[ÉGYPTE] Témoignage d’Isaure et Hermine, chargées de mission au Pôle jeunes de l’Œuvre d’Orient « Les volontaires sont le témoignage vivant de l’amitié de L’Œuvre d’Orient avec ces communautés. »

Courant mars, le Pôle Volontaires de L’Œuvre d’Orient s’est rendu en Égypte pour effectuer sa visite annuelle auprès des volontaires sur le terrain et des communautés. Ce déplacement s’inscrit dans la deuxième partie de la mission des volontaires. Il a pour objectif de faire un premier état des lieux et bilan, de recueillir les besoins des communautés et de prospecter dans d’autres lieux demandeurs de l’aide concrète et du soutien des volontaires.

La promotion de cette année est composée de onze volontaires en Égypte. Ceux-ci sont enseignants, infirmiers, accompagnateurs d’enfants, etc. En partant avec L’Œuvre d’Orient, ils entrent dans l’histoire d’amitié qu’entretient L’Œuvre d’Orient et les communautés depuis 165 ans, et en deviennent témoins et acteurs. Tristan, volontaire au collège Saint Joseph Khoronfish, s’est ainsi lié d’amitié avec frère Sameer ainsi qu’avec sa famille. Ces relations sont belles et permettent aux volontaires d’être accompagnés en mission par les religieux qui les accueillent.

L’action des communautés

Chacune des visites est l’occasion d’un temps d’échange particulier avec les communautés. Celles-ci nous décrivent l’année écoulée d’un point de vue général avant de faire un bilan sur le volontaire précédent, puis sur l’actuel et sur les besoins à venir. Elles témoignent également de leur choix de vie et de la réalité de leur mission. Par leur disponibilité et les qualités propres à chaque congrégation, les sœurs rendent moins misérable la misère : elles créent des lieux de mise en valeur de chacun, elles accompagnent et coachent les employés et les parents, et vivent en harmonie avec le voisinage.

À titre d’exemple, à Qussiyah (Haute-Egypte), sœur Camélia tente de transmettre aux mamans le goût de montrer leur affection envers leurs enfants, et de ne pas simplement s’occuper de les nourrir physiquement. Elle leurs enseignent donc des gestes de tendresse. Le climat de confiance et d’amitié gravitant autour des communautés religieuses marquent les volontaires et leur permet de s’investir dans l’entourage des communautés : volontaires, amis, chauffeurs, etc. Les communautés sont en effet des ressources et des modèles pour les chrétiens qui évoluent autour. Lors de nos visites, nous sentons l’intensité de ces liens ; les uns trouvant écoute, bienveillance, et travail et les autres amis, respect, et sens à leur mission.

À Qussiyah par exemple, Marine et Mariana ont su tisser des liens amicaux avec de très nombreuses familles, et jeunes proches des sœurs. À cette école, les volontaires sont immergés dans le souci de la globalité de la personne, et reproduisent cela dans les relations qu’ils créent en dehors de la mission, comme Bernard au Caire qui passe tous les soirs prendre un café à la terrasse du coin et jouer au backgamon avec les amis du quartier.

L’action des volontaires

« Chaque soir je me couche en me disant que c’était la meilleure journée », témoigne Marine, volontaire avec Mariana en Haute-Egypte. Les jours ne se ressemblent pas en mission lorsque l’on se met au service des plus petits, et que l’on se soumet au rythme et au quotidien d’une communauté religieuse. Les volontaires transmettent et partagent leur enthousiasme à la communauté, et participent à toutes les activités. Ils expérimentent d’autant plus le don de soi et l’action des communautés auprès de tous qu’ils sont chacun tout à fait immergés dans leur lieu de mission. Ceux-ci sont relativement éloignés les uns des autres, ce qui permet une réelle immersion, et des retrouvailles nécessaires de temps à autre.

Malgré la fermeture des écoles de janvier à mars, pour les écoles égyptiennes, les volontaires enseignants ont su s’accrocher à l’espérance et reprendre les cours mi-mars, riches d’une créativité développée pour mettre à profit ces semaines vides : cours aux professeurs pour Tristan et préparation au DELF, coordination de projets de développement (l’école va investir dans des ruches pour faire son miel maison !) dans l’établissement pour Anne-Cécile à Alexandrie, investissement auprès d’associations locales telles que le Samu social pour Bernard au Caire, etc. Tous ont su mettre à profit ce temps pour agir différemment, s’investir dans la mission d’une autre manière et poursuivre l’amitié avec la communauté.

Nous sommes touchées par l’esprit de cette promotion de volontaires, et la manière dont chacun s’est approprié son poste et s’y plait. Les onze volontaires en poste au moment où nous sommes venues cherchent à faire de leur mieux et vivre intensément chaque instant. Ils ont une mission propre et mettent leurs compétences à profit pour la vivre en y donnant tous ce qu’ils ont. Julien et Françoise qui sont jeunes mariés, s’occupent chaque jour avec Claire et Judith, de jeunes orphelines de leur retour de l’école à leur coucher. Dans un esprit de famille, ils les accompagnent et les guident pour qu’elles grandissent et s’épanouissent à leur contact. Ombeline et Madeleine sont enseignantes, et nous avons été témoins de la belle relation qui les lient avec les communautés. Madeleine anime des soirées chants avec les sœurs, pendant lesquelles elle leur apprend de traditionnels chants scouts. Mariana, co-animatrice d’un jardin d’enfants en Haute-Egypte, a élargi sa mission jusqu’au dispensaire de la maison où sert Marine depuis 5 mois, où elle s’est découvert une vocation infirmière au contact de Marine.

Ces jeunes Français ont quitté leur confort et leur quotidien en France afin de vivre entièrement au côté des chrétiens d’Orient vers lesquels ils ont été envoyés, et nous avons perçu lors de notre séjour que le pari était gagné cette année encore.

Au terme de ce déplacement, le travail de recensement des missions est encore vaste, mais nous avons le sentiment que les volontaires sont à leur place et véritablement utiles dans leur mission.

Nous avons enfin été touchées par les souvenirs que les volontaires précédents ont laissé aux communautés. À Saint Vincent, Sœur Charlotte rappelle émue le jour d’arrivée de Romaric et Galhiane, pendant que Sœur Simone montre sur son téléphone les photos et les messages qu’ils échangent régulièrement. À Samalout Sœur Ferial rit encore des échanges qu’elle avait à table avec Augustin, … Les volontaires sont le témoignage vivant de l’amitié de L’Œuvre d’Orient avec ces communautés.

Nous tenons à les remercier tous : pour leur témoignage, leur engagement et leur soutien mutuels.

Isaure et Hermine, Chargées de mission Pôle jeunes.

 

[GRÈCE] Témoignage de Raphaële : « J’ai été très chaleureusement accueillie par la communauté dans laquelle je vais vivre ces 5 prochains mois. »

Raphaële est volontaire au JRS d’Athènes pour cinq mois. Elle travaille dans l’aide aux réfugiés en dispensant des cours de langue, et faisant de la distribution alimentaire et de vêtements.

La découverte d’Athènes.

Un petit mois après mon arrivée à Athènes, me voilà à présent en mesure de raconter mes premières impressions sur ce pays où le soleil semble toujours briller et les oiseaux chanter.

Arrivée le 04 mars après-midi, j’ai été très chaleureusement accueillie par la communauté dans laquelle je vais vivre ces 5 prochains mois. Le JRS, ou Jesuit Refugee Service, est une association non-gouvernementale internationale catholique présente dans 56 pays dont une vingtaine en Europe et luttant contre l’isolement et l’exclusion sociale des demandeurs d’asile et des réfugiés.

Ici à Athènes, nous habitons donc au cœur d’un quartier cosmopolite peuplé principalement de réfugiés afghans, iraniens, somaliens, congolais et turcs. Très peu de Grecs en somme, et c’est d’ailleurs l’une des premières choses qui m’a frappée : en arrivant, j’ai eu l’impression d’être dans un pays bien plus lointain que la Grèce tant la population y était hétéroclite et pauvre. Car oui, quoique l’on en pense, le temps de la somptueuse et merveilleuse Athènes est bel et bien terminé. En dehors du centre bien préservé où se succèdent les plus beaux temples, les quartiers environnants sont dans un état assez désastreux et construit de manière peu harmonieuse. En s’éloignant un peu du centre, on tombe alors sur les quartiers riches, qui sont, en revanche, très agréables et bien construits.

Les missions au Jesuit Refugee Service.

Concernant la communauté dans laquelle je vis ici, nous occupons de confortables bâtiments dans le quartier de Victoria Square, non loin du centre d’Athènes. Notre équipe se compose de 4 volontaires, 3 françaises et une espagnole, travaillant en binôme avec trois sœurs de la communauté des Sœurs Missionnaires Servantes du Saint Esprit, venant principalement d’Europe de l’Est et d’Amérique du Sud, et deux laïcs grecques. La langue de la mission est donc l’anglais (et parfois le français entre nous ou avec le Père Pierre, supérieur de la Communauté). De l’autre côté du bâtiment se trouvent les pères jésuites, assez âgés dans l’ensemble et grecs pour la plupart mais parlant un excellent français ! Nous sommes donc une bonne équipe sur place et la bonne humeur règne au quotidien !

Concernant nos missions, elles se détaillent en plusieurs volets :

  • D’une part, l’association dispose d’un magasin de vêtements, appelé Magazi, dans lequel les réfugiés peuvent se procurer des habits gratuitement. Seulement, en temps de Covid, nous sommes obligées de fonctionner avec un système de rendez-vous afin d’éviter une trop grande affluence. Les personnes intéressées doivent donc nous envoyer un message en nous détaillant précisément ce dont elles ont besoin afin que nous puissions à notre tour leur donner un jour et une heure de rendez-vous et préparer éventuellement en amont ce dont ils auraient besoin car il ne leur est pas permis de pénétrer à l’intérieur du Magazi. Recevant plus de 100 messages par jour, le défi est donc de réussir à tous leur répondre et de sauvegarder toutes leurs données afin d’être en mesure de voir ceux qui sont déjà venus et ceux qui sont nouveaux.

