[LIBAN] Le témoignage de Claire : « Les libanais continuent de nous accueillir d’une manière incroyable. »

Claire, étudiante en droit et volontaire pour un an au Collège des sœurs antonines de Roumieh, au Liban. Elle y donne des cours de français et de culture générale, entre mythologie grecque, contes et histoire de l’art.


Chère famille, chers amis,

J’espère que vous allez bien et que vous êtes toujours en bonne santé !

La vie quotidienne à Roumieh. 

À Roumieh, la vie suit son cours. Nous n’avons été confinés que deux semaines fin novembre. Les règles imposées étaient relativement souples, confinement libanais oblige ! Malgré une interdiction de déplacement chaque dimanche, nous avons pu partir en vadrouille car les sœurs avaient une autorisation spéciale de l’Evêché. Nos cours se poursuivent aussi, tout comme les coupures d’électricité régulières. Comme je vous l’avais expliqué dans ma gazette précédente, les cours ont repris en présentiel la première semaine de novembre. Malheureusement l’école a fermé au bout d’une petite semaine seulement. J’ai pu malgré tout rencontrer quelques élèves de mes classes de CM1 et de CM2. C’était une vraie joie de les voir, même derrière un masque et une visière, à un mètre de distance. Nous poursuivons les cours en distanciel et devrions retrouver les élèves en janvier… Inch’allah !

Nous travaillons sur les contes avec les primaires 1 (du CP au CE2). En primaire 2 (CM1 et CM2), nous avançons notre voyage en France. Les élèves écrivent également des lettres à des classes françaises, dans lesquelles ils présentent leur école, Roumieh et le Liban. Ils abordent des sujets plus ou moins importants avec une franchise et une innocence incroyable. En voilà quelques extraits :

A propos de l’impossibilité de voyager (CM1A) : « Dans votre prochaine lettre, pourriez-vous nous parler de Toulouse ? Quand nous serons grands, nous aimerions beaucoup aller en France. En ce moment, nous pouvons voyager en France grâce aux lettres. Nous voyageons avec notre imagination. »

A propos du Liban et de l’explosion du 4 août (CM1A) : « Le Liban est un pays très joli. Le drapeau du Liban a trois significations : le rouge signifie le sang, le vert représente l’arbre qui reste vivant : le cèdre : il ne meurt pas sous la pluie et la neige; le blanc signifie la paix. La capitale du Liban est Beyrouth. Notre capitale, malheureusement, est détruite, à cause de l’explosion du 4 août. Il y a beaucoup de maisons détruites et beaucoup de personnes n’ont plus d’endroit où vivre. Il y a beaucoup de travaux à Beyrouth pour la reconstruction complète. »

A   propos de Notre Dame de Harissa (CM1D): « Nous aimerions vous parler de Notre-Dame de Harissa. C’est un lieu que nous aimons beaucoup. Notre-Dame de Harissa est une statue de Maman Marie sur une montagne. Elle est située à Harissa, à côté de Jounieh, juste au Nord de Beyrouth. Quand nous allons à Harissa, nous pouvons prier, acheter des souvenirs à la boutique… »

En parallèle, avec les collégiens, nous avançons notre comédie musicale sur la mythologie grecque; en espérant pouvoir la mettre en place malgré le Coronavirus. Enfin, Charbel avance ses progrès en lecture. Sa dyslexie ne l’aide pas, mais petit à petit, nous y arrivons. Il est d’une gentillesse incroyable.  La situation au Liban est aujourd’hui tellement compliquée qu’une grande partie des libanais chrétiens prévoient de partir. De nombreux élèves m’ont expliqué pendant nos premiers cours avoir de la famille en Australie, aux Etats-Unis, en France, au Canada, en Allemagne, à Dubaï ou avoir un passeport étranger. S’ils ne sont pas encore partis ou ne prévoient pas de partir rapidement, beaucoup sont prêts à quitter le pays si la situation s’aggrave. Certains ont fait le choix de rester, car économiquement ce départ est impossible ou parce qu’ils ne veulent pas abandonner ce pays qui est le leur et qu’ils aiment tant … quel courage !

