A Paris, des Ukrainiens confinés… Mais pas isolés !

Zoom sur la paroisse greco-catholique ukrainienne de Paris.

En ces temps de pandémie, faire vivre une paroisse constitue un défi. Adieu messes, vêpres, cafés ? Lectio Divina partagées ? Groupes de partage et cours de caté ? Non ! Il s’agit plutôt de saluer les initiatives de nos curés et la solidarité qui se déploie au sein des quartiers. Mais alors que maintenir le lien sur un territoire paroissial restreint représente déjà une gageure, qu’en est-il chez les communautés orientales de notre capitale ? Les fidèles des paroisses chaldéenne et melkite, syriaque et maronite, viennent habituellement de tout le bassin parisien, et même de bien plus loin… La « visite au voisin isolé », le « service aux personnes vulnérables » sont compliqués à mettre en place, quand le prochain habite à plus de 20km de chez soi. Pour l’Eparchie ukrainienne Saint Volodymyr Le Grand à Paris, la distance n’a été qu’une occasion d’inventer de nouvelles manières de renforcer les liens entre les membres de la communauté ukrainienne de France, de Suisse, du Bénélux.

Ségolène Mykolenko, secrétaire de l’évêque ukrainien à Paris, décrit les multiples initiatives mises en place pour maintenir le contact entre les paroissiens ukrainiens.

Une communauté ukrainienne unie

A 9h, chaque jour, la messe dite à la cathédrale St Volodymyr Le Grand est retransmise en ligne. La liturgie de l’église ukrainienne de Lourdes, célébrée par le Père Mikhailo Romaniuk (vicaire général de l’Eparchie), est diffusée tous les matins, après les matines. A Lourdes, le chapelet est également récité à 20h. Il est suivi par environ 400 personnes… Et assidûment ! Pour l’anecdote : un soir, c’est le chapelet des séminaristes ukrainiens de Lyon, et non celui de Lourdes, qui a été diffusé. Aussitôt, les locaux de l’éparchie ont retenti de coups de téléphone. Des quatre coins de France, de Navarre, et du monde ! des Ukrainiens s’enquéraient de la santé du Père Mikhailo Romaniuk. Ce dernier se portait à merveille mais ne fut pas moins vivement touché de ces démonstrations d’amitié !

« L’expérience du premier confinement a montré la nécessité d’investir dans du matériel de qualité pour filmer les offices », raconte Ségolène Mykolenko. Ce sont donc des chants limpides et une image nette que reçoivent chez eux les paroissiens confinés… et pourtant transportés jusque dans les Pyrénées.

A Paris, continuer à se former est une nécessité

L’Eparchie Saint Volodymyr le Grand de Paris pour la France, le Bénélux et la Suisse a une histoire particulière. C’est en 1942 que la chapelle de la Faculté de médecine, sise rue des Saints Père, a été accordée à la communauté ukrainienne pour y bâtir une église. La cathédrale Saint Volodymyr Le Grand s’est bientôt révélée trop étroite pour accueillir l’ensemble des paroissiens ukrainiens, venus de tout Paris et de ses environs. Une église est donc aujourd’hui prêtée aux Ukrainiens à Vincennes et à Saint-Germain-en-Laye, par les diocèses de Créteil et Versailles. A Senlis, l’église Saints Borys et Hlib leur appartient depuis 2013. Les communautés qui s’y sont formées rivalisent de dynamisme, et l’expérience du confinement l’a encore prouvé.

Les paroissiens de Senlis ont ainsi l’habitude de se rassembler chaque dimanche, après l’office, autour d’une tasse de café. Le gouvernement leur impose de rester chez eux ? Qu’à cela ne tienne, ils se rencontreront tout de même, chacun derrière son écran ! Cela n’empêche pas la conversation de se nouer et les rires de retentir. La tasse de café que chacun s’est préparé réchauffe moins les cœurs que l’amitié qui s’approfondit en dépit de la distance.

Les prêtres ukrainiens de Paris, actifs dans le service de leurs paroissiens, ne sont pas oubliés par leur hiérarchie. Des séminaires, des matinées de formation, des journées de recollection, sont régulièrement organisées pour eux. Le tout sur Zoom. Zoom, zoom, zoom… Une injonction qui pousse à l’action.

La commission des laïcs se démène elle aussi. « L’important, c’est de maintenir le lien, même si tout se passe en ligne ! », répète Ségolène Mykolenko. Les paroissiens de l’Eparchie ont suivi la conférence d’une psychologue qui est intervenu sur le thème de la solitude. Sujet important en ce temps de confinement… Et tous les mardis soir, un cours sur les icônes est dispensé. Les femmes de la paroisse ont leur groupe de partage, tout comme la quarantaine de jeunes qui gravitent autour de la cathédrale. Quant aux enfants de Paris, de Senlis, de Saint-Germain-en-Laye, ils passent le samedi après-midi derrière leur écran. Non, ce n’est pas la permission de jouer aux jeux vidéo qui leur été accordée, mais celle d’assister aux cours de caté. Hors de question de lésiner sur la formation de la nouvelle génération !

Anniversaire confiné, anniversaire sublimé !

La solidarité de la communauté ukrainienne s’est particulièrement révélée le 24 novembre, jour anniversaire de Mgr Borys Gudziak. Eparque de Saint Volodymyr Le Grand de Paris de 2013 à 2019, il est désormais à la tête de l’Archéparchie catholique ukrainienne de Philadelphie. Zoom, zoom, zoom, la distance n’effraie plus personne… Du Canada et des Etats-Unis, d’Espagne, de France et d’Italie, ils étaient plus de 400 à se connecter pour célébrer, ensemble, l’anniversaire de Mgr Borys Gudziak.

Zoom, zoom, zoom, c’est le mot d’ordre… Et la lumière de l’écran éclaire aujourd’hui des visages heureux de retrouver des frères, en dépit de la distance et de la drôle d’atmosphère qui règne actuellement.

Zoom, zoom, zoom… Un oukase… Mais qui pousse à aller de l’avant. Car ce que tous les paroissiens attendent, impatiemment, c’est de faire à nouveau retentir leurs chants dans la cathédrale Saint Volodymyr Le Grand.

Priscille Pavec.

[EGYPTE] Le témoignage de Bernard au Caire : « Une aventure digne des contes d’aventure les plus motivants ».

Bernard Saint-Martin, volontaire au Collège de La Salle du Caire, professeur de français et chef routier.


Petit récit d’aventures

Jeudi matin, 5h et le soleil vient annoncer son arrivée. Et quelle annonce ! Endormi, rêvant d’un bon bleu de Savoie et d’une bonne baguette à la française, un bruit sourd, une voix semble venir de loin, et se rapprocher jusqu’à me faire ouvrir les yeux. C’est le Fajr, premier appel à la prière de la journée. Dans le réveil émergeant et la bouche pâteuse, les versets lancinants dans un haut-parleur grésillant prennent le fil d’une plainte fantomatique envahissant l’espace jusqu’à devenir omniprésente. Au départ effrayante, elle devient peu à peu mon réveil, et tant qu’à faire, autant rejoindre la ville dans sa prière, au sein de la chapelle de mon côté.