 

  • D’autre part, nous recevons des femmes avec leurs enfants afin qu’ils puissent bénéficier des services d’hygiène basiques, des douches et une machine à laver le linge qui fonctionnent également par rendez-vous. Nous sommes ainsi responsables de vérifier si les personnes sont bien venues et si elles ont besoin d’autre chose comme un accompagnement social car certaines sont perdues dans les procédures administratives compliquées et souvent en grec, langue qu’ils ne comprennent pas. Grâce à une interprète farsi, nous sommes ainsi en mesure de communiquer avec tous, que ce soit en français, en anglais ou en farsi.

 

  • Le dernier aspect concerne les « Magistories » c’est-à-dire les cours de langue que nous donnons aux réfugiés. Pour ma part, je suis sur le point de commencer les cours d’allemand, langue très prisée car beaucoup souhaitent partir y habiter après leur escale en Grèce. Ces cours sont loin d’être faciles à organiser car tous en distanciels, en raison du confinement. Nous sommes donc contraints d’utiliser Whatsapp qui se prête difficilement à ce genre d’exercice. Nous verrons ce que donnent les semaines à venir pour les premiers cours d’allemand…

 

 

En temps normal, de nombreuses activités sont également organisées pour les enfants au Woman day center sous forme de workshop et de « tea time » pour les mamans et nous espérons tous très fort pouvoir les reprendre bientôt. La Grèce est en effet confinée depuis le mois de novembre et l’on sent que le pays est fatigué de toutes ces mesures restrictives qui empêchent de vivre normalement.

Cependant, le pays rouvre peu à peu ses portes puisqu’il est à présent possible de visiter les sites en plein air ! J’ai donc pu découvrir avec émerveillement les beautés de l’Acropole et de l’ancienne Agora romaine. Quelles merveilles ! La météo (presque) toujours au beau fixe permet de profiter de ces monuments avec une lumière fantastique.

 

Raphaële.

Pâques : faire un don fraternel pour les chrétiens d’Orient .


Plus que jamais, leur avenir dépend de votre soutien.

Le vendredi saint dans les rites orientaux correspond aux obsèques du Seigneur : le Christ traverse la mort causée par le péché des hommes. En Orient, ces offices de la Semaine Sainte sont largement priés, particulièrement celui du vendredi saint ainsi que celui du dimanche de Pâques.

En cette journée de prière et de recueillement, en France comme en Orient, nous pouvons manifester notre fraternité en soutenant par notre effort de carême nos frères d’Orient : sur le terrain, au quotidien, les communautés chrétiennes, par leurs œuvres sociales et charitables, poursuivent leurs missions au service de tous.

Je découvre les projets

Syrie : le centre le Seneve à Homs

L’association Le Senevé est un centre d’accueil de jour pour enfants avec un handicap mental, souffrant de trisomie, d’autisme ou de difficultés intellectuelles. « Dans les ténèbres, nous pouvons distinguer de petites lumières d’humanités, de fraternité qui réchauffent les cœurs brisés. C’est ce que sont pour nous les associations et les donateurs. » Sœur Samia, directrice du centre Le Senevé.

 

Liban : l’école des Sœurs du Rosaire de Bourj Hammoud

L’école se situe dans le quartier chrétien de Bourj Hammoud, à Beyrouth. La communauté des sœurs a ouvert une école dans ce quartier il y a 90 ans. Aujourd’hui, l’école subit de grandes difficultés financières auxquelles s’ajoute les dégâts matériels causés par l’explosion d’aout 2020. Aidons à poursuivre leurs missions éducatives pour les élèves.

 

 

Nous vous souhaitons une très belle montée vers Pâques.

 

Le sens de la fête de Pâques en Orient.

À l’occasion de la Semaine sainte et du jour de Pâques, vécus par des millions de fidèles en Orient, vous trouverez ci-dessous des informations concernant cette grande fête.
Mgr Pascal Gollnisch, Directeur de L’Œuvre d’Orient, est à votre disposition pour répondre à vos questions. Ainsi que nos correspondants en Irak, Syrie, Liban, …


Le sens de la fête de Pâques en Orient

Le sens de la fête de Pâques est le même dans toutes les Églises. Il est fondamental pour la vie des chrétiens. Les offices de la montée vers Pâques suivent partout les récits évangéliques de la Passion, de la mort et de la Résurrection du Seigneur.
Comme en Occident, chaque Église célèbre le Triduum pascal, chacune selon sa propre liturgie et sa propre spiritualité.

Ces trois jours saints constituent la matrice de la foi chrétienne :

  • le jeudi saint : institution de l’Eucharistie et donc institution du sacerdoce ;
  • le vendredi saint qui dans les rites orientaux correspond aux obsèques du Seigneur : le Christ passe par la mort pour détruire la mort causée par le péché collectif de l’humanité ce qui nécessite la restauration et le renouvellement de l’humanité déchue, solidaire dans le péché ;
  • et finalement la grande fête de Pâques : c’est la fête principale, au cœur de toute la vie des chrétiens, qui rappelle la victoire du Seigneur sur l’esclavage et la mort. Les fidèles de nombre d’Eglises orientales ont l’habitude de proclamer pendant cette période « Christos Anesti« , « Christ est rescucité« 

– Qu’est-ce que « Pâques » pour les orientaux :

En plus de la mémoire de la libération du peuple d’Israël de l’esclavage en Egypte, elle est le signe de la victoire du Christ et d’une immense Espérance en la victoire de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine.

Le sens littéraire du mot « Pâques », mot d’origine araméenne, est « passage » [de la Mer rouge et de la vie mortelle à la vie éternelle ndlr].

Au sens spirituel, c’est le passage de l’esclavage à la liberté, de l’ignorance à la connaissance, de la mort à la vie. Pour les orientaux, la semaine sainte est la plus pratiquée, la plus priée, la plus fréquentée, avec une piété et des émotions intenses.

La semaine sainte interpelle même les non pratiquants qui assistent aux différentes cérémonies, surtout à la cérémonie des obsèques du Christ, le vendredi saint, et celle du dimanche de Pâques.

LES DIFFÉRENCES

Des dates différentes
– Cette année, Pâques sera souhaité à deux dates avec 5 semaines d’écart :

  • le 4 avril 2021 : pour l’Eglise latine comme pour les Église orientales catholiques, à Jerusalem, Bethléem et lieux saints, et les Patriarcats de Constantinople, d’Alexandrie, d’Antioche, les Églises de Roumanie, de Bulgarie, de Chypre, de Grèce, d’Albanie qui suivent le calendrier julien révisé,
  • le 2 mai 2021 : pour les Patriarcats copte orthodoxe, de Moscou, Jérusalem, les Églises de Serbie, Géorgie, Pologne, et d’Ukraine.

En fonction du territoire, et d’un pays à l’autre du Proche-Orient, la date de la fête de Pâques peut être différente. Parfois les deux dates concordent ; c’était le cas en 2017 et ce sera le cas à nouveau en 2025.

– Le jeudi saint les maronites prient toute la nuit, en souvenir de la nuit passée par Jésus en prière au jardin des Oliviers.

– Lors de la messe de Pâques, les fidèles chaldéens applaudissent lorsque le prêtre, ou l’évêque, annonce la Résurrection du Seigneur.

 

L’Œuvre d’Orient est une association catholique et apolitique, reconnue d’intérêt général, qui œuvre depuis plus de 160 ans pour soutenir les communautés chrétiennes au Moyen-Orient, comme en Irak, qui sont au service de toute la population (éducation, santé, culture). Elle est membre du Comité de la Charte et bénéficie du label « Don en confiance ». Ce label, garantit la totale transparence sur ses financements et la destination de ses fonds.

 

[ÉGYPTE] Témoignage de Judith: « Ces temps de jeux et de complicité nous ont rapprochés des filles. »

Judith, 26 ans, est volontaire au Caire depuis le mois de novembre 2020. Elle travaille dans un orphelinat pour jeunes filles où elle dispense des cours de science et mathématiques tout en accompagnant les filles dans leur quotidien.


Bienvenue à la Maison

Cela fait un peu plus de 3 mois que je suis au Caire. J’ai refait mémoire de ma première rencontre avec les filles.

C’était mon premier jour, juste après la mise au point avec la sœur des occupations de chacun, nous sommes partis vers la cuisine pour déjeuner. Entrée dans la petite véranda faisant office de couloir entre les deux parties de la maison, une foule de petites têtes étonnées se sont tournées vers moi et tout de suite précipitées à ma rencontre. Essayant d’avancer dans cette mer de « benettes » (filles en égyptien), j’essayais de comprendre : « Esmik é ? Esmik é ? Ana Mariam » « ou ana Zouzou, flower ». Une des filles s’est improvisée traductrice et m’a déclaré « elles te demandent comment tu t’appelles ». […] Ce jour-là, je rencontrais les secondaires. La plus grande qui passe son bac en spécialité maths et sciences, ainsi que la petite bande de premières secondaires qui est rapidement devenue ma classe préférée. Toutes les filles de la maison sont adorables et sont mes préférées, mais d’un point de vue de l’enseignement, les grandes classes sont agréables à enseigner, elles sont autonomes et comprennent déjà mieux que les plus jeunes.

Ainsi, les journées se sont déroulées selon le même emploi du temps. Arrivée pour le déjeuner puis explication des cours et exercices. Après une semaine, j’ai commencé à m’habituer au bruit. Ici, pour s’exprimer, c’est la loi de la jungle. Les filles ont des voix très graves, ce qui n’est pas étonnant, l’arabe est une langue avec de nombreuses tonalités. Il n’est pas rare d’entendre des gens parler très fort et avoir l’impression qu’ils sont en plein conflit verbal, avant de les voir afficher de grands sourires.

Ce rythme de travail de l’après-midi a continué jusqu’à début janvier où nous avons appris que le gouvernement demandait que les écoles ferment et repoussait les examens après les vacances de février. Les cours de certaines classes ont continué par zoom, d’autres se sont juste retrouvées à ne rien faire. Nous avons donc réorganisé les emplois du temps. En Egypte, les cours sont assurés de manière partielle le matin. De cette manière, les parents sont obligés de payer des cours particuliers l’après-midi, avec ces mêmes professeurs, pour que leur progéniture puisse avoir les explications qui accompagnent les fiches d’exercices ou les formules du matin.