Vers la reconstruction 

La crise que traverse le Liban est aujourd’hui terrible. La livre libanaise ne cesse d’être dévaluée. Alors qu’un dollar valaient 1500 livres libanaises il y a un peu plus d’un an, un dollar vaut 8000 livres libanaises aujourd’hui. Les prix flambent alors que les libanais ne voient pas leur salaire augmenter et s’adapter au taux réel de la livre libanaise sur le marché noir (taux à 8000). Imaginez simplement acheter votre kilo de tomates à un prix quatre fois supérieur à celui dont vous avez l’habitude, ne plus acheter ni viande, ni poisson, ni chocolat, car cela coûte trop cher, ne plus pouvoir payer l’école de vos enfants… c’est aujourd’hui ce qu’il se passe au Liban.

Malgré toutes ces souffrances, les libanais continuent de nous accueillir d’une manière incroyable ! Je crois qu’ils sont capables de se priver pendant plusieurs jours pour pouvoir mettre les petits plats dans les grands lorsque l’occasion se présente ! Lorsque nous leur rendons visite ou lorsqu’ils nous invitent nous sommes toujours accueillis comme le Messie. C’est extrêmement touchant ! Nous continuons de partir à la découverte du Liban ! C’est un pays magnifique !

Nous continuons également d’aller aider à Offre joie. Nous avons déblayé de nombreuses maisons. C’est assez marquant car nous retrouvons ce qui appartenait aux habitants : livres d’enfants, chapelets, feuilles de contrôles ou de cours, nourriture, meubles… Nous sommes également allées aider à la Caserne à côté du port. C’était très émouvant ! En effet, c’est de cette caserne que sont partis les dix jeunes pompiers pour éteindre l’incendie du port, précédant l’explosion. Tous ont perdu la vie. De grandes affiches avec leur visage sont accrochées sur le mur de la caserne et sur les camions. Travailler là-bas était très fort, d’autant plus que nous n’étions qu’un petit groupe composé à moitié de libanais. Nous avons donc fait équipe avec de nombreux ouvriers. J’ai admiré leur humilité et leur dévouement, pour certains même leur gentillesse ! Nous ne pouvions pas nous comprendre mais un sourire, un « à vous » après un « merci » suffisent pour traduire beaucoup de choses ! Le chantier a pris un peu de retard, mais de nombreux jeunes, libanais ou étrangers (notamment français) continuent de se mobiliser pour la reconstruction !

Je pense bien à vous et vous garde dans mes prières. Je vous confie le Liban et tous les libanais qui traversent des heures vraiment difficiles !

Je vous embrasse bien affectueusement!

Claire

L’Œuvre d’Orient lance une campagne pour la reconstruction de l’église Saint-Jean de Méghri.

Chère Madame, cher Monsieur,

Durant le mois de février 2021, L’Œuvre d’Orient met en place une campagne pour reconstruire l’église Saint-Jean de Méghri en collaboration avec l’association Organisation Terre et Culture.

Le projet en bref

Localisée en Arménie, dans les montagnes du Siunik proche de la frontière iranienne, l’église est l’un des plus anciens édifices de la région. Ravagé par le temps, cet édifice demeure le symbole de l’attachement des Arméniens à leur patrimoine comme le reflet de leur identité au-delà des crises. Cette église est aujourd’hui menacée d’effondrement. La campagne que nous menons a pour objectif d’assurer le renforcement des remblais autour de l’église, destinés à sécuriser l’édifice.

Pour vous préinscrire et en savoir plus sur notre projet, cliquez-ici

Un grand merci pour votre précieux soutien. N’hésitez pas à diffuser ce projet de sauvegarde du patrimoine autour de vous.

Pour en savoir plus sur le projet avec Jean Kasparian :

 

 

 

[ARMENIE] « On a survécu aux deux guerres, celle de 96 et celle-ci. Grâce à Dieu, on tiendra encore » 4/4

Dans la région de Synuik, dans le cône sud de l’Arménie, la ville de Goris grelotte sous ses cheminée de fée (sorte de grande colonne naturelle créées sous l’action de l’érosion dans les tufs volcaniques). Le mois de janvier est rude, les températures peinent à passer au-dessus de zéro même en pleine journée.
©Chris Huby- Le Pictorium

Dans les dortoirs aux papiers-peints colorés de la « Maternelle numéro 5 », une école primaire mise à disposition pour les réfugiés de la guerre par le très actif Club Francophone de la ville, les petits lits d’enfants sont alignés pour permettre aux adultes de s’y allonger.