7h, le réveil s’achève dans l’appel à la deuxième prière : Chourouk. Le collège se réveille à son tour dans les cris de joie des sections maternelles. La rue, elle, est déjà debout depuis bien longtemps, entre les cris des vendeurs de dattes ambulants, ceux des conducteurs, les moteurs boostés des scooters, … Et le tout ne saurait se passer d’une myriade de klaxons qui s’appellent et se répondent sans jamais trop s’écouter. Du sifflement du cocher à l’association de cloches et de cornes de brume des grands camions de marchandises, chacun avertit sa présence, confiant de se savoir entendu. Ce moyen de communication plus que répandu ne laisse à l’esprit aucun repos, mais apprend à être attentif au moindre bruit, qui devient chuchotement dans une telle activité. 8h45, premier cours de la journée : Les Troisième A, les terribles. Déjà ils sont surexcités, et la simple liberté de devoir parler tourne bien vite au brouhaha ambiant, envahissant : La tuile, pour un cours de français oral. Mais au fil des jours je prends aussi conscience que c’est là leur ambiance quotidienne, et malgré tout ce bruit les élèves s’entendent et s’écoutent, c’est une affaire d’habitude. Et bien souvent, il suffit de les menacer d’une exclusion dans le couloir pour leur faire peur, car Mme Maryse y rôde en permanence et mieux vaut ne pas croiser son chemin.

11h30, la rue résonne à nouveau des cris du Muezzin pour Dhohr, et je traverse la cour de récréation dans la pagaille générale des matchs de football, de basket ou de volley, et des élèves qui m’interpellent : « M. Bernard, venez jouer » … « M. Bernard, vous pouvez dire quelque chose en arabe ? » … « M. Bernard, on a cours ensemble tout à l’heure ? » Et le temps que je m’extirpe de cette agitation, déjà je prends du retard sur la courte pause qui me permet d’aller travailler mon arabe et son vocabulaire complexe, ne serait-ce qu’à le prononcer pour un petit  occidental  perdu  dans  la  foule.  Quelques  cours  encore,  quelques  exercices de compréhension orale, quelques luttes pour 30 secondes de calme, et la journée se termine se termine sur l’appel à Asr : il est 13h30 !

16h, appel à Maghreb, à la sortie d’une sieste, après un repas plus que copieux. Encore un petit effort de travail pour mettre à jour les cours, le projet de Clan routier du Caire, et les volontaires se motivent à faire un petit tour dans le Khan Al- Khalili. En voilà un souk animé ! A perte de vue, une foule grouillante qui s’arrête entre magasins d’attrape-touristes, attirée par les grands cris des commerçants : « Low price my friend ! If you want to be happy you have to make me happy ! ». L’heure tourne et déjà il faut se dépêcher de rentrer à l’école avant la messe, et ce ne sera pas une mince affaire, car la traversée du Quartier Islamique est une épreuve herculéenne à cette heure de la journée. Mais surtout il faudra affronter la Rue Port-Saïd, qui à ce jour reste encore le point de rencontres primordial entre le nouvel arrivant et l’agitation de la ville. Dans un vacarme qui empêche même de converser, les voitures filent à toute allure, à peine ralenties par les dos d’ânes, esquivent de peu les bus qui pilent tous les trente mètres, et tentent tant bien que mal de se frayer un chemin dans la circulation dense. L’aventure, la vraie, ce n’est pas d’aller à 3000 kilomètres de son pays, c’est de traverser la Rue Port-Saïd sans paniquer.

18h, alors que l’appel d’Icha résonne pour conclure la journée, Abouna Mamdouh nous offre la messe quotidienne, pur instant de calme dans une journée bien agitée, et qui précède la descente quotidienne au Thé/Backgammon dans le café du coin où les habitués nous font un peu de place et nous saluent d’un arabe incompréhensible.

Vendredi, les volontaires d’Alexandrie ont profité d’un weekend de 3 jours pour nous rejoindre, et nous décidons de partir à Saqqarah, antique site mortuaire de Memphis et porte sur le désert égyptien. 1h30 de trajet dans un sheirut privatisé, nous nous éloignons de la ville, et peu à peu le vert nous entoure, nous envahit presque, et le Nil s’éclaircit. Arrivés dans un petit village, les « Fransaoui » attirent l’attention de tout le monde et, se frayant un chemin parmi les troupeaux de chèvres ou de bœufs, notre chauffeur adroit nous dépose au milieu d’une rue, et nous indique la maison de Mahmoud au milieu des palmiers. Un décor de rêve, presque difficile à décrire, où depuis la terrasse le vent vient pousser la verdure pour découvrir des étendus de sable chaud et aride. Le temps de déposer nos affaires, nous voilà en selles sur de plus ou moins fidèles destriers, prêts à partir à l’assaut du désert avec Mahmoud et sa bande. Chacun essaie d’apprivoiser le rythme du trot, certains déjà arrivent à envoyer le galop, et progressivement la caravane avance et tourne autour d’un crêt avant de le dominer. Splendeur, sensation entrainante que celle du galop groupé au milieu du désert, au son des « Yallah » prononcés avec des airs de Lawrence d’Arabie. Une aventure digne des contes d’aventure les plus motivants, et pourtant une sensation étrange, comme une sorte de vide qui se perçoit dans l’étendu aride.

Dans l’étendue chaude et poussiéreuse, dans la sueur et le sable, le silence. Un silence angoissant, ou même le cri le plus ample se perd dans un vide omniprésent. Un silence assourdissant, qui résonne comme une première preuve du bruit qui nous accompagne depuis notre arrivée sur le sol cairote. Le Caire, la ville au 90 dB, la puissance sonore d’un métro qui passe en continu, nous réserve encore de multiples surprises : A dans un mois Mahmoud, tu nous a séduit malgré toi.