Nous avons donc assisté à des situations étonnantes. En anglais, par exemple, les filles apprennent les verbes irréguliers par cœur, mais sans la traduction, cette dernière n’étant pas imprimée dans le manuel scolaire. En ce qui concerne les filles de la Maison, le travail de la Sœur qui s’en occupe est crucial. Ce lieu est la promesse d’une chance de réussite scolaire et professionnelle pour toutes ces « benettes ». La plupart d’entre elles sont ici à cause d’une situation familiale et/ou financière difficile. Beaucoup ont des histoires touchantes.

La sœur qui s’en occupe aujourd’hui a pris la responsabilité de la maison il y a 23 ans. Elle veille à la santé, au bien être des filles et à leur éducation. […] Quelques mamans ou grand-mères ou anciennes filles de la maison se relaient dans la semaine pour la cuisine ou le ménage. Souvent, des anciennes de la maison viennent surveiller les filles ou les aider dans leur travail, surtout pendant les vacances universitaires. Deux anciennes sont devenues des employées de la maison à temps plein. La sœur emploie aussi quelques professeurs pour faire travailler les filles. Cela constitue une part importante du budget. Cependant, la première part de son budget est la scolarisation des filles. Si on part du principe qu’à peu près la moitié des 80 filles vont à l’école chez les sœurs françaises et que la scolarisation là-bas coûte entre 7000 et 10000 livres égyptiennes, et que les autres vont dans les écoles du gouvernement où l’année coute un peu moins de 1000 livres, vous pouvez estimer la dépense. A cela s’ajoutent les uniformes et les manuels scolaires. Pour la nourriture, certaines denrées alimentaires sont des dons. Des anciennes qui apportent quelque chose pour les filles. Le reste est acheté avec le budget de la maison.

Les filles ne manquent de rien, comme dans toute fratrie, les vêtements sont passés des plus grandes aux plus jeunes et les filles n’ont pas de téléphone avant d’aller à l’université. Ce qui leur manque peut-être, c’est l’attention et la saine solitude, ainsi qu’un peu plus de sollicitation artistique et d’éveil culturel. Mais cela reste plus difficile dans une maison où s’entassent plus de 80 caractères différents.

En regardant cette solitude que nous éprouvons parfois, loin de nos familles, sachant que pour certains nous ne reverrons pas nos proches avant de rentrer en France, cela m’encourage à me mettre à la place de ces filles qui n’ont pas revu leurs familles depuis octobre. C’est encore plus difficile pour un enfant.

Noël en Orient

Notre deuxième Noël, nous l’avons passé avec les filles le 7 janvier, date de Noël en Orient. En arrivant à la Maison, nous avons été accueillis par des filles «sapées comme jamais ». Nous sommes descendus dans la cours préparer les sièges pour la messe en plein air. Le frère Emmanuel de chez les dominicains a célébré la messe en français et Iriny, une des universitaires, traduisait en arabe. Nous étions un peu déçus de ne pas avoir eu une messe de Noël orientale, mais à ce moment encore toutes les églises orthodoxes étaient fermées. En effet, en décembre, la communauté orthodoxe a perdu 8 prêtres en un week-end à cause du covid.

Après la messe de Noël, les filles ont mis de la musique et nous avons joué et dansé. Les benettes dansent tellement bien ! Elles ont ce déhanché oriental qu’elles seules maîtrisent ! Cela s’est poursuivi avec un copieux repas à base de dinde et patates-légumes, puis d’un immense gâteau de fête au chocolat et les jeux ont repris avec des spectacles de danse préparés par les filles. Ces jours de jeux et fêtes sont les plus fatigants mais sont des explosions de joies des filles qui se coupent un peu de leur rythme d’études et s’amusent. Nous avons pu avoir ces temps d’amusement avec le changement de rythme après la fermeture des écoles.

Pendant les mois de janvier et février, nous sommes allés à la Maison le matin, de 10h à 17h30 et avons mis en place des temps de récré pour les filles. Cela nous permettait de descendre dans la cours avec elles et jouer un peu au foot, ce qu’elles adorent. Nous avons aussi pris des temps de jeux de stratégie et cartes.  Ces temps de jeux et de complicité nous ont rapprochés des filles, c’est une grande chance car il y a beaucoup d’interaction. Nous avons de la chance de pouvoir les connaitre mieux et d’être là pour elles, un peu comme des grandes sœurs ou des tantes!

Aujourd’hui avec la reprise prochaine des cours, notre rythme change à nouveau. Nous verrons bien ce que cela donnera.

 

 

Judith Zabek

 

Joyeuses Pâques !


Aujourd’hui, nous fêtons ce qui nous donne une puissance d’espérer : la Résurrection du Christ.

Dans la joie de Pâques, soyons proches de nos frères et sœurs d’Orient. Que le Christ ressuscité nous donne la force d’espérer.
Mgr Pascal Gollnisch et toute l’équipe de L’Œuvre d’Orient

Aujourd’hui, nous fêtons ce qui nous donne la puissance d’espérer : la Résurrection du Christ. Malgré les difficultés et les drames, les chrétiens au Moyen-Orient vivent cette fête dans l’espérance. Oui, comme nous l’avons vu en Irak, la vie est plus forte que la mort. Et avec eux nous pouvons le proclamer « Al Mesih Qam, Hakkan Qam » « Christ est ressuscité, Il est vraiment ressuscité ! ».

[ÉGYPTE] Témoignage de Claire : « Chaque jour est une nouvelle occasion de m’émerveiller à travers les liens que je tisse. »

 Claire est en mission dans un orphelinat pour jeunes filles au Caire de la maison Fowler.  


Après quelques mois de silence je suis heureuse de vous donner de belles nouvelles du pays. La routine n’a toujours pas envahi mon quotidien. À vrai dire, elle n’a pas sa place au Caire et encore moins au sein de ma mission. Chaque jour est une nouvelle occasion de m’émerveiller à travers les liens que je tisse, les rencontres que je fais, les personnes qui croisent ma route.

Le mois de mars a pointé le bout de son nez, les températures ont légèrement baissé mais en arrivant à Fowler les cœurs se réchauffent. Depuis presque deux mois, les écoles sont fermées en Egypte, vous en connaissez bien évidement le motif, le rythme de la mission a donc changé et j’en profite pour varier les activités, en instaurant par exemple, au hasard ….. un sport qui compte beaucoup à mes yeux……le football, autrement dit mon allié préféré pour fédérer mes élèves.

Fédérer grâce au football.

Au bout de plusieurs semaines d’essai, je suis ravie de constater que les filles ont enfin (ou presque) intégré les règles de ce sport collectif. Une fois par jour nous descendons avec un groupe différent pour prendre l’air, le rendez-vous parfait pour taper dans un ballon et se défouler avant de reprendre les leçons et de préparer les examens de mi année. Ce fut au début surprenant pour elles de me voir jouer au foot, mais maintenant je fais entièrement partie des équipes. Ma cote de popularité a d’ailleurs bien augmenté, je ne suis plus seulement « madame Claire », je me laisse désormais appeler « urtie » (ma soeur) ou encore « Habibti » (ma chérie, très populaire en Egypte) sur le terrain !

Les matchs sont des moments très important pour elles, comme pour moi. Tous les jours les filles viennent m’interroger « on va descendez en bas aujourd’hui ? », « c’est l’heure de la récréation ? », « tu es dans mon équipe aujourd‘hui ? ». Avec Magda, 21 ans qui joue comme une déesse (et pieds nus), et les tirs puissants de Catherine, 12 ans, qui traversent le terrain…… les parties de foot restent nos plus grands fous rires.

Partager ces moments d’euphorie et de complicité reste très important surtout en ce moment. Les restrictions sanitaires ne leur permettent pas de retourner voir leur famille comme chaque année en février. Oui, nous rassurons et consolons parfois. Les filles restent des lueurs d’espoir et savent se réjouir et trouver du réconfort autrement !

La complicité que je construis avec elle reste magique et harmonieuse, la relation très forte, passant par de la chamaillerie, quelques grandes tapes amicales pour se saluer ou par une simple main posée sur l’épaule. J’éprouve beaucoup d’amitié pour les grandes classes, que je découvre, à travers le jeu : d’interminables parties de cartes ou de jungle speed ponctuent nos soirées. Il y a Martina, Engy, Dina, Marina et leur grande « amie intime » Irigny, 21 ans, qui a quitté la maison mais qui y passe des semaines entières pour retrouver ses amies et donner quelques cours aux primaires. Les anciennes ne coupent jamais réellement le cordon avec Fowler.

Croisière le long du Nil.

La semaine dernière ce fut à nous, volontaires, de prendre quelques vacances et réaliser un rêve commun : la célèbre croisière Louxor – Assouan sur le Nil ! Après 14h de train, 982 km en direction du sud nous retrouvons notre guide Ahmed qui nous accompagnera dans tous les plus beaux et hauts lieux du pays : les temples de Karnak, la plus grande structure religieuse du monde, la Vallée des Rois qui abrite plusieurs dizaines de tombes souterraines de pharaons et reines, le temple d’Edfou, le barrage d’Assouan….le site le plus émouvant reste le monastère de Saint-Siméon, datant du VIIIème siècle, situé au sommet d’un plateau et qui offre une vue magnifique sur le désert et Assouan. Cette semaine fut aussi l’occasion de se retrouver entre volontaires pour souffler, loin du bruit de la ville et pour se raconter encore et encore nos anecdotes diverses sur nos missions et sur ce pays si attachant et rempli de contrastes.

De retour au Caire je continue d’admirer les plus beaux couchers de soleil du monde, je découvre encore des coins de cette ville immense et je poursuis mes cours d’arabe dans le vieux quartier islamique.

En attendant, je vous partage  ce lien vers une musique typique, pour rendre le voyage plus authentique : https://www.youtube.com/watch?v=WNcrS4SxRWw

 

L’action de Mgr Félix Charmetant, directeur de l’Œuvre d’Orient (1885-1921), en faveur de la cause arménienne

Article paru en deux parties dans la revue de l’Œuvre d’Orient. N° 780 (2015), n° 781 (2015).