Ca fait presque deux mois qu’Angela vit ici avec sa famille. Originaire de Berdzor ( ville stratégique du corridor entre l’Arménie et le Haut-Karabakh qu’elle refuse d’appeler « Latchine », son nom « plus connu mais azéri » insiste-t-elle), elle sait qu’elle ne reverra plus jamais sa maison. Angela est en colère et elle ne pardonne rien aux « chorégraphes du chaos », les russes : « Ils sont arrivés juste avant les Turcs, à la mi-novembre, mais leur message était le même : vous avez perdu, maintenant, dégagez ! Honte sur eux ! ».
©Chris Huby- Le Pictorium
Dans la classe d’à côté, deux (grands) enfants handicapés regardent la télévision. Leurs parents, un vieux couple de Chouchi nous épluchent des mandarines et nous les tendent. « Ca s’est passé si brutalement… » se souvient Anahit les yeux gonflés de tristesse. « On a tout laissé. La maison, les bêtes, mes poules et les poussins. Le jour où ils ont bombardé la cathédrale, j’ai su que c’était terminé. Qu’en ont-ils fait ? Comme tout, autour : des ruines. Mais même dans la poussière, surtout dans la poussière, la foi demeure. Vous savez, on était à Bakou en 87, on a survécu aux massacres. On a survécu aux deux guerres, celle de 96 et celle-ci. Grâce à Dieu, on tiendra encore ».
Marine de Tilly

Institut chrétiens d’Orient : les inscriptions pour 2021 sont ouvertes !

Les inscriptions pour les cours 2021 sont ouvertes. Actuellement, tous les cours se font exclusivement en ligne en raison de la situation sanitaire. Dès que celle-ci s’améliorera, l’ICO s’efforcera de vous accueillir à nouveau physiquement.

Voici les jours et les horaires retenus durant la période pandémique :

Patrologie orientale : mercredi 16h-18h, première séance le 27 janvier 2021

Géopolitique des chrétiens d’Orient : jeudi 18h30-20h30, première séance le 28 janvier 2021.

Une nouvelle session intitulée La question arménienne, des grandes invasions à la guerre du karabagh est disponible. Pour s’inscrire aux quatre séances qui auront lieu en ligne en février et mars 2021, vous pouvez envoyer un courriel à l’adresse : contact@institutchretiensdorient.com.

[ARMENIE] « Il est inhumain de laisser des enfants trembler des jours et des nuits entières ». 3/4

Depuis trois ans, Sœur Rebecca, arménienne originaire du Liban, est en mission dans la ville Gyumri, la deuxième plus grande ville du pays (après Erevan, la capitale). Le charisme de la congrégation (catholique) de L’immaculée Conception est de prendre soin des plus pauvres, des plus seuls. Avec ses sœurs, la religieuse accueille 35 orphelins et 20 vieillards. Les hivers sont extrêmement rudes dans cette région du nord de l’Arménie, « parfois, les murs des maisons brillent de froid comme du cristal » décrit-elle, et « il est inhumain de laisser des enfants trembler des jours et des nuits entières ».

© Chris Huby – Le Pictorium

Depuis le début de la guerre, la congrégation a ouvert ses bras, ses portes, son école et son centre de formation professionnel – notamment de cuisine- à une centaine de familles chassées du Haut-Karabakh par les combats. Trois d’entre elles sont toujours logées dans des appartements cédés aux sœurs par une ONG, juste en face de la Congrégation. Nous rencontrons une famille de six enfants originaire de Zangiulan, reprise dès la mi-octobre par l’Azerbaïdjan.« En trois jours se souvient Vartan, le père de famille, nous avons du tout quitter, vendre nos bêtes – ou devrais-je dire « donner »…- à n’importe qui et à un prix scandaleux. » Vartan était berger. A moitié aveugle, il n’a pas combattu. « Même si j’avais pu, je n’aurai jamais laissé ma femme et les enfants » confesse-t-il. Aujourd’hui pour lui, tout est à recommencer.  « Les sœurs nous aident beaucoup mais il est temps que l’on se redeviennent autonomes. Nous ne voulons pas abuser de leur gentillesse. Nous ne sommes pas les seuls. Et puis nous sommes ensemble, nous sommes vivants, c’est l’essentiel ». Et tandis que la petite dernière fait devant nous ses premiers pas, Sœur Rebecca de conclure avec une bienveillante autorité : « Tu iras bien où tu voudras, mais tes enfants ne bougeront pas d’ici avant d’être les meilleurs cuisiniers de la ville ! ».