La pépite : Ahwa Mazvout

Premier restaurant égyptien en compagnie des volontaires et surtout de notre mama locale, de notre raïs à nous : Justine, point de repère égyptien pour tout volontaire désireux de tips locaux. Alors que le repas se termine à 16h, heure raisonnable, elle fait le tour des commandes de cafés ou de thés. Sans hésiter je demande un café, et je suis surpris que l’on me demande si je désire café ou expresso. Sans poser de question, j’opte pour un café, et on me demande cette fois-ci si je le veux sans sucre, moyennement sucré ou très sucré. Toujours plus surpris, je me dis que ce détail doit être une façon d’afficher un service attentionné. Le café arrive et déjà je lui trouve une odeur étrange, auquel s’associe un goût épicé et une texture épaisse. Moi qui pensais que les Orientaux étaient des experts dans le café … Et soudain ma bouche s’envahit d’une pâte sableuse et aigre, qui me brûle les gencives et me fait sursauter : Ils auraient au moins pu filtrer leur café ! Et voilà que Justine s’amuse de ma réaction et m’explique la fabrication du « Ahwa », ou café turc. Pas de café grossièrement moulu, mais un café réduit en une poussière fine, comme le cacao, son taux de sucre est plus ou moins élevé. Celui-ci est ensuite arrosé dans un récipient bien particulier, qui hante le Khan al-Khalili dans différents formats. Le tout est posé sur le feu jusqu’à ébullition, et agrémenté souvent d’un peu de cardamome : Le demander « mazbout » pour une  quantité  moyenne  de sucre.  Une fabrication complexe, pour un breuvage simple, et auquel on prend vite goût, mais surtout qui deviendra l’emblème d’une leçon : Ce n’est pas parce que nos règles ne sont pas les mêmes, que les leurs sont inexistantes. C’est décidé, j’emporterais un service avec moi.

Vos mains tendues

Grâce aux dons des particuliers, l’Œuvre d’Orient dispose de ressources financières qui lui permettent de venir en aide aux communautés chrétiennes locales. Si celle-ci dépasse désormais la simple assistance financière, l’envoi même des volontaires demande un certain investissement. Pour cela, je remercie l’Œuvre d’Orient et son Pôle Jeune (et dynamique), mais surtout nous vous remercions, vous qui avez bien voulu participer à cette aventure par des dons. Retardataire désireux de s’y associer ? Pas de panique ! Le mail de cette newsletter contient aussi le document d’information sur le parrainage. Pas de temps pour la lecture ? Pas de panique ! Le lien direct est juste ici : https://secure.oeuvre-orient.fr/soutenir. Prière, don, relai d’informations, … Quel que soit votre geste, il est d’une aide précieuse : Merci !

Guerre et patrimoine : Nouvelles menaces sur les trésors arméniens du Haut-Karabagh par Jean-Garabed Mercier 2/2

Comme le Nakhitchévan, le Haut-Karabagh a été cédé à l’Azerbaïdjan par l’URSS en 1921, dans le cadre de sa politique de démembrement de l’Arménie. À la différence des plaines du Nakhitchévan faciles à dépeupler, le Haut-Karabagh, rude territoire de montagne resté inexpugnable, n’a eu de cesse de réclamer son rattachement à l’Arménie, dans le respect des dispositions constitutionnelles, notamment en 1988 pendant la pérestroïka de Gorbatchev. Rien n’y fit. Moscou perdit tout contrôle. Des pogroms anti-arméniens furent perpétrés contre les Arméniens dans les villes de Soumgaït, Bakou et Kirovabad (Gandja) et la guerre commença dans le Haut-Karabagh, en même temps que se disloquait l’URSS. Le cessez-le-feu conclu à l’automne 1994 donnait aux Arméniens la perception d’une victoire. Ce n’était pourtant qu’une trêve ! À défaut d’une résolution politique, la guerre et les horreurs sont revenues hanter les vivants. Une fois encore, les nombreux témoignages des exactions commises contre les Arméniens sont terrifiants.

Indubitablement, les conséquences patrimoniales de cette nouvelle guerre éveillent les plus grandes craintes. Que va devenir le patrimoine monumental arménien dans les territoires conquis et attribués à l’Azerbaïdjan par l’accord de cessez-le-feu du 10 novembre 2020 ? Connaîtra-t-il le même destin que celui du Nakhitchévan ?

Il n’est pas inutile de rappeler ici l’importance historique et patrimoniale du Haut-Karabagh dans l’histoire arménienne. Dans le siècle qui précéda l’ère chrétienne, le Haut-Karabagh était l’une des quinze provinces du royaume de Grande Arménie de Tigrane le Grand, qui y fit d’ailleurs bâtir une des quatre cités qui porte son nom, Dikranaguerd. Mais on ne peut pas comprendre la profondeur du lien qui unit les Arméniens du Haut-Karabagh à leur terre, sans en étudier sa dimension spirituelle. Ce peuple en péril est enraciné dans son écosystème par un lien charnel et spirituel millénaire, que le christianisme a imprégné et transfiguré, où le patrimoine sacré est l’expression vivifiante de cette fusion entre les hommes,  leur terre et Dieu.

La centralité spirituelle du Haut-Karabagh est attestée dès l’adoption du christianisme et notamment grâce au moine Mesrop Machtots, qui au tout début du Ve siècle créa l’alphabet arménien et ouvrit à Amaras, au sud-est du Haut-Karabagh, l’une des toutes premières écoles d’enseignement de l’écriture arménienne. On trouve aussi dans la crypte de l’église, la plus vieille tombe paléochrétienne arménienne, celle de Saint Grigoris (petit-fils de Saint Grégoire l’Illuminateur à qui l’on doit la conversion de l’Arménie au christianisme). Une très vive inquiétude pèse aujourd’hui sur le risque de destruction de ce monastère historique par l’Azerbaïdjan.

Haut-Karabagh. Le monastère de Dadivank. Vue générale aérienne sud-ouest du monastère. © Hrair Hawk Khatcherian 

De tous les monastères de cette province, celui de Dadivank est aussi l’un des plus importants. Situé dans un espace boisé, au nord-ouest du Haut-Karabagh, à la limite de la région de Karvadjar (Kelbajar), cet édifice d’origine paléochrétienne a été édifié autour de la sépulture de Saint Dadi, disciple de l’apôtre Thaddée (Jude), attesté au IXe siècle, et reconstruit au XIIe-XIIIe siècles. Il fut « l’un des plus vastes complexes conventuels de toute l’Arménie médiévale (…) Il est constitué d’une vingtaine d’édifices divisés en trois groupes, destinés au culte, au logement et aux activités de la confrérie[1] ». Vandalisé à l’époque de l’Azerbaïdjan soviétique, cet ensemble patrimonial unique était redevenu un important lieu de pèlerinage après la restauration de 2004-2005, qui révéla entre autres trésors un certain nombre de peintures murales médiévales remarquables. Des efforts politiques intenses sont actuellement menés pour éviter sa cession à l’Azerbaïdjan et empêcher tout risque de démolition.

Fort heureusement, le monastère de Gandzassar un autre chef d’œuvre du XIIIe siècle, connu pour avoir abrité une grande bibliothèque de mille manuscrits, échappe à la captation azérie. Bombardé en janvier 1993 il avait été sauvé et restauré.

Que dire de la ville de Chouchi, cédée par les accords de cessez-le-feu aux Azéris, où des tirs ciblés ont été portés contre la cathédrale du Saint-Sauveur, endommageant le tambour et l’intérieur de cet édifice qui avait été restauré à l’issue de la première guerre. À l’époque déjà, les Azéris l’utilisaient pour entreposer armes et matériels de guerre ! Quel sort réserveront-ils cette fois-ci à cet édifice martyr ?