Introduction

En cette année 2015 qui commémore le centenaire du génocide arménien, les concernés et les sympathisants font de leur mieux pour mettre en lumière les circonstances de ce drame, afin de le faire connaître et pour agir dans le sens d’une pleine reconnaissance et d’un dédommagement. À cette occasion, il est du devoir de mémoire de parler de l’une des personnes qui agirent le plus en France en faveur des Arméniens de l’Empire ottoman, sur trois décennies, Mgr Félix Charmetant (1844-1921), directeur de l’Œuvre d’Orient de 1885 jusqu’à sa mort.

S’agissant du sort des Arméniens, Charmetant mena, à partir de 1895, une très vaste campagne pour dénoncer les massacres et les crimes qu’ils subirent. Soldat infatigable, il utilisa tous les moyens possibles pour faire connaître les circonstances des malheurs qu’ils vécurent et pour leur apporter une aide de quelque nature qu’elle fût, financière ou politique. Sa littérature sur la question abonde et informe de l’ampleur de son action : ses éditoriaux et articles dans le bulletin de l’Œuvre, sa correspondance et plusieurs ouvrages dont : Martyrologe arménien : Tableau officiel des massacres d’Arménie, dressé après enquêtes des six ambassades de Constantinople, et statistique dressée par des témoins oculaires grégoriens et protestants des profanations d’églises, assassinats d’ecclésiastiques, apostasies forcées, enlèvements de femmes et jeunes vierges, Paris, Bureau des Œuvres d’Orient, 1896 ; L’Arménie agonisante et l’Europe chrétienne : Appel aux chefs d’État, Paris, Bureau des Œuvres d’Orient, 1897 ; Pitié pour nos pauvres frères d’Arménie !, Paris, Bureau des Œuvres d’Orient, 1910 ; Constantinople, Syrie et Palestine : Lettre ouverte à nos hommes d’État, Paris, Bureau des Œuvres d’Orient, 1915.

Il est impossible de rendre compte et d’analyser dans un article, aussi long qu’il soit, toute l’action de Félix Charmetant en faveur des Arméniens. Cela devrait faire l’objet d’un mémoire de master, voire d’une thèse de doctorat. Cependant, nous avons l’ambition de donner une idée de ce qui se fit en parlant de l’essentiel du combat mené par l’ancien directeur de l’Œuvre d’Orient. Ne pouvant évoquer sa militance pour la cause arménienne sur trois décennie, nous optons pour un examen de son activité durant deux périodes clefs des malheurs des Arméniens de l’Empire ottoman, à savoir les massacres hamidiens (1894-1896) et le génocide (1915-1916).

1- Les massacres hamidiens (1894-1896)

Préparant le génocide, ces massacres eurent lieu sous le règne dudit « Sultan rouge » ou « Grand Saigneur », Abdülhamid II. En 1894, dans le cadre de la résistance des Sassouniotes qui résistèrent aux Kurdes venant les rançonner, encore une fois, il donna personnellement « l’ordre de frapper les Arméniens de Sassoun ». Les massacres éclatèrent durant l’automne 1895 et furent le prélude d’un carnage perpétré partout au sein de l’Empire ottoman, jusqu’en 1896. Plus de cent mille Arméniens perdirent la vie à cause de cette barbarie, cent-mille furent réfugiés et plusieurs dizaines de milliers devinrent orphelins ou furent convertis de force. Quelque 2 500 villages furent dévastés et plus de 500 églises transformées en mosquées. Ces sinistres nouvelles tardèrent à arriver en France et la presse fut parfois lente à réagir, lorsqu’elle réagissait. Pire encore, certains journaux déformaient la réalité en innocentant les Turcs et en accusant les Arméniens de troubles.

Le bulletin de l’Œuvre d’Orient, édité depuis 1857, est notre source d’information principale. Il permet de retracer l’évolution de l’engagement du père Charmetant en faveur de la cause arménienne. Notre examen de différentes correspondances de l’époque, préservées dans les archives de l’Œuvre ou dans celles de l’Archevêché de Paris[1] nous permit de constater que l’essentiel était publié dans le bulletin. Même les prémices des œuvres publiées par Charmetant, et parfois un partie considérable de leurs textes, se trouvent dans ce bulletin qui est sans doute la pièce maîtresse écrite de l’histoire de l’Œuvre d’Orient.

Avant que les premières informations sur les massacres ne parvinssent en France en 1895, Charmetant n’écrivait presque rien dans le bulletin. Celui-ci publiait principalement des correspondances avec des ecclésiastiques, des religieuses ou des laïcs engagés et beaucoup de rapports sur la situation des institutions scolaires et des demandes de subventions parvenant de tout l’Orient. Il s’y trouvait de même des relevés détaillés des dons reçus et de leurs destinataires. La mission éducative catholique en Orient paraissait compter à grande mesure sur le soutien qui lui était offert par celle qu’on appelait jadis, Les Œuvres des Écoles d’Orient. Ainsi, certains concernés signalaient dans leur correspondance qu’un défaut de subvention pouvait avoir de sérieuses conséquences sur leurs institutions. Enfin, le bulletin contenait de même des comptes-rendus des activités de l’Œuvre en France, pour faire connaître ses activités et lever des fonds.

C’est dans le numéro 211 de novembre 1895 qu’un premier changement eut lieu. Charmetant en écrivit l’éditorial introduit par une phrase au ton grave : « Des troubles de plus en plus sérieux et inquiétants agitent l’Orient depuis plusieurs mois. De graves nouvelles se succèdent jour par jour, apportant des détails navrants sur les suites de cette malheureuse agitation provoquée par un comité révolutionnaire arménien, qui a son siège à Londres et que l’Angleterre protège ! De sérieux désordres se sont produits successivement à Sassoun, en Arménie, à Bitlis, Contantinople, Eski-Chéïr, Erzeroum, Sivas, Diarbékir, Marach, etc. Au soulèvement des Arméniens les Kurdes ont répondu par des massacres. Le sang a coulé à flots, hier, en Asie Mineure, en Arménie, en Kurdistan, aujourd’hui en Syrie, et demain peut-être en Palestine et à Jérusalem. […] Nos établissements religieux sont assaillis par une foule de malheureux qui viennent mendier un peu de pain, pour ne pas mourir, à nos prêtres Frangis, à nos religieuses franques qui sont toujours leur Providence dans ces moments de détresse. Mais les faibles ressources de nos communautés s’épuisent à mesure que les besoins grandissent. […] Nous supplions donc nos associés, toujours si compatissants et si généreux, de nous fournir les moyens de secourir les misères les plus urgentes et de parer à ces graves éventualités. Nous transmettrons sans délai leurs aumônes là où elles produiront les meilleurs fruits de soulagement et de salut. » Plusieurs éléments de ces quelques phrases méritent d’être soulignés. Le plus importants est le manque d’information des l’Œuvre à cette époque. Charmetant devait surtout avoir à disposition des informations transmises par les autorités ottomanes et relayées par la presse. Celles-là considéraient les Arméniens comme les responsables du début de ces troubles. Cependant, force est de constater que Charmetant s’engage immédiatement pour trouver des solutions aux besoins des sinistrés. Ainsi lance-t-il un appel aux donateurs de l’association, appel qu’il répètera désormais durant trois décennies, non comme un refrain, mais comme une antienne.

En outre, le bulletin no 212 de janvier 1896 révèle un changement très rapide de position. Les véritables circonstances de ce qui se passait en Orient trouvèrent leur chemin vers l’Œuvre à travers un grand nombre de rapports envoyés à Charmetant qui réagit avec virulence. À partir de cette date, il se mit à écrire dans tous les bulletins, à chaque fois des dizaines de pages, effectuant des analyses géopolitiques de toute la situation du monde, en Orient comme en Occident, et se constituant comme un défenseur par excellence de la cause arménienne en France. Ainsi, son éditorial commençait par ces phrases qui révèlent la découverte d’une terrible réalité en contradiction avec les premières nouvelles qu’il eut reçues : « La vérité – une vérité horrible – commence à se faire jour sur ces massacres. Les dépêches officielles et les correspondances des journaux n’ont transmis que des nouvelles mensongères, ou arrangées par la censure turque, en vue de calmer l’émotion légitime de la chrétienté. De nombreuses lettres nous arrivent aujourd’hui de divers points de l’Arménie. Elles nous sont adressées par des témoins oculaires, encore sous l’impression d’épouvante des horreurs sans nom dont ils ont été les victimes ou qui se sont accomplies sous leurs yeux. […] Ces lettres sont navrantes ; les détails qu’elles nous donnent sont horribles et dignes des époques les plus barbares de l’histoire des peuples. […] Nous devons faire connaître l’épouvantable situation qui est faite par le fanatisme musulman aux pauvres chrétiens d’Asie Mineure. En vérité la malheureuse Arménie est d’un bout à l’autre à feu et à sang : les massacres, le pillage, les incendies la dévastent. Nos frères chrétiens tombent par hécatombes sous le cimeterre de musulmans fanatisés et de Kurdes barbares ; les femmes sont indignement outragées, traînées par les cheveux et immolées ; leurs enfants foulées aux pieds, écrasés contre les murailles ou étouffés dans leurs berceaux ; les hommes sont traqués comme des fauves, sommés d’apostasier, et égorgés impitoyablement s’ils refusent. Beaucoup, dans le premier affolement, se sont déclarés mahométans pour échapper à ces atrocités. Le plus grand nombre a préféré la mort à l’apostasie. On les a égorgés pendant qu’ils invoquaient et professaient le nom de Jésus-Christ. » Et de poursuivre en évoquant le nombre des victimes : « Le chiffre avoué officiellement est, dit-on, de 25 ou 30 000, au total ; d’après nos renseignements, il dépasse certainement 60 000. » Face à cette situation catastrophique, Charmetant faisait état de la demande d’aide qui lui parvenait, et de l’impossibilité d’y répondre : « Je voudrais être riche moi-même – riche à millions – pour soulager efficacement tant d’infortunes. Aussi je n’hésiterai pas, s’il le faut, à me faire mendiant et à aller de porte en porte, si cet appel n’est pas entendu, afin de pouvoir envoyer au moins un peu de pain à nos malheureux frères d’Orient, puisqu’ils ne peuvent plus le mendier eux-mêmes, de peur d’être massacrés par ces barbares qui s’offusquent et s’exaltent à la vue de l’effroyable misère dans laquelle sont tombées leurs victimes. Voilà pourquoi notre Œuvre, comme après les massacres de 1860, ne saurait hésiter à s’adresser à tous, croyants et incroyants, pour demander à ceux qui le peuvent de nous aider à venir au secours de ce demi-million de malheureux que la faim et le froid déciment en ce moment. Nous supplions la presse française, les journaux de tous les partis, de reproduire notre appel et de prendre part à la souscription que nous ouvrons dans nos bureaux […]. Nous prions toutefois nos correspondants de hâter leurs envois pour qu’ils n’arrivent pas trop tard ! La misère qui règne en Arménie est de celles qui ne sauraient attendre au lendemain pour être soulagées. »

Cette mobilisation pour aider les Arméniens était un fait nouveau. La souscription en leur faveur n’était ouverte que depuis quelques jours aux bureaux de l’Œuvre, et le comité d’administration avait pu effectuer « trois envois consécutifs représentant ensemble la somme de 37 000 francs, répartie immédiatement par les soins de nos missionnaires, des évêques arméno-catholiques et des consuls français ». Beaucoup répondirent à l’appel de Charmetant en France, dont le cardinal Langénieux, archevêque de Reims, qui ouvrit une souscription dans son diocèse en faveur des chrétiens d’Arménie.

