Charlotte, 22 ans est en mission pour 6 mois au centre Caritas Armenia Day Elederly center de Gyumri.
Arrivée en Arménie
Bram, un chauffeur arménien, m’attend avec une pancarte à mon nom dans l’aéroport. Moi qui redoutais un peu la barrière de la langue, m’y voilà instantanément confrontée. Bram ne parle pas un mot d’anglais, quant à moi, je ne parle pas arménien. Avec mon super livret pour apprendre l’arménien, je me lance dans une conversation grâce à la phonétique inscrite sous les images. Vous vous doutez bien que les discussions ne tournent pas autour de sujets très profonds, nous n’irons pas beaucoup plus loin que les phrases de présentation, le vocabulaire de la nourriture et des animaux. Mais pour une première conversation, c’est plutôt pas mal ! Je suis étonnée de ce lien bienveillant et amical qui se tisse si rapidement. Je sens déjà que ma mission commence bien !
Premier jour
Gurgen (mon coordinateur) m’invite à déjeuner avec sa femme Suzanna et sa mère Flora qui est bilingue en anglais (beaucoup plus pratique que la langue des signes😊). Ils habitent à 5 minutes du centre Caritas dans lequel je loge. Je suis reçue comme une reine ! Ils m’ont cuisiné des plats typiques, j’ai même droit à un délicieux barbecue de poissons grillés, c’est un vrai festin. La nourriture arménienne a une place très importante ici. L’invité est toujours mis à l’honneur, et est accueilli de façon très chaleureuse.
La ville de Gyumri
En me baladant dans la ville, je rencontre beaucoup de chiens errants, affamés et quelquefois un peu agressifs, qui fouillent les poubelles. Je suis tout de suite heurtée par les dégâts du tremblement de terre de 1988. Les routes sont très cabossées et beaucoup de maisons sont en ruines, même à quelques pas du centre-ville. Je ne m’attendais pas à voir une ville aussi pauvre. Les arméniens sont vraiment marqués par leur triste histoire et en parlent très naturellement. Beaucoup de personnes que j’ai rencontrées pendant ces deux premières semaines, ont perdu un enfant d’une maladie ou à la guerre contre l’Azerbaïdjan, il y a tout juste quelques mois.
Le marché
Je passe faire un tour au marché et suis tout de suite dépaysée : on y trouve des pieds de vache un peu partout et des poissons encore vivants sur les étalages. On y trouve également beaucoup d’épices (surtout du paprika) et des fruits secs à gogo. En poursuivant ma visite, je suis amusée et surprise de voir du linge suspendu dehors alors qu’il fait -15°C et qu’il neige
Mission au centre « Caritas ».
Je m’occupe de cinquante personnes âgées, assez pauvres, qui viennent passer la journée au centre Caritas de Gyumri. Grâce à ce centre, ces personnes mangent à leur faim, sont au chaud et ne sont plus isolées. Nous jouons aux cartes, dansons, et organisons des ateliers tels que la fabrication de chaussons destinés à être vendus par la suite (faits de laine de mouton, d’eau et de savon). J’aide également les cuisinières lors de la préparation et du service du repas. Toutes ces personnes sont très attachantes, j’ai l’impression de leur transmettre la joie, et elles beaucoup d’amour !
Mission dans les « Domiks »
Une autre partie de ma mission, sûrement la plus dure mais très belle, est d’aller rendre visite à des personnes âgées vivant dans les « domiks ». Suite au tremblement de terre de 1988, beaucoup de personnes ont été déplacées pour une durée initiale de 2 ans dans ces sortes de baraquements faisant bidonvilles. Cela fait maintenant plus de 30 ans qu’elles y sont car l’Arménie n’a malheureusement pas les moyens de reconstruire les maisons détruites. Nous allons leur rendre visite en leur apportant des sacs de provisions (nourriture et kit d’hygiène). Je suis chaque fois touchée par l’accueil chaleureux que ces personnes me réservent alors qu’elles n’ont quasiment rien. Elles vivent dans des conditions très difficiles, leur maison est à peine chauffée, faute de moyens. J’apprends ensuite que l’électricité et le chauffage sont financés grâce aux dons faits à Caritas
Depuis 5 ans, Vincent Gelot se rend tous les 2 mois environ en Syrie pour visiter les communautés chrétiennes, évaluer les besoins avec les responsables des Églises locales, des congrégations et des associations de laïcs, et suivre les projets ; l’occasion de prendre la température du moral des Syriens. Il nous livre ici la détresse des chrétiens encore sur place ; détresse partagée par tout un peuple au bord de la famine.
Depuis cinq ans, je me rends régulièrement en Syrie à partir du Liban où je vis avec ma famille. Et depuis cinq années, à la fin de chaque voyage, je quitte la Syrie en me disant que nous avons touché le fond et que la situation pour les Syriens ne peut pas être plus catastrophique. Or, à chaque fois, la situation est un peu pire encore.
Los de mon dernier séjour, en décembre 2020, le moral général et la situation étaient au plus bas. « La situation maintenant est pire que sous les bombardements » finissent par dire bon nombre de Syriens. La crise économique termine d’achever ce que dix années de guerre n’ont pas détruit : « Au plus dur des combats, les gens étaient dans une logique de survie quotidienne qui les empêchait de se projeter dans l’avenir. Aujourd’hui, ils voient le champ de ruine devant eux et la reconstruction qui ne vient pas » décrit le cardinal Mario Zénari, nonce apostolique en Syrie. La crise sanitaire cause également des dommages économiques et humaines considérables. Dans les rues et les espaces publics, les distanciations sanitaires ne sont pas respectées et rares sont ceux qui portent un masque : « Le Coronavirus est le dernier de nos soucis. Pourtant, les chiffres officiels des cas infectés et des personnes décédées sont largement sous-estimés » explique le patriarche grec-catholique, sa Béatitude Joseph Absi qui réside à Damas.