Haut-Karabagh. Monastère de Gandsassar, intérieur. Tribune (béma) et autel. © Jean-Garabed Mercier, 2008.

S’exprimant au sujet des destructions patrimoniales, Monseigneur Barkev Mardirosyan, primat du diocèse d’Artsakh (Haut-Karabagh), déclarait le 16 octobre 2020 « dans les années 90, ils [les Azéris] étaient déjà venus bombarder le monastère de Gandzassar. Un bâtiment conventuel avait été entièrement détruit. Ils avaient largué des bombes, puis tiré 40 roquettes. Sans parler de ces sept personnes qui n’avaient pas eu le temps de fuir et étaient restées dans l’église de Gulistan où elles ont été massacrées. Après avoir été décapitées, leurs têtes ont été jetées sur l’autel. La voûte de l’église et son dôme ont été détruits[2] ». C’est donc ce même scénario de destructions humaines et patrimoniales qui risque de se reproduire dans le Haut-Karabagh.

Sans doute plus que tout autre peuple en péril, les Arméniens attachent une importance métaphysique à leur patrimoine sacré. L’histoire de sa destruction systématique depuis plus d’un siècle, par les Turcs et les Azéris hante les mémoires de toutes les familles, au même titre que les récits génocidaires. « Refuser aux Arméniens le droit au patrimoine, revient à nier leur histoire, leur dignité et leur humanité » écrit dans son communiqué du 14 novembre 2020 Terre et Culture. Cette organisation qui œuvre depuis plus de 40 ans pour la préservation et la valorisation du patrimoine architectural arménien « exige que soit sanctuarisé, par tous les moyens juridiques, politiques et militaires disponibles, nécessaires et légaux le patrimoine arménien des territoires de l’Artsakh conquis et/ou rétrocédés à l’Azerbaïdjan[3] ». L’UNESCO cette fois-ci accomplira-t-elle le mandat qui devrait être le sien ? Les États médiateurs comme la France auront-ils enfin le courage d’agir utilement pour prévenir les « crimes contre le patrimoine » et dénoncer leurs auteurs ? Ne serait-il pas temps de créer une infraction pénale, en droit international, pour juger et condamner ces grands fossoyeurs de l’histoire et d’inclure cette infraction dans le champ règlementaire des crimes contre l’humanité ?

Le sort probable de la cathédrale du Saint-Sauveur de Chouchi n’alarme pas le monde libre, pas plus que le reste du patrimoine arménien millénaire du Haut-Karabagh, du Nakhitchevan ou de Turquie. Que n’aurait-on fait si Notre-Dame de Paris avait été incendiée par Daesh ou les Loups-Gris ?

 

[1] In Le Haut-Karabagh, collectif,  2017

[2] Journal quotidien ARAVOT,  Erevan

[3] « Il faut sanctuariser le patrimoine arménien de l’Artsakh », communiqué de l’organisation Terre et Culture, 14 novembre 2020.

Églises éternelles de Constantinople : Sainte-Sophie et Saint-Sauveur-in-Chora.

Exposition sur les fresques et mosaïques de la basilique Sainte-Sophie et l’église Saint-Sauveur-in-chora, Turquie, Istanbul


La basilique Sainte-Sophie est située sur la rive européenne d’Istanbul, dans le quartier Sultanahmet. Ses premières fondations datent du IVème siècle. L’église Saint-Sauveur-in-Chora est une église de style byzantin, située dans le quartier d’Edirnekapı à Istanbul. Elle est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les mosaïques et fresques ont été recouvertes de bois et de chaux lors de la transformation de ces églises en mosquées, ce qui a favorisé leur conservation.

Elles constituent aujourd’hui la plus riche collection de mosaïques de l’art byzantin.

Ces deux lieux de culte avaient reçu le statut de musée sur décision de Mustafa Kemal Atatûrk. En juillet 2020, les autorités turques ont finalement décidé de réinstaller le culte musulman à Sainte-Sophie et Saint-Sauveur-in-chora.

Cette exposition vous propose de les découvrir à travers 20 panneaux suivant le plan architectural de chacune de ces églises. Les photographies exposées proviennent principalement du fond mis à disposition gracieusement par le photographe et journaliste Christophe Petit-Tesson.

Date et lieu à venir.


« Ces décorations magnifiques n’avaient pas qu’un but esthétique, mais avant tout une finalité spirituelle : donner à celui qui les contemple un pressentiment du mystère de l’incarnation de Dieu. Elles montrent que ces monuments ont une âme, qui ne saurait être manipulée au gré de décisions politiques d’un moment. […] C’est avec respect pour ce poumon de la chrétienté que nous souhaitons faire connaître ces images, ces « icônes » qui renvoient l’homme au mystère de sa destinée. »    Mgr Pascal Gollnisch, Directeur général de L’Œuvre d’Orient


A propos de l’Œuvre d’Orient

L’Œuvre d’Orient est une association catholique et apolitique, reconnue d’intérêt général, qui œuvre depuis plus de 160 ans pour soutenir les communautés chrétiennes au Moyen-Orient qui sont au service de toute la population (éducation, santé, culture). Elle est membre du Comité de la Charte et bénéficie du label « Don en confiance ». Ce label, garantit la totale transparence sur ses financements et la destination de ses fonds.

Guerre et patrimoine : Nouvelles menaces sur les trésors arméniens du Haut-Karabagh par Jean-Garabed Mercier 1/2

Aux confins caucasiens du Proche-Orient, dans un pays nommé Artsakh (Haut-Karabagh), une brillante civilisation chrétienne arménienne est aujourd’hui menacée de disparition et son patrimoine monumental risque d’être anéanti. À la prédation agressive de l’Azerbaïdjan s’ajoute aussi son acharnement à vouloir purifier ce territoire en le purgeant des traces ancestrales de son identité arménienne. La stratégie est connue en dépit de toutes les dénégations du régime de Bakou. Déjà employée avec « succès » et en toute impunité dans le Nakhitchévan il y a 20 ans, elle vient d’être réactivée dans le Haut-Karabagh (Arstakh) au moyen d’une guerre impitoyable. Au sauvetage indispensable des vivants s’ajoute l’impérieuse nécessité de sanctuariser un patrimoine arménien exceptionnel.  Explications et perspectives: 

La guerre totale engagée le 27 septembre 2020 par l’Azerbaïdjan contre les Arméniens du Haut-Karabagh s’est temporairement soldée par un cessez-le-feu le 10 novembre, au terme de 44 jours d’une offensive implacable. Les moyens militaires colossaux employés par les assaillants azéris, avec le soutien opérationnel turc et l’appui massif de mercenaires djihadistes transférés par Ankara des théâtres de guerre syrien et libyen, ont eu raison de la vulnérable résistance arménienne, en dépit de sa farouche détermination à maintenir sur cette terre son existence millénaire, sa civilisation chrétienne et son autodétermination conquise dans la douleur d’une précédente guerre d’indépendance 30 ans plus tôt.