Il est possible de considérer que dès cette date de janvier 1896, le bulletin de l’Œuvre se transforma en un outil majeur pour défendre les Arméniens, pour leur lever des fonds et pour faire connaître leur situation alors que la presse officielle était bien réservée à ce sujet. Ce qui pourrait impressionner le lecteur du XXIe siècle, bénéficiant de toute une littérature et recherche faisant état des massacres, est l’abondance des détails en possession de l’Œuvre d’Orient en 1896. Tout ce que l’on peut lire aujourd’hui sur la question était décrit avec précision.

Deux mois plus tard, en mars 1896, Charmetant poussa encore plus loin son engagement en publiant des preuves officielles des crimes commis contre les Arméniens. Dans le bulletin no 213, il se déclarait décidé « à accomplir un devoir d’humanité et de patriotisme en publiant un document officiel qui révèle au public, avec plus d’autorité que nos précédents rapports, l’épouvantable situation qui est faite à nos frères d’Arménie sous les yeux de l’Europe impassible, et en dénonçant la coupable attitude de la France gouvernementale qui, en de si graves circonstances, a abdiqué son rôle séculaire et si glorieux de protectrice des chrétiens du Levant. Les journaux catholiques, presque seuls, ont consenti à reproduire notre premier appel et à recommander notre souscription en faveur des victimes. La plupart continuent à garder sur ces massacres un silence systématique. J’ai même sous les yeux des articles de journaux racontant sérieusement que ce sont les Arméniens qui massacrent les Turcs ! » Soulignons l’appui absolu aux Arméniens qui le poussait à s’opposer vertement, non seulement aux gouvernements européens, mais à celui de la France même. D’ailleurs, il maintint cette attitude jusqu’à la fin de sa vie, c’est-à-dire qu’il dénonça, sans considération aucune de diplomatie, toute politique qui ne rendait pas justice au peuple arménien. Que ce fussent les Allemands, les Américains, les Russes ou les Français, Félix Charmetant n’hésitait jamais à utiliser les expressions les plus dures pour dénoncer leurs manquements ou leur complicité supposée.

Quant à ce document officiel en question, il s’agit de l’ouvrage susmentionné de Charmetant, ayant comme titre abrégé : Martyrologue arménien. On peut y lire la mention : « Se vend au profit de la souscription pour les Arméniens. » Il y est reproduit les rapports des ambassades des six puissances sur les dommages subis par les Arménien, à savoir les ambassades de l’Angleterre, de la Russie, de la France, de l’Allemagne, des États-Unis et du Japon. L’introduction de l’ouvrage précise que les massacres « dépassent de beaucoup, en nombre et en détails horribles, ce que nos premiers renseignements nous avaient révélé. » Et face à la gravité des faits révélés, le directeur de l’Œuvre se demande : « Pourquoi le gouvernement français s’obstine-t-il à le garder secret ? Pourquoi aucune communication, même partielle, n’a été faite à la presse ? » Mais face à cet état des choses, Charmetant ne baisse pas les bras, et considère que « puisque la France gouvernementale semble vouloir oublier sa mission séculaire et s’obstine à ne point agir, il appartient à la France chrétienne de ne pas laisser périmer ses droits en Orient, et de maintenir quand même, sur les chrétiens du Levant, le protectorat qu’elle a toujours exercé et que lui reconnaissent, d’ailleurs, les conventions internationales ».

Quant aux termes utilisés pour décrire les massacres des Arméniens, ils sont des plus durs. Ainsi, les crimes des Turcs sont considérés comme étant plus barbares que ceux de Gengis-Khan, des Vandales, des Huns et des Lombards. Les Turcs sont « despotes, cupides et farouches des différentes races chrétiennes qu’ils sont parvenus à asservir, moins par la vaillance des armes que par les divisions intestines des chrétiens, tant en Orient qu’en Occident, au moment de leurs conquêtes ». C’est pour cela que ces malheurs devraient être l’occasion de retrouver l’unité entre les deux branches de l’Église arménienne : « Tandis que grégoriens et catholiques ont même liturgie, même rite, même nationalité, même foi ! Pourquoi donc ces deux fractions de la grande famille arménienne ne se réuniraient-elles pas, une fois pour toutes, sous la direction d’un seul et même chef, afin de mettre en commun, pour le bien et la défense de la patrie commune, leurs forces respectives et les influences réelles dont chacune peut disposer en Europe, au profit de leur chère nation ». Par ailleurs, le Martyrologue arménien ne se limite pas aux rapports des ambassades, son auteur voulant apporter toute autorité possible à sa cause. Ainsi ajouta-t-il plein de rapports de témoins oculaires, de toutes obédiences chrétiennes confondues, tout en concluant par une adresse solennelle aux 100 000 victimes des massacres : « Mon cœur de prêtre veut, du moins, envoyer à ces héros obscurs, au nom des catholiques français, un dernier adieu, un dernier merci pour l’exemple fortifiant qu’ils nous ont donné, et aussi une dernière prière pour ces frères inconnus qui ont confessé vaillamment notre foi commune, sous le yatagan des Turcs, jusqu’à l’effusion de leur sang ! Ah ! Ce sang des martyrs, puisse-t-il enfin sceller définitivement l’union et la concorde entre tous les frères survivants. Il faut que toute division cesse devant le péril commun, pour faire place à l’union qui fait la force. »

Enfin, en ce mois de mars 1896, le bulletin informait de l’envoi de subventions supplémentaires, la mobilisation de l’Œuvre ayant porté ses fruits : « Déjà plus de deux cent mille francs ont été recueillis et expédiés, à ce jour, car notre comité fait parvenir d’urgence à ces populations si éprouvées, au fur et à mesure qu’on nous les envoie, tous les secours en argent, vêtements, etc. » Force est de mentionner que les catholiques n’étaient pas les uniques destinataires des aides, car mêmes les Arméniens orthodoxes en profitaient. En témoigne par exemple la lettre de remerciement de Mgr Izmirlian, patriarche arménien grégorien, adressée à Charmetant en février 1896 : « Nous avons reçu avec une sincère satisfaction votre honorée lettre en date du 16 du mois courant, nous remettant une somme de 5000 francs, prélevée sur le produit de la souscription ouverte au profit des victimes des derniers événements en Arménie. »

Quelques mois plus tard, en juin 1896, Charmetant dénonçait dans le no 214 du bulletin de nouveau massacres : « Nous avons dit, à la dernière page du Martyrologue arménien, que l’inertie de l’Europe chrétienne, en face des massacres d’Arménie, ne manquerait pas de surexciter le fanatisme musulman et de provoquer de nouveaux massacres sur d’autres points du territoire ottoman. Nos prévisions, hélas ! n’ont pas tardé à se réaliser : la Crète est aujourd’hui à feu et à sang ! » Le directeur de l’Œuvre décrivait encore une fois les malheurs du peuple arménien : « À l’heure actuelle, un peuple chrétien est pillé, affamé, massacré, martyrisé. Ceci se passe au vu et au su de toute la chrétienté. Des hommes sont mis à la torture, des femmes outragées, des enfants dérobés, des maisons brûlées, des sanctuaires ravagés. Tout cela ne fait plus l’ombre d’un doute : les consuls en ont informé leurs gouvernements ; les ambassadeurs en ont eu connaissance ; des témoins oculaires l’ont raconté ; des photographies en ont reproduit les terribles preuves. » Ces témoignages – de catholiques et d’orthodoxes –, étaient publiés dans le bulletin, parfois sous anonymat par mesure de sécurité. En outre, la France officielle était, encore une fois, condamnée pour son attitude silencieuse face aux massacres.

Durant cette époque, Charmetant faisait beaucoup de conférences en France pour défendre la cause arménienne. Le même fascicule de juin 1896 reproduisit le texte de celle qu’il prononça au Cercle du Luxembourg. L’infatigable défenseur des Arméniens scandait : « Un peuple tout entier, à cause de sa foi, a été voué à la destruction et à la mort par le fanatisme musulman. Dans onze province de l’Empire turc, plus de cent mille Arméniens, pendant trois longs mois, ont été immolés en haine du nom chrétien, laissant près de quatre-vingt mille familles dans la plus affreuse détresse, par suite du pillage des biens, de l’incendie des maisons, de la destruction des récoltes et des provisions, qui ont accompagné partout ces épouvantables tueries. […] Or, pas une voix officielle ne s’est élevée, ni dans notre France chevaleresque, ni dans l’Europe chrétienne, en faveur des victimes. […] J’en éprouve une triple honte : comme homme, comme Français, comme prêtre ! » Et d’ajouter que « seule, l’Église a pris en pitié les victimes et est venue au secours de cette épouvantable détresse : déjà nous avons pu recueillir et expédier plus de 260 000 francs ! »

Le bulletin no 215, datant d’août 1896, continue dans la même lancée d’informations, d’analyses et de dénonciations. Nous y apprenons que les souscriptions pour les Arméniens étaient encore plus importantes, elles s’élevaient à 300 000 francs.