Damas, capitale des déplacés
La capitale syrienne est devenue le grand réceptacle des déplacés internes venus de toute la Syrie. Dans la périphérie de Damas, le quartier de Jaramana, un hameau jadis peuplé de druzes et de jeunes ménages damascènes en quête de loyers peu chers, est ainsi devenu un hub accolé à la métropole comptant plus d’un million d’habitants de toutes confessions. Des centaines de milliers de déplacés y ont trouvé refuge, notamment de nombreux chrétiens, et tous vivent dans des conditions très difficiles. Les congrégations présentes sur place, que je rencontre et que l’Œuvre d’Orient soutient, font de leur mieux pour les accompagner sur le plan humanitaire et matériel, mais les besoins sont immenses : « Certaines familles sont déplacées de chez elles depuis dix ans » m’explique Sœur Jihane, une petite Sœur de Besançon dont la maison communautaire est située dans ce quartier, « pour nombre d’entre eux le retour s’avère impossible car leur maison a été détruite ». « Nous ne savons plus où placer notre espérance » me disait-elle.
À Bab Touma, le quartier chrétien historique de la vieille ville damascène, je croise des files d’attente de Syriens faisant la queue pour une bouteille de gaz, devant les stations-services pour un jerrican de fuel ou attroupés devant les boulangeries pour quelques galettes de pain. « Les sanctions internationales contre la Syrie ont des effets criminels, lâche l’un d’entre eux. Elles font souffrir en premier lieu le peuple syrien et favorisent le marché parallèle et les corruptions en tout genre ».
Maaloula, renaître de ses cendres
Ville chrétienne historique et célèbre, Maaloula renaît timidement de ses cendres. Depuis la fin des combats en 2015, qui ont en grande partie endommagé la ville, seulement le tiers de la population est rentrée. L’Œuvre d’Orient a soutenu la réhabilitation de l’école maternelle, la reconstruction de maisons pour encourager le retour des familles déplacées et la restauration de St Lavandios, la paroisse melkite historique du village vandalisé et brûlé par les djihadistes d’Al Nosra dont l’origine remonterait au XIIe siècle. À mon passage, les difficultés des habitants, en majorité des agriculteurs, étaient principalement économiques : « Nos maigres récoltes et la dévaluation de la livre syrienne ne suffisent pas. Nous n’arrivons pas à faire vivre nos familles » me disait l’un d’entre eux. Avec Sœur Annie Demerjian, une religieuse syrienne de la congrégation des Sœurs de Jésus et Marie, nous avons pu ouvrir une fabrique de couture permettant de fournir un travail à 26 femmes du village, et donc de soutenir autant de familles. Une goutte d’eau, mais une goutte d’eau qui compte.
Homs, vivre parmi les ruines
Foyer de contestions, la ville de Homs garde en bonne partie les stigmates de la guerre, et certaines artères conservent encore les barricades de 2011 sur des kilomètres de ruines. Pourtant, çà et là, des habitations reprennent vie, comme dans le quartier de Hamidyé où sœur Samia, une religieuse de la congrégation des Sœurs des Saints Cœurs, a monté une petite équipe d’architectes et d’ouvriers pour retaper des maisons : « L’objectif est de reconstruire les maisons des habitants désireux de retourner chez eux. Depuis la guerre, nombre de chrétiens ont trouvé refuge dans la périphérie de la ville ou dans la Vallée des Chrétiens. » Multi-tâche, comme la plupart des religieux orientaux, Sœur Samia s’occupe aussi du Sénevé, un centre qui accueille près de 90 enfants atteints de trisomie 21 : « Les handicapés sont les grands oubliés de la guerre. Pourtant, leur nombre ne cesse d’augmenter » déplore-t-elle (retrouvez le portrait de Sr Samia dans le n° précédent).
Dans le quartier historique de Bustan Diwan, la communauté chrétienne est encore particulièrement active, grâce notamment à l’impulsion de la communauté jésuite qui garde l’emprunte missionnaire du père hollandais Frantz Van der Lugt, assassiné dans le couvent en 2014. Pour soutenir l’activité économique, l’Œuvre d’Orient accompagne la mise en place d’un Hope Center, un bureau d’aide au retour à l’emploi et à l’activité économique sous forme de prêt à taux zéro, dont 20 % sont remis au bénéficiaire sous forme de don. « Déjà expérimenté à Alep, ce centre fait des merveilles et répond à l’une des causes majeures de l’émigration des chrétiens : le chômage. » explique Safir Salim, le directeur du Hope Center.
Alep, le dur travail de réconciliation
En 2011, Alep comptait 150 000 chrétiens. À mon passage, il reste quelques 20 000 fidèles. Une chute vertigineuse. Pourtant, les chrétiens n’en gardent pas moins une place essentielle dans la cité, notamment dans le dur et long travail de réconciliation. À Sakhour, un quartier sunnite d’Alep Est, qui a vu passer toutes les mouvances rebelles et djihadistes et où ne demeurent aujourd’hui que des femmes, des enfants et des vieillards, le JRS (Jesuit Refugee Service) a installé un centre d’alphabétisation et un dispensaire médical : « Avant la guerre, aucun chrétien n’aurait mis les pieds à Sakhour. Aujourd’hui, un lien d’amitié et de confiance s’est tissé et les chefs de tribus locales ne veulent plus nous laisser partir » soulève le père Alvaro, un prêtre jésuite sur place.