De fait, les Arméniens ont capitulé, le tandem Bakou-Ankara a imposé son diktat et Moscou s’est offert la part du lion. Le Kremlin a en effet imposé à tous les acteurs de cette tragédie sa toute-puissance martiale et stratégique, en renforçant sa tutelle sur l’Arménie et en prenant position avec ses 2000 « soldats de la paix » aux frontières du Haut-Karabagh et de l’Azerbaïdjan.

L’intervention décisive de la Russie, bien que motivée par ses intérêts géopolitiques propres, a sans doute contribué à éviter le pire même si l’issue de cette offensive est déjà catastrophique ! Il faut dire que les déclarations publiques haineuses des dirigeants turc et azéri jouant « subtilement » sur le référentiel historique de 1915 (le génocide des Arméniens), leurs intentions politiques manifestes et leur stratégie de conquête avaient toutes les apparences d’un processus génocidaire, visant à terme l’annihilation de la présence civilisationnelle arménienne dans le Haut-Karabagh. Face au drame, les grandes puissances ont préféré renvoyer dos à dos les « parties au conflit », laissant les mains libres à deux États surarmés et dictatoriaux. Seules quelques grandes voix ont  alerté l’opinion publique et la communauté internationale. Ainsi, le 2 octobre 2020, quelques jours à peine après le début cette guerre, le directeur général de l’Œuvre d’Orient, Mgr Pascal Gollnisch, a eu la lucidité et le courage de dénoncer publiquement les faits : « Clairement, la population arménienne du Haut-Karabakh est menacée d’un génocide ». Désignant publiquement l’agresseur, il ajoutait : « nul ne pense sérieusement que l’Arménie ou le Haut-Karabakh a voulu agresser l’Azerbaïdjan. C’est donc bien ce dernier qui a pris l’initiative de ce conflit, dont il menaçait l’Arménie il y a peu de temps[1] ». Il pointait enfin l’emprise d’Ankara dans cette nouvelle expédition guerrière : « La Turquie, membre de l’OTAN, déjà présente en Syrie, Irak, Libye, Chypre, Méditerranée orientale, après avoir imposé le culte musulman dans les églises Sainte-Sophie et Saint-Sauveur-in-Chora, menace l’Europe sur la question des réfugiés, prend une attitude extrêmement agressive et semble envoyer des combattants djihadistes, ce qui donne à ce conflit une nouvelle dimension anti-chrétienne dans cette région[2] ».

Monastère d’Amaras. Haut-Karabagh. Vue générale. © Jean-Garabed Mercier, 2008

Face à de telles implications et de tels enjeux mondiaux, nombreux sont à présent les élus qui demandent à la France de prendre position à l’exemple de Bruno Retailleau  qui le fit en séance publique du Sénat le 25 novembre 2020. Coauteur de la proposition de résolution du Sénat[3] portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh, le sénateur Bruno Retailleau, a été rejoint dans son plaidoyer par la presque totalité des groupes de la droite, du centre et de la gauche de la Haute Assemblée.

Les grands périls, généralement connus et annoncés, faute d’être combattus à temps sont toujours l’objet de nos lamentations à contretemps. C’est donc seuls, une fois de plus, que les Arméniens du Haut-Karabagh ont tenté de sauver de la dévastation leur terre ancestrale, leur héritage culturel protéiforme et leur patrimoine monumental aujourd’hui en péril. Ces menaces de dévastation sont malheureusement corroborées par l’histoire. Elles procèdent des idéologies criminelles constitutives de la destruction de l’Autre, nées de l’apparition des États-nations à la fin du XIXe siècle, largement employées tout au long du XXe (le siècle des génocides) et toujours à l’œuvre dans le sud-Caucase à l’aube de ce nouveau millénaire !

C’est ce processus d’annihilation qui a été mis en œuvre en 1915-1918 par le gouvernement Jeune-turc contre les Arméniens et les Assyro-chaldéo-syriaques d’un Empire ottoman en perdition. Décimées, ces communautés chrétiennes autochtones ont été dépossédées de leur terre et de leur patrimoine, profané, vandalisé et dépecé. « Le patrimoine monumental arménien situé en Turquie constituait à la veille de la Première Guerre mondiale un ensemble considérable de plus de 2500 églises et plusieurs centaines de monastères, possédant de vastes domaines fonciers[4]. » Ce sont aujourd’hui pour l’essentiel des « charniers de pierres ». En somme, une « Solution finale » patrimoniale.

 

Haut-Karabagh. Cathédrale du Saint Sauveur, dite Ghazantchétsots. Vue générale.© Jean-Garabed Mercier, 2008

Cette même politique systématique d’effacement de la civilisation arménienne a été totalement accomplie au Nakhitchévan. Ancien canton du royaume médiéval arménien du Vaspouragan (Xe – XIe siècles), le Nakhitchévan est un vaste territoire de plaine de 5500 km2, aux frontières de la Turquie, de l’Iran et de l’Arménie, qui s’étire le long de la rive orientale de l’Araxe. Après la soviétisation de l’Arménie le 2 décembre 1920, le Nakhitchévan a été tout bonnement concédé par l’URSS à l’Azerbaïdjan soviétique en mars 1921, afin de raffermir les relations soviéto-turques. Progressivement et totalement vidé de sa population arménienne pendant l’ère soviétique, le Nakhitchévan a été irrémédiablement « nettoyé » de toute trace de la présence millénaire arménienne :  « Une liste incomplète des monuments arméniens du Nakhitchévan, établie par Argam Ayvazian (natif et spécialiste de la région, auteur de plusieurs ouvrages publiés à Érevan sur le Nakhitchévan et l’Ancienne Djoulfa), fait état de 310 monuments dédiés au culte (monastères, églises, chapelles, dont 221 ont été détruits entre le XIXe siècle et la fin des années 30), 41 châteaux et forteresses, 26 ponts, 86 pôles d’habitat rural et urbain, 89 cimetières, 5480 stèles à croix (khatchkars) et environ 23 000 pierres tombales, datés entre le Ve et le XIXe siècle. Ces monuments ont été l’objet de nombreuses dégradations depuis le XIXe siècle, mais surtout entre 1998 et 2006 lorsque l’Azerbaïdjan a procédé à leur destruction planifiée. Il ne reste aujourd’hui aucune trace du passé arménien sur le territoire du Nakhitchévan[5] ». Une éradication culturelle d’une telle ampleur, évidemment ordonnée au plus haut sommet de l’État azéri, est rarissime dans les annales de l’histoire…qui plus est par un État signataire de la Convention sur le patrimoine mondial en 1993 !