Une fois l’essentiel des massacres passé, Charmetant parlait de l’urgence d’aide à ceux qui échappèrent aux massacres et qui souffrent de faim et d’autres privations. Ainsi appelle-t-il dans le bulletin no 216 d’octobre 1896 à venir vers eux et à agir là où les États n’agissent pas : « Il est temps que, à défaut de la diplomatie impuissante, les gens de cœur, – si nombreux dans tous les pays chrétiens – s’unissent pour réveiller la conscience publique et secouer l’opinion : seules elles peuvent aujourd’hui mettre un frein à la barbarie musulmane, si nous ne voulons pas assister, à brève échéance, à l’horrible spectacle de voir toute une race moyée dans son sang, toute un nation disparaître, parce qu’elle est chrétienne, de la carte du monde ! » Plût à Dieu que cet appel eût été prémonitoire.

En outre, Charmetant ne cachait pas les difficultés de l’Œuvre à trouver l’argent qu’il fallait. Ainsi, déclara-t-il en octobre 1896 : « Dès la première nouvelle du massacre des Arméniens à Constantinople, nous avons envoyé à Mgr Azarian, par télégraphe, 10 000 francs qui nous restaient en caisse, afin de pourvoir aux premiers besoins des malheureuses victimes. […] Aujourd’hui, cette caisse est vide. » Ce même mois, il écrivait de bien longues analyses pour dénoncer, une énième fois, les massacres contre les Arméniens : « Voilà treize mois que l’Orient agonise sous les coups de l’Islam. L’Occident est-il donc si dégénéré que, parmi les chefs des nations chrétiennes de l’Europe, pas un n’ait senti son cœur s’émouvoir, et, dans un élan de pitié, ne soit intervenu en criant : Assez ! Ce long martyre n’a-t-il pas trop duré ? Faut-il donc, parce que l’Europe est divisée, que l’Arménie, cette doyenne des nations, disparaisse dans un fleuve de sang ? » Et d’aborder par la suite la question des rescapés des massacres qui arrivaient en France. l’Œuvre leur avait apporté des secours matériels, et son directeur était indigné de l’absence de la France officielle à cet accueil : « Ce qui nous a surtout affecté, c’est de voir qu’aucun comité français de secours n’a accueilli ces malheureux proscrits à leur arrivée dans cette grande ville [de Marseille]. »

Chercher à aider les Arméniens par tous les moyens possibles poussa Charmetant à proposer aux gens de sacrifier une partie de leurs cadeaux de Noël. Ainsi écrivait-il dans le bulletin no 217 de décembre 1896 : « Nous proposons donc aux familles chrétiennes de faire quelques économies sur les cadeaux traditionnels qui sont échangés à l’occasion des prochaines fêtes de Noël et du jour de l’An, et de prélever une part pour donner du pain, des vêtements et un abri à ces milliers de veuves et d’Orphelins qui nous adressent leurs appels déchirants, et nous supplient de ne pas les laisser mourir de faim, de froid et de misère, au cours de ce douloureux hiver ! »

Encore une fois, les efforts du père Charmetant portaient leurs fruits. Le no 218 du bulletin de janvier-février 1897 informait que le « Comité de souscription a eu la grande consolation de pouvoir faire parvenir, à ce jour, aux malheureuses victimes des massacres, plus de 400 000 francs de secours, sans compter les vêtements, les couvertures et le linge, que nous avons expédiés en ballots nombreux. [ …] Cette somme a été accueillie, bien entendu, en dehors des cotisations annuelles de nos associés, lesquelles constituent le budget annuel de notre Œuvre, pour être réparti, par les soins du Conseil, entre nos diverses œuvres d’Orient  ». Dans ce fascicule, il est tellement question des Arméniens sous divers angles qu’on peut avoir l’impression qu’il s’agit d’un bulletin de l’Œuvre d’Arménie, tellement la mobilisation était hors norme.

Nous arrêtons notre survol de cette époque pour examiner l’engagement de Charmetant durant la sinistre période du génocide. Cependant, entre 1896 et 1915, les Arméniens connurent beaucoup de difficultés, notamment en 1909. l’Œuvre resta durant toutes ces années à leurs côtés, essayant de les aider du mieux qu’elle peut, et se faisant leur voix dans une France qui avait parfois tendance à les oublier.

2- Le génocide arménien (1915-1916)

Le génocide arménien, perpétré d’avril 1915 à juillet 1916, coûta la vie à quelque 1,5 million d’Arméniens ottomans, soit les deux tiers de la population de l’empire. Le gouvernement des Jeunes-Turcs, responsable de ce premier génocide du XXe siècle, planifia une extermination systématique dont l’horreur dépasse toute imagination.

À la différence de 1895 où les nouvelles exactes de ce qui arrivait dans l’Empire ottoman tardèrent un peu à arriver en France, l’Œuvre fut très vite au courant de ce qui se passait, d’autant plus qu’elle suivait de près tous les événements de la région et les affaires des Arméniens. Le bulletin édité après le début du génocide, le no 325 de mai-juin 1915, faisait état de la réaction énergique de Charmetant qui écrivait : « C’est une tragédie colossale et ignorée, écrit-on de Hoppa, sur la mer Noire, au Corriere della Sera. Toute l’Arménie occidentale est en deuil : dévastations, massacres, épidémies, misère indescriptible ! Les villes sont des cimetières et des hôpitaux. […] Trébizonde est à moitié détruite et ses habitants fuient. […] À Erzeroum, qui est à 300 kilomètres de Trébizonde, à l’intérieur, la situation est plus triste encore. Ce chef-lieu de province comptait 100 000 habitants, pour la plupart Arméniens. Le gouvernement ne s’est jamais occupé de cette ville qu’au point de vue militaire. On y a construit des forts, mais pas d’égouts. Tout autour de la ville s’étendent des mares stagnantes d’eau putride. Erzeroum est rempli de malades et de blessés. Il y meurt 800 à 1 000 personnes par jour. » Et de poursuivre la description en dénonçant la désinformation et en soulignant la continuité des violences subies par les Arméniens depuis 1895 : « À côté des communiqués officiels de Pétrograd qui ne donnent que le mouvement des troupes et le sommaire des hostilités dans cette région, nous savons que, depuis de longs mois, la population arménienne endure les pires violences et les plus terribles persécutions de la part des Turcs. Ils semblent prendre à tâche, comme au temps d’Abdul-Hamid, de décimer complètement la malheureuse population chrétienne de cette contrée. »

Le directeur de l’Œuvre d’Orient n’était pas du tout avare en détails, et ses descriptifs montraient qu’il fut très bien informé de la situation des Arménien et des massacres qu’ils subissaient. Ainsi mettait-il en garde ses lecteurs de la propagande turque qui rendait les Arméniens responsables de « la guerre néfaste dans laquelle on les a engagés ». Non, il n’en est rien de tout cela, puisque les véritables coupables sont des « réguliers turcs, aidés de Kurdes brigands et de la basse populace ». Quant à leurs procédés, ils étaient sinistres : « Aux réquisitions forcées ont succédé le pillage sans merci, le meurtre, le viol. On tue absolument tous les hommes valides épargnés par la conscription, ainsi que tous les enfants mâles. On emmène les femmes jeunes, ainsi que les fillettes en bas âge. On ne laisse, dans les villages dévastés et ruinés, que des vielles femmes dont on ne saurait que faire. »

Établir la réalité des faits allait de pair avec la dénonciation du responsable de cette sauvagerie, « le gouvernement Jeune-Turc [qui] dépasse en cruauté son prédécesseur ». Cependant, il ne fallait pas oublier le contexte géopolitique, puisque ces massacres s’inscrivaient dans le contexte de la Première Guerre mondiale à laquelle participait l’Empire ottoman agonisant : « Dans l’affolement d’une défaite imminente, il se venge sur les chrétiens d’Arménie de sa faillite morale et politique. Le pauvre peuple arménien, tant de fois massacré, se voit revenu aux jours les plus atroces de la terreur hamidienne. »

Malgré les atroces nouvelles qui lui parvenaient, Charmetant ne pouvait pas imaginer que les massacres pouvaient avoir l’ampleur qu’on leur connut. Il espérait la fin des violences et la reconnaissance d’une Arménie indépendante : « Après la guerre, les alliés auront à régler le sort des peuples opprimés et à les rétablir dans leur nationalité. Or, l’histoire, la raison et l’humanité sont d’accord pour qu’on inscrive de nouveau l’Arménien au rang des nations libres et indépendantes. L’heure est venue pour ce malheureux peuple de vivre enfin d’une vie autonome. On comprendra que c’est là une nécessité, si l’on veut se rendre compte du véritable élément d’équilibre qu’apportera, dans un Orient reconstitué et rénové, cette race qui, dès les temps primitifs, est restée vivante, […] avec sa langue, ses traditions et sa merveilleuse histoire, malgré les vicissitudes des siècles et les pires infortunes. » Cet engagement dépasse de loin la simple question ecclésiale ou humanitaire. Charmetant épousait désormais la cause politique juste des Arméniens ! Ceux-là ne pouvaient plus, à son sens, vivre au sein d’un empire qui les maltraite depuis 1895. Il est temps pour eux d’être responsables de leur destin.