La guerre a aussi redéfini la place de la femme syrienne. Le service militaire et la fuite a vidé la population civile de ses jeunes adultes : on compterait, un homme pour quinze femmes en Syrie. « Comme en France en 1914, les femmes sont obligées de travailler » explique Jina Achji, la directrice d’Espace du Ciel, une association qui offre des cours de renforcements scolaires aux étudiants aleppins et du soutien personnel et psychologique aux femmes : « Nombre d’entre elles ont vécu des traumatismes de guerre très importants. Pouvoir en parler entre elles permet de les aider à mieux tenir le choc ».
À Alep, la reconstruction progresse aussi timidement. À la demande des fidèles, les églises ont pour la plupart été remises sur pied, comme la cathédrale St Elie dont la toiture avait volé en éclat : « Cela a été un signe positif très important pour notre communauté » témoigne encore Mgr Joseph Tobji, l’évêque maronite de la ville. À l’ouest, les combats dans la lointaine périphérie en direction d’Idlib se poursuivent. Toutefois, certaines zones qui m’étaient jusqu’alors interdites sont désormais accessibles. À 20 km à l’ouest de la métropole, sur la route du monastère de St Siméon le Stylite et des Villes Mortes, toujours aux mains des groupes djihadistes et de l’armée turque, j’ai pu ainsi me rendre pour la première fois dans l’école des Sœurs du Rosaire. Inauguré en 2010, un an avant le début de la guerre, cet établissement scolaire flambant neuf n’est plus qu’un tas de ruine. La religieuse de la congrégation qui m’accompagne ne peut retenir ses larmes. Après dix années de guerre, les Syriens, à bout de souffle, ne savent plus où placer leur espérance.
Vincent Gelot
Directeur pays de l’Œuvre d’Orient (LibanSyrie, Jordanie)
C’est un voyage historique que le pape François a effectué en Irak du 5 au 8 mars 2021. Pendant 3 jours, il a sillonné le pays à la rencontre des chrétiens désabusés par de nombreuses années de guerre, par l’invasion de Daesh, la destruction de leurs églises et le pillage de leurs maisons. Mais le pape François n’est pas venu exclusivement pour réconforter et donner de l’espoir à la communauté chrétienne, c’est dans un esprit fraternel qu’une rencontre interreligieuse a eu lieu sur la plaine d’Ur rassemblant chrétiens, musulmans chiites et sunnites, mandéens et Yézidis.
Une rencontre privée avec l’Ayatollah Ali Al-Sistani, leader chiite du pays s’est également tenue et à l’occasion de laquelle ce dernier a affirmé l’importance pour les chrétiens d’Irak de vivre « en paix et en sécurité » et de leur accorder l’intégralité des « droits garantis par la constitution irakienne » afin qu’ils ne soient pas considérés comme des citoyens de seconde zone.
Au Kurdistan irakien, à Erbil, dans le stade Franso Hariri, dans les rues de Qaraqosh ou de Mossoul, partout, joie et espérance étaient portées par la foule en liesse venue accueillir le pape François. Respect, unité et avenir sont les trois graines que le pape François a semées lors de son voyage.
Le voyage du pape François laissera-t-il des traces durables en Irak ? François est rentré à Rome lundi 8 mars, après trois jours d’une visite exceptionnelle en Irak, « une terre martyrisée depuis tant d’années » selon ses mots. À différentes reprises, notamment à Bagdad devant les autorités irakiennes, il a défendu l’unité dans un pays rongé par les divisions ethniques et religieuses. (09/03/2021)
Les chrétiens d’Irak, une minorité meurtrie par les conflits. Le pape François a prévu, lors de son voyage dans le pays, de rencontrer à plusieurs reprises une communauté dont les membres sont trois fois moins nombreux qu’il y a vingt ans. ( 06/03/2021)
Mossoul, ex-capitale de Daech, prête à accueillir le pape. REPORTAGE – Le souverain pontife se rendra dimanche, sous haute surveillance et escorté par les Forces spéciales irakiennes, dans la ville où fut proclamé le «califat». (05/03/2021).
À Qaraqosh, la ferveur monte avant l’arrivée du pape. A la veille de l’arrivée du pape François, l’effervescence s’empare de la grande ville chrétienne de la plaine de Ninive, martyrisée par Daech en 2014. Pour ses habitants, sa venue constitue une reconnaissance de leur calvaire et une source d’espérance pour l’avenir. (05/03/2021)
Pape François en Irak : une visite « cruciale » après « 30 ans de descente aux enfers ». Le pape François entame vendredi une visite historique en Irak, pour prêcher la réconciliation dans ce pays meurtri par des décennies de violence. France 24 fait le point sur la difficile situation de la communauté chrétienne avec Vincent Gelot, responsable projets dans la région pour l’association l’Œuvre d’Orient. (04/03/2021)
Visite historique du pape François. Du 5 au 8 mars le pape François se rendra en Irak, une première pour un souverain pontife. L’objectif : témoigner son soutien à la communauté des Chrétiens d’Orient et rencontrer les représentants de la communauté chiite irakienne. (04/03/2021)
À Qaraqosh, la ferveur monte avant l’arrivée du pape. A la veille de l’arrivée du pape François, l’effervescence s’empare de la grande ville chrétienne de la plaine de Ninive, martyrisée par Daech en 2014. Pour ses habitants, sa venue constitue une reconnaissance de leur calvaire et une source d’espérance pour l’avenir. (03/03/2021)
Stéphanie, 24 ans, étudiante en marketing et science politique est volontaire pour 6 mois dans l’école des frères lassaliens de Deddeh, au sud de Tripoli.
