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[GRAND ANGLE] Saint Jean Damascène, du palais califal au service de Dieu

Jean de Damas (650 ? – 750), arabe et chrétien, haut-fonctionnaire devenu moine et prêtre, fut proclamé Docteur de l’Église en 1890 par Léon XIII. Connu pour la défense de la vénération des icônes, il occupe une place importante dans la théologie byzantine.


Jean de Damas, considéré comme le dernier Père de l’Église d’Orient, est né à Damas en Syrie dans une famille de hauts fonctionnaires qui appartenait à l’élite et à l’orthodoxie chalcédonienne de culture grecque. Son grand-père, Mansûr Ibn Sarjûn, fonctionnaire dans la ville de Damas, joua un rôle quand la Syrie fut envahie par les Perses, les Byzantins et les Musulmans en occupant le poste de percepteur d’impôts pour la ville. Quand le calife Muawiya s’empara du pouvoir, le grand-père de Jean devint le responsable de l’administration fiscale de tout l’empire musulman et, par le fait même, responsable du financement de la conquête musulmane contre Byzance. Par la suite, le père de Jean, Sarjûn, devint lui aussi un haut fonctionnaire que ce soit sous Muawiya ou son successeur Yazid Ier. Malgré cette collaboration zélée avec le califat musulman des Omeyyades, la famille des Sarjûn resta attachée à la foi chrétienne, tout particulièrement à la foi chalcédonienne.

Jean reçut une éducation solide d’abord religieuse, ensuite profane et notamment philosophique et linguistique, grecque et arabe. Il commença par seconder son père dans sa tâche administrative à l’âge de vingt ans, et petit à petit, il devint lui-même le chef de l’administration fiscale urbaine et fréquenta les grandes personnalités du califat des Omeyyades.

 

La rupture

C’est sous les califes Walid 1er (668-715) et Omar II (717-720) que la vie change pour les chrétiens, puisque ces califes décidèrent d’éliminer tous les non-musulmans des postes administratifs. Cette mesure poussa beaucoup de chrétiens soit à se convertir à l’islam, soit à quitter la ville. Jean décida de quitter la ville et se dirigea vers la Palestine, au monastère de saint Sabas près de Jérusalem, une laure très connue à cette époque et entièrement hellénisée. Jean fut ordonné prêtre du Saint-Sépulcre par le nouveau patriarche Jean III de Jérusalem et restera en contact avec les lieux saints toute sa vie, laissant une œuvre théologique, spirituelle et hymnographique très importante.

Son œuvre, entièrement en grec, comprend La Source de la Connaissance, son principal ouvrage, en trois parties : La Dialectique (partie philosophique), Catalogue des hérésies (partie historique) et Exposé de la foi orthodoxe (partie dogmatique) – dans la deuxième partie, Jean dénonce les erreurs des hérétiques dans deux traités considérés comme les premiers textes chrétiens sur l’islam.

 

Un précurseur

Une autre publication, Trois discours sur les images, concerne la théologie de l’icône et le culte rendu aux images. Dans cet écrit, St Jean s’engage résolument dans la crise iconoclaste déclenchée en 721 et soutenue par l’empereur Léon III l’Isaurien, en défendant la vénération des images (icônes) et en fondant le culte sur le mystère de l’incarnation. Sans entrer dans les détails de cette controverse, deux arguments majeurs montrent l’apport original de sa pensée théologique : la distinction entre vénération (proskunèsis) et adoration (latreian), et le renvoi au modèle. Il est le premier à clarifier les concepts employés dans le culte des icônes. L’icône est uniquement objet de vénération, car la véritable adoration revient uniquement au Dieu trinitaire ! Par ailleurs, pour lui, la vénération de l’icône ne renvoie pas à la matière, mais au prototype, comme il l’écrit lui-même : « Je ne vénère pas la matière, mais le Créateur de la matière qui s’est fait matière pour moi et qui a daigné habiter dans la matière et opérer son salut par la matière. Je ne cesserai de vénérer la matière par laquelle m’est advenu le salut. Mais je ne la vénère pas comme Dieu. » Ainsi pouvons-nous considérer l’icône comme symbole de la transfiguration de la matière, puisqu’elle est, comme la matière, un moyen de voir l’invisible.

Quant à ses écrits sur l’islam, deux textes brefs nous sont parvenus qui nous montrent l’importance de son témoignage. Le premier est extrait du Livre des hérésies, le deuxième, La controverse entre un Musulman et un Chrétien, est un livre apologétique sous forme d’accusations contre certaines doctrines chrétiennes. Jean est le premier auteur qui décrit la première rencontre entre les musulmans et les chrétiens en Syrie et qui discute avec les musulmans des questions doctrinales avec un ton non seulement apologétique mais aussi interprétatif. Tout en se révélant comme un fin connaisseur de la nouvelle religion, il se montre aussi comme un véritable précurseur des polémiques islamo-chrétiennes, des controverses au sein même de l’islam – le problème de l’éternité de la Parole et du Coran, le problème du libre arbitre, le problème des attributs divins et bien d’autres…

Quant à son œuvre spirituelle, elle est composée de plusieurs hymnes et prières qui rythment les fêtes liturgiques dans la tradition byzantine et qui montrent la profondeur de sa pensée théologique. Ainsi par son génie poétique et sa contemplation du mystère de Dieu devient-il un des grands théologiens dans la spiritualité orientale et la tradition byzantine. Voilà pourquoi cette dernière l’a considéré comme un Père de l’Église et son enseignement théologique, surtout sa théologie de l’icône, a été adoptée par l’Église au dernier concile œcuménique Nicée II en 787 où son autorité théologique a été officiellement reconnue par l’Église universelle.


Charbel Maalouf

Article extrait du Bulletin n°809 à retrouver ici.

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