Nakhitchévan. Nécropole arménienne de l’Ancienne Djoulfa, avec ses dizaines de milliers de khatchkars (pierres tombales en forme de stèles à croix) des XVe-XVIIe siècles. Au premier plan, vue sur trois khatchkars. La nécropole arménienne de l’Ancienne Djoulfa a été rasée par l’Azerbaïdjan entre 1998 et 2006. © Collection Argam Ayvazian / Organisation Terre et Culture, 1981-1983.

Parmi ces innombrables trésors patrimoniaux pulvérisés se trouvait la nécropole de l’Ancienne Djoulfa avec ses milliers de khatchkars, édifiantes stèles à croix et véritables dentelles de pierres des XVe-XVIIe siècles. En lieu et place de ce cimetière immense et exceptionnel, rasé au grand jour sur une période de 7 ans sous les yeux affligés des témoins et des photographes massés sur la rive iranienne de l’Araxe, il ne reste plus rien. Ou plus exactement rien d’autre qu’une base militaire azérie et un champ de tir. Le cynisme de l’Azerbaïdjan n’a d’égal que la vacuité des organisations internationales sensées garantir le respect des conventions et élever la voix face à de tels crimes patrimoniaux contre l’humanité. Parachevant l’impunité du démolisseur, le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO a réuni sa 43e session, à Bakou en juin- juillet 2019. « Rien de surprenant si aucune des informations rendues publiques de la session ne mentionne que le pays hôte s’est livré sur le territoire de la république autonome du Nakhitchévan à la destruction systématique (…) de l’ensemble du patrimoine arménien médiéval et moderne qui s’y trouvait. Comme l’avait montré dans ces mêmes années l’anéantissement des Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan ou plus récemment, la terrible destruction du site de Palmyre en Syrie, nationalismes ethniques et idéologies totalitaires font du patrimoine historique un enjeu des conflits et guerres du temps présent.[6] »

 

 

 

 


[1] Mgr Pascal Gollnisch , https://oeuvre-orient.fr/actualites/un-nouveau-drame-pour-les-armeniens/

[2] Id.

[3] La proposition de résolution du Sénat portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh a été adoptée par 305 des 336 votants. http://www.senat.fr/seances/s202011/s20201125/s20201125_mono.html#par_1905

[4] Raymond Kévorkian, Revue arménienne des questions contemporaines, n°7, octobre 2007.

[5] In « Nécropole de Djoulfa – Monastère Saint-Thomas d’Agoulis, disparus à jamais du Patrimoine mondial », Isabelle Ouzounian, Organisation Terre et Culture, France-Arménie, octobre 2019

[6] In « Unesco-Azerbaidjan : une coopération indigne », Dzovinar Kévonian, Organisation Terre et Culture, France-Arménie, octobre 2019

[Éthiopie] Le témoignage de Jean-Désiré : « je me devais de voir de mes propres yeux le « paradis sur Terre » dont tout le monde me parlait. »

Découvrez le témoignage de Jean-Désiré, volontaire à Addis-Abeba en Ethiopie où il aide la communauté des Frères de Saint-Jean à la construction de leur chapelle.


Après deux mois à Addis-Abeba, j’ai enfin pu sortir de la capitale et découvrir la campagne éthiopienne ! Le chantier demande une présence quasi-permanente sur le site, afin de remédier à tout problème et répondre aux questions de détails du chef de chantier. Je ne peux donc pas partir du prieuré tous les week-ends.

Awassa

Mon premier voyage fut à Awassa, à 280 km en voiture au sud d’Addis. Cette ville est la capitale de la Région des nations, nationalités et peuples du Sud, l’une des neufs régions d’Éthiopie. Les Frères y organisent un camp pour jeunes fin août, dans un ermitage abandonné à l’extérieur de la ville. Celle-ci est notamment intéressante pour les bords du lac Awassa où elle est établie. Les lieux n’attirent quasiment pas de touristes (Éthiopiens ou hors d’Éthiopie), les alentours du lac sont donc encore très préservés et sauvages.

Étant encore en quarantaine due à mon arrivée récente dans le pays, je n’avais pu participer au camp organisé par les Frères. Mais je me devais de voir de mes propres yeux le « paradis sur Terre » dont tout le monde ne cessait de me parler. Je suis donc parti un week-end avec Mihretu, un étudiant d’Addis-Abeba originaire d’Awassa, avec qui j’ai été mis en relation par les Frères.


Le trajet

Le trajet s’est fait en car, pour une durée de 5 heures environ. La capitale est bien pourvue en compagnies de car, avec des véhicules de même facture qu’en Europe, et la concurrence est rude entre elles. Lorsque l’on arrive sur le parking de la gare routière, on est assailli par tous les chauffeurs des différentes compagnies au cas où l’on n’aurait pas encore acheté son billet (chose que j’avais bien heureusement fait en avance).

La campagne autour d’Addis- Abeba ressemble étrangement à la campagne française, avec les mêmes champs et plaines alors que l’on se trouve à 2000 m d’altitude en plus. Mais la campagne se transforme rapidement et la brousse africaine s’impose alors, avec ses arbres solitaires bien caractéristiques. Cela fait un mois que la saison sèche s’est installée et l’herbe est déjà brûlée. Il faudra attendre le mois de mai pour la prochaine saison des pluies. Une différence demeure dans les champs de blé : les ouvriers travaillent pour la plupart à la main ou avec des animaux.

La route reliant Addis à Awassa est goudronnée et globalement de bonne qualité. Le car ralentit tout de même régulièrement pour passer un nid de poule ou faire fuir au klaxon des vaches ou chèvres se baladant sur la voie. De nombreux petits villages sont établis de part et d’autre de la route et certains profitent du trafic pour vendre les produits des champs et vergers sur le bord de la route. Je devine que la plupart de ces villages sont musulmans, car chacun a sa mosquée de la taille d’une petite maison.


La faune et la flore à Awassa

La faune est bien plus visible dans la ville à Awassa qu’à Addis-Abeba. Il est courant de voir des vaches et des chèvres sur le bord de la route ou au milieu, en train de brouter le terre-plein central. Cela ne semble pas troubler le trafic routier outre mesure. Les ânes sont beaucoup utilisés pour tirer des calèches de fortune, généralement pour transporter des marchandises.

Dans les rues proches du lac, de grands oiseaux se promènent librement, sortes de cousins des hérons européens en bien plus grands et gros. Plusieurs parcs sur les bords du lac sont entretenus par l’État, héritages des jardins construits de toutes pièces par les empereurs pour leurs villégiatures.