Nous voilà arrivées à Beyrouth en plein après-midi. Un chauffeur vient nous chercher; direction le district de Koura, au nord, où se situe notre école. Après plus d’1h30 de route, nous passons enfin les grilles de l’établissement où une statue de Jean Baptiste de La Salle nous accueille en nous tendant les bras. Nous nous trouvons en effet dans une école lasalienne fondée par les Frères à Tripoli en 1886 et qui sera délocalisée un siècle plus tard (en 1986) à Deddeh où nous résidons. […] L’accueil est des plus généreux et nous remarquons rapidement la chaleur humaine qui émane des libanais. Malheureusement le pays rentre en confinement dès notre arrivée et nous commençons donc notre mission, confinées dans une école déserte. Si les premières semaines sont un peu longues, elles se traduisent par des journées de lecture au soleil et quelques cours de visioconférence dispensés aux maternelles. […]
Afin de mettre à profit ce temps libre, nous proposons d’élargir notre mission à d’autres classes. A l’origine mandatées pour les maternelles, nous avons désormais également récupéré 3 classes de CP chacune ainsi que 2 classes de CM1 (en plus de nos 4 classes de maternelle divisées en 2 groupes). Le directeur de l’école met tout en œuvre pour permettre aux élèves de profiter de notre présence et les choses s’organisent assez rapidement ce qui est très agréable ! A peine une idée est-elle suggérée, que nous voilà déjà en réunion avec les responsables et dès la semaine suivante un nouveau cours est créé. L’éducation est très importante ici au Liban et les éducateurs se donnent à 100 %.
À la découverte du pays des cèdres.
Après presque deux mois confinées, les premières sorties nous amènent enfin découvrir le Liban dans ce qu’il a de plus authentique : ses habitants ! A travers leurs traits qui vous sourient malgré eux, leur visage exprime bien plus que ces mots d’arabe dont nous ne comprenons rien mais qui pourtant disent tout. Il y a ces visages marqués par le temps, les guerres; ces fronts ridés par les soucis d’un avenir incertain, mais toujours, on y trouve ces yeux qui, rayonnant d’une lumière inconnue vous accueillent dans une spontanéité déconcertante. Nous découvrons également petit à petit de nouveaux endroits. Ces villages de pêcheurs où s’entassent des filets blanchis par le soleil, le sel et la lune et où, au loin, des ombres en enfilade patientent calmement que leur canne à pêche trésaille. Nous nous y promenons le temps de profiter de la fin de journée et des adieux du soleil derrière l’horizon bleuté. Au fur et à mesure que l’on découvre le pays, nous nous attendrissons de scènes quotidiennes dans des lieux pourtant quelconques où se rencontrent spontanément les générations. Sur la digue, de jeunes garçons maladroits font voler leur skate au rythme de leurs sauts alors que sur la berge, des vieillards se réchauffent au coin d’un feu en buvant l’arak. Sur la route, des chariots ambulants laissent entrevoir le rose criard des barbes à papa tandis qu’en face, sur le sol sec qui attend la marée montante, les vieilles barques de pêcheurs laissent apparaitre une rouille marquant leur coque d’un âge qui veut se taire.
Nous apprenons également énormément sur ce pays. […] Malgré les circonstances, nous rencontrons des personnes incroyables et nous nous attachons rapidement à nos jeunes élèves qui sont très motivés par l’apprentissage du français. Nous avons également eu la chance d’en apprendre davantage sur les différents rites catholiques d’Orient notamment melkite et maronite. L’archevêché grec catholique se situant à dix minutes à peine de l’école, nous avons pris l’habitude d’y célébrer la messe dominicale où nous sommes toujours chaleureusement accueillies par l’archevêque. Nous profitons désormais du déconfinement progressif pour découvrir la topographie si particulière du Liban où, entre mer et montagnes, nous sommes tantôt interpelées par le bleu profond de l’eau dont les bandes de sable se détachent à la lisière des immeubles, tantôt éblouies par la neige immaculée qui scintille au soleil et dont les monts se confondent avec les nuages.
Edith, étudiante en médecine est en mission pour une durée d’un an à Anta Akhi auprès des personnes souffrant de polyhandicaps au Liban.
Etonnement
Quand je suis arrivée au Liban, certaines choses m’ont surprise: le manque d’entretien des infrastructures, le mélange éclectique des très riches et des très pauvres, la division marquée des territoires entre les religions et la conduite assez dangereuse des automobilistes. Tout ça, je m’y habituerai, je comprendrai, je l’espère, l’histoire et les raisons. Mais ce qui m’a le plus touchée, c’est l’accueil et la générosité des Libanais. C’est d’autant plus remarquable en ces temps de crise économique et sanitaire. Pendant nos 15 jours de «confinement » après l’arrivée au Liban, une visite au nord nous a été proposée. Louis-Marie (un autre volontaire français arrivé à la même date) et moi sommes donc partis la journée avec Fady, le chauffeur et Danielle, une maman de maison (qui s’occupe du ménage dans un étage). Nous avons découvert non seulement des paysages magnifiques mais aussi l’impossibilité de dire non à des Libanais qui veulent partager et donner. Je ne pouvais m’empêcher de penser au passage de l’Évangile qui décrit la femme qui puise dans son nécessaire pour donner. C’est ce que nous avons vécu ce jour-là et je ne veux vraiment pas m’y habituer.
La vie à Anta Akhi
En tant qu’accompagnatrice, je m’occupe de 2 jeunes quotidiennement. Être accompagnateur, c’est quoi ? ce n’est pas seulement être une sorte d’auxiliaire de vie, comme un simple accessoire que l’on met de côté lorsqu’on en a plus besoin, c’est créer du lien, et échanger avec le cœur.