 

Marine de Tilly

[LIBAN] Le témoignage d’Isaure et Hermine: « L’action des volontaires sur le terrain tisse la longue amitié entre les communautés et l’Œuvre d’Orient. »

Isaure et Hermine chargées de mission au pôle jeunes de l’Œuvre d’Orient se sont rendues au Liban en décembre 2020, elles témoignent.


En octobre 2019 commençait la révolution au Liban. Ces blocus et révoltes ébranlaient le pays. La pandémie de la Covid en février 2020 a mis au ralenti l’économie et la société libanaise, comme partout ailleurs dans le monde. La crise économique a continué de s’amplifier, avant que la terrible explosion du 4 août ne vienne tout engloutir.

L’explosion

Quatre mois après, et bien que de beaux efforts de reconstruction et de solidarité aient vu le jour, le pays est encore sous le choc. Le visage de Beyrouth a changé, entre tas de décombres, immeubles béants, population masquée, et rubalises pour éloigner des zones accidentées. L’accueil chaleureux des Libanais s’est fait plus modeste.  Les communautés religieuses rencontrées évoquent avec pudeur leur difficultés à payer les salaires – parfois même à ne payer que la moitié des salaires, ou à s’acheter du dentifrice. En dix jours, le taux de change a doublé. « Même la guerre était moins pire qu’aujourd’hui », disent invariablement les communautés.

Et pourtant, les crèches sont installées sur chaque place publique, à chaque intersection. Les guirlandes lumineuses affichent l’espérance de Noël. Et les jeunes continuent de sortir dans les quelques bars de Mar Mickaël, avant que ne rappelle à l’ordre le gyrophare du couvre-feu. De même, les communautés ne manquent pas d’espoir, les projets naissent pour soutenir les familles les plus touchées : « ce qui est beau, touchant et douloureux, c’est la générosité de ce peuple » confie Roula, de l’association Anta Akhi.

La crise

Cependant, les multiples crises qui affectent le Liban aujourd’hui sont indéniables. Les communautés les prennent de plein fouet. Les écoles sont les premières affectées. Rares sont les parents pouvant payer la scolarité de leurs enfants, et d’ailleurs le prix en est tellement dévalué qu’il ne veut plus rien dire pour les communautés. De plus, les comptes des écoles ne permettent plus non plus de payer les salaires des employés et des enseignants. Certains concluent un accord pour travailler en contrepartie de la scolarité d’un enfant, comme à l’école Notre-Dame du Rocher d’Ajaltoun, où les sœurs ont installé un atelier de fabrication de masques pour les mamans d’élèves. Ce sont donc des immenses espaces vides que nous visitons. Aucun rire ou jeu d’enfants dans les cours de récréation. Heureusement, les communautés cherchent à conserver des contacts réguliers et sur le long terme avec les familles des élèves. Pour elles, l’école c’est le lieu de la vie, de l’apprentissage, des rires et des jeux. Des horaires sont aménagés pour que les élèves puissent venir sur des périodes de 40 minutes en classe, ou pour célébrer des messes de Noël en demi-groupe.

 

Action des volontaires

Nous avons noté chez nos 16 volontaires en poste au moment où nous sommes venues, une vivacité impressionnante pour s’adapter au mieux à la situation. De nombreuses idées voient le jour pour continuer de servir les communautés tout en étant au plus proche des plus pauvres. Délicatesse, adaptation semblent être les maîtres mots. À Roumieh, par exemple, Claire et Ines s’activent pour collecter des chocolats en France afin d’offrir aux sœurs et aux élèves un petit présent. Les trois autres volontaires enseignants s’ingénient à rendre vivante la langue française dans leurs cours et partagent leurs idées entre volontaires : histoire de l’art, comédie musicale, Tour du monde en 80 jours, les projets ne manquent pas.

Dans la cantine du quartier de la Quarantina, quatre volontaires sont membres de l’équipe du père Hany. Ils distribuent 2000 repas par jour aux familles victimes de l’explosion, tout en cherchant activement à développer la vente de produits locaux pour avoir des fonds et s’auto-suffire sans dépendre de dons extérieurs.

À Anta Akhi, Mission de Vie, et Message de Paix, les six volontaires sont prudents et confinés parce que leur mission est au plus près de personnes handicapées ou âgées, donc très vulnérables. Avec joie et dynamisme, ils soignent donc ces résidents et animent des activités quotidiennement, en construisant des relations profondes et de qualité avec la communauté et les résidents. Enfin, Aygline fait un travail formidable dans l’archevêché de Tripoli, en soutenant l’évêque dans ses lourdes tâches de suivi de chantiers, d’aide à la population, et de développement.

