• Actualités

Regard sur une jeunesse syrienne

Après 12 ans d’absence, notre reporter est revenue sur les lieux où elle a vécu. De Homs à Damas, le contraste est saisissant : ici une ville en ruine, là la vie a repris presque comme avant, en apparence, malgré une économie exsangue. Elle a rencontré une jeunesse meurtrie mais engagée pour reconstruire son pays.


Elle marche dans ses ruines qu’elle connait si bien. C’était le quartier de son enfance, à Homs. Depuis 8 ans que la ville a été bombardée, rien n’a changé, des restes de vie jonchent encore les décombres de ces rues dévastées. Pourtant Hala, ingénieure, 30 ans, sourit, tout comme Souzanne, 25 ans, architecte. Grâce à leur association, montée par Sr Samia, elles ont pu reconstruire certaines maisons, et des familles dont celle de Fadi, chauffeur de taxi, ont pu revenir s’installer. Présences presqu’irréelles au cœur de tant de désolation. Hala ne voit pas des ruines, elle revoit le lieu où elle a grandi et a été heureuse : « je veux que ce quartier redevienne aussi beau qu’il l’a été, je veux revenir vivre ici, c’est pour cela que je me bats ». Souzanne non plus ne compte pas quitter Homs, « ma vie est ici, je ne rêve pas d’ailleurs », confie-t-elle. Son père est décédé il y a près de 20 ans, son frère l’an dernier dans un accident de voiture, sa mère ne travaille pas, fume beaucoup « et ne sait cuisiner que le taboulé », sa sœur étudie à l’université. Souzanne fait vivre sa famille ; elles déménagent souvent au gré des logements qu’elles peuvent louer. Son village a été entièrement détruit. Pourtant chacune de ses phrases, même les plus terribles, se termine dans un éclat de rire. Pas d’amertume, pas de colère, pas de révolte, au moins apparente, chez ces deux jeunes femmes, simplement une envie de vivre, de revivre, fracassante.

La Syrie est exsangue, anéantie par plus de dix années de guerre, et des sanctions internationales qui rendent le quotidien impossible. Le pain est rationné, les files d’attente se forment dès 3h du matin pour aller le retirer, parfois des bagarres éclatent. Le prix des transports rend les déplacements inaccessibles à la plupart des Syriens. La livre ne vaut plus rien, il faut des liasses pour payer le moindre achat. Le nombre de cancers, en partie dus aux chocs subis pendant la guerre, explose. Les traitements sont inaccessibles.

Qu’ils aient traversé la guerre à Homs sous les bombardements, comme Nouhad, qui courait chaque jour pour éviter les snipers, ou qu’ils n’aient rien vu de tout cela, comme Ziad, étudiant à Tartous, tous s’accordent à dire qu’ils ne reconnaissent pas leur pays, que quelque chose s’est brisé, que la méfiance a corrompu tous les liens. « Les gens sont devenus si durs entre eux, parce qu’ils ont tellement souffert. Ils auront besoin de beaucoup de temps pour se reconstruire, plus qu’il n’en faudra pour rebâtir les bâtiments » confie Nouhad. Il faudrait plus de lieu comme le monastère de Mar Moussa, pour se réconcilier et se sentir accueillis ». Nouhad s’est installée provisoirement dans cette communauté mixte, œcuménique et dédiée au dialogue islamo chrétien, plantée au cœur du désert.

Détruite en 2012, puis entièrement pillée, jusqu’aux dalles, l’école al Riaya à Jaramana, dans la banlieue de Damas, a été reconstruite depuis un an et a pu accueillir à nouveau 1500 élèves. « Nous avons perdu beaucoup d’enseignants et d’élèves » déplore Sr Jihanne, la directrice. Elle ne s’attarde pourtant pas sur ces années d’enfer. « Je ne peux pas me décourager, il y a encore trop de difficultés. Regarder ces femmes, souvent seules parce que leurs maris sont morts ou en exil. Regarder leur force pour faire vivre leur famille, voilà ce qui me fait tenir. Avec Dieu et l’exemple de saint Paul », puis elle ajoute dans un sourire : « comme lui, il faut parfois un sale caractère pour que les choses avancent ». Le quartier de Jaramana compte désormais 3 millions d’habitants, entassés dans des logements de fortune, ou encore détruits, sans presque ni accès à l’eau ni à l’électricité. Les enfants trient les ordures pour tenter de gagner même pas de quoi acheter du pain. Des enfants devenus violents à force d’être restés enfermés pendant la guerre et à cause des traumatismes subis, constate Sr Jihanne. « On fait des jeux pour qu’ils se défoulent, qu’ils expulsent cette violence ». La maison des sœurs qui jouxte l’école n’a pas été reconstruite. Comme une incongruité, le jardin, lui, explose de roses. « Parce que les fleurs attendrissent l’âme » murmure la sœur.

Oui, ils sont nombreux ces jeunes Syriens à vouloir quitter leur pays. Oui, beaucoup sont épuisés par 11 ans de guerre et de privations. Mais ils savent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. À les voir se battre pour que renaisse la Syrie, non pas telle qu’elle était avant, mais comme ils la rêvent désormais, avec cette espérance un peu folle qui ne peut jaillir que de la détresse la plus profonde, on se prend à envier leur foi, et à espérer avec eux.

 


Églantine Gabaix-Hialé, chargée de mission à L’Œuvre d’Orient.

Article extrait du Bulletin n°809 à retrouver ici.

Pour s’abonner cliquez-ici.