Parfois, le lien se fait immédiatement, comme avec Samo ou Aida, qui ont tellement d’amour à donner qu’elles en rayonnent. Ces 2 sœurs sont atteintes d’un handicap à la fois physique et mental, mais même avec la barrière de la langue, elles arrivent tout à fait à se faire comprendre et à mener au doigt leur petit monde. Par un « Sophie ! » (Nom qu’elle utilise pour tous les volontaires français, que ce soit des hommes ou des femmes) et un petit geste de la main, Aida peut te demander de l’eau, d’aller vers un de ses coloriages pour t’apprendre à dire les couleurs en arabe, ou même de jouer avec elle au Memory!
En parlant de la langue, est-ce vraiment une barrière ? Je m’explique : un des grands avantages à être au Liban, c’est que depuis qu’ils sont tous petits, les Libanais apprennent 3 langues : l’arabe, le français et l’anglais, ce qui permet un contact plutôt facile. Les autres accompagnateurs parlent pour la majorité, très bien le français. Pour ce qui est des chabibeh ( jeunes handicapés en libanais), c’est plus mitigé, mais la majorité comprend et parle quelques mots de français, et quelques-uns peuvent converser sans souci !Mais quand on est dans la création de lien et dans l’échange d’amour, la parole aide, mais elle n’est pas essentielle. Parfois, il suffit juste d’avoir un déclic, une nouvelle attitude, pour que la relation change.
C’est ce qui s’est passé avec Marianne. Marianne est assez autonome et peut réaliser beaucoup de gestes de la vie quotidienne par elle-même, mais ne parle que très peu le français. J’avais essayé plusieurs fois d’initier le contact par quelques paroles et des gestes, mais elle restait très réservée. Un jour, je ne sais pas ce qu’il y avait de différent, mais nos 2 cœurs étaient là, disponibles, et la relation s’est mise en place naturellement. Je lui ai pris les mains et on a dansé, elle s’est ouverte comme une fleur avec son beau sourire, d’autant plus précieux par sa rareté. Puis dans un moment qui m’a mis une flèche en plein cœur, elle m’a embrassé les mains.
Ce sont les moments comme ça, qui construisent la vie à Anta Akhi, des « je t’aime », des « tu me manques » et des moments de grâce, tous particuliers. Ce sont des prières quotidiennes et des chapelets vers les êtres aimés. Ce sont aussi des câlins à distance avec la frustration de ne pas pouvoir se serrer dans les bras. Et encore et toujours, ce sont des multitudes de sourires même si on ne les voit que dans les yeux.
Fin d’aventure pour Jean-Désiré, 22 ans, ingénieur de formation, qui a passé 6 mois en Éthiopie auprès des Frères de Saint-Jean pour superviser le chantier de la chapelle de la communauté dont l’inauguration aura lieux fin mars.
Six mois se sont déjà écoulés depuis mon arrivée au Prieuré d’Addis-Abeba, et cela signifie pour moi la fin de ma mission en Éthiopie. Le dernier mois a été riche en découvertes culturelles et surtout en activités sur le chantier, puisqu’il ne reste plus qu’un peu plus qu’une quarantaine de jours avant l’inauguration.
Timkat
Le 19 janvier commence la fête la plus importante du calendrier liturgique éthiopien et donc la plus importante du pays : Timkat, le Baptême de Jésus-Christ. Cette fête est bien plus importante que Noël pour les Éthiopiens. Elle se déroule sur deux jours et est même suivie par la fête de Saint Michel pour un total de trois jours de célébrations. Des décorations pieuses aux couleurs du pays sont apparues partout en ville, sur les boulevards et les ronds-points. La plupart des graphismes sont de style européen, de l’Ouest (plutôt catholique) ou de l’Est (plutôt orthodoxe). L’Éthiopie possède un style d’art pictural sacré bien à elle, développé au cours de deux milles ans d’histoire chrétienne du pays, mais il est très peu représenté sur l’espace publique, au profit d’images d’origine étrangère.
Lors de la première journée, chaque paroisse de la capitale fait une procession de- puis son église jusqu’au champ de Jan Meda, situé au beau milieu de la ville, en accompagnant les tabots (répliques de l’Arche d’Alliance d’ordinaire cachées dans le sanctuaire accessible uniquement aux prêtres) enveloppées et portées par le prêtre. La chorale de la paroisse anime la procession en chantant et dansant avec un dynamisme entraînant. Une fois arrivées, les paroisses défilent devant la tribune où se tiennent le Patriarche et les hauts responsables de l’Église éthiopienne.
Le deuxième jour a lieu la bénédiction de l’eau et l’aspersion de tous les fidèles en renouvellement symbolique de leur baptême. Les paroisses retournent ensuite chez elles, en chantant et dansant toujours, avec encore plus d’entrain que la veille.
Le chantier
Le sol a été recouvert de deux matériaux différents. Un dallage en céramique clair pour l’allée centrale et les allées longeant les murs et du terrazzo pour les deux espaces laissés entre les allées. Le terrazzo est un agglomérat de ciment et de pierre naturelle qui donne un rendu de mosaïque grise et blanche.
Le toit a été poursuivi avec la pose de la gouttière et du plafond extérieur.
Afin d’être sûr que le travail avance dans les temps, nous accueillons au prieuré le charpentier qui doit réaliser les portes principales. Il a donc apporté tout son matériel avec lui et travaille uniquement sur notre commande. Les encadrements de fenêtre en aluminium ont été livrés et posés. Des petits problèmes de management sont apparus lorsque ni l’encadreur ni le verrier, qui est chargé de réaliser les fenêtres, n’ont voulu prendre la responsabilité de mesurer les dimensions des ouvertures en demi-cercle (qui n’étaient évidemment pas des cercles parfaits). Il a fallu que le Frère en charge du chantier s’engage à être présent pendant la prise de mesures et se déclare responsable pour que les ouvriers du verrier acceptent de venir. Les verres étaient en cours de découpe lorsque je suis parti.