Des profils de volontaire très variés apportent ainsi un réel soutien et une amitié concrète aux communautés et aux chrétiens d’Orient qu’ils aident. Certains participent également aux projets d’autres associations d’aide sur leur temps libre comme l’association libanaise Offre-Joie, qui reconstruit les immeubles détruits de Quarantina. Enfin, tous cherchent à apprendre la langue arabe, et cela révèle une réelle volonté de compréhension et d’intégration dans la population libanaise. En janvier, nous avons dit au revoir à trois volontaires qui terminaient leur mission, et huit autres ont rejoint le Liban. Dans un contexte de pauvreté et d’épuisement, nous avons été témoins de l’espérance qu’insufflent communautés et volontaires pour soutenir un peuple en souffrance. L’action des volontaires sur le terrain tisse la longue amitié entre les communautés et l’Œuvre d’Orient.

 

Isaure & Hermine

[ARMENIE] « Nous sommes le peuple des montagnes » dit la célèbre sculpture de Stepanakert. 2/4

© Chris Huby- Le Pictorium

 

Ce 6 janvier, nous avions prévu de nous rendre au Monastère de Dadivank pour assister à la messe de Noël. Passé sous le contrôle de Bakou depuis les accords de cessez-le-feu du 9 novembre, le monastère, fondé aux premières heures de la chrétienté par saint Dadi, reste géré par l’Eglise apostolique arménienne, sous (haute) surveillance russe. Au petit matin, sous le soleil glacial de janvier, une cinquantaine de pèlerins attend devant la cathédrale de Stepanakert en se soufflant dans les mains. Dument escortés par des camions russes – ils le seront jusqu’au monastère – les bus arrivent, les pèlerins s’y engouffrent. « C’est Noël, nous comprenons » lâche un officier russe armé jusqu’aux dents. « En revanche, nous n’assurerons la sécurité que de deux cars, pas trois. Trente personnes seulement. Pour les autres, c’est non ».

 

Le père Andreas, Evêque de Chouchi – elle aussi passée côté azéri, tente une négociation. Peine perdue. Le russe est compréhensif mais répète rarement deux fois les instructions. Nous sommes de ceux qui n’iront pas à Dadivank. Nous nous « replions » sur Gandzasar, autre chef d’œuvre de l’architecture et de la spiritualité médiévale arménienne qui, lui, n’a pas été pris. Il fait douze degrés en dessous de zéro dehors et dans l’église culmine la solennité de la première messe de la Sainte-Nativité depuis la fin des combats. Dans les volutes d’encens et de fumée, des faisceaux de lumière illuminent les figures recueillies et les pierres sculptées. « Ce Noël est le plus important de ma vie me chuchote ma jeune voisine. Le Christ est né, et nous, comme Lui, nous devons renaître. Nous avons perdu notre maison. Jusqu’au dernier jour, mes frères et mon père se sont battus, ils ont perdu aussi. Mais il nous reste notre foi, et notre patriotisme ». « Nous sommes le peuple des montagnes » dit la célèbre sculpture de Stepanakert. « Nous sommes le peuple des montagnes, nous sommes les gardiens de la terre ».

Marine de Tilly

[ARMENIE] « Cette nuit nous prierons tous pour ceux qui sont tombés, pour notre unité, la paix et la liberté « . 1/4

« Nous avons traversé une longue nuit, mais ce soir des centaines de petites flammes brillent dans notre église et jusque dans vos maisons. Nous sommes debout. Nous continuerons. De vivre, de croire, d’espérer, d’être fiers. Ici, sur notre terre, et pour l’éternité ».

Dans la cathédrale Sainte-Mère-de-Dieu de la capitale de l’Artsakh, de dos et entouré de ses six diacres, le père Terminas répète d’une voix claire qu’il faut résister. Depuis 16 heures cet après-midi, tous les habitants de la ville, « ceux d’avant » et « ceux de maintenant », résidents historiques ou déplacés de Chouchi, d’Hadrout ou de Martouni, défilent dans les transepts pour allumer les bougies qu’ils rapporteront chez eux. C’est la tradition chez les apostoliques arméniens: le soir de Noël, ils ramènent la lumière de Dieu, une lumière du fond des siècles, dans chacune de leurs maison.

