillées. C’est douloureux, mais au final, la vérité génère l’espoir.

 

 

J’arrive comme une personne qui a besoin d’apprendre et d’écouter, et je suis tout à fait disposé à être informé. J’espère que nous pourrons tous contribuer à l’élimination de toute violence et de tout abus. Dieu nous a créés dans la liberté et nous appelle à sa plénitude, qu’accompagne toujours un appel à la responsabilité. Les structures qui ne soutiennent pas la liberté et la dignité données par Dieu ne seront pas durables, y compris les structures ecclésiastiques. On comprend si elles périssent. Certaines choses vont tomber et se désintégrer. C’est déjà arrivé dans l’histoire : l’empire romain s’est effondré, de même que de nombreux empires coloniaux modernes. Dans le passé, l’Église a disparu dans certaines parties du monde pour s’épanouir ailleurs. C’est l’Église du Seigneur et Il la guidera, si nous ne le gênons pas.

 

 

En tant que personnes de foi, nous n’avons pas d’autre choix que de croire que les plans de Dieu pour son Église sont plus vastes que notre imagination, qu’Il peut, avec Sa main puissante, sauver Ses fidèles et reconstruire Son Église. Pour moi, ce n’est pas une théorie théologique ni un rêve pieux : j’en ai été témoin dans ma vie et dans mon Église.

 

 

Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’Église gréco-catholique ukrainienne a été anéantie en tant qu’institution juridique visible et publique. Après deux générations de persécutions sans relâche, de 1945 à 1989, elle semblait destinée à disparaître. Et pourtant, après des humiliations indicibles, ces martyrs et confesseurs vivants qui ont accepté avec humilité les voies de Dieu ont conduit l’Église à sortir des catacombes et à une nouvelle vie. Le feu de la persécution a brûlé des aspects superflus, voire nuisibles, de la vie de l’Église tout en forgeant la foi d’un petit reste. Ce petit groupe de témoins a ensuite été appelé à porter la foi à des millions de personnes. Aujourd’hui, en Ukraine, l’Église de 4 à 5 millions de fidèles compte 800 séminaristes. Cinquante ans de guerre et de persécution ont réduit ses 3000 prêtres en 1939 à 300 anciens en 1989, mais on compte aujourd’hui à nouveau 3000 prêtres en Ukraine, dont beaucoup servent généreusement à l’Éparchie de Paris et dans l’ensemble des États-Unis.

 

 

En tant qu’historien et pasteur de l’Église, je trouve réconfort et inspiration dans l’histoire du salut au XXe siècle de l’Église gréco-catholique ukrainienne. L’authenticité dans la prière et le culte, le service désintéressé et l’humilité sont les seuls moyens possibles de vivre l’Évangile de manière convaincante dans la société contemporaine, en particulier au milieu des difficultés actuelles de l’Église. La vraie foi et l’amour prévalent même dans des circonstances insupportables ; il en est de même de l’espérance et ces trois grandes choses dont parle Saint Paul, apportent paix et joie. Avec l’aide de Dieu, j’espère pouvoir manifester à Philadelphie et dans toute l’Archiéparchie du témoignage de nos pères et de nos mères dans la foi. Ils ont souffert et ont vaincu spirituellement et moralement par le pouvoir de Dieu. Comme eux, nous pouvons.

 

 

Vincennes, le 18 février 2019

 

Propos recueilli par Mariana Karapinka