Enfin, les ouvriers ont commencé l’excavation derrière le bâtiment pour des marches qui donneront accès au sous-sol. Le sous-sol ne sera sûrement pas fini lors de l’inauguration, les efforts sont surtout concentrés sur l’étage de la chapelle, mais ces marches permettront au moins de faire facilement le tour du bâtiment, car le site sera encore en chantier.
L’aventure est à présent terminée pour moi. Ces six mois sur le chantier m’ont beaucoup appris sur le plan professionnel, bien plus que ce à quoi je m’attendais. Il fallait constamment anticiper les étapes suivantes, les difficultés potentielles et préparer les plans pour le chef de chantier. J’ai dû sortir bien souvent de ma zone de confort en allant auprès des ouvriers pour échanger sur leur travail qu’il fallait corriger. Ils n’ont pas du tout le même sens du détail ni du travail fini, ce qui m’a, à chaque fois, beaucoup étonné. Ils sont par contre d’une inventivité remarquable pour se débrouiller avec des moyens rudimentaires.
Les Éthiopiens n’ont pas du tout l’habitude de rencontrer des étrangers, encore moins des Blancs, même dans certains quartiers de la capitale. Ils montrent parfois une curiosité assez perturbante. Mais ils ont, pour la plupart, un grand souci de l’accueil envers les inconnus qui m’a touché à plusieurs reprises. Les Éthiopiens ont une foi très présente dans l’espace publique, avec des images pieuses absolument partout et des célébrations publiques qui réunissent des foules ferventes. Cela m’a bien changé de la France !
La relève est assurée puisque je suis remplacée par une nouvelle volontaire de l’Œuvre d’Orient qui est arrivée juste avant mon départ et qui finira le travail pour l’inauguration.
Je suis heureux d’avoir apporté mon aide à la construction de cette chapelle.
Maÿlis, 22 ans, étudiante est en mission depuis le mois de septembre et jusqu’au mois de juillet où elle aide le centre Jésuite à l’accueil des migrants : cours d’anglais, traduction, distribution alimentaire et de produits de premières nécessités.
Cher tous,
Le confinement strict a été à nouveau décrété à Athènes, les magasins sont fermés, on ne peut pas s’éloigner de plus de 2km de chez nous. Le couvre-feu est passé à 18h en week-end, et les possibilités de rencontrer de nouvelles personnes sont quasiment nulles. Alors bien sûr, je peux apprendre le grec, lire, et faire du piano. […] Côté travail c’est vrai, j’ai de la chance, pour l’instant nos activités sont maintenues : distribution de vêtements au magazi, Women Day center et cours à distance. […]
Confessions
Pour pallier ce manque de contact, j’avais organisé des activités : lundi, grâce au beau temps, j’ai organisé un cours d’anglais dans le parc, avec trois de mes élèves. Là, autour d’un café et d’une part de panetonne, les langues pouvaient enfin se délier, et N. et T. se sont confiées sur leurs inquiétudes pour leur fils. « Tu vois Yaya, pour nous c’est foutu, c’est pas grave, mais nos fils, ils ont 9 ans, ils peuvent même pas aller à l’école. Qu’est-ce qu’ils vont devenir ? On a fait tout ce chemin pour ça, pour leur offrir un avenir, et maintenant on dort par terre et on attend que le temps passe. Avant on n’avait pas grand-chose, mais on était heureux. Ici, on n’a rien, on est malheureux, mais bon, on est en sécurité. » N. a quitté le Congo après qu’ »ils » se soient introduit dans sa maison, aient assassiné son mari devant ses yeux et ceux de son fils, et aient abusé d’elle, toujours devant son fils. Je ne sais pas qui sont ce « ils ». Elle a pris l’avion pour la Turquie et a passé un an là-bas, à dormir dans la rue avec Exaucé, avant de prendre le « ding », le « bateau de la mort ». Elle a passé des heures dans l’eau, a finalement été sauvée par un autre bateau et amenée à Samos. Thérèse aussi a attendu des heures qu’on vienne les chercher. Elle ne m’a jamais dit pourquoi elle était partie.
C’est pour ces moments-là que j’aime mon travail. Pour cette confiance qui m’est accordée, ces fragments de vie que ces femmes extraordinaires acceptent de me confier, parce que je suis leur Yaya, leur « grande sœur » en Ningala. Et puis, parce qu’il ne faudrait pas s’apitoyer trop longtemps : « bon Yaya on le fait ce cours d’anglais ou pas ? ». Après un mois et demi de cours, elles connaissent les conjugaisons du verbe être et avoir, elles peuvent même dialoguer un peu : « Do you drink Coffee ? – Yes i drink Coffee ». Je les regarde, je finis mon café, et je suis très fière de mes élèves.
Les maraudes
Une autre de mes opérations a été d’organiser des maraudes dans la rue ces deux dernières semaines. Avec Ewa et Estelle, trois thermos de chocolat chaud et des gâteaux plein les poches, nous sommes allées dans la rue Phylis, connue pour ses drogués et prostituées. Avec le confinement, les maisons closes sont fermées mais ils sont nombreux dans la rue, sur le parvis de l’ancienne école de JRS, à attendre que la vie passe une pipe de crack à la main. Le sucre fait du bien alors nous offrons un, deux, ou trois verres de chocolat. Et puis nous allons à Victoria Square, il y a toujours quelques enfants qui jouent, ou une famille à la rue, installée sous un arbre. C’est l’occasion de parler avec les réfugiés peu nombreux qui continuent à se retrouver ici. Certains visages sont connus, on échange des nouvelles, c’est tellement agréable de prendre le temps de papoter, même si les conversations sont toujours un peu décousues.