Devant les bougies, des hommes en treillis se recueillent, des enfants couverts comme Saint-Georges cherchent leur mère dans la foret des jambes tandis que la chorale entame le « Der voghormia » (« seigneur prend pitié ») en polyphonie. « On peut célébrer la naissance de Jésus et allumer des cierges même après un désastre » me confie une vieille femme au sourire immense. C’est le premier Noël depuis la fin de la guerre, et « c’est une messe de vivants célébrée pour nos morts » me répète ce jeune soldat en quittant la cathédrale. En sortant de dessous son épais blouson militaire une croix bricolée avec deux bâtons irréguliers et un morceau de barbelé, il est heureux de me dire que même aux heures les plus dure, elle ne l’a jamais quittée. « Si je suis là, c’est parce que ma croix m’a sauvé. Cette nuit nous prierons tous pour ceux qui sont tombés, pour notre unité, la paix et la liberté ».

Marine de Tilly

[Egypte] Témoignage de Tristan : un Noël à Bayadeya.

Tristan volontaire à l’école Khoronfish du Caire a passé  Noël à Bayadeya.

Bayadeya est un « village » de 40000 habitants situé en Haute Egypte à 300km au sud du Caire sur les bords du Nil. C’est un village à majorité copte (90% de chrétiens et 10% de musulmans) très nombreux depuis les premiers siècles du christianisme. Les paysages sont radicalement différents du Caire. Après avoir traversé le désert pendant plus de 4h, la vallée du Nil apparaît comme un véritable paradis avec ses champs de canne à sucre, ses palmiers et ses rigoles à perte de vue. La beauté de ce paysage et la fraîcheur de cette région nous a beaucoup touché et nous a permis de nous ressourcer quelques jours avant de retrouver le vacarme du Caire. La brume sur le Nil, les troupeaux de vaches broutant dans les champs et cette vision du village avec les clochers à perte de vue nous offrent des souvenirs inoubliables.    

Cette petite ville a gardé toute sa typicité et son esprit « baladi » (local): les petites maisons en briques encadrent, telles des murailles, les rues étroites et boueuses ou passent vaches, moutons, chevaux et ânes chargés de divers produits agricoles. L’agriculture est la principale activité de ce village et la plupart des hommes du village travaillent la terre et cultivent la canne à sucre, la betterave, le topinambour et divers autres légumes et élèvent des bœufs appelés gamouse. Les femmes restent à la maison et élèvent les enfants. Aucune femme ne travaille à l’extérieur de la maison. Les tâches sont scrupuleusement réparties.

A la différence du Caire, l’ensemble des hommes porte la galabeya, tenue traditionnelle de la Haute Egypte, les femmes ne sont pas voilées et le paysage urbain se dessine à l’aide d’innombrables clochers. J’ai senti peu de différences culturelles avec le quartier de koronfish très musulman: les églises, à la manière des mosquées, transmettent la messe sur des hauts parleurs tous les jours et vous ne pouvez pas la rater. On sent comme une influence mutuelle des deux religions dans la manière dont elles sont présentes dans la société.

Dans le village tout le monde se connaît et étant accompagné par le frère Sameh nous étions invités à chaque maison à prendre un thé et à manger quelque chose. On y ressent un esprit très convivial et très fraternel. Les familles s’entraident, se partagent leur nourriture et se rendent de nombreux services. En cas de problème, le quartier en est immédiatement informé et une personne vient vous aider. Les gens sont très accueillants et curieux. Ils ne connaissent comme étrangers venant dans leur village que les frères et les amis de la communauté.

 

La communauté sur place est composée de deux frères, le frère Xavier (français) et le frère Ossam le cousin du frère Sameh originaire de Bayadeya. Ils s’occupent d’une petite école l’alphabétisation pour les jeunes enfants et organisent des activités sportives ou culturelles comme des lectures de rue. Les frères ont depuis des années beaucoup œuvré pour le développement de ce village : bibliothèque, éducation, étiquetage des rues, etc… Le frère Xavier a, par exemple, appris en arrivant le métier de menuisier à un jeune égyptien qui a aujourd’hui son atelier et qui forme à son tour deux jeunes garçons. Nous sommes allés prendre le thé chez lui. Il fait des meubles magnifiques et il est très doué. C’était très touchant.

Tristan