Néanmoins, les choses ne s’arrangeaient pas et les violences battaient leur plein. Le directeur de l’Œuvre réagissait avec encore plus de virulence et donnait encore plus de détails dans le bulletin no 326 de juillet-août 1915. Il soulignait le fait que même les communautés catholiques qui jouissaient d’une certaine protection en raison des conventions existant entre l’Empire ottoman et des puissances occidentale, étaient ciblées : « Ce fut un véritable carnage d’innocents, une chose inouïe de violence et une violation flagrante des droits les plus sacrés de l’humanité. Les Arméniens catholiques, qui avaient toujours été respectés, même à l’époque des grands massacres, furent cette fois traités plus mal que les autres. » Désormais, les criminels jeunes-turcs ne font plus la différence entre les différentes obédiences chrétiennes : « De quatorze mille Arméniens, grégoriens, catholiques ou protestants, habitant Trébizonde, qui ne provoquèrent jamais de troubles ni de désordre, il n’en restant plus qu’une centaine. […] Les scènes de désolation, de pleurs, d’imprécations, de suicides, de folie subite, d’incendies, de fusillades dans les rues, dans les maisons et les campagnes, sont impossibles à décrire. Des centaines de cadavres étaient trouvés chaque jour dans les rues. Des femmes violées, des enfants enlevés à leurs familles et placés dans des barques, vêtus seulement d’une chemise, puis noyés dans la mer Noire ou dans les fleuves, sont les épisodes d’une nouvelle page du régime turc. »

Charmetant ne se faisait pas d’illusions. Il agissait certes pour empêcher la suite des violences, mais observant le cours des événements, il évoquait déjà « la disparition de l’Arménie qui s’accomplit à cette heure, l’extermination violente et systématique de tout un peuple ! » S’il n’avait pas des armes pour aller combattre les responsables du génocide, sa plume lui permettait de se battre et de dénoncer avec virulence les criminels en les nommant : « Sur décision du Comité Jeune-Turc qui porte le nom dérisoire d’Union et Progrès, ordre a été donné par Enver-Pacha lui-même – qui avait sollicité le concours des Arméniens de Constantinople pour renverser Abd-ul-Hamid – de déporter la population arménienne de toutes les provinces d’Anatolie et de Cilicie dans les déserts, au sud-est du chemin de fer de Bagdad ». Les conséquences furent terribles et l’islam fut instrumentalisé : « Des centaines de mille Arméniens ont été massacrés durant la proclamation de la guerre sainte, des centaines de mille ont été convertis de force à l’Islam. » À cela, il faudrait ajouter l’arrestation des élites arméniennes à Constantinople et les déportations des populations en vue de les exterminer.

Les conséquences de la Première Guerre mondiale étaient à cette époque désastreuses pour la France, mais Charmetant estimait que les atrocités vécues par les Arméniens étaient encore pire : « Quand seront révélés au monde les égorgements subis très probablement, à cette heure, par la population arménienne, il y aura peut-être de quoi oublier nos propres douleurs pour frémir devant un drame tel qu’on ne le pouvait pas concevoir. Avec des vieillards, des femmes et des enfants assassinés on aurait déjà commencé à faire des charniers en Arménie, ces semaines dernières. Les Allemands pourront être fiers de leurs alliés et de leurs vassaux de Turquie. Il est certain que les obligations de notre Œuvre qui sont déjà nombreuse vont se multiplier encore. » Effectivement, l’Œuvre d’Orient voulait poursuivre son aide financière aux Arméniens, mais les circonstances étaient fort différentes que celle de 1895. En 1915, la situation économique en France était de plus en plus dure, à cause de la guerre. Cela affectait de plein fouet la mission de l’Œuvre qui, même dans une situation normale, n’aurait absolument pas pu subvenir aux besoins des Arméniens subissant des dommages incommensurablement plus importants que ceux de l’époque des massacres hamidiens. Mais cela ne l’empêcha pas d’agir à hauteur de ses moyens : « Cette guerre, qui marque partout un si complet arrêt de la vie économique, devait inévitablement marquer aussi un arrêt dans la vie de nos Œuvres. Il en est résulté que notre Conseil, réuni au mois de juin, comme chaque année, a décidé, vu l’état de nos recettes, de n’accorder que quelques secours exceptionnels aux Œuvres les plus nécessiteuses dans ces pauvres missions du Levant, si cruellement éprouvées. »

Néanmoins, l’infatigable Charmetant gardait espoir et menait une campagne pour lever des fonds. Il le fit sans arrêt, en formulant ses demandes dans les bulletins, lors de ses conférences, et partout où il le pouvait. Face aux désastres des chrétiens d’Orient, ses appels ressemblaient même à des supplications : «  Nous les supplions [les donateurs] de nous adresser leurs dons et offrandes pour le rétablissement immédiat de l’action catholique et française, sitôt la guerre finie, dans ce pauvre Orient, patrie du sauveur et berceau de l’Église. »

La mission de l’Œuvre d’Orient souffrait tellement des conséquences de la Première Guerre mondiale qu’on avait même du mal à faire paraître le bulletin d’une manière ininterrompue. Celui-ci n’arrêta certes pas d’être édité, mais la parution des numéros s’espaçait à mesure que la guerre s’aggravait. Alors que le no 326 paraissait en juillet-août 1915, le no 327 était édité en novembre-décembre 1915. Et si le no 328 put être édité en janvier-février 1916, le no 329 ne parut qu’en mai-juin 1916, et le no 330 en septembre-octobre 1916. En outre c’est en 1917 qu’il fallut attendre plus longtemps entre deux fascicules, puisque le no 331 parut en novembre-décembre 1916, alors que le no 332 ne fut édité qu’en mai-juin 1917, soit cinq mois plus tard. Quant au no 333, il ne fut édité qu’un an plus tard, en mai-juin 1918. C’est donc dans le cadre d’une situation extrêmement difficile en France que Charmetant continua à faire de son mieux pour défendre les Arméniens, toujours dans la même logique d’informer et d’envoyer des fonds, tâche si compliquée, non seulement parce qu’il fallait trouver cet argent, mais aussi parce que les moyens de communication avec les Arméniens étaient coupés ; il fallait trouver des solutions alternatives.

En novembre-décembre 1915, dans le no 327 du bulletin, Charmetant poursuivait sa dénonciation des bourreaux des Arméniens, en utilisant toujours des termes durs et en nommant ceux qu’il considérait coupables : « Le but poursuivi, certainement approuvé par l’Allemagne, n’est pas seulement la destruction systématique de la race arménienne, c’est la mise à exécution d’un plan plus vaste, pendant que le monde civilisé porte toute son attention sur la guerre actuelle : faire disparaître de la Turquie tout ce qui n’est pas musulman, à l’exception des sujets germaniques. » Effectivement, l’attention du directeur de l’Œuvre n’est pas uniquement concentrée sur les Arméniens puisqu’il était conscient qu’un autre massacre se perpétrait contre les assyro-chaldéens, et qu’un blocus du Mont-Liban causait la mort des populations chrétiennes de la région. Ce sujet fut abordé par la suite d’une manière plus explicite dans d’autres bulletins.

Il ne faut pas confondre notre siècle actuel avec tout ce qu’il possède comme acquis positifs de dialogue islamo-chrétien – avec tout ce que cela suppose comme connaissance et acceptation de l’autre – avec l’époque durant laquelle Charmetant écrivait. À ce moment-là, il n’y avait pas de dialogue, peu ou pas de connaissance de l’autre, en l’occurrence de l’islam qui était malheureusement réduit, dans la conscience de ses détracteurs, aux barbaries turques et kurdes, et qui était surtout instrumentalisé par les Jeunes-Turcs. Ceux-ci n’avaient pas hésité, en plus de leurs revendications nationalistes, à appeler au djihad contre les chrétiens, appel qui fut d’ailleurs rejeté à l’époque par les autorités religieuses de la Mecque. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les déclarations du directeur de l’Œuvre, affolé par les massacres que subissaient les chrétiens d’Orient. D’où son diatribe : « Toute l’histoire de l’islam nous montre que le fanatisme est une de ses maladies chroniques. La haine du chrétien y existe à l’état endémique ; elle a des recrudescences périodiques, mais aussi des éruptions soudaines, car elle éclate souvent comme un accès de fièvre chaude. Le Turc se plonge alors, avec une sorte de volupté, dans le sang chrétien. C’est bien cette religion de haine qui arme les bras de ces monstres humains. C’est toujours leur cri de rage : ‘‘Mort au Giaour, gloire à Mahomet !’’ qui accompagne ces horribles hécatombes et répond à la voix des muezzins qui, du haut de leurs minarets, ne cessent de leur crier la neuvième sourate du Koran : ‘‘Tuez-les ! Tuez-les ! Ce sont des infidèles !’’ » Cette réalité devait écarter toute ambiguïté et mener à une véritable action : « Assez de protestations théâtrale ; assez d’enquêtes inutiles ; assez de pourparlers inefficaces. Il faut agir, et agir vite ! que les neutres se joignent donc aux Alliés contre ces nouveaux barbares et rappellent, en les dépassant, les jours sombres où les hordes tartares et turcomanes dévastaient l’Asie. » Enfin, après qu’il se fut expliqué, Charmetant demandait, comme à l’accoutumées, l’aide des donateurs de l’Œuvre : « Nous supplions donc nos lecteur d’avoir compassion de ces populations si éprouvées, si accablées par tant de calamités. »

L’année 1916 commençait d’une manière très sombre. Le no 328 du bulletin de janvier-février contenait de très longs comptes-rendus détaillés de ce qui se passait avec les Arméniens, et révélait des prises de positions politiques tranchées, au nom de la cause arménienne, farouchement opposées à l’Allemagne, aux Ottomans et à leurs alliés. Il était fait état du sinistre nombre de 800 000 victimes : « L’immensité des hécatombes dépasse tout ce qu’on peut concevoir. » Ce numéro nous informe de certains endroits où Charmetant parlait des Arméniens : « À Mantes, aux églises de Saint-Mandé, de Saint François-Xavier, de Saint-Augustin, de la Madeleine, de Saint-Jean de Montmartre, de Saint-Sulpice, à Paris, de Notre-Dame, à Versailles, les auditoires ont été pris de grande pitié à l’annonce que je dis d’aussi dramatiques misères. » Il était certes question, durant ces conférences, de trouver de l’argent aux Arméniens, demande qui paraissait trouver écho : « Et maintenant les zélées trésorières de nos comités de France, nos correspondants et nos fidèles associés comprendront combien l’Œuvre d’Orient est heureuse de posséder leur concours toujours si dévoué et de recevoir leurs envois. Nos besoins immédiats ne manquent pas ». Mais les appels répétitifs dans le bulletin révélaient une situation très difficile que Félix Charmetant exprimait de la sorte : « Si mon âge et mes forces le permettaient, je parcourrais le monde pour y prêcher la croisade contre ces Turco-Allemands qui sont pires que les fauves, qui dépassent en cruauté sanguinaires les hyènes et les jaguars ! Nous supplions nos lecteurs de nous envoyer des secours que nous feront parvenir aux malheureux survivants de ces affreux carnages. » En outre, le directeur de l’Œuvre n’était pas le seul à se déplacer, mais il demandait aussi à d’autres personnes de se déplacer pour parler des Arméniens : « À la demande de notre Œuvre, Monseigneur Touchet, le vaillant évêque d’Orléans, vient de faire à la Madeleine, sous la présidence de S. Ém. le Cardinal Amette, un émouvant discours sur les récents massacres d’Arménie. Jamais pareils crimes ne furent flagellés avec autant de vigueur. »

Le no 329 de mai-juin 1916 fait état d’un autre génocide très brièvement ou implicitement évoqué dans les précédents bulletins : « Après les Arméniens de Turquies, ce sont les Chaldéens de Perse qui ont dû subir les plus épouvantables massacres, avant que les Russes aient repris l’offensive qui a chassé les Turco-Allemands de la Perse et les a refoulés jusqu’en Mésopotamie. » Ainsi, le combat de l’Œuvre s’élargissait, comme le révélaient les lignes rédigées par son sous-directeur de l’époque, le père Lagier (qui succèda par la suite à Charmetant) : « Comment ne pas s’empresser de venir en aide à ces réfugiés, Arméniens et Chaldéens, qui ont pu atteindre, au Caucase et en Perse, les territoires occupés actuellement par les troupes russes ! Ourmiah est l’un des principaux centres d’où il est possible de communiquer avec tous ces malheureux affamés. Là, un archevêque qui est délégué apostolique, qui est un Lazariste et ardent Français, Monseigneur Sontag, se chargera de distribuer les offrandes que l’Œuvre d’Orient saura lui faire parvenir à mesure que nous les adresseront, rue du Regard, la générosité et la piété de nos chers Associés. »

Le bulletin de l’automne 1916, no 330, annonçait au lecteur de terribles nouvelles. Le génocide avait atteint l’essentiel de ses objectifs : « En Arménie, hélas ! il n’y a plus de crimes à commettre, car il n’y a plus d’Arméniens ! » Dans ce fascicule, la cause se tripla, et c’étaient aussi les assyro-chaldéens et les Libanais qu’il fallait défendre, tout en soulignant la particularité de leur situation, estimée un peu moins complexe que celle des Arméniens : « Au Liban, les assassins sont peut-être moins à leur aise qu’en Arménie pour égorger les chrétiens. Oui, ce n’est plus comme au fond de l’Anatolie où les cris des victimes ne sont presque entendues par personne. Les Turcs, grâce à la guerre, ont bien tenté de fermer au verrou leur empire ; mais, du côté de la Méditerranée, la fermeture est défectueuse. Et nos navires de combat sont là menaçant sans cesse de heurter à la porte. En conséquence, les Germano-Turcs ont adopté en Syrie, pour s’y débarrasser des chrétiens, une méthode plus silencieuse, mais non moins efficace. Ils ont organisé la famine. Ils font mourir de faim ces pauvres gens dont le grand crime est leur réputation d’être les amis des Français et des Alliés ». Oui, cette famine du Mont-Liban presque ignorée en 2015, était bien connue par l’Œuvre d’Orient, celle-là qui avait fait tout ce qu’elle pouvait, lors des massacres de 1860, pour aider les maronites qui se faisaient égorger par les druzes et la complicité des Ottomans.

Désormais, les bulletins de l’Œuvre parleront des trois malheurs qui touchent les chrétiens d’Orient, ceux des « Arméniens, Chaldéens et Maronites, […], [pour qui] nous devons ne point cesser d’implorer des offrandes. […] Ils ne seront pas délaissés ; nous les nourrirons pour qu’ils ne meurent pas d’inanition et puissent avec nous assister à la victoire ».

Le dernier bulletin de l’année 1916, le no 331 donnait encore plus d’informations sur le sort des Libanais, subissant l’embargo des Ottomans : « Les Libanais meurent de faim. Nous sommes dans l’angoisse au sujet de nos catholiques populations du Liban. Le refus du Gouvernement jeune-turcs d’autoriser leur ravitaillement par l’Espagne et les États-Unis, est la preuve manifeste qu’ils veulent laisser mourir de faim ces malheureux. Les quelques Libanais qui sont parvenus à s’échapper nous disent les scènes horribles dont ils ont été les témoins et la mort affreuse de ceux qui ont succombé, sous leurs yeux, aux tourments de la faim. Cependant, nous avons pu, en ces derniers temps, faire parvenir par voie sûre quelques secours, en vue de soulager la détresse de ces malheureuses populations que nous recommandons à la charité de nos lecteurs ». Il y avait de quoi protester et aider, puisque cette famine provoquée par les Turcs décima la population libanaise chrétienne de plus de sa moitié.

En 1917, le génocide était effectué, et les criminels jeunes-turcs avaient déjà tué plus d’un million d’Arméniens. Mais cela ne leur suffisaient pas, puisque les massacres continuèrent contre les rescapés, dans le but d’en exterminer même le souvenir. Charmetant informe ses lecteurs dans le no 332 de mai-juin 1917 que « le long martyre des Arméniens continue et même s’aggrave dans des conditions épouvantables. […] Le refoulement barbare de toute une population de vieillards, de femmes et d’enfants n’a point cessé. On les emmène vers les affreuses solitudes qui séparent Orfa de Mossoul, où ils sont condamnés à mourir de faim, de froid et de misère, loin de a vue de leurs bourreaux, saturés de carnage […]. En dehors des massacres, les dévastations se multiplient, ainsi que le pillage sans merci, le viol, le meurtre : les hommes valides et tous les enfants mâles sont tués, car on vise à la destruction de la race ; les jeunes femmes et les fillettes sont réservées pour les harems. » Dans ce même fascicule, une note de Charmetant nous informe de l’implication financière de l’Œuvre au Liban : « Le gouverneur du Liban m’a appelé, il y a quelques jours, pour me remercier des services rendus et me demander de solliciter de nouveau secours pour venir en aide à la population, car le nombre de ceux qui sont morts de faim et de maladie dépasse de beaucoup le chiffre de 200 000. »

L’Œuvre d’Orient dut subir l’aggravation de la situation en France, et son bulletin tarda une année avant de paraître derechef. Ainsi, le no 333 ne fut édité qu’en mai-juin 1918, toujours fidèle dans ses pages à la cause de l’infatigable Charmetant qui rappelait, encore une fois, qu’en « Arménie, l’extermination violente et systématique de ce malheureux peuple continue, sous la responsabilité des représentants de l’Allemagne, qui tolèrent ou encouragent des crimes qui sont sans égal dans l’histoire ancienne et moderne […]. À Trébizonde, [suite au retrait russe], le retour des Turcs a été marqué par des actes de sauvagerie inouïe et des torture indescriptibles : les enfants ont été enfermés dans des sacs et jetés à la mer ; les jeunes filles et jeunes femmes, même des fillettes de dix ans, ont été livrées à la lubricité de la soldatesque ; les hommes et les vielles femmes ont été brûlés vifs, crucifiés ou mutilés. Les Turcs semblent ne vouloir laisser aucun Arménien sur les territoires qu’ils réoccupent. Partout où ils pénètrent, les Arméniens sont méthodiquement massacrés par eux. » Et non loin de l’Arménie, toujours sur les territoires de l’Empire ottoman, Charmetant évoquait les autres massacres : « Il est de même pour les populations chrétiennes de Syrie et surtout du Liban, car ce n’est pas seulement la destruction d’une race que l’on poursuit, c’est la mise à exécution d’un plan plus vaste, pendant que le monde civilisé porte toute son attention sur la guerre actuelle : faire disparaître de la Turquie tout ce qui n’est pas musulman ! »

De nouveau, le directeur de l’Œuvre en appela à la générosité des donateurs. La situation en France avait beau être très difficile, il fallait aider les chrétiens d’Orient. Ainsi écrivait-il : « Notre devoir de catholiques et de Français est de venir au secours de ces frères malheureux. Nous supplions donc nos lecteurs de coopérer à cette œuvre de charité et de salut, en nous adressant leurs aumônes que nous ferons parvenir, par cette voie, aux malheureux survivants de tant de terribles fléaux. »

Après le génocide et la fin de la Première Guerre mondiale, Charmetant maintint un appui indéfectible pour les Arméniens, jusqu’à la fin de sa vie survenue en 1921. Durant cette dernière période de son vivant, il protestait surtout contre le fait que la Conférence de Paix ne rendit guère justice au peuple arménien.

Conclusion

Nous avons cherché à montrer l’ample implication de l’Œuvre d’Orient en faveur de la cause arménienne lors des massacres hamidiens et du génocide. L’engagement de Mgr Charmetant fut indubitablement hors normes à cet égard. Cependant, cette page n’est pas tournée, et l’injustice subie n’a toujours pas été réparée. Au contraire, l’Orient est toujours à feu et à sang, victime d’instrumentalisations géopolitiques diverses et de fanatismes religieux. Ainsi, militer en faveur des chrétiens d’Orient et, à travers eux, pour la diversité humaine et religieuse dans des sociétés qu’on espère démocratiques et libres, demeure plus que jamais un impératif ! Il n’y a pas de doute, fidèle à son histoire, l’Œuvre d’Orient continue à œuvrer dans ce sens…

Antoine Fleyfel, directeur de l’Institut chrétiens d’Orient

[ARMENIE] Revivre la messe annuelle de L’Œuvre d’Orient pour les Arméniens.

La messe annuelle 2020 de l’Œuvre d’Orient, reportée à cause de la situation sanitaire, a eu lieu ce dimanche 21 mars 2021 en l’église Saint-Sulpice. 

Elle était célébrée selon le rite arménien par Son Excellence Monseigneur Elie Yéghiayan, évêque de l’Eparchie de Sainte Croix des Arméniens catholiques de France, en communion avec l’ensemble des Églises orientales. Cette célébration était l’occasion de prier pour les Arméniens. Revivez la célébration sur la chaine YouTube de la paroisse Saint-Sulpice.

Messe Arménienne de l’Oeuvre d’Orient 21 3 2021 – YouTube