J’aime mon travail, les gens avec qui je le fais, j’aime la Grèce, j’aime mes colocs et la communauté avec laquelle je vis. C’est précisément ce qui rend le confinement aussi frustrant : il y a tant à faire, tant à voir, tant à partager. Il faut donc attendre, attendre encore, et essayer de découvrir dans cet horizon coupé des choses que nous ne connaissions pas, creuser et approfondir des relations dont on peut penser tout connaitre. Chaque personne est une mine d’or et d’histoires, alors il faut réussir à mettre sa frustration de côté et créer la surprise, chercher l’étincelle, dans une situation qui paraît pourtant vue et revue.
N’oubliez pas de marcher 30 minutes par jour, de prendre la lumière du soleil, de sourire, et de manger du chocolat !
Alain J. Desreumaux, directeur de recherches émérite au CNRS et président honoraire de la Société d’études syriaques, dresse le portrait de Sébastien de Courtois, écrivain et chercheur spécialiste des chrétiens d’Orient.
Faire connaître les chrétiens d’Orient
Sébastien de Courtois, écrivain et chercheur.
Ce début d’année est une bonne occasion de s’offrir un beau voyage littéraire ouvert sur l’Orient. Les éditions Le passeur nous offrent un joli coffret de deux ouvrages en format Poche : Istanbul, le dyptique turc, de Sébastien de Courtois. Après un DEA à l’École pratique des hautes études et une maîtrise de droit privé, le journaliste de métier qu’il est ensuite devenu a écrit de nombreux articles sur l’Orient et ses chrétiens pour plusieurs journaux et magazines de grande diffusion, dans lesquels il met en valeur les personnes et les groupes dont l’action et l’espérance portent la conviction de la paix, de la démocratie, du développement et de la culture. Depuis 2017, Sébastien de Courtois est le directeur de l’Institut français de Turquie à Ankara.
J’avais fait sa rencontre en 2002 à la Maison des sciences de l’Homme lors d’une journée d’études sur les enjeux des patrimoines archéologiques ; faisant des recherches sur les habitants du Tur-Abdin, « la montagne des serviteurs » en Turquie orientale, il m’avait montré des photos inédites sur une région peu connue et expliqué son projet de faire connaître ces chrétiens plus que millénaires, les derniers Araméens.
Il est un écrivain. Dans un récit libre, au long des quartiers, des places, des monuments et des échoppes, recueillant les parfums des métiers, les nuances colorées du Bosphore, au gré des rencontres surtout, où l’histoire des pierres et des personnages de jadis porte encore mystérieusement les habitants actuels, anciens stambouliotes, immigrés ruraux, artistes, intellectuels, bourgeois, mondains, humbles, pittoresques, chaleureux, parfois agaçants, souvent attachants, il nous invite à regarder la Turquie actuelle avec les yeux d’un ami exigeant et le cœur d’une passion d’aujourd’hui. La quête personnelle à la découverte surprenante d’un ancêtre provençal jadis installé dans son quartier se mêle à l’histoire littéraire et diplomatique de la ville-monde qui enjambe le passage entre l’Europe et l’Asie pour interroger la rencontre millénaire entre Byzance et l’islam ottoman et le coude-à-coude des modes de vie turcs, grecs, arméniens, kurdes, juifs, alévis, chrétiens, sunnites…
Si l’on s’interroge sur la Turquie d’aujourd’hui et la relation que nous avons avec elle ‒ les enjeux actuels en sont grands ‒ vous trouverez en Sébastien de Courtois un guide à la culture généreuse. Muni d’Un thé à Istanbul. Récit d’une ville, allez avec lui y apprécier non seulement la formule courante Hoş geldiniz « Soyez le bienvenu », mais sa réalité quotidienne. Le guide passionné est parfois sans illusion. Parlant d’un projet officiel de musée de la Démocratie dans l’île d’Imralı, il fulmine : « Que peut-on exposer dans ces vitrines, pour un pays bafoué par des hommes sans vergogne ? Je me le demande encore. Les Turcs sont plus philosophes. Ils attendent que ça passe, car tout passe, semble-t-il, même les ennuis, même les passions, même l’amour que l’on croit indestructible. J’observe souvent ces îles, au crépuscule, lorsqu’elles finissent par être submergées par les vagues. »
Sébastien de Courtois est un écrivain évocateur de la beauté quand celle-ci s’enracine dans la conscience des peuples. Auteur de La Turquie biblique, Itinéraire culturel (Empreinte temps présent, 2010), il sème sur les lieux visités une méditation historique et spirituelle dont les desseins sont la rencontre et la profonde sympathie, la poursuite de la compréhension : l’itinéraire biblique est capable d’offrir en photos côte à côte sur la même page la mosquée seldjoukide de Beşehir et l’église souterraine de Sainte-Thècle à Silifke.
L’écrivain-journaliste se montre un voyageur spirituel. Capable de suivre les traces d’Arthur Rimbaud en Éthiopie et au Soudan (Éloge du voyage, éd. Nil, 2013 ; Prix du Livre d’aventure 2014), il pousse sa quête en interrogeant les traces de Charles de Foucauld (Passer par le désert, Bayard, 2016) et va, par voie de terre pour un voyage au long cours, jusqu’à Pékin, suivant les routes de la soie, sur les traces des chrétiens dits « nestoriens » de l’Église de l’Est.