De grands arbres centenaires rem- plissent ces parcs où se promènent les Éthiopiens aux côtés de nombreux petits singes en liberté. Le calme règne dans ces grands espaces verts où il est facile de se trouver un coin tranquille loin du bruit. La pêche est l’activité locale traditionnelle. Nous avons pu profiter d’un dîner sur le bord du lac en dégustant des poissons frits à point, péchés le jour même, en admirant le soleil déclinant sur l’étendue d’eau.


L’ermitage de Gethsémani

Nous sommes partis pour l’ermitage de Gethsémani où les Frères organisent leur camp d’été, au sud de la ville, par une grande route de terre qui fait le tour du lac.  De nombreuses maisons sont établies de chaque côté de cette route en petits quartiers. La moto y est le transport en commun de prédilection qui peut transporter jusqu’à quatre passagers à la fois (si l’on compte l’enfant assis sur le guidon). Des motos roulent donc régulièrement dans un sens ou dans l’autre, avec une vitesse toute relative car il faut éviter les trous remplis d’eau. Les conducteurs, jeunes adultes (hommes) pour la plupart, sont expérimentés et sont passés maîtres dans l’art du slalom.

Il faut quitter cette route et se rapprocher du bord du lac, après avoir traversé un village pittoresque de l’Afrique profonde, pour atteindre enfin le fameux ermitage. L’ermite qui y vivait là est mort depuis longtemps à présent et les lieux sont à l’abandon, mais étant faits en pierre, ils ne sont pas délabrés. Les seuls squatteurs que nous avons rencontrés sont des lézards de la taille de petits chats et deux ados qui se lavaient dans les eaux limpides du lac. Les bâtiments donnent tous directement sur le lac et cela procure effectivement à l’ermitage une ambiance de jardin paradisiaque. Ici, le silence règne.


Le chantier

Le couple de volontaires français que j’ai rejoint au prieuré en août a décidé de changer de mission et de partir pour le Liban. Après trois semaines de confinement dans leur chambre, à cause de malheureux petits tests Covid positifs, ils ont enfin pu prendre l’avion et décoller vers le Pays du Cèdre fin octobre. Je ne suis pas resté seul bien longtemps, car un nouveau volontaire, Foucauld Vuillemin (toujours français et de l’Œuvre d’Orient), m’a rejoint dix jours plus tard. Il est ingénieur d’une école de travaux publiques. Être deux volontaires sur le chantier permet de voir beaucoup plus de détails et de mieux gérer la quantité de travail lorsque plusieurs problèmes apparaissent en même temps, comme il arrive souvent.

Des parpaings et bars de renforcements ont été posés dans le fond de la chapelle pour former l’armature principale du « sanctuaire », c’est-à-dire l’estrade où repose l’autel et l’ambon.  Foucauld a été mis au travail dès son arrivée, car il fallait poser rapidement les gaines qui contiendront les câbles-son dans l’estrade et au plafond. Pour ce dernier, nous avons profité du gigantesque échafaudage en bois d’eucalyptus qui venait d’être construit et qui servira à la réalisation du plafond. Le portique de la chapelle comporte à présent ses trois arches en briques ! Les ouvriers ont utilisé les coffrages ayant servi pour former les arches en béton et ont posé les briques par- dessus en les joignant avec du mortier.

Ne possédant pas de plan de toutes les faces des arches, les ouvriers ont décidé dans un excès de zèle de poser certaines briques perpendiculaires aux premières, car ils craignaient que les charges ne soient pas bien supportées. C’est en enlevant les coffrages que nous nous sommes aperçus que l’aspect esthétique n’était pas au rendez-vous.

Deux solutions s’offraient à nous :   détruire et refaire les arches ou recouvrir de ciment ces fameuses briques. Le chef de chantier ayant pris la liberté de choisir la deuxième option, sûrement parce qu’il aurait perdu de l’argent avec la première, nous avons décidé de laisser tel quel et d’attendre le rendu final avant de prendre une décision définitive.

Deux autres arches plus étroites sont censées remplir les côtés du portique d’entrée. Dans une tentative de gagner du temps et de l’argent, les coffrages de ces arches ont été réalisés avec des morceaux de carton et mis en forme à la main (tentative bien malheureuse et complètement ratée). Le rendu étant ce qu’il est, l’architecte a heureusement demandé que ce soit démoli et refait avec des coffrages propres.

En tant que client, nous n’avons en effet aucune autorité technique et nous devons nous ranger derrière les décisions de l’architecte. Celui-ci étant assez pointilleux et exigeant sur la qualité, cela ne pose généralement pas de problème lorsque nous ne sommes pas satisfaits d’un résultat, mais il faut savoir faire entendre nos critiques de manière intelligente et raisonnée.

Les parements de briques et de pierres continuent de s’élever et embellissent réellement le bâtiment. Ils donnent quelques complications pour les questions de charge et de stabilité : plusieurs parties s’élèvent au- dessus de fenêtres du sous-sol et ne reposent donc pas sur le sol, tandis que d’autres sont trop hautes et pourraient menacer de se détacher du mur.

Certains responsables du chantier rechignant à se pencher sérieusement sur ces questions, il a fallu faire avec les solutions de repli en les adaptant au mieux, en lien bien sûr avec l’architecte pour s’assurer de leur viabilité. Tous les murs, intérieurs comme extérieurs, qui ne sont pas recouverts de briques ou de pierres, sont enduits de béton pour renforcer la structure et lisser toutes les surfaces: c’est le « plastering ». Cela devient subtile lorsqu’il faut conserver la circularité des ouvertures qui avaient été coulées avec des coffrages. Il a donc fallu vérifier et rectifier plusieurs fenêtres dont les arches n’avaient plus rien de circulaire.

 À suivre…

 

 

[SESSION] : Les extrémismes religieux, malédiction de l’Orient, fléau de l’Occident à l’ICO

L’Institut chrétiens d’Orient propose une session : Les extrémismes religieux, malédiction de l’Orient, fléau de l’Occident.

Objectif de la session

Cette session a pour objectif d’informer sur trois extrémismes religieux qui concernent l’Orient et l’Occident, et d’expliquer comment une doctrine religieuse classique peut produire des branches extrêmes.

Argumentaire

L’extrémisme religieux est l’attitude de groupes ou d’individus convaincus d’être en possession de la vérité absolue dans la forme qu’ils expriment. Rejetant toute opinion contraire à la leur, ils cherchent à imposer leur vision des choses. Si certains utilisent nombre de méthodes d’influence pour réaliser leurs objectifs, d’autres le font par le terrorisme et la violence.