Mais Sébastien de Courtois n’est pas un touriste ; voyageur d’Orient, c’est un chercheur, soucieux du sérieux universitaire. A la suite de son diplôme de l’École pratique (IVe section), il avait été amené à publier son mémoire Une communauté syriaque orthodoxe en péril à la fin de l’empire ottoman (1895-1915) sur les derniers Araméens victimes de massacres qu’on oublie (éd. Ellipsis, 2002, traduction anglaise à Gorgias Press, New York, 2005). L’écrivain amoureux de la Turquie, d’Istanbul et de ses îles, que l’on devine un peu agacé parfois par la rugosité et la rudesse de certaines communautés, est un passionné du Tur-Abdin. Pour faire connaître les chrétiens de Turquie, tant par l’enquête rigoureuse que par l’expression de leur âme et de leur culture, dans leurs visages et les austères réalités de leurs villages, il publie des ouvrages de réflexions socio-politiques dans l’idée de confronter les traces du passé avec le présent, sûr que « les chrétiens d’Orient ont toujours été des passeurs entre les cultures et les époques, depuis les Perses sassanides jusqu’aux Arabes abbassides, en continuant par les Turcs ottomans ». Toutes ses analyses le voient convaincu que malgré les idées reçues et une forme de confort intellectuel de certains médias occidentaux – il parle d’« aveuglement » –, « le maintien de la présence des chrétiens dans cette partie du monde est indispensable non seulement pour la chrétienté mais aussi pour l’islam et ne concerne pas simplement l’Orient, mais toute la planète » écrit-il en citant Mohammad Sammak, un conseiller du grand mufti du Liban. Ses ouvrages sont significatifs : en 2004, Les derniers Araméens ‒ beau livre traduit en turc en 2011 aux prestigieuses éditions Yapi Kredi ‒ puis Chrétiens d’Orient sur la route de la soie, dans les pas des Nestoriens (éditions de la Table ronde – Gallimard), livres qu’il publie avec l’éditeur Jean-François Colosimo ; Le nouveau défi des chrétiens d’Orient d’Istanbul à Bagdad en 2009 (JCLattès). Sur les fleuves de Babylone, nous pleurions. Le crépuscule des chrétiens d’Orient en 2015 (Stock) est une vigoureuse protestation contre l’insupportable, les massacres anciens qui se poursuivent, les exils, les haines et les crispations identitaires.
Son travail universitaire s’est précisé par des articles de fonds dans des revues scientifiques : Tur Abdin : Réflexions sur l’état présent des communautés syriaques du Sud-Est de la Turquie, mémoire, exils, retours (dans Conflits et territoires au Moyen-Orient et au Maghreb : Cahiers du Gremamo 2013) ; Regards croisés sur le patrimoine culturel des communautés syriaques de Turquie (dans Anatoli. De l’Adriatique à la Caspienne : territoires, politique, société 6, 2015).
Intimement persuadé que « l’histoire des chrétiens d’Orient est aussi un conservatoire ; une part de nous-mêmes, de nous tous, de vous et moi sans exception aucune », Sébastien de Courtois a accepté de servir la demande de l’évêque du couvent Mar-Gabriel au Tur-Abdin « un sol chargé d’histoire sur lequel les chrétiens étaient restés ». Il fallait restaurer sa vénérable mosaïque du sanctuaire datant de 512 ap. J.-C. Il l’a fait en organisant les travaux d’une équipe scientifique hautement qualifiée codirigée avec Patrick Blanc, responsable du service restauration du musée d’Arles antique, et le résultat est aujourd’hui splendide et doit faire l’objet d’une publication scientifique. Cette action patrimoniale et la réflexion de fond sur la vie et le destin des chrétiens en Orient ont été présentées au cours de trois soirées organisées par l’Œuvre d’Orient dans le cadre des Jeudis de l’Institut du monde arabe en 2014, 2015 et 2016.
Avec de telles convictions, appuyées sur une recherche en sciences humaines et une volonté de promouvoir l’existence et la vie de ces chrétiens d’Orient comme part de nous-même, Sébastien de Courtois ne pouvait que participer au service public de l’information et de la culture. Depuis dix ans, il anime l’émission bimensuelle, « Chrétiens d’Orient » le dimanche à France-Culture, lieu emblématique du service public pour donner à entendre, à réfléchir et à dialoguer. Il y a reçu une centaine d’invités. Le talent de Sébastien de Courtois est de faire s’exprimer des chercheurs, des spécialistes, des personnes engagées, des acteurs de la vie des chrétiens d’Orient de tous horizons, en toute liberté, en toute indépendance, appuyé sur le sérieux de leur recherche et de leur engagement. Pour moi, un bel exemple de notre idéal de laïcité dans un esprit de culture populaire.
Aujourd’hui, à l’Institut français de Turquie à Ankara, il promeut le dialogue avec la culture turque qu’il aime dans un esprit de « passeur » comme il se décrit lui-même, avec une capacité d’organisation et de meneur de projets contre « la paresse intellectuelle et l’amertume » dit-il encore.
« Seule la culture est gage d’avenir commun » écrit-il dans un de ses ouvrages.
Alain J. Desreumaux
Directeur de recherches émérite au CNRS
Président honoraire de la Société d’études syriaques.
La messe annuelle 2020 de l’Œuvre d’Orient, reportée à cause de la situation sanitaire, aura lieu le dimanche 21 mars 2021 en l’église Saint-Sulpice.
Elle sera célébrée selon le rite arménien par Son Excellence Monseigneur Elie Yéghiayan, évêque de l’Eparchie de Sainte Croix des Arméniens catholiques de France, en communion avec l’ensemble des Églises orientales.
Cette célébration sera l’occasion de prier pour les Arméniens, peuple chrétien qui souffre beaucoup après la défaite de l’Arménie dans la guerre contre l’Azerbaïdjan.
Vous êtes tous invités à vous joindre à cette célébration.Inscription obligatoire ici(pour respecter le nombre maximum autorisé).