Le Proche-Orient est traversé par des extrémismes religieux qui affectent directement toutes ses populations, et indirectement l’Occident, sur son territoire et dans sa politique. Le salafisme jihadiste à travers ses avatars, Al-Qaïda, Al-Nosra ou Daech sème la mort et la terreur dans plusieurs pays, créant une culture exclusiviste et violente qui ne disparaîtra pas de sitôt. L’évangélisme sioniste, convaincu que l’État d’Israël est la réalisation des prophéties bibliques, joue un rôle très important dans la politique étrangère des États-Unis. Soutien de taille de Trump, ce courant chrétien voit dans l’État hébreu le signe de la fin des temps et œuvre dans la perspective de l’arrivée prochaine du Millenium, le règne de paix millénaire du Christ. Comme l’évangélisme sioniste, le sionisme religieux, juif, déforme le sens premier du sionisme de Théodor Herzl, qui est laïque, et considère que la « terre promise » doit être purifiée en la rendant à ses « propriétaires légitimes ». Cet extrémisme aux notes messianiques prononcées joue un rôle capital dans la colonisation. En pleine expansion en Israël, il trouve nombre de ses adeptes dans les colonies de Cisjordanie.

Informations pratiques

  • Format de la session : 4 séances de 2 heures chacune
  • Mode d’enseignent : en ligne
  • Nom de l’enseignant : Antoine Fleyfel (ICO)
  • Prix : 50 euros
  • Jour et horaire : vendredi de 18h à 20h
  • Dates : 11 et 18 décembre 2020, 8 et 15 janvier 2021.
  • Tous les cours seront enregistrés et mis en ligne avec un accès personnalisé moyennant un mot de passe. Cela permettra aux absents de pouvoir visionner les séances, mais à d’autres aussi de pouvoir réécouter de denses informations.
  • Les étudiants de l’Institut chrétiens d’Orient pourront valider cette formation. Elle compte pour le tiers d’un cours.

=> Inscription par courriel auprès du secrétariat général de l’Institut : contact@institutchretiensdorient.com.

 

Bibliographie 

  • Célia Belin, Jésus est juif en Amérique, Droite évangélique et lobbies chrétiens pro-Israël, Fayard, Paris, 2011.
  • Charles Enderlin, Au nom du Temple, Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013), Seuil, Paris, 2013.
  • Sébastien Fath, Dieu bénisse l’Amérique, Seuil, Paris, 2004.
  • Antoine Fleyfel, Les dieux criminels, Cerf, Paris, 2017.
  • Hamadi Redissi, Une histoire du wahhabisme, Comment l’islam sectaire est devenu l’islam, Points, Paris, 2016.
  • Bernard Rougier (dir.), Qu’est-ce que le salafisme, PUF, Paris, 2008.
  • Idith Zertal & Akiva Eldar, Les Seigneur de la terre, histoire de la colonisation israélienne des territoires occupés, Seuil, Paris, 2013.

Le Bulletin n° 801 de l’Œuvre d’Orient vient de paraître, au sommaire


Grand angle
 sur Achrafieh, la colline chrétienne de Beyrouth. On ne peut connaitre le Liban sans connaître ce quartier de Beyrouth, symbole de la diversité des Églises, du développement de l’éducation, de la culture, des affaires. Un patrimoine chrétien lourdement touché le 4 août dernier.

Décryptage est consacré au « Confessionnalisme politique au Liban, malédiction ou nécessité ? » Un « pari risqué pour les chrétiens » selon Mgr Paul Matar, archevêque émérite maronite de Beyrouth. Pour Tarek Mitri, ancien ministre libanais, le problème tient plus du communautarisme, « le véritable poison », que du confessionnalisme ; « ce qui me fait espérer, ce sont les jeunes qui, depuis octobre 2019, manifestent en appelant à des changements profonds ».

Question d’histoire : «  La diaspora arménienne à l’épreuve du temps » Depuis l’antiquité, la diaspora s’est progressivement affirmée comme une composante essentielle de l’identité arménienne et, contrairement à une idée reçue, celle-ci est bien antérieure au génocide de 1915.

Vos dons en actions : Entrez dans la maison d’Abdel Salam Seman, une des 31 maisons rénovées de Qaraqosh, en Irak. Passez une année au Home avec les Filles de Notre-Dame des Douleurs qui ont fondé, à Jérusalem-Est, un refuge de tendresse pour les anciens. Faites connaissance avec Sœur Samia Jriej, l’Amour incarné, une religieuse syrienne qui consacre sa vie aux enfants handicapés mentaux. Le centre qu’elle dirige dans la vieille ville de Homs ferme à cause de la guerre. Qu’à cela ne tienne, elle trouve les moyens d’en ouvrir un puis deux puis trois dans d’autres quartiers

Vie des Églises d’Orient – Dialogues : d’Éthiopie, le cardinal Souraphiel, archevêque majeur d’Addis Abeba, nommé par le Premier Ministre président de la Commission nationale pour la réconciliation, explique le rôle de l’Église catholique en faveur de la paix.

Retrouvez le Lexique et l’agenda des rendez-vous culturels et médias ainsi que quelques beaux livres pour Noël.


Publié depuis 1857, le Bulletin de l’Œuvre d’Orient, revue grand public entièrement dédiée aux chrétiens d’Orient, est disponible sur abonnement.

Infos pratiques

Directeur de la publication : Mgr Pascal Gollnisch – Rédactrice en chef : Catherine Baumont

Le Bulletin de l’Œuvre d’Orient, revue trimestrielle – octobre novembre décembre 2020

68 pages – Format A5 – Diffusion : 53 000 ex

Disponible sur abonnement : 8 € pour 4 numéros/an + une version numérique offerte.

Abonnement : Œuvre d’Orient Abt – 20 rue du Regard 75006 Paris ou en cliquant ici 

[SYRIE] » Vaincre la peur  » Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas

Dix ans de calvaire

Le recul des violences en Syrie cède la place à une guerre économique des plus dures.. Le blocus mondial depuis dix ans , fortifié par la ”Loi César” qui pénalise les personnes et les états qui viennent en aide à la Syrie en ruine.. D’où une suite de pénurie et des queues interminables devant les boulangeries, les stations d’essence, de gaz domestique, l’inflation galopante sans oublier l’argent des Syriens bloqués dans les banques libanaises depuis octobre 2019.

Le Covid-19 complique la vie sociale et ajoute à la peur et la solitude . La fermeture des frontières avec les pays voisins et le test Covid obligatoire et couteux à chaque passage  affectent la vie familiale, les taxis immobiles, les ouvriers sans travail ni ressources. Le drame surtout se manifeste dans le secteur medico-hospitalier qui affronte avec inquiétude l’exode des médecins et les rares médicaments  encore disponibles.

Renouveau

Quant au Renouveau, l’Eglise de Damas est en Synode lancé le dimanche de Pentecôte 31 mai, un temps de prise de conscience pour revoir les blessures, les points de souffrance et lancer un nouveau dynamisme  pastoral à la recherche des fidèles  dispersés dans les périphéries assoiffés de l’Evangile et d’une Eglise plus proche de leur vie quotidienne.

Saurons-nous conduire ce chantier Synodal pour fêter le Pardon devant  l’Enfant Divin ?

